ROUMANIE
LA HAUTE COUR DE CASSATION ET DE JUSTICE
1 ÈRE CHAMBRE CIVILE
Arrêt n° 190 Dossier n° x/99/2018
Audience publique du 8 février 2023
Mis en examen du pourvoi introduit par le requérant A. contre l’arrêt n° 464 du 21 octobre 2020, rendu par la Cour d'appel de Iaşi – I ère Chambre civile.
À l’appel nominal, le requérant-défendeur A., l'intimé-demandeur B., les intimés-défendeurs S.C. C. S.R.L., S.C. D. S.R.L., E., F., G., sont absents.
La procédure de citation est légalement accomplie.
Le magistrat-assistant a fait l’exposé de la requête, indiquant que le recours a été admis en principe le 19.10.2022 et, par son mémoire en défense, l'intimé-demandeur a demandé de statuer en son absence et de lui octroyer des dépens d'un montant de 1000 RON, représentant les frais d'avocat.
La Haute Cour, vu la demande de statuer en absence, constate que l'affaire peut être mise en état et la retient en vue de la prononcer.
Après avoir mis l’affaire en délibéré,
LA HAUTE COUR
Sur l’affaire ci-présente, constate les éléments suivants :
I. Les circonstances de l'affaire
1. L'objet de l'affaire
Par requête introduite le 15 mars 2018 devant le Tribunal de Iasi, Chambre I civile, le demandeur B. a sollicité, en opposition avec les défendeurs E., F., G., A. et la société C. S.R.L., solidairement, de les ordonner à payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts non pécuniaires pour l'atteinte portée à son image, à son honneur et à sa dignité personnelle et professionnelle par les articles de presse dénigrants à son égard, publiés entre le 16.11.2017-22.02.2018, tant dans l'édition imprimée que dans l'édition en ligne du journal « 7 est ». Il a également demandé la condamnation des défendeurs à présenter des excuses au demandeur en public, par le biais des éditions imprimées et en ligne, en joignant le jugement rendu dans la présente affaire en intégralité, dont les données personnelles des parties seront exclues, dans trois numéros consécutifs des deux formats (écrit et électronique), en ouverture des éditions, avec les mêmes caractères que ceux utilisés pour l'impression des articles, et que les photographies des défendeurs personnes physiques soient publiées avec le nom de chacun d'entre eux clairement mentionné.
Le 11.09.2018, le demandeur a présenté une demande d'introduction de D. S.R.L. dans l'affaire, en indiquant qu'il s'agit de la société qui publie actuellement le Journal « X. ».
2. Le Jugement du Tribunal de Iaşi
Par le Jugement n° 774 du 08 avril 2021, la Ière Chambre civile du Tribunal de Iasi a rejeté l'exception du manque de la qualité de partie au procès invoquée par la partie défenderesse S.C. C. S.R.L.; a admis partiellement la demande introduite contre les parties défenderesses A., S.C. C. S.R.L. et S.C. D. S.R.L. ; a condamné, conjointement et solidairement, les parties défenderesses A. et S.C. C. S.R.L. à des dommages-intérêts, S.C. C. S.R.L. et S.C. D. S.R.L. ; condamné les défendeurs A. et S.C. C. S.R.L. solidairement à payer au requérant la somme de 10 000 RON à titre de dommages moraux ; condamné les défendeurs A., S.C. C. S.R.L. et S.C. D. S.R.L. à publier le dispositif du jugement rendu dans l'affaire dans une édition unique, sous forme écrite et électronique, de la publication « X. », en ouverture de l'édition, dans la même écriture que celle dans laquelle l'article de la publication « X. » de 22.02.2018 a été imprimé; a rejeté l'action introduite contre les défendeurs E., F. et G. ; a condamné les défendeurs A. et S.C. C. S.R.L., solidairement, à verser au demandeur la somme de 2 100 RON à titre de dépens, représentant les frais d'avocat et les frais d'instance.
3. L'arrêt de la Cour d’appel de Iaşi
Par l'arrêt n° 464 du 21 octobre 2021, la Cour d'appel de Iași, Chambre civile, a rejeté l'appel du défendeur A. à l'encontre du jugement et a condamné l'appelant à payer, en faveur du défendeur B., la somme de 1 000 RON, au titre des dépens, représentant les honoraires de l'avocat.
