LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Vu la Constitution ;
Vu la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu la décision n° 1/C/2024 du 15 février 2024 ;
Vu la décision n°4/E/2024 du 20 février 2024 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les lettres de notification n° 29/Cc, 27/Cc et 28/Cc du 27 février 2024 adressées respectivement au Président de la République, au Président de l'Assemblée nationale et au Premier ministre, en application de l'article 14 de la loi organique susvisée ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
SUR LA SAISINE
1. Considérant que par requêtes enregistrées au greffe du Conseil constitutionnel le 26 février 2024, sous les numéros 45/E/24 à 59/E/24. El Hadji Mamadou DIAO, Boubacar CAMARA, Thierno Alassane SALI, Habib SY, Serigne MBOUP, Déthié FALL, Malick GAKOU, Khalifa Ababacar SALL, Aly Ngouille NDIAYE, Daouda NDIAYE, Mamadou Lamine DIALLO, Anta BABACAR NGOM, Cheikh Tidiane DIEYE, Bassirou DIOYAME, Diakhar FAYE et Aliou Mamadou DIA, candidats à l'élection présidentielle, ont saisi le Conseil constitutionnel de recours aux fins de "constater et remédier à la carence du Président de la République en fixant (...) la date de l'élection présidentielle afin de donner plein effet à la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 ; dire les règles de suppléance du Président en exercice si les résultats de l'élection présidentielle ne sont pas proclamés avant le 2 avril 2024" et "ordonner à l'ensemble des autorités administratives la poursuite des opérations électorales";
SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
2. Considérant que les requêtes, tendant aux mêmes fins, présentent un lien de connexité suffisant ; qu'il y a lieu, pour une bonne administration de la justice, d'en ordonner la jonction et de statuer par une seule et même décision ;
SUR LA RECEVABILITE
3. Considérant qu'il ressort de la décision du Conseil constitutionnel n°4/E/2024 du 20 février 2024 que les requérants ont tous la qualité de candidats à l'élection présidentielle ; qu'ils justifient , en conséquence, d'un intérêt légitime à saisir le Conseil constitutionnel pour la tenue du scrutin et pour entendre définir les règles de suppléance au cas où l'élection n'a pas lieu avant la fin du mandat en cours ; que les requêtes sont recevables ;
AU FOND
Sur les demandes tendant à fixer la date de l'élection présidentielle et à ordonner aux autorités administratives la poursuite des opérations électorales :
4. Considérant que les requérants soutiennent que le "refus" du Président de la République de fixer la date de l'élection présidentielle viole la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 par laquelle le Conseil constitutionnel l'a invité à fixer la date du scrutin dans les meilleurs délais ; qu'ils demandent au Conseil constitutionnel, en vertu de sa plénitude de juridiction en matière électorale, de constater cette carence et de se substituer au Président de la République en fixant la date de l'élection.
5. Considérant qu'il ressort de l'article L.63 du Code électoral que la date du scrutin est fixée par décret ; que toutefois, les dispositions et délais prévus par la Constitution et le Code électoral, notamment l'article LO.137, s'applique au schéma d'un déroulement normal du processus électoral en vue de l'élection d'un Président de la République avant la fin du mandat en cours ; que ces textes et délais perdent leur finalité dès lors que des facteurs non conformes à la réalité institutionnelle, juridique et factuelle ont affecté le processus initialement mis en place ; que, de même, les évènements d'ordre religieux, social et culturel ne sont pas incompatibles avec l'exercice des droits des citoyens, notamment le droit de vote ;
6. Considérant que l'élection présidentielle ne peut être fixée à une date postérieure à l'expiration du mandat d'un mois en cours sous peine d'en prolonger la durée au-delà de ses limites constitutionnelles ;
7 . Considérant que la situation actuelle où la date de l'élection présidentielle n'est pas fixée, à moins d'un mois de la fin du mandat présidentiel, n'est justifié ni en droit ni en fait ;
8. Considérant que par décision n° 1/C/2024 du 15 février 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que la date de l'élection du Président de la République ne peut être rapportée au-delà de la durée du mandat qui arrive à terme le 2 avril 2024 et a invité les autorités compétentes à fixer la date dans les meilleurs délais ; que l'expression "meilleurs délais" renvoie nécessairement à une date pouvant permettre la tenue de l'élection avant la fin du mandat, conformément au considérant 14 de la décisions précitée ;
9. Considérant qu'en vertu de l'article 92 de la Constitution, cette décision s'impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;
10. Considérant qu'au regard de l'urgence, le fait pour les autorités compétentes de ne pas fixer la date du scrutin plus de 20 jours après la décision n°1/C/2024du 15 février 2024s'analyse en une méconnaissance de leur obligation constitutionnelle d'exécuter ladite décision .
