Réf. dossier III CPZ 26/06
RESOLUTION
le 19 mai 2006
La Cour Suprême composée de:
Juge de la CS Antoni Górski (Président)
Juge de la CS Zbigniew Kwasniewski
Juge de la CS Krzysztof Pietrzykowski (rapporteur)
Greffier d'audience Bozena Kowalska
statuant sur le pourvoi de M. Marek Rasinski;
avec la participation de la Commune de Knurów et du Trésor Public - Staroste de Powiat de Gliwice représenté par Prokuratoria Generalna Skarbu Panstwa (Agence de protection juridique du Trésor Public);
sur l'inscription au livre foncier;
après avoir tranché en Chambre Civile en son audience publique
tenue le 19 mai 2006
la question de droit soumise par le Tribunal de District de Gliwice par la décision du 19 janvier 2006, réf. dossier III Ca 1404/05:
«Le fait de renoncer, pour une personne physique, au droit de bail emphytéotique d'un terrain appartenant au Trésor Public, entraîne-t-il une expiration pure et simple du droit en question, ou la transmission de celui-ci à la commune compétente en vertu de l'art. 179 § 2 CC en liaison avec l'art. 237 CC?»
a pris la résolution suivante:
La renonciation à un droit de bail emphytéotique de la part d'un emphytéote - personne physique, emporte l'expiration du droit en question.
MOTIFS
La question de droit soumise à la Cour par le Tribunal de District s'est posée dans des circonstances concrètes, exposées dans l'arrêt du Tribunal du 19 janvier 2006. Marek Rasinski, titulaire d'un droit de bail emphytéotique des parcelles no 1363/145 et 1735/145 situés à Knurów, a renoncé à son droit de bail emphytéotique de la parcelle et à la propriété des bâtiments constituant des biens immeubles indépendants, par un acte notarié établi le 15 mars 2005, et a demandé que le bail emphytéotique et la propriété des immeubles soient inscrits au livre foncier KW no 46177 tenu par le Tribunal de District à Gliwice, au profit de la commune de Knurów. Le 17 mai 2005, le référendaire au Tribunal de District de Gliwice a procédé à l'inscription conformément à la demande. La commune de Knurów, partie à la procédure, s'est opposée à l'inscription. Par sa décision du 17 août 2005, Dz.Kw 7828/05, le Tribunal de District de Gliwice a annulé l'inscription et débouté la demande. Dans son pourvoi en appel, le Trésor Public - le Staroste de Gliwice, partie à la procédure, a demandé que le jugement soit reformé de façon à maintenir en vigueur la décision d'inscription attaquée.
En connaissant le pourvoi en appel, le Tribunal de District avait relevé la difficulté d'interprétation qu'il a décidé de soumettre à la Cour Suprême sous forme de question de droit. Le Tribunal de District a soulevé notamment que le code civil ne comportait pas de dispositions permettant au titulaire d'un bail emphytéotique de renoncer à son droit. Seules les dispositions particulières instaurent le droit de renoncer au bail emphytéotique, en les réservant toutefois aux seules personnes morales de l'Etat et des collectivités territoriales (l'art. 16 de la loi du 21 août 1997 portant sur la gestion d'immeubles, texte unique JO 2004, no 261, item 2603 avec mod. ult., ci-après u.n.g.). Dans la littérature, on admet majoritairement que les autres titulaires du bail emphytéotique peuvent également renoncer à leur droit. Cette position prévaut également dans la jurisprudence de la Cour Suprême (voir l'arrêt du 24 août 2005, II CK 34/05, BSN 2005, no 11, item 15, ainsi que la résolution du 8 septembre 1992, III CZP 89/92, OSNC 1993, no 4, item 53). La jurisprudence et la littérature divergent toutefois sur le point de savoir si la renonciation au bail emphytéotique doit se fonder sur l'art. 179 CC relatif à la renonciation à la propriété des biens immeubles, ou sur l'art. 246 CC qui traite de la renonciation aux droits réels restreints.
Dans son courrier du 12 mai 2006, l'Agence judiciaire du Trésor public constate que lorsqu'un particulier, titulaire du droit de bail emphytéotique portant sur un terrain appartenant au Trésor Public, décide d'y renoncer, le droit en question échoit à la commune en vertu de l'art. 179 § 2 en liaison avec l'art. 237 CC.
