L'on examine le recours déclaré par le réclamant PB contre la décision civile n° 84/A du 19 mars 2010 de la Cour d'appel de Cluj - section civile, de travail et assurances sociales, pour les mineurs et la famille.
Se présente à l'appel nominal le conseiller juridique CSV pour l'intimé-accusé Etat roumain par son Ministère des finances publiques, en l'absence du requérant-réclamant PB et de l'intimé Parquet près la Cour d'appel de Cluj.
Le ministère public est représenté par le procureur DT.
Procédure accomplie.
Le magistrat assistant se rapporte au fait que l'intimée-accusée avait déposé par fax un mémoire, le 18 janvier 2011, sans respecter le délai prévu par l'art. 308 alinéa 2 du Code de procédure civile.
La Haute Cour qualifie l'acte de procédure comme notes écrites, avec pour conséquence de ne pas les communiquer aux parties adverses.
N'ayant plus d'autres demandes ni preuves à administrer, l'instance constate que la cause est en état d'être jugée et accorde la parole pour le débat du recours.
Prenant la parole, le conseiller juridique CSV demande le rejet du recours et le maintien de la décision attaquée, comme fondée et légale.
La représentante du ministère public a rendu des conclusions de rejet du recours, comme infondé.
Après délibéré.
LA HAUTE COUR,
Vu la présente affaire, constate ce qui suit:
Par sa sentence civile n° 675 du 28 octobre 2009, le Tribunal de Cluj a rejeté l'action formulée par le réclamant PB, en contradicteur de l'accusé Etat roumain par son Ministère des finances publiques, ayant pour objet l'octroi de dédommagements moraux dans les conditions de la Loi n°221/2009.
Pour en décider ainsi, le tribunal a retenu que par la sentence pénale n° 295 du 28 avril 1978 du Tribunal militaire de Cluj, le réclamant avait été condamné à 2 ans et 6 mois d'emprisonnement pour l'infraction de ne pas s'être présenté à l'appel d'incorporation dans l'armée, infraction prévue et punie par l'art. 354 du Code pénal, en retenant son refus de satisfaire son service militaire parce qu'il était membre de l'organisation des Témoins de Jéhovah, une confession qui ne lui permettait pas de remplir des obligations militaires.
Il a été jugé qu'une telle infraction n'avait pas de caractère politique, pour entrainer l'incidence des dispositions de la Loi n°221/2009; que l'acte qui avait valu au réclamant d'être condamné était toujours du domaine du Code pénal, la Constitution prévoyant aussi parmi les obligations des citoyens roumains celle de défendre leur pays.
Dans ces conditions, l'on n'a pas pu interpréter le refus de porter une arme suite à ses convictions religieuses, comme une opposition sans équivoque à l'Etat communiste totalitaire, puisque de telles infractions sont toujours incriminées par la législation pénale.
Ce qui plus est, l'obligation de faire son service militaire ne saurait être indissolublement liée à un certain régime politique, en vigueur à telle ou telle époque, vu que cette obligation est liée à l'organisation et aux lois du (service militaire et essentiellement à l'obligation de défendre le pays, qui découle de la qualité de citoyen.
L'appel déclaré par le réclamant contre la sentence a été rejeté par la décision civile n° 84/A/2010 de la Cour d'appel de Cluj.
Il a été retenu, dans les considérations de la décision, que la solution du problème de droit visant l'absence de caractère politique de la condamnation pour refus d'incorporation en vertu de raisons d'ordre religieux (liées à son appartenance à l'organisation religieuse des « Témoins de Jéhovah ») a aussi été donnée par une décision dans l'intérêt de la loi n° 32/2009, les raisons ayant prévalu dans l'adoption de celle-ci subsistant dans l'affaire présente.
Ceci, parce que l'on ne saurait admettre que le même acte soit tenu par une loi (le Décret-loi n° 118/1990), comme dépourvu de caractère politique et par une autre loi (n° 221/2009) comme ayant un tel caractère, dans les conditions où aucun des documents normatifs mentionnés ne définit explicitement l'infraction à caractère politique, ceci demeurant à être jugé par l'instance.