4. Le recours introduit dans l'affaire
Cet arrêt a fait l'objet d'un recours sur le fondement de l'article 488, paragraphe 1, p. 8 du Code de procédure civile, introduite par le défendeur A.
Le requérant soutient que l’arrêt attaqué a été rendu en méconnaissance de la loi, la Cour d'appel n'ayant pas interprété et appliqué les dispositions de l'article 11 de la Constitution, conformément à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en méconnaissance de la jurisprudence de la CEDH en matière. Il a également relevé que la Cour d'appel s'est estimée habilitée à porter des jugements de valeur sur le langage utilisé par le requérant pour rendre compte des aspects répréhensibles de l'activité de l'intimé, en extrayant certains mots du texte et en leur attribuant un caractère injurieux sans aucun rapport avec l'objet des articles et la finalité de la démarche journalistique.
Il s'est référé à l'affaire Petrina c. Roumanie, dans laquelle la Cour a estimé que l'article 10 para. (2) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne laisse aucune place à des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou des questions d'intérêt général, et dans l'affaire Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège, la Cour a estimé que la présentation objective et équilibrée de faits et d'activités d'intérêt public peut être effectuée par des journalistes ou d'autres personnes de différentes manières, en fonction notamment du média utilisé ; il n'appartient pas à la Cour européenne ou aux juridictions nationales de se substituer à la presse pour définir la technique de présentation adoptée par les journalistes.
La liberté d'expression, consacrée par le texte de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, occupe une place particulière parmi les droits garantis par la Convention, car elle soutient la notion de « société démocratique » qui concrétise le système de valeurs sur lequel la Convention est fondée. Le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention permet aux Etats d'imposer des limitations aux formes de manifestation de la liberté d'expression, à condition qu'elles soient conformes aux exigences posées par la Convention pour leur validité.
Selon le requérant, toute ingérence des autorités publiques dans l'exercice de la liberté d'expression, sous forme de formalités, de conditions, de restrictions ou de sanctions, constitue une ingérence dans le droit consacré par l'article 10.
Contrairement à ces souhaits, la Cour d'appel s'est estimée habilitée à porter des jugements de valeur sur le langage qu'elle a utilisé pour rendre compte d'aspects répréhensibles de l'activité de l'intimée qui recoupent l'intérêt général, en extrayant certains mots du texte et en leur conférant un caractère injurieux sans aucune considération pour l'objet des articles et la finalité de la démarche journalistique qui a conduit l'appelante à utiliser ces mots. Sortis de leur contexte et analysés séparément, arrachés à la structure sémantique de la phrase, les mots ne correspondent plus à l'intention de l'auteur, telle qu'elle s'exprime dans le contenu du message véhiculé.
En admettant que l’article de presse contient des mots et des expressions qui présent une
Admettant que l'article contient des mots et des expressions avec un certain degré d'exagération et de provocation, le requérant a soutenu que les limites fixées par la jurisprudence de la CEDH ne sont pas dépassées en termes de liberté d'entreprise journalistique, parce que, dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme a systématiquement affirmé que la liberté d'expression est l'un des principes essentiels d'une société démocratique et qu'elle s'applique non seulement aux informations ou aux idées qui sont reçues ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi à celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (De Haes et Gijsels c. Belgique). Le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, sans lesquels aucune « société démocratique » n'est possible (Handyside c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, arrêt du 7 décembre 1976), sont donc requis, et la liberté journalistique inclut également le possible emploi d'un certain degré d'exagération, voire de provocation, car il n'est pas concevable qu'un journaliste ne puisse porter des jugements de valeur critiques que s'il peut en démontrer la réalité (Dalban c. Roumanie).
Selon le requérant, l'article litigieux ne constitue pas une ingérence dans le droit à la vie privée du demandeur, puisque son contenu porte exclusivement sur des aspects liés à ses qualités entremêlées d'homme politique et de dignitaire.