La question de droit soumise à la Cour Suprême ne porte pas sur la renonciation au bail emphytéotique fondée sur l'art. 16 u.n.g. - s'appliquant aux personnes morales de l'Etat ou de collectivité territoriale qui renoncent à leur droit au profit du Trésor Public ou d'une collectivité territoriale en appliquant respectivement l'art. 179 CC. Cette question ne se rapporte pas non plus à un cas spécifique de renonciation au bail emphytéotique régi par l'art. 17b al. 3 de la loi du 19 octobre 1991 sur la gestion des biens immeubles agricoles appartenant au Trésor Public (texte unique: JO 2004, no 208, item 2128 avec mod. ult., ci-après: u.n.g.rSP). L'arrêt du Tribunal de District de Gliwice indique d'ailleurs clairement que la question concerne un cas où la renonciation intervient du fait d'un emphytéote - personne physique, et porte sur le bail emphytéotique d'un terrain appartenant au Trésor Public.
A l'exception de deux articles précités, la loi polonaise ne règle pas la question de renonciation au bail emphytéotique. Elle comporte par contre une série de dispositions régissant la renonciation à la propriété des biens immeubles et des droits réels restreints.
L'article 179 CC qui concerne la renonciation à la propriété d'un bien immeuble a subi plusieurs modifications. Il fonctionne dans sa teneur actuelle depuis la loi du 14 février 2003 portant amendement de la loi - Code civil et de certaines autres lois (JO no 49, item 408). Le § 1 définit les conditions dans lesquelles le propriétaire peut se départir de sa propriété par la renonciation, et instaure l'obligation de consigner la déclaration de volonté du propriétaire dans un acte notarié. Le § 2 régit les effets de la renonciation à la propriété d'un bien immeuble, en statuant notamment que le bien en question devient la propriété de la commune de sa situation, sauf disposition spécifiques contraires. Dans son arrêt du 15 mars 2005, K 9/04 (OTK 2005, no 3A, item 24), la Cour Constitutionnelle constate que l'art. 179 CC n'est pas compatible avec les articles 2 et 165 de la Constitution. Conformément au point 2 de l'arrêt, l'art. 179 CC sera abrogéle 15 juillet 2006. En plus d'exclure l'effet ex tunc de l'arrêt, la Cour Constitutionnelle diffère de cette manière l'expiration des dispositions remises en question, en laissant au législateur le temps nécessaire pour les amender. Le projet gouvernemental de l'amendement du code civil (voir document de la Diète no 486 du 7 avril 2006), modifie les dispositions de l'art. 179 CC, en vertu duquel le propriétaire propose à la commune compétente la conclusion d'un contrat translatif de propriété (§ 1); en cas de refus ou d'absence de réaction dans un délai de 6 mois, la renonciation peut intervenir par la déclaration de volonté officialisée par un acte notarié (§ 2), qui emporte le transfert du droit de propriété au bénéfice du Trésor Public (§ 3). Le projet en question prend en compte également les arguments exposés dans le motifs de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle relatif à la renonciation au bail emphytéotique, et propose d'insérer au Code Civil un nouvel article (233 CC) qui se lit comme suit: «§ 1. L'utilisateur emphytéotique peut renoncer au bail emphytéotique. La déclaration relative à la renonciation doit être communiquée au propriétaire sous forme d'un acte notarié. Le bail emphytéotique auquel son titulaire a renoncé, expire du moment où l'inscription correspondant à ce droit qui figurait dans le livre foncier est supprimée. § 2. Si le bail emphytéotique est grevé d'une hypothèque, le titulaire ne peut renoncer à son droit qu'à condition d'obtenir un accord du créancier titulaire de la créance garantie par l'hypothèque." La disposition citée s'appliquerait à toutes les situations de renonciation au bail emphytéotique, alors que les articles 16 u.g.n et 17b al. 3 u.g.n.r.SP seraient abrogés.