Puisqu'il s'agit des infractions prévues aux art. 334 et 354 du Code pénal et puisque celles-ci sont réglementées au Titre X du Code pénal (,,Infractions contre la capacité de défense du pays", chapitre I « Infractions commises par des militaires », section I « Infractions contre l'ordre et la discipline militaires » - art. 334, respectivement, le chapitre 3 « Infractions commises par des civils » - art. 354), il résulte que ces actes ont été punis en tenant compte de l'objet juridique que représentent les relations sociales visant la capacité de défense du pays.
La protection de ce genre de valeurs par les moyens du droit pénal n'est pas réservée à un régime politique, mais au droit souverain d'un Etat de réglementer la participation de ses citoyens et les formes de leur participation, à l'accomplissement d'une obligation prévue dans la loi fondamentale et que l'institution de l'obligation d'effectuer le service militaire concerne tous les citoyens capables de l'effectuer, sans discrimination religieuse ou d'autre nature.
L'on n'a pas pu retenir, dans ces conditions, que le but des réglementations pénales mentionnées fut déterminé par des raisons politiques spécifiques au régime communiste, car ce qui était visé n'était pas de protéger certains actes du régime politique en place à cette date là.
C'est pourquoi, en l'absence d'une telle fin de l'incrimination, ne se pose pas la question d'une infraction à caractère politique, ni celle d'une condamnation de ce type.
La condamnation pour insubordination ou défaut de répondre à l'appel d'incorporation, de mobilisation ne saurait également être comprise ni comme une violation des droits et libertés fondamentales de l'homme ni comme un manque de respect pour les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Le problème de la compatibilité de l'objection de conscience avec l'obligation de satisfaire son service militaire a aussi fait l'objet de débats au sein des institutions du Conseil de l'Europe, faisant l'objet de plusieurs documents adoptés par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et recommandant aux pays membres de reconnaître l'objection de conscience concernant le service militaire obligatoire et l'institution de formes d'exemption de ce service pour les personnes qui, pour des raisons de conscience ou en vertu d'une croyance profonde, religieuse, morale, humanitaire, philosophique ou autre de nature similaire, refusaient d'accomplir ce service (Résolution n° 337/196 Recommandation n° 816/1977).
Sous ce rapport, la Commission Européenne des Droits de l'Homme a décidé que les dispositions de l'art. 4 paragraphe 3 lettre b) de la Convention n'obligeaient pas les Etats signataires de prévoir un service civil en substitution du service militaire pour ceux qui n'étaient pas en mesure de l'accomplir pour des raisons tenant de leur conscience, la satisfaction du service militaire étant compatible avec les exigences du texte de la Convention (Johansen contre la Norvège, le 14 octobre 1985) et la condamnation pour refus de faire le service militaire n'étant pas une violation de l'art. 9 de la Convention, qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion.
La restriction de la liberté de conscience, liée à l'accomplissement du service militaire obligatoire, ne tenait donc strictement pas du régime dictatorial, mais du cadre institutionnel et légal d'accomplissement d'une obligation constitutionnelle, cadre maintenu y compris durant la période postcommuniste, jusqu'à une réglementation du service militaire alternatif, puis du service militaire professionnel.
La critique concernant la violation du droit de défense du réclamant (parce que n'ont pas été acceptées les preuves demandées pour témoigner du caractère politique de la condamnation et que l'on n'avait pas fait de démarches pour reconstituer le dossier de sa condamnation, n'ayant pas demandé aussi le point de vue écrit de l'Association des Anciens Prisonniers Politiques) a également été rejetée comme infondée.
Ceci, parce que les preuves n'étaient pas pertinentes, ne pouvant prouver les infractions visées à l'art. 2 alinéa 1 de l'O.U.G. (Ordonnance d'Urgence du Gouvernement) n° 214/2009, auquel fait référence l'art. 1 alinéa 3 de la Loi n° 221/2009.
Le fait que la Commission chargée de constater la qualité de combattant de la résistance anticommuniste eut jugé, par son adresse n° 121951/2009, du caractère politique des condamnations pénales pour défaut de présentation à l'incorporation, insoumission à l'incorporation, n'a pas été de nature à entrainer l'illégalité de la solution, puisque ce caractère est établi par l'instance, dans le sens et dans les fins prévues par l'O.U.G. n° 214/2009 et non par une commission administrative.