Il a souligné que les enquêtes ouvertes par la DIICOT (Direction des investigations de la criminalité organisée et du terrorisme) en rapport avec le travail du l'intimé en tant que chef du département de planification urbaine de la Municipalité de Iasi, et les mesures préventives que le Tribunal a ordonnées à son encontre pendant les enquêtes, expliquent et justifient les accusations formulées à son encontre.
Il a également souligné que le reste de l'article concerne la perception que les citoyens ont de la classe politique et la manière dont les élus locaux communiquent avec les citoyens, la question rhétorique formulée à la fin de l'article n'étant pas une attaque contre la personne, comme le qualifie le Tribunal, mais l'opinion largement partagée selon laquelle la plupart de ceux qui exercent des fonctions publiques perdent le contact avec la réalité dès qu'ils sont élus.
Il a soutenu que la juridiction avait méconnu la jurisprudence de la CEDH pertinente en l'espèce, les limites de la critique admissible étant plus larges à l'égard d'un homme politique, visé à ce titre, qu'à l'égard d'un simple particulier: contrairement à ce dernier, le premier est inévitablement et consciemment exposé à l'examen de ses faits et gestes par les journalistes comme par la masse des citoyens, et doit donc faire preuve d'une plus grande tolérance (Feldek c. Slovaquie, no 20032/95, point 74).
Le fait d'accuser certaines personnes implique l'obligation de fournir une base factuelle suffisante, un jugement de valeur n'étant excessif que s'il est totalement dépourvu de base factuelle (Ivanciuc c. Roumanie et Cumpănă et Mazăre c. Roumanie), il y a donc des jugements de valeur qui sont protégés, parce que l'article 10 de la Convention « concerne non seulement la substance des idées et des informations fournies, mais aussi la forme dans laquelle elles sont extériorisées, le seul emploi de mots offensants ne peut pas justifier la condamnation du journaliste, à condition qu'ils soient extériorisés de manière appropriée.
Elle a donc considéré qu'il ne pouvait lui être reproché de dépasser les limites admissibles du droit à la liberté d'expression, l'article étant une réaction légitime à un acte répréhensible sans précédent (la menace de journalistes et le vandalisme de la voiture de l'un d'entre eux), qui ne concernait l'intimé qu'en sa qualité d'homme politique et d'agent public.
5. La procédure de filtre
Le rapport rédigé dans cette affaire, conformément à l'article 493, paragraphes 2 et 3, du Code de procédure civile, a été analysé au sein de la formation de filtrage, communiqué aux parties, et, par l'arrêt du 19 octobre 2022, la formation de filtrage a admis en principe le recours et a fixé la date du recours en audience publique au 08 février 2023.
L'intimé-demandeur B. a déposé un mémoire de réponse au rapport, dans lequel il réitère l'exception de nullité invoquée dans le mémoire en défense et, à titre subsidiaire, demande le rejet du recours et l'allocation de dépens.
6. Les défenses soulevées dans l'affaire
Par son mémoire en défense, I'intimé-demandeur B. a soulevé l'exception de nullité de la demande de recours, conformément à l'article 489, paragraphe 2, du Code de procédure civile, et, sur le bien-fondé, a demandé le rejet de la demande comme manifestement infondée, avec l'allocation des dépens, à savoir les frais d'avocat.
Selon son argumentation, le recours, bien que fondé sur les dispositions de l'article 488 al. (1), point 8 du Code de procédure civile, les questions soulevées par celui-ci ne relèvent pas du moyen de recours avancé, qui entraîne la sanction de la nullité prévue à l'article 489 du Code.
Il s'est référé à la pratique constante de la Haute Cour et des juridictions roumaines dans les cas où les moyens de recours sont confus, imprécis et généraux, et leur développement ne permet pas d'analyser le jugement attaqué dans le cadre d'un des moyens de cassation prévus à l'article 488 du Code de procédure civile.
Il a souligné que les motifs consistaient dans une reprise des articles de presse et une soi-disant explication des termes insultants utilisés contre lui, qui ont été analysés par la juridiction d'appel et ont été rejetés au motif que le droit à la liberté d'expression n'est pas absolu, mais qu'il s'agit d'une liberté qui peut comporter des limites, et que l'utilisation de termes insultants dans des articles de presse représente un dépassement de ces limites.