Dans sa forme actuelle, en vigueur depuis le 1 janvier 1983 (en vertu de l'art. 113 de la loi du 6 juillet 1982 sur les livres fonciers et les hypothèques, JO no 19, item 147 avec mod.ult.), l'art. 246 CC est composé de deux paragraphes. Conformément au § 1, la renonciation à un droit réel restreint a un caractère extinctif, et la déclaration de renonciation doit être faite auprès du propriétaire de la chose grevée du droit en question. Selon le § 2, l'expiration d'un droit inscrit au livre foncier devient effective du moment où l'inscription est effacée du livre.
3. La littérature et la jurisprudence reconnaissent - pratiquement à l'unanimité - que l'utilisateur emphytéotique, à l'instar du propriétaire du bien immeuble (art. 179 CC) et de tout titulaire d'un droit réel restreint (art. 246 CC), a la faculté de renoncer valablement à ce droit. Dans sa jurisprudence plus récente, la Cour Suprême exprime également une opinion allant dans ce sens, notamment dans la résolution du 8 septembre 1992, III CZP 89/92, dans l'arrêt du 31 janvier 2002, IV CKN 1325/00 (non publié), les motifs de la résolution prise en formation de sept juges de la Cour Suprême le 8 décembre 2004, III CZP 47/04 (OSNC 2005, no 5, item 74), l'arrêt précité du 24 août 2005, II CK 34/05, ainsi que le jugement du 4 novembre 2005, V CK 784/04 (BSN 2006, no 4, item 9). La Cour Suprême dans sa formation actuelle souscrit pleinement à cette opinion. C'est uniquement pour répondre aux opinions divergentes exprimées - d'ailleurs rarement - dans la littérature, qu'il convient de souligner qu'à la fois argumentum a simili (raisonnement par similitude à l'art. 179 CC), argumentum a minori ad maius et argumentum a simili (puisqu'en vertu de l'art. 246 CC il est possible de renoncer à un droit réel restreint plus faible, il peut être renoncé également au droit de bail emphytéotique plus fort qui, conformément à la position quasi-unanime de la littérature et de la jurisprudence, s'est cristallisé en un droit intermédiaire entre la propriété et les droits réels restreints; la ressemblance entre le droit de bail emphytéotique et les droits réels restreints réside essentiellement dans le fait que les deux se rattachent aux choses appartenant à l'autrui). L'opinion, selon laquelle il ne serait possible de renoncer au bail emphytéotique que dans les cas expressément prévus par la loi - à savoir, les deux cas précités - ne résiste pas à la critique.
Les positions de la Cour Suprême auxquelles nous nous référons diffèrent quant à l'appréciation des effets de la renonciation au droit de bail emphytéotique, selon qu'elles s'appuient sur l'art 179 CC ou sur l'art. 246 CC. Dans la littérature, on indique majoritairement que c'est l'art 179 CC qui constitue le fondement juridique de cette renonciation, sachant quela plupart des prises de position sur ce point sont antérieures à l'amendement de l'art. 232 CC introduit par la loi du 17 mai 1990 relative au partage des missions et des compétences entre les organes de la commune et les administrations déconcentrées de l'Etat ainsi qu'à l'amendement de certaines lois (JO 34, item 198 avec mod. ult.). En vertu de la loi, en plus des biens immeubles détenus par le Trésor Public, ce sont égalementles biens immeubles appartenant aux communes et à leurs groupements qui peuvent être mis à la disposition des tiers par le biais du bail emphytéotique. Auparavant, en cas de renonciation, le bail emphytéotique expirait par confusion, et échouait au Trésor Public en tant que propriétaire du bien grevé.