11. Considérant que le conseil constitutionnel dispose en matière électorale d'une plénitude de juridiction et d'un pouvoir régulateur de maintien de la continuité de l'Etat et de la stabilité des institutions ;
12. Considérant qu'il y a lieu ainsi, pour pallier l'inertie des autorités compétentes, de fixer la date de l'élection présidentielle au dimanche 31 mars 2024 et de dire que le processus électoral, qui n'st pas annulé mais interrompu, doit être poursuivi ;
13. Considérant que la présente décision emporte convocation du corps électoral, au Sénégal et à l'étranger, pour le scrutin du 31 mars 2024 ;
Sur la demande tendant à définir les règles de suppléance :
15. Considérant que les requérants demandent au Conseil constitutionnel de "dire les règles de suppléance du Président en exercice si les résultats de l'élection présidentielle ne sont pas proclamé avant le 2 avril 2024" ;
16. Considérant que l'arrivée du terme du mandat du Président de la République sans que son successeur soit élu, en raison du non-respect du calendrier électoral, n'est pas prévue par la Constitution ;
17. Considérant, cependant, que le Conseil constitutionnel, statuant en matière électorale, rappelait déjà, dans sa décision n°5 du 2 mars 1993 que "(...) ni le silence de la loi ni l'insuffisance de ses dispositions, n'autorisent le Conseil constitutionnel (...) à s'abstenir de régler le différend porté devant lui ; qu'il doit se prononcer par une décision en recourant, au besoin, aux principes généraux du droit , à la pratique, à l'équité, et à toute autre règle compatible avec la sauvegarde de l'Etat de droit et de l'intérêt commun" ;
18. Considérant qu'eu égard aux circonstances particulières, si le scrutin du premier tour a lieu avant la fin du mandat, le Président en exercice reste en fonction jusqu'à l'installation de son successeur ;
19. Considérant que dans le cas contraire et par analogie aux différentes situations ayant pour effet la vacance de la fonction présidentielle , notamment la démission ou l'empêchement définitif, il convient de dire que le Président de l'Assemblée nationale poursuit le processus électoral déjà engagé,
DÉCIDE :
Article premier. - La date du scrutin de l'élection présidentielle est fixée au 31 mars 2024.
Article 2.- La présente décision emporte convocation du corps électoral au Sénégal et à l'étranger, pour le scrutin du 31 mars 2024.
Article 3.- Le processus électoral est poursuivi dans les conditions fixées par la présente décision et les décisions antérieures susvisées.
Article 4.- En cas de vacance de la fonction présidentielle, le Président de l'Assemblée nationale assure la suppléance jusqu'à l'installation du Président de la République qui sera élu au terme du processus électoral déjà engagée.
Article 5.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République du Sénégal et partout où besoin sera.
Délibéré par le Conseil constitutionnel en sa séance du 6 mars 2024, où siégeait Monsieur Mamadou Badio CAMARA, Président, Madame Aminata Ly NDIAYE, Vice-président, Messieurs Mouhamadou DIAWARA, Youssoupha Diaw MBODJ, Madame Awa DIEYE et Messieurs Cheikh Ndiaye et Cheikh Tidiane COULIBALY, membres
Avec l'assistance de Maître Ousmane BA, Chef du greffe.
En foi de quoi, la présente décision est signée par le Président, le Vice-président, les autres membres et le Chef du greffe