En se référant à la pratique des juridictions, le requérant a estimé qu'un recours n'est pas valable non seulement en cas d'absence totale de motifs, mais aussi en cas de motivation insuffisante, qui ne constitue pas une motivation au sens procédural du recours.
En ce qui concerne le fond du recours, par rapport au motif de cassation invoqué, l'article 488 al. (l), point 8 du Code de procédure civile, et au vu des arguments effectivement avancés dans la requête, l'intimé a considéré que le recours était manifestement non fondé et devait être rejeté pour autant.
Selon l'opinion de l'intimé, exprimée devant les juridictions de première instance et d'appel, concernant la jurisprudence de la CEDH applicable à la présente affaire, la jurisprudence qui concerne directement la liberté d'expression doit être analysée et appliquée, mais avec les limitations qui sont clairement liées à l'atteinte au droit à la vie privée, et les droits et intérêts légitimes d'autres personnes, qu'il s'agisse ou non de personnes publiques, ne doivent pas être lésés.
La liberté d'expression est l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et l'une des conditions primordiales du progrès et de l'épanouissement de chaque individu (Lingens c. Autriche). Sous réserve de l'article 10, deuxième alinéa, elle s'applique non seulement aux « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi à celles qui choquent, heurtent ou inquiètent une personne ou une fraction de la population, sur la base du pluralisme, de la tolérance et de l'esprit d'ouverture sans lesquels une société démocratique ne saurait exister (Handyside c. Royaume-Uni ; Jersild c. Danemark ; Vogt c. Allemagne).
Comme le précise l'article 10, l'exercice de cette liberté est soumis à des formalités, conditions, restrictions et sanctions qui doivent cependant être interprétées strictement et dont la nécessité doit être établie de manière convaincante (Observer and Guardian c. Royaume-Uni ; Jersild c. Danemark ; Janowski c. Pologne ; Nielsen et Johnsen c. Norvège).
L'exigence de « nécessité dans une société démocratique » oblige la Cour à déterminer si l'ingérence incriminée correspondait à un « besoin social impérieux », si elle était proportionnée au but légitime poursuivi (et si les raisons avancées par les autorités nationales étaient pertinentes et suffisantes). Pour décider de l'existence d'un tel besoin et de la conduite à tenir, les Etats contractants disposent d'une certaine marge d'appréciation, mais cette marge est assortie d'un contrôle européen qui porte à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même lorsqu'elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc le pouvoir ultime de décider si une « restriction » viole ou non la liberté d'expression garantie par l'article 10 (Lehideux et Isorni c. France, Perna c. Italie).
Pour déterminer si l'ingérence est nécessaire, la Cour tiendra compte, en particulier, des termes utilisés dans les déclarations en cause, du contexte dans lequel elles ont été rendues publiques et de l'affaire dans son ensemble (Nilsen et Johnsen c. Norvège ; Fuentes Bobo c. Espagne, Musîum Gunduz c. Turquie, Raichinov c. Bulgarie ; Boldea c. Roumanie).
L'exercice de la liberté d'expression comporte des obligations et des responsabilités dont l'étendue dépend de la situation et du procédé technique utilisé (Stoll c. Suisse), et la garantie offerte par l'art. 10 aux journalistes est soumise à la condition que les intéressés agissent de bonne foi afin de fournir des informations exactes et dignes de confiance dans le respect de la déontologie journalistique (Radio France et autres c. France ; Colombani et autres c. France ; Bladet Troms et Stensaas c. Norvège, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie ; Stângu et Scutelnicu c. Roumanie).
Si, en vertu de son rôle, la presse a le devoir d'alerter le public lorsqu'elle est informée de malversations alléguées de la part d'élus locaux et d'agents publics, le fait de désigner directement des personnes précises, en indiquant leurs noms et leurs fonctions, implique l'obligation pour les requérants de fournir une base factuelle suffisante (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie ; Lesnik c. Slovaquie ; Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie).
En ce qui concerne les articles et commentaires affichés dans des rubriques telles que « ragots “, ” rumeurs », par voie de pamphlet, le défendeur estime que l'utilisation d'expressions offensantes, calomnieuses et vexatoires ne fait pas partie de la manière dont de tels écrits satiriques sont préparés.