Dans les motifs de la résolution du 8 septembre 1992, III CZP 89/92 précitée, la Cour Suprême souligne qu' «un problème apparaît toutefois, celui de savoir lesquelles des dispositions sur la renonciation aux droits réels doivent être appliquées par analogie à la renonciation au bail emphytéotique; il y a t-il lieu de se fonder sur l'art. 179 CC relatif à la renonciation à la propriété du bien immeuble ou faut-il opter plutôt pour l'art. 246 CC qui concerne la renonciation à un droit réel restreint». En reconnaissant que «l'art. 237 fournit indubitablement une indication interprétative en stipulant que les dispositions relatives au transfert de la propriété d'un bien immeuble s'appliquent par analogie au transfert d'un bail emphytéotique», la Cour Suprême en déduit ce qui suit: «il faut considérer que c'est l'utilisation de l'art. 179 qui sera la plus pertinente en l'espèce. Rappelons que la Cour Suprême a déjà pris une position similaire, quoique plus générale, dans son arrêt du 17 janvier 1973 III CRN 316/93 (OSNCP 1974, z. 11. item 197), en constatant que dans tous les cas qui échappent aux articles 232-243 CC et lorsqu'il s'agit d'un contrat d'établissement du bail emphytéotique, il faut raisonner par analogie, en se référant en premier lieu aux dispositions du code civil relatives à la propriété». Par conséquent, on en est venu à considérer (conformément à la teneur de l'art. 179 CC de l'époque), qu'en cas de renonciation le bail emphytéotique d'un terrain s'éteint, de même que la propriété des bâtiments situés sur ce terrain, qui sont réintégrés dans le terrain.
Dans la résolution prise en formation de sept juges du 8 décembre 2004, III CZP 47/04 précitée, la Cour Suprême estime que l'art. 179 CC s'applique au bail emphytéotique. En motivant sa décision, elle indique notamment que «le bail emphytéotique peut s'éteindre également par la renonciation, dès lors qu'il est institué sur un bien immeuble appartenant à une personne (par exemple une commune) qui suite à cette renonciation deviendrait titulaire du bail emphytéotique. Lorsque le bail emphytéotique grève un bien immeuble d'une autre personne (par exemple du Trésor Public), et le titulaire renonçant au bail est, par exemple, une personne physique, en vertu de l'art. 179 et en liaison avec l'art. 233 et 237 CC, le bail emphytéotique est «transféré» à la commune».
Dans les motifs de la décision précitée du 24 août 2005, II CK 34/05, la Cour Suprême part du principe que «le contenu du bail emphytéotique, qui est plus proche de la propriété que des droits réels restreints, justifie qu'on applique l'art 179 § 1 CC per analogiam et qu'on exige la forme notarié pour la renonciation à ce droit.». Par la suite, la Cour Suprême explique que «le fait que le bail emphytéotique est, tout comme les droits réels restreints, constitué sur la chose d'autrui, nous amène à penser que la déclaration par laquelle le titulaire du bail emphytéotique renonce à son droit, doit être produite après du propriétaire du bien immeuble. L'application par analogie de l'art. 246 § 1 CC nous autorise à le penser. L'une des caractéristiques essentielles du bail emphytéotique identifiée ci-dessus nous permet d'apprécier les effets de la renonciation à ce droit par analogie avec l'art. 246 § 1 CC, et de considérer que la renonciation au bail emphytéotique conduit à l'extinction de celui-ci.». Plus loin, la Cour Suprême souligne qu' «en appliquant l'art. 246 CC à la renonciation au bail emphytéotique en vue de déterminer
les effets de cet acte, on ne peut faire l'impasse sur le § 2 de l'article en question; par conséquent, le droit de bail emphytéotique inscrit au livre foncier devra en être rayé afin que son expiration devienne effective. Puisque la renonciation au bail emphytéotique a un caractère abdicatif, elle conduit à l'expiration de tous les droits qui le grèvent (l'art. 241 CC).».
Dans son arrêt du 4 novembre 2005, V CK 784/05 précité, la Cour Suprême entrevoit la possibilité d'appliquer l'art. 246 CC à la renonciation au bail emphytéotique. En motivant l'arrêt la Cour constate notamment: «en s'inscrivant dans le droit fil de l'interprétation basée sur l'analogie, et en dépit du désaccord qui persiste sur ce point dans la doctrine, il y a lieu de considérer que les personnes autres que celles visées à l'art. 16 u.n.g. peuvent se prévaloir du droit de renoncer au bail emphytéotique, du fait notamment que le bail emphytéotique se situe à la limite de la propriété et des droits réels restreints qui expirent suite à la renonciation (art. 179 § 1 et art. 246 § 1 et 2 CC).».