La Décision a été attaquée en recours par l'appelant - réclamant, qui a soutenu que la solution avait été rendue « en violation ou mauvaise application de la loi », entraînant l'incidence des dispositions de l'art. 304 pt. 9 du Code de procédure civile. Furent invoqués les arguments suivants à l'appui des aspects d'illégalité:
- La Décision de l'instance de fond est illégale, étant rendue en violation du droit de défense.
Ceci, vu que par la demande d'appel en justice il avait été demandé à l'instance de constater le caractère politique de la condamnation pénale et d'obliger au paiement de dommages moraux, mais que, suite à une analyse superficielle des écrits rattachés à l'action, l'instance de fond et l'instance d'appel s'étaient tenues pour éclairées, rejetant la preuve par les écritures et celle testimoniale.
- Vu que la Loi n° 221/2009 ne définissait pas la notion de condamnation politique, il résulte du refus dans la cause des preuves demandées par le réclamant et de l'invocation par l'instance d'appel de la décision n° 32/2009, qui vise l'application unitaire du Décret-loi n° 118/1990 et non l'application de la Loi n° 221/2009, que la décision attaquée était rendue en infraction de la loi susmentionnée et du droit à un procès équitable.
Outre les aspects d'illégalité des décisions attaquées, en ce qui concerne leur bien-fondé, les deux instances font reposer toute leur motivation sur les affirmations de l'accusé, qui qualifie l'infraction et la condamnation subies, comme étant de droit commun.
Dans les faits, le refus de l'incorporation à l'armée en raison de convictions religieuses, était une défense des principes et de la conscience religieuse, ce qui avait été tenu pour propagande contre le régime socialiste, un tel fait étant à l'époque prévu et sanctionné par l'art. 166 du Code pénal.
Le refus de porter une arme pour des convictions religieuses équivalait à une opposition sans équivoque aux principes de l'Etat communiste totalitaire.
C'est la raison pour laquelle toutes les demandes formulées en vertu de l'O.G. N° 214/1999 par des personnes se trouvant dans des situations similaires ont été admises et c'est aussi en ce sens que plaide une adresse de réponse de la Commission chargée de constater la qualité de combattant dans la résistance anticommuniste, qui a jugé du caractère politique des condamnations pénales pour refus d'incorporation.
Dans son mémoire, l'Etat Roumain, par son Ministère des finances publiques, a demandé de rejeter le recours , indiquant que la décision était critiquée en vertu des mêmes arguments, qui avaient été des critiques à l'appel; que la solution était légale, puisqu'elle ne pouvait être qualifiée autrement que d'infraction portant atteinte à la capacité de défense du pays.
Examinant les critiques formulées, la Haute Cour constate ce qui suit:
- L'affirmation du requérant comme quoi son droit de défense aurait été violé (portant ainsi atteinte au droit à un procès équitable) parce que des preuves supplémentaires (celles par des écritures et des témoins) n'ont pas été admises pour prouver ses prétentions, cette affirmation donc ne saurait être admise.
En vérité, en phase d'appel - qui a abouti à la décision faisant l'objet du recours, - le réclamant n'avait pas demandé que soient administrées des preuves, il avait au contraire précisé expressément, conformément à la mention faite dans la décision qu' « il n'a pas d'exigences à formuler en probation ».
Dans ces conditions, l'on ne saurait reprocher à l'instance d'appel, sous forme de critique soumise au jugement en recours, de ne pas avoir soumis au débat une demande qui n'avait pas été formulée.
En ce qui concerne la prétendue violation du droit de défense par la première instance du fond, pour la même raison de ne pas avoir supplémenté le probatoire, elle a déjà fait l'objet d'une analyse de l'instance d'appel, qui a retenu la priorité d'analyser la pertinence des preuves.