Il estime que sa réputation personnelle et professionnelle a été et est certainement entachée par les articles en question, étant donné qu'il a été accusé sans fondement réel de délits spécifiques, et que des déclarations diffamatoires ont également été faites sur sa personne et son activité professionnelle, avec des connotations criminelles.
Aucune réponse au mémoire en défense n'a été formulée.
II. La solution et les considérants de la Haute Cour de Cassation et de Justice
En examinant l’arrêt attaquée, la Haute Cour constate que le recours n'est pas fondé, pour les raisons exposées ci-après.
Par rapport aux motifs du pourvoi résumés dans l'article 488, paragraphe 1, alinéa 8, du Code de procédure civile, le requérant réclame l'application erronée par la Cour d'appel des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme concernant le droit à la liberté d'expression, en méconnaissant la jurisprudence de la CEDH concernant les limites admissibles à l'exercice de ce droit fondamental dans le cas des journalistes et des représentants des médias qui, selon le requérant, sont plus larges lorsqu'il s'agit d'une personne exerçant une fonction publique, le degré d'exposition de la conduite d'une telle personne étant plus élevé que dans le cas d'un particulier.
En substance, le requérant soutient que les conditions de la responsabilité civile délictuelle ne sont pas remplies en l'espèce en ce qui concerne l'exercice du droit à la liberté d'expression, régi par l'article 10 de la CEDH, qui a été exercé de bonne foi et reposait sur une base factuelle qui le ferait entrer dans la marge d'exagération permise par la disposition susmentionnée de la Convention.
À cet égard, le requérant affirme que les termes utilisés ont été sortis de leur contexte, que les limites fixées par la jurisprudence de la CEDH en la matière n'ont pas été dépassées, que les expressions utilisées ont été formulées de façon pamphlétaire et qu'elles avaient une base factuelle déterminée par les enquêtes initiées par le DIICOT en relation avec l'activité du plaignant en tant que chef du département en charge de l'urbanisme de la Mairie de Iasi, ainsi que par les mesures préventives que le tribunal a ordonnées à son encontre.
La Haute Cour a estimé que, selon l'article 1349 du code civil, « Chacun est tenu de respecter les règles de conduite que lui imposent la loi ou les usages du lieu et de ne pas porter atteinte, par son action ou son inaction, aux droits ou aux intérêts légitimes d'autrui. Celui qui, ayant du discernement, viole ce devoir est responsable du dommage causé et est tenu de le réparer intégralement. »
L'article 10 de la Convention stipule également que « toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. (...) L'exercice de ces libertés, qui comporte des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à des formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, aux fins de la sécurité nationale, de l'intégrité territoriale ou de la sûreté publique, de la défense de l'ordre et de la prévention des infractions pénales, de la protection de la santé ou de la morale, de la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Dans sa jurisprudence constante, la Cour Européenne a souligné que si, en vertu de son rôle, la presse a le devoir d'alerter le public lorsqu'elle dispose d'informations d'intérêt public, le fait de mettre en cause directement des personnes déterminées, en indiquant leur nom et leur fonction, implique l'obligation pour l'auteur d'apporter une base factuelle suffisante.
A cet égard, la juridiction européenne a considéré que les allégations relatives à certains faits susceptibles d'être prouvés, formulées en l'absence de toute preuve à l'appui, ne bénéficient pas de la protection de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En outre, la même juridiction a souligné que, en raison des devoirs et des responsabilités qui leur incombent, la protection accordée par l'article 10 aux journalistes, lorsqu'ils communiquent des informations concernant des questions d'intérêt public, est soumise à la condition qu'ils exercent leur activité de bonne foi, sur la base de faits exacts et qu'ils fournissent des informations fiables et précises, méritant d'être considérées comme crédibles, conformément à la déontologie de la profession.