4. A cet égard, il convient de citer également d'autres constats formulés dans l'arrêt précité de la Cour Constitutionnelle du 15 mars 2005, K 9/04. En motivant sa position, la Cour Constitutionnelle observe notamment que la renonciation au bail emphytéotique, ou à un droit réel restreint, n'entraîne pas de changement du titulairede ce droit; la renonciation - quoique exécutée auprès du propriétaire - n'emporte pas le transfert du bail emphytéotique, que ce soit au bénéfice du propriétaire ou d'une autre personne. La renonciation a pour effet de faire tomber une restriction qui limitait antérieurement la portée du droit de propriété. L'emphytéote, à l'instar du titulaire d'un droit réel restreint, tient ses droits du propriétaire. En grevant sa propriété, le propriétaire ne perd pas le statut du propriétaire et doit bien évidemment compter avec l'expiration du droit qu'il a instauré; même si celle-ci intervient par un acte unilatéral du titulaire, la situation juridique du propriétaire ne s'en trouve pas modifiée.». En adoptant cette position, la Cour Constitutionnelle opte de fait pour l'application de l'art. 246 § 1 phrase 1 CC par analogie au bail emphytéotique. La renonciation au bail emphytéotique a par conséquent un effet extinctif.
La Cour Constitutionnelle indique également: «il est évident que la renonciation au droit constitué sur la chose d'autrui doit être réalisée à l'égard du propriétaire (l'art. 246 § 1 phrase 2 CC), qui pourra par la suite se tourner éventuellement contre son titulaire pour réclamer une réparation.». Vu le contexte dans lequel s'inscrit le constat de la Cour, cette conclusion peut s'appliquer également au bail emphytéotique, défini pas la Cour Constitutionnelle comme un droit instauré sur la chose d'autrui. Cette position découle de l'application par analogie de l'art. 246 § 1 phrase 1 CC au bail emphytéotique. Puisque la création du droit en question requiert la conclusion d'un contrat entre le propriétaire du terrain et son futur emphytéote, par conséquent, en dépit de son caractère d'un acte unilatéral, la renonciation requiert également une déclaration de volonté adressée au propriétaire de la chose grevée.
La Cour Constitutionnelle relève un autre aspect de la question. Elle souligne en fait qu'étant donné le caractère constitutif de l'inscription du bail emphytéotique au livre foncier (l'art. 27 u.g.n.), il faut partir du principe que la renonciation ne produit ses effets juridiques (à savoir, l'expiration du droit) qu'à condition de procéder à une inscription adéquate au livre foncier. Concernant les droits réels restreints, ce principe est énoncé clairement à l'art. 246 § 2 CC: du moment où un droit est inscrit dans le livre foncier, son expiration ne devient effective qu'après la suppression de l'inscription en question. Pour les deux catégories de droits, la publication - à savoir, le fait de révéler le changement de la situation juridique du bien immeuble - joue un rôle très important.».
On déduira des motifs de l'arrêt du 15 mars 2005 K 9/04 précité qu'en terme de renonciation aux droits réels, la Cour assimile le bail emphytéotique aux droits réels restreints. La Cour Constitutionnelle renonce ainsi à déduire de la similitude du droit de propriété immobilière et du bail emphytéotique - au nom de laquelle les dispositions régissant la propriété sont appliquées fréquemment, notamment par analogie, au bail emphytéotique - des conséquences en matière de renonciation au bail emphytéotique. Les arguments développés par la Cour étayent suffisamment la thèse selon laquelle qu'en ce qui concerne les effets de la renonciation, le bail emphytéotique doit être traité sur un pied d'égalité avec les droits réels restreints, et non pas avec le droit de propriété. La Cour Constitutionnelle a fortement exprimé cette idée en constatant qu'«au vu du caractère de la renonciation au bail emphytéotique et aux droits réels restreints, l'hypothèse selon laquelle le législateur tendrait à harmoniser la renonciation à ces droits avec la renonciation à la propriété d'un bien immeuble apparaît - selon la Cour Constitutionnelle - comme fondamentalement erronée.».