Or, sous cet aspect, l'instance d'appel a correctement constaté, en réponse à la critique formulée, que pour qu'une preuve soit pertinente dans l'affaire, elle doit permettre de prouver une infraction dans le but indiqué à l'art. 21 alinéa 1 de l'O.U.G. N° 214/2009, les moyens de preuve demandés ne n'ayant pas cette finalité là.
Sans combattre l'argumentation de l'instance et sans déduire ainsi au jugement une critique censurable au recours, le réclamant soutient seulement que son droit de défense a été ignoré par le fait qu'il ne lui a pas été permis de présenter à l'appel des preuves qu'il n'a pas demandé.
- En ce qui concerne l'invocation, pour motiver la solution, de la décision dans l'intérêt de la loi n° 32/2009, le fait qu'elle vise l'application unitaire du Décret-loi n° 118/1990 n'est pas une considération étrangère à la nature de l'affaire.
Ce que l'instance a retenu, en évoquant la décision dans l'intérêt de la loi mentionnée, c'est la qualification de la nature de l'infraction, à savoir la non présentation à l'appel d'incorporation ou de mobilisation, et l'insubordination, pour des raisons de conscience religieuse et, par voie de conséquence, la condamnation qui a été disposée pour ces infractions.
Or, dans l''espèce, le problème de droit était le même, à savoir de qualifier un tel acte (refus de l'incorporation) pour raison de conscience religieuse, déterminée par l'appartenance à l'organisation religieuse des ,,Témoins de Jéhovah", dans les conditions où, tout comme dans la situation du Décret-loi n° 118/1990, le nouvel acte normatif (respectivement la Loi n° 221/2009) ne contenait pas une définition de cet acte, comme infraction d'ordre politique.
Vu l'identité des raisons (mutatis mutandis), la situation-prémisse dont part le raisonnement de logique juridique étant la même, la conclusion de l'instance ne pouvait être différente de l'interprétation donnée par les Sections Unifiées.
Le refus de faire son service militaire obligatoire affecte en effet la capacité de défense du pays, quelle que soit la nature du régime politique et ne saurait être tenu pour une forme de protestation ou acte de résistance contre le régime en place à cette époque là.
Le fait que l'obligation de faire son service militaire était valable pour tous les citoyens aptes de le faire, sans discrimination d'ordre religieux et se retrouvait aussi dans la législation d'autres Etats, est un argument supplémentaire dans le sens que le refus de remplir cette obligation n'a pas de lien strict avec le régime dictatorial.
Bien au contraire, comme l'ont correctement retenu les instances du fond, la prestation d'un tel service visait le cadre institutionnel et légal d'une obligation constitutionnelle, qui a survécu au régime antérieur, jusqu' au moment d'une réglementation du service militaire alternatif, puis professionnel.
Les aspects visant l'infondé de la décision ne sauraient être censurés dans la voie d'attaque du recours, vu qu'ils n'impliquent aucun aspect d'illégalité réglementé par les dispositions de l'art. 304 du Code de procédure civile.
- La circonstance que la Commission chargée de constater la qualité de combattant dans la résistance anticommuniste eut émis dans une adresse le point de vue que de tels ces actes de non présentation à l'appel d'incorporation pour appartenance au culte religieux des « Témoins de Jéhovah », aurait un caractère politique, n' a aucun effet sur la légalité de la solution donnée.
Comme l'a correctement retenu l'instance d'appel, la partie se prévaut du document d'un organisme administratif, dans les conditions où la vérification et l'établissement du caractère d'une telle action sont faits par voie juridictionnelle, étant l'attribution de la justice.
Le contenu d'une telle adresse ne saurait donc être imposé à l'instance juridique, qui doit réaliser ses propres vérifications et statuer en droit sur les situations déduites au jugement.
Pour toutes ces considérations, les critiques formulées ont été jugées infondées, le recours devant être rejeté par voie de conséquence.
POUR CES RAISONS
AU NOM DE LA LOI
LA COUR DIT:
Rejette le recours déclaré par le réclamant PB contre la décision civile n° 84/A du 19 mars 2010 de la Cour d'appel de Cluj - section civile, de travail et assurances sociales, pour les mineurs et la famille, comme non fondé.
Définitive,
Rendue en séance publique, aujourd'hui, le 19 janvier 2011.