Contrairement à ce que soutient le requérant-défendeur, il résulte des faits de l'espèce, dont les éléments factuels ne peuvent être réévalués en recours, que les conditions de la responsabilité délictuelle du défendeur du fait de sa personne sont réunies, à savoir que le défendeur a tenu des propos dénigrants à l'encontre du requérant, qui étaient de nature à porter atteinte à l'image de ce dernier et à lui causer un préjudice moral, que les juridictions précédentes ont correctement évalué.
Comme la Cour d'appel l'a relevé à juste titre, les termes injurieux utilisés par le requérant dépassent les limites du droit à la liberté d'expression, étant utilisés dans l'intention claire et non dissimulée de créer une perception négative de la personne du demandeur.
Même si le requérant souligne que « sortis de leur contexte et analysés de manière indépendante, détachés de la structure sémantique de la phrase, les mots ne correspondent plus à l'intention de l'auteur, telle que concrétisée dans le contenu du message véhiculé », il s'agit là d'une affirmation générique qui ne reflète pas la situation de l'affaire pendante, dans laquelle les termes utilisés, qu'ils soient analysés dans leur contexte ou hors contexte, échappent, par leur virulence et leur plasticité, à la protection offerte par l'article 10 de la CEDH.
À cet égard, la Haute Cour estime que, pour relever du champ d'expression protégé par la loi, il ne suffit pas que les informations fournies par le journaliste reposent sur une base factuelle adéquate, mais elles doivent être présentées d'une manière qui réponde à des normes sociales et éducatives minimales, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
L'utilisation des expressions injurieuses, offensantes ou dénigrantes, telles que dans la présente affaire, exclut la bonne foi et la protection des journalistes à la lumière des dispositions de l'article 10 de la CEDH, et le fait d'assumer une certaine exposition, en occupant une position politique, ne signifie pas automatiquement que la personne en question doit s’assumer, en intégralité, tout type d'offense émise par la presse ou même par des personnes privées, car, bien que par la nature de la position, sa vie acquière une plus grande visibilité, elle continue à être privée et garantie par les dispositions légales pertinentes. D'ailleurs, le requérant lui-même, dans son recours, reconnaît que « (...) l'article contient des mots et des expressions parfois exagérés et provocateurs (...) » et, même si elle conclut que les limites fixées par la jurisprudence de la CEDH ne sont pas dépassées, la Haute Cour constate que la terminologie utilisée n'est pas justifiée, dépasse le but d'information du public et, en tant que telle, ne peut bénéficier de la protection invoquée par le requérant.
Les termes offensants utilisés par le requérant - défendeur, les expressions offensantes par lesquelles il décrit le requérant, n'ont rien à voir avec la base factuelle sur laquelle certains aspects de la vie et de l'œuvre du requérant ont été rendus publics, ne soutiennent pas cette base factuelle et ne justifient pas leur pertinence aux fins de l'information du public, étant des jugements purement personnels du journaliste, dont les connotations tendancieuses excluent l'impartialité et l'objectivité.
Comme l'ont jugé à juste titre les juridictions du fond, les déclarations en question n'ont pas été faites dans le cadre d'un article résultant d'une enquête journalistique et traitant d'un sujet intéressant le grand public, de manière à justifier leur publication sous la forme dans laquelle elles ont été faites.
Le requérant soutient que « l'article incriminé ne constitue pas une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de l'intimé, étant donné que son contenu porte exclusivement sur des questions relatives à la double qualité d'homme politique et de dignitaire du demandeur ».
La Haute Cour constate que le requérant confond la base factuelle, dont l'existence n'est pas contestée, avec la manière dont le journaliste transmet au public les informations obtenues sur la base de cette base factuelle, ce qui est défectueux en l'espèce et donne lieu à la sanction découlant de la responsabilité civile délictuelle.
Bien que le requérant affirme que « les enquêtes initiées par le DIICOT en relation avec l'activité exercée par l'intimé en tant que chef du département d'urbanisme de la mairie de Iasi, ainsi que les mesures préventives que la juridiction a imposées à son encontre au cours des enquêtes, expliquent et justifient les accusations portées contre lui », la Haute Cour estime que la justesse et la véridicité des informations obtenues ne sont pas douteuses et ne constituent pas les éléments sur lesquels se fonde le requérant pour être privé de la protection de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En l'espèce, c’est la manière dont les informations ont été effectivement transmises, le langage et les termes utilisés qui sont en cause, car la liberté d’expression, aussi large soit-elle, ne présuppose ni ne justifie l'utilisation d'un langage inapproprié, vexatoire et exagéré, tel que celui utilisé par le requérant.