5. Au vu des considérations ci-dessus, la première interrogation porte sur la possibilité d'étendre l'art. 179 CC sur la renonciation au bail emphytéotique. Une application par extension d'une disposition régissant une autre question doit se fonder sur une disposition de renvoi concrète. Le code civil contient deux dispositions sur le bail emphytéotique qui renvoient aux règles régissant le transfert de propriété: la première (l'art. 234 CC) concerne la constitution du bail emphytéotique d'un terrain, la deuxième (l'art. 2237 CC) régit le transfert du bail emphytéotique. Bien évidemment, il n'existe aucun lien entre la renonciation au bail emphytéotique et la mise à disposition d'un terrain par le truchement du bail emphytéotique; la renonciation n'est pas liée non plus au transfert du bail emphytéotique. L'expression «transfert de propriété» (l'art. 155 et suivants CC) signifie la transmission de propriété d'une chose d'une personne à l'autre en vertu d'un contrat. Or, la renonciation au bail emphytéotique ne s'accompagne ni d'un contrat, ni d'une transmission d'un droit. Par conséquent, aucune des dispositions précitées ne donne la possibilité d'appliquer l'art. 179 CC par extension au bail emphytéotique.
Puisque les dispositions de l'art. 179 CC ne peuvent être appliquées directement au bail emphytéotique, si l'on reconnaît à l'emphytéote le droit de renoncer au bail emphytéotique, on doit conclure qu'à l'exception de normes juridiques hypothétiques contenues dans les deux dispositions spécifiques précitées (l'art. 16 u.g.n. et l'art. 17b al. 3 u.g.n.SP), le droit passe sous silence cette question. Ce vide juridique peut être comblé en appliquant par analogie d'autres dispositions juridiques qui régissent des situations de droit similaires, à savoir l'art. 179 CC ou l'art. 246 CC.
Ces considérations faites, il nous reste à élucider la question d'applicabilité des art. 179 et 246 CC par analogie au bail emphytéotique. Selon une conception solidement ancrée dans la jurisprudence et la littérature contemporaine, le bail emphytéotique constitue un droit sui generis, situé entre le droit de propriété et les droits réels restreints. On souligne à cet égard qu'il est plus proche de la propriété que des droits réels restreints, ce qui résulte notamment des dispositions des art. 234 et 237 CC précités. Par conséquent, pour toutes les questions non régies par les art. 232 - 243 CC, on préférera une application par analogie des dispositions sur la propriété à celle des dispositions régissant les droits réels restreints. Ce constat concerne notamment une application par analogie des dispositions relatives au contenu, à l'exercice et à la protection du droit de propriété. Certaines dispositions relatifs aux droits réels restreints peuvent toutefois s'appliquer par analogie au bail emphytéotique, dont notamment les dispositions de l'art. 247 CC concernant l'expiration de ces droits par confusion.
6. Les opinions de la Cour Constitutionnelle apparaissent comme particulièrement précieuses pour apprécier la légalité, les fondements juridiques et les effets de la renonciation au bail emphytéotique. Comme l'indiquent les motifs de l'arrêt du 15 mars 2005, K 9/04, la Cour admet que la renonciation au bail emphytéotique soit appréciée par analogie aux dispositions régissant la renonciation aux droits réels, en leur opposant la renonciation à la propriété d'un bien immeuble. La Cour Suprême, dans les motifs de l'arrêt du 24 août 2005, II CK 34/05, adopte une position similaire, partagée par la formation actuelle de la Cour.
Le bail emphytéotique, en dépit de sa ressemblance avec la propriété du bien immeuble, se rapproche des droits réels restreints sur un point: il constitue un droit sur la chose d'autrui. L'application par analogie de l'art. 246 CC au bail emphytéotique correspond mieux à l'essence de ce droit qui a pour objectif de procurer à son titulaire un certain avantage en grevant un bien immeuble.
