Audience publique spéciale du vendredi dix-sept novembre deux mille vingt trois.
ENTRE :
. Etat du Sénégal : poursuites et diligences en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, en ses bureaux sis au Ministère de l'Economie et des Finances, building Peytavin, avenue de la République x Carde à Dakar faisant élection de domicile en l'étude de Me El Hadji Amadou SALL, Me Abbou KANE, Me El Hadji Moustapha DIOUF, Me Abdou Dialy KANE, Me Samba BITEYE, Me Soulèye Macodou FALL, Me Adama FALL, Me Ousmane THIAM, Me Amadou Yéri BA, Me Ndèye Anta MBAYE, avocats à la Cour ;
Demandeur, D'une part,
ET:
X...Y... : ayant pour conseils : Me Kaoussou. K.BODIAN, Me Ousseynou FALL, Me Massokhna KANE, Me Ciré Clédor LY, Me Chaikh Khoureyssi BA, Me Théophile KAYOSSI, Me Martin DIATTA, Me Macodou NDOUR, Me Youssoupha CAMARA, Me Joseph Etienne NDIONE, Me Khady CAMARA, Me Amadou DIALLO, Me Juan BRANCO, Me Larifou SAID, Me Guy Hervé KAM, Me Patrice TACITA, cabinet L.BOURJAC, Me Henri Valentin GOMIS, Me Mouhamadou Bamba CISSE, Me Ousseynou NGOM, Me Emmanuel DIATTA, Me Babacar NIANG, Me Abdou Aziz DJIGO, Me Ndoumbé WANE, Me Djiby DIAGNE, Me Magna Brice SYLVA, Me Abdoulaye TALL, Me Babacar NDIAYE, Me François Kandjak SENGHOR, Me Bamba FALL, Me Moussa BALDE, Me Abdi Nar NDIAYE, Me Fodé NDIAYE, tous avocats à la Cour mais élisant domicile en l'étude de Me Mouhamadou Bamba CISSE, au 38 avenue Malick SY à Dakar ;
Défendeur, D'autre part,
La Cour,
Vu la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême, modifiée par la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022 ;
Vu le code électoral ;
Vu le code de Procédure civile ;
Vu la lettre du 24 octobre 2023 portant notification de la requête ;
Vu le mémoire en défense de X...Y... reçu le 3 novembre 2023 au greffe ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Abdoulaye NDIAYE, président de chambre, en son rapport ;
Ouï Monsieur Ousmane DIAGNE, premier avocat général, en ses conclusions tendant au rejet ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'ordonnance attaquée (n° 01 du 12 octobre 2023) que le Président du tribunal d'instance de Ziguinchor a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'Etat du Sénégal, annulé la mesure de radiation du nom de X....Y... des listes électorales, ordonné sa réintégration, par les services centraux du Ministère de l'intérieur, sur les listes électorales de la Commune de Ziguinchor ainsi que sur le fichier général des électeurs ;
Que par requête reçue le 23 octobre 2023 au greffe de ladite juridiction, l'Etat du Sénégal, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, s'est pourvu en cassation contre cette décision en articulant quatre moyens tirés de l'incompétence du Tribunal d'instance de Ziguinchor, de la violation de la loi en trois branches, du défaut de base légale et d'une contrariété de motifs ;
Sur la recevabilité du pourvoi,
Attendu que X...Y... a soulevé l'irrecevabilité du pourvoi aux motifs, d'une part, qu'en vertu de l'article 2 du décret n° 70-12-1216 du 7 novembre 1970 portant création de l'Agence judiciaire de l'Etat, le domaine d'intervention de l'Agence judiciaire de l'Etat, en ce qui concerne la représentation de l'Etat, se limite à la matière judiciaire et ne saurait s'étendre au contentieux électoral, régi par la loi n° 2021-35 qui prévoit des dispositions spéciales, pour ce qui est des parties au procès et de la procédure applicable ;
Que d'autre part, s'agissant du contentieux de l'inscription sur les listes électorales, l'article L.43 du code électoral réserve la possibilité d'introduire un recours à tout électeur inscrit sur la liste électorale et à l'autorité administrative compétente, celle-ci ne peut, selon lui, s'entendre que de la Direction générale des élections chargée de la gestion du fichier électoral ;
Qu'enfin, l'Etat du Sénégal n'a ni intérêt ni qualité à agir puisqu'il ne peut justifier d'un grief que l'inscription ou la radiation d'un électeur peut lui causer et, au regard des dispositions du code électorale, ce contentieux ne concerne que l'électeur et le juge ou un autre électeur qui aurait intérêt à agir ou l'autorité administrative compétente ;
Mais attendu que pour qu'une partie soit recevable à se pourvoir, il faut qu'elle ait été suffisamment désignée par la décision attaquée et par les actes de procédure, conclu devant le juge du fond contre le défendeur au pourvoi et qu'elle procède dans l'instance de cassation en la même qualité que devant le juge du fond ;
Que la recevabilité du pourvoi ne peut être discutée pour défaut de qualité du demandeur si cette qualité n'a pas déjà été contestée devant les juges du fond ;
Que s'agissant de l'intérêt à se pourvoir, le demandeur justifie d'un intérêt, lorsque la décision attaquée lui est défavorable et une décision est défavorable à une partie lorsque, comme en l'espèce, elle ne fait pas droit à ses demandes ;