Le requérant affirme que les expressions utilisées ne sont pas diffamatoires, mais représentent des jugements de valeur ayant pour but de mettre en avant, selon le cas, le fait que, bien qu'entré en politique à un jeune âge, le demandeur a été rapidement propulsé à des fonctions publiques importantes, le manque d'expérience du demandeur dans l'administration publique, la perception du public sur la classe politique et la manière dont les élus locaux communiquent avec les citoyens, etc.
Cette explication, que le requérant donne dans son recours, de manière académique, des expressions utilisées, est un argument supplémentaire que les informations qu'il a rendues publiques de manière si inappropriée auraient pu être exprimées d'une autre manière, à savoir d'une manière qui exclut sa responsabilité civile délictuelle.
Par conséquent, les justifications du requérant pour le choix des termes utilisés ne l'exonèrent pas de sa responsabilité mais, au contraire, mettent une fois de plus en évidence le caractère subjectif et malveillant du contenu de l'article incriminé.
Le requérant souligne également que les jugements de valeur énoncés sont formulés dans un style pamphlétaire, mais les expressions offensantes ne font pas partie du mode de rédaction d'un tel écrit satirique.
Le pamphlet est un genre littéraire en vers ou en prose dans lequel l'auteur met l'accent sur une certaine morale, des opinions politiques, des aspects négatifs de la réalité sociale, des traits de caractère, etc.
Le discours du pamphlet est composé d'une série de moyens expressifs qui génèrent des significations et conduisent à la formation du sens global du message. L'ironie est l'élément essentiel du pamphlet, car elle extériorise l'attitude de l'auteur à l'égard du sujet et influence l'attitude du public. De même, les marques stylistiques, les éléments d'oralité, les figures de style, les jeux de mots et les calembours sont des moyens de renforcer l'expressivité du pamphlet.
Or, en l'espèce, l'auteur du dit pamphlet (le requérant-défendeur) utilise des associations de mots ayant un impact offensif et dépréciatif, situées dans une palette linguistique étrangère au contenu et au message de la structure satirique et moralisatrice du pamphlet.
A la lumière des considérations susmentionnées, la Haute Cour constate qu'il n'y a pas d'éléments d'illégalité dans l'affaire en question qui donneraient lieu à l'application des dispositions de l'article 488 para. (1) p. 8 du Code de procédure civile, invoquées comme base juridique du recours, l'arrêt de la Cour d'appel ayant été rendu conformément aux dispositions légales pertinentes, le recours n'est pas fondé.
Compte tenu de l’arrêt à rendre sur le recours, à savoir le rejet de celui-ci comme non fondé, et du fait que l'intimé- demandeur B. a demandé des frais de justice d'un montant de 1.000 RON, représentant les honoraires d'avocat, qui sont prouvés par le récépissé présenté, la Haute Cour constate que le requérant-défendeur est une partie en défaut, en vertu de l'article 453 para. (1) du Code de procédure civile, au titre duquel celui-ci sera condamné à payer ces frais à l'intimée-demandeur.
Par ces motifs, la High Court rejettera, comme non fondé, le recours formé par le défendeur A. contre l’arrêt n° 464 du 21 octobre 2020 de la Cour d'appel de Iași, Chambre civile, et condamnera le requérant-défendeur aux frais de justice, d'un montant de 1 000 RON, en faveur de l'intimé-demandeur B.
POUR CES RAISONS,
AU NOM DE LA LOI,
LA HAUTE COUR DÉCIDE:
Rejette, comme mal fondé, le pourvoi formé par le défendeur A contre l'arrêt civil n° 464 du 21 octobre 2020 rendu par la Cour d'appel de Iaşi, la Chambre civile.
Oblige le requérant-défendeur à verser à l’intimé-demandeur B. la somme de 1000 RON, au titre des frais de justice.
Définitif.
Prononcé en audience publique, aujourd’hui, 8 février 2023.