Si c'est l'art. 179 CC qui était appliqué par analogie, le bail emphytéotique constitué sur un terrain appartenant au Trésor Public persisterait après la renonciation, au bénéfice de la commune de situation du terrain. Cette dernière deviendrait ainsi en quelque sorte un «bénéficiaire malgré lui» de la renonciation au droit. Les arguments qui prêchent pour l'inconstitutionnalité de l'art 179 CC, en ce qui concerne la renonciation à la propriété, deviendraient dès lors pertinents: la pratique décrite dans les motifs de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle concernait presque exclusivement les situations où les terrains échoués à la commune étaient fortement dégradés, comportaient des bâtiments à démolir, et dont la revitalisation entraînerait des coûts très importants pour la commune. La liberté de renoncer au bail emphytéotique (comme à la propriété) s'exercerait ainsi au détriment de la commune, confrontée à des frais importants qui, dans une autre situation, seraient à la charge de l'emphytéote ou du propriétaire. La commune doit rester maître de sa politique de gestion immobilière et pouvoir l'appliquer librement par des actions d'acquisition et de gestion du parc immobilier dont elle a besoin pour réaliser ses missions. Le bail emphytéotique est un droit créé pour atteindre un objectif économique et social précis. L'imposer à la collectivité irait à l'encontre de ce principe.
La bail emphytéotique peut grever à la fois les terrains appartenant au Trésor Public et ceux détenus par des collectivités territoriales et leurs regroupements. Toutefois, à supposer que l'on opte pour une application par analogie des dispositions de l'art. 179 § 2 au bail emphytéotique, seule la commune acquerrait les droits constitués sur un terrain appartenant au Trésor Public. En cas de renonciation au bail emphytéotique, constitué sur un terrain appartenant à une collectivité, le Trésor Public n'acquerrait pas ce droit, qui expirerait par confusion. Ceci conduirait à une dissonance entre l'art. 232 CC et l'art. 179 § 2 CC appliqués au bail emphytéotique. Par conséquent, en stipulant que la renonciation doit être déclarée au propriétaire, l'art. 246 CC différencie les destinataires de cette déclaration uniquement en fonction de l'identité du propriétaire du terrain grevé; il est par conséquent sans aucun doute mieux adapté à la renonciation au bail emphytéotique.
En vertu de l'art. 179 CC, la renonciation au droit de propriété d'un bien immeuble constitue un acte de disposition à caractère unilatéral, qui conduit à l'acquisition originaire de la propriété de ce bien par la commune. L'acquisition de la propriété peut être déduite de la déclaration de volonté relative à la renonciation, ainsi que du contenu de l'art. 179 CC identifiant directement le nouvel accédant à la propriété du bien immeuble. Ce dispositif pourrait difficilement s'appliquer par analogie a la renonciation au bail emphytéotique. Puisque ce droit, dans son essence, est directement rattaché à l'existence d'un contrat de mise à disposition d'un terrain par bail emphytéotique, même après avoir acquis ce droit, la commune serait toujours tenue de s'acquitter des obligations contractuelles - en ce qui concerne, par exemple, le versement de la redevance annuelle. L'hypothèse selon laquelle le bail emphytéotique continuerait de s'appliquer en dépit de l'expiration du contrat constituant sa source originelle et - qui plus est - le fondement d'un ensemble d'obligations qui caractérisent le bail, est difficile à défendre. Considérer que l'application de l'art. 179 § 2 CC par analogie est possible, c'est remettre en question l'hypothèse sur le caractère originaire de l'acquisition du bail emphytéotique en cas de renonciation à celui-ci. Le maintien des effets juridiques qui résultent des relations passées du propriétaire et de l'emphytéote, invite plutôt à penser que le droit en question a été «transféré» à la commune par une déclaration de volonté unilatérale de l'ancien emphytéote, et non pas acquis par celle-ci par acquisition originaire. Ce problème ne se pose pas suite à la renonciation à la propriété du bien immeuble, du fait que le droit auquel on renonce n'est pas lié à un contrat, et l'interrogation porte uniquement sur le fait de savoir si le droit qui grève la propriété du bien immeuble persiste ou expire (question qui, par ailleurs, comme le fait remarquer la Cour Constitutionnelle, n'a pas été tranchée expressément par le législateur dans l'art. 179 CC).
Il faut souligner par conséquent que le bail emphytéotique est un droit qui peut servir de support à l'instauration d'autres droits réels (comme l'hypothèque, l'usufruit et les servitudes); par conséquent, la renonciation à ce droit pose la question du devenir des droits en question. Comme l'application de l'art. 179 CC conduirait à maintenir le bail emphytéotique, le devenir des droits qui le grèvent ne saurait être apprécié sur le terrain de l'art. 241 CC qui régit les effets de l'expiration du bail emphytéotique. L'article 179 CC ne détermine pas le sort des droits réels dits à efficacité élargie en cas de renonciation à la propriété. L'absence de réponse sur ce point fournit un argument contre l'application per analogiam de cet article à la renonciation au bail emphytéotique. Par contre, le fait de se fonder sur l'art 246 CC qui prévoit l'expiration du bail emphytéotique par analogie, conduit à l'expiration des droits qui grèvent ce dernier en vertu de l'art. 241 CC.
