Bulletin des Arrêts n° 21-22
COUR SUPRÊME
ARRÊT N° 17 DU 28 MAI 2020
-LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CAP-VERT, DITE SICAP SA
- ÉTAT DU SÉNÉGAL
ACTION EN JUSTICE — ÉTAT — RECOURS — AGENT JUDICIAIRE DE L’ÉTAT — POUVOIR DE REPRÉSENTATION — LIMITES — ÉTENDUE — DÉTERMINATION
Au sens de l’article 2 du décret n° 70-1216 du 7 novembre 1970, l'agent judiciaire est chargé de la représentation de l’État dans toutes les instances judiciaires sauf dans le cas où un texte spécial désigne une autre personne physique ou morale ou lorsque la procédure suivie a pour objet de déclarer l’État créancier ou débiteur pour une cause relative à l’impôt ou au domaine.
En vertu de ce texte, l’agent judiciaire est seul habilité à représenter l’État lorsque l'instance ne vise pas à déclarer ce dernier débiteur ou créancier, mais plutôt à entendre prononcer l'annulation pour excès de pouvoir d’un décret pris dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d'utilité publique.
EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITÉ PUBLIQUE — CONDITION NÉCESSAIRE — INDEMNISATION PRÉALABLE — PRINCIPE — APPLICA- TION — CAS
Méconnaît le sens et la portée des articles 15 de la constitution et 1° de la loi 76-67 du 2 juillet 1976, le décret par lequel l’autorité administrative prescrit une expropriation pour cause d'utilité publique en indiquant qu'aucune indemnité n’est due au proprié- taire de l'immeuble au motif que celui-ci l’a acquis à la faveur d’une cession gratuite consentie par l’État.
La Cour suprême,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que, par décret n° 2019-629 du 15 mars 2019, le projet d’aménagement d’un terrain de sport, au profit des populations de la commune de Biscuiterie, a été déclaré d’utilité publique ;
Que ledit acte a déclaré cessibles les titres fonciers privés appartenant à la SICAP et prononcé, d’une part, le retrait de tous les droits réels immobiliers affectant le terrain et, d’autre part, l’affectation de l’assiette foncière expropriée au profit de la commune en précisant qu’aucune indemnité n’est due à la SICAP SA, au motif que les immeubles en cause ont été acquis à la suite d’une cession gratuite consentie par l’État ;
Que la SICAP SA sollicite l’annulation de ce décret en articulant deux moyens tirés de la violation de la loi et d’une erreur manifeste d’appréciation ;
238 Chambre administrative
Arrêts de la Cour suprême — Année judiciaire 2020
COUR SUPRÊME
Sur la déchéance et la mise hors de cause de l’agent judiciaire de l’État
Considérant que l'agent judiciaire de l’État a conclu à la déchéance et à sa mise hors de cause au motif qu’il a reçu signification de la requête, alors qu’il n’est pas habilité à représenter l’État dans un contentieux domanial, cette prérogative étant exclusivement réservée au directeur général des Impôts et des Domaines, en vertu des articles 2 du décret n° 70-1216 du 7 novembre 1970 portant création de l'agence judiciaire de l’État et 25 de l’arrêté ministériel n° 20287/MEF/DGID du 31 décembre 2013 portant organi- sation et fonctionnement de la direction générale des Impôts et des Domaines
Considérant qu'aux termes de l’article 2 du décret précité, « l’ agence judicaire de l’État est chargée du règlement de toutes les affaires contentieuses où l’ État est partie et de la représentation de l’État dans les instances judiciaires ;
Toute action portée devant les tribunaux et tendant à faire déclarer l’État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par un texte spécial, être intentée à peine de nullité par ou contre l’agent judiciaire de l’État » ;
Qu'en vertu de ce texte, l’agent judiciaire est chargé de la représentation de l’État dans toutes les instances judiciaires sauf dans le cas où un texte spécial désigne une autre personne morale ou physique ou lorsque la procédure suivie a pour objet de déclarer l’État créancier ou débiteur pour une cause relative à l’impôt et au domaine
Considérant qu’en outre l’arrêté ministériel n° 20287 du 31 décembre 2013 dont se prévaut l’agent judiciaire a été abrogé et remplacé par l’arrêté ministériel n° 10012 du 14 juin 2017 portant organisation de la Direction générale des Impôts et des Domaines
Que ce texte ne saurait conférer à la direction générale des impôts et des domaines un mandat spécial de représentation de l’État dans les recours en annulation des actes administratifs pris en matière domaniale ;
Qu’ainsi, l'agent judiciaire de l’État, qui a régulièrement reçu signification du recours, est malvenu à solliciter sa mise hors de cause dès lors que l'instance ne vise pas à décla- rer l’État créancier ou débiteur mais plutôt à poursuivre l’annulation, pour excès de pouvoir, d’un décret de cessibilité pris dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d'utilité publique
Qu'il s’ensuit que la déchéance n’est pas encourue
Sur le second moyen pris d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que l'autorité administrative a prononcé le retrait des droits réels immobiliers sur le terrain exproprié et prescrit qu’aucune indemnité n’est due au motif que la SICAP SA, titulaire des droits, a acquis les immeubles désignés, à la faveur de cessions gratuites consenties par l’État
Et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen
Considérant que le décret attaqué, après avoir déclaré d’utilité publique le projet d aménagement d’un terrain de sport et cessibles des titres fonciers appartenant à la SICAP SA, a énoncé en son article 4 « qu’aucune indemnité n’est due à la SICAP, les ces- sions foncières de l’État aux sociétés nationales chargées de la promotion de l’habitat étant gratuites » ;
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Bulletin des Arrêts n° 21-22
COUR SUPRÊME
Qu'il résulte de l’état de droits réels produit au dossier que les immeubles déclarés ces- sibles par le décret en cause sont immatriculés au nom de la SICAP, lui conférant ainsi des titres définitifs et inattaquables, en vertu des articles 6 et 42 de la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière ;
Considérant que, conformément aux articles 15 de la constitution et 1" de la loi 76- 67 du 2 juillet 1976 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, nul ne peut être contraint à céder sa propriété pour la satisfaction d’un intérêt public, sans bénéficier d’une juste et préalable indemnité ;
Qu'ainsi, en décidant qu’aucune indemnité n’est due à la SICAP SA au motif que les immeubles visés dans la procédure d’expropriation ont été acquis à la faveur d’une ces- sion gratuite consentie par l’État, le décret attaqué a méconnu le sens et la portée des dispositions susvisées ;
Par ces motifs :
Annule le décret n° 2019-629 du 15 mars 2019 déclarant d’utilité publique, le projet d'aménagement d’un terrain de sport, situé derrière le siège de la SICAP SA, sur l’avenue Aa, dans la commune de Biscuiterie à Dakar, au profit des populations de ladite localité.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre administrative de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents Mesdames et Messieurs :
PRÉSIDENT : ABDOULAYE NDIAYE ; CONSEILLERS : B X, C A, IDRISSA SOW, FATOU FAYE LECOR DIOP ; AVOCAT GÉNÉRAL : JEAN ALOÏSE NDIAYE ; AVOCAT : MAÎTRE BOUBACAR WADE, AGENT JUDICIAIRE DE L’ÉTAT ; GREFFIÈRE : ROKHAYA NDIAYE GUÉYE.
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