Le fait que la renonciation au bail emphytéotique s'accompagne habituellement de la perte de propriété des bâtiments ou des locaux situés sur le bien immeuble, ne préjuge pas de la pertinence de l'application de l'art. 179 CC à cette renonciation. L'analyse de la construction des droits liés, auxquels il est fait référence pour apprécier
les relations entre le droit de bail emphytéotique du terrain et le droit de propriété des bâtiments qui s'y trouvent, nous amène à des conclusions similaires. Le bail emphytéotique reste le droit principal, alors que la propriété - distincte - des bâtiments ou des locaux, constitue un droit lié avec celui-ci. Par conséquent, tout acte de disposer du droit principal oblige à disposer également du droit lié, ce dernier partageant ainsi le sort juridique du droit principal.
Il faut admettre en plus, conformément à l'art. 246 § 2 CC, que puisque le bail emphytéotique d'un terrain doit obligatoirement être mentionné dans le livre foncier, son expiration ne devient effective qu'une fois cette mention supprimée. La situation juridique du terrain devient claire pour le propriétaire - partie de la procédure relative au livre foncier (et dont l'objet est de supprimer la mention du bail emphytéotique), qui pourra désormais, par exemple, incriminer un défaut de déclaration de volonté relative à la renonciation, sur laquelle se fond la radiation du bail emphytéotique du livre foncier. Adopter ce modèle de renonciation au bail emphytéotique c'est également contribuer à la sécurité juridique. Comme l'inscription portant suppression du bail emphytéotique revêt un caractère constitutif, toute personne intéressée peut désormais connaître la situation juridique du bien immeuble et agir comme elle l'entend en sachant que ses actions ne seront pas remises en question au motif des écarts entre la situation juridique effective et celle qui est décrite dans le livre foncier. A contrario, en appliquant par analogie l'art. 179 CC, on risque d'atteindre à la sécurité juridique en mentionnant au livre foncier un droit inexistant.
Les arguments présentés ci-dessus nous invitent à considérer que c'est l'art. 246 CC et non pas l'art. 179 § 2 CC qui s'applique par analogie à la renonciation au bail emphytéotique. Le premier des articles en question est mieux adapté à la nature du bail emphytéotique, qui constitue un droit sur la chose d'autrui. En particulier, ce choix garantit la clarté de la relation entre le propriétaire et l'emphytéote, en obligeant l'emphytéote à produire une déclaration de renonciation auprès du propriétaire (art. 246 § 1 phrase 2 CC), et préserve la sécurité juridique grâce à la disposition qui impose de rayer le bail emphytéotique du livre foncier. Il permet également d'éliminer les réserves formulées à l'égard de l'art. 179 CC, notamment dans les motifs de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 15 mars 2005, K 9/04, ainsi que dans les motifs de l'arrêt de la Cour Suprême du 24 août 2005, II CK 34/05, où pour la première fois on indique expressément les arguments en faveur d'application de l'art. 246 CC à la renonciation au bail emphytéotique.
A titre exceptionnel, l'art. 179 § 1 phrase 2 CC - qui instaure l'obligation d'établir un acte notarié - s'applique par analogie sur la forme que doit prendre la renonciation au bail emphytéotique. Puisque cette forme particulière doit être sauvegardée afin de constituer et de transférer le bail emphytéotique (l'art. 158 CC en liaison avec l'art. 234 et l'art. 237 CC), la renonciation à ce droit doit également respecter la même exigence. La Cour Suprême dans sa formation actuelle partage l'opinion exprimée sur ce point dans les motifs de l'arrêt précité du 24 août 2005, II CK 34/05.
Attendu les raisons présentées ci-dessus, la Cour Suprême a tranché la question juridique comme indiqué dans la résolution (l'art. 390 CPC).