Attendu, en outre, qu'aux termes de l'article 2 du décret n°70-1216 du 7 novembre 1970 portant création d'une agence judiciaire fixant ses attributions, "L'agence judiciaire de l'Etat est chargée du règlement de toutes les affaires contentieuses où l'Etat est partie et de la représentation de l'Etat dans les instances judiciaires [...]. Elle a également pour mission de sauvegarder les droits de l'Etat dans tous les domaines où les textes en vigueur n'ont conféré ces prérogatives à d'autres services" ;
Qu'il s'en infère que sans avoir à justifier d'un mandat, l'Agence judiciaire a un pouvoir de représentation générale de l'Etat, sauf lorsqu'un texte confère cette prérogative à d'autres services et celle-ci est admise toutes les fois où une entité ou autorité administrative dépourvue de la personnalité juridique et, par conséquent, de la capacité d'ester en justice, est en cause ;
Attendu qu'en l'espèce, la Direction générale des élections, la Direction de l'Automatisation du Fichier et le Ministère de l'Intérieur n'étant pas dotés de personnalité juridique, l'intervention de l'agent judiciaire est juridiquement fondée;
Qu'il s'ensuit que l'irrecevabilité n'est pas encourue ;
Sur le premier moyen tiré de l'incompétence du Tribunal d'instance de Ziguinchor en ce que la décision attaquée a retenu la compétence de ladite juridiction au motif qu'en matière électorale, la personne est domiciliée au lieu de son principal établissement et pour son activité professionnelle au lieu où elle exerce celle-ci alors que la résidence s'entend comme le lieu d'habitation effective et durable dans la commune ; que les articles L.32 et L.33 [du code électoral] précisent que l'on ne s'inscrit qu'une seule fois sur une liste électorale d'une seule commune ; qu'il s'en infère que le critère de compétence en matière électorale est le lieu d'inscription ; que par conséquent, le Président du tribunal compétent est celui du lieu d'inscription du requérant, alors, selon le moyen, que l'article L41 [du code électoral] précise expressément que le tribunal territorialement et matériellement compétent est celui du lieu de la dernière résidence connue sans faire référence à celui du lieu d'inscription ; qu'il est incontestable que la dernière résidence de X...Y... est [...] qui se situe dans le ressort du tribunal d'instance de Ziguinchor n'émane pas de la commission administrative de révision des listes électorales mais de la Direction de l'Automatisation du Fichier ;
Mais attendu qu'ayant énoncé "que l'article L.41 du code électoral dispose que dans les conditions fixées par décret, l'électeur qui a fait l'objet d'une radiation d'office, pour d'autres causes que le décès, conformément aux disposition de l'article L.40 alinéa 4, reçoit de la part de l'autorité administrative compétente, notification écrite des motifs de la procédure intentée contre son inscription à sa dernière résidence connue ; il peut, dans les cinq (5) jours qui suivent, intenter un recours devant le Président du tribunal d'instance ; [...] que les articles L.32 et L.33 du même texte précisent que l'on ne s'inscrit qu'une seule fois sur une seule liste électorale d'une seule commune" puis relevé "qu'il n'est pas contesté que X...Y... est régulièrement inscrit sur les listes de la Commune de Ziguinchor dont il est le maire et que ladite commune est sise dans le département éponyme, donc bien du ressort de la juridiction de céans" et retenu "que le critère de compétence en matière électorale est celui du lieu d'inscription du requérant, que par conséquent, le Président du tribunal d'instance compétent et celui du lieu d'inscription du requérant", le premier juge a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen, en sa première branche, tiré de la violation des articles 822 et 823 du code de procédure civile (CPC) en ce que l'ordonnance attaquée a retenu que l'exploit d'huissier n'a pas valeur de signification régulière au motif qu'il résulte du récépissé de la poste que la lettre recommandée tendant à aviser X...Y... du dépôt fait à la sous-préfecture de Dakar-Plateau, a été adressée à Dakar à [...] ; qu'or, selon les propres déclarations de l'huissier, c'est à cause du défaut d'autorisation du greffe de la prison de Sébikotane qu'il n'a pas pu accéder à X...Y..., "la personne intéressée" ; qu'en omettant d'adresser la lettre avec accusé de réception là où se trouve effectivement X...Y..., 'la personne intéressée", l'huissier n'a pas respecté les dispositions susvisées ; qu'il convient de distinguer l'exploit qui peut être servi à domicile, en mairie ou au chef d'arrondissement de la lettre recommandée pour avis qui est destinée à la partie intéressée, en l'occurrence X...Y... ; que l'exploit ne peut atteindre son objet, alors, selon le moyen, qu'il ne résulte pas des articles 822 et 823 du CPC que la lettre recommandée avec accusé de réception doit être adressée à l'endroit où se trouve effectivement la partie intéressée ; que le régime des nullité des actes de procédure repose sur la règle "pas de nullité sans texte, pas de nullité sans grief" ; qu'aucun grief n'a été invoqué ni dans la requête introductive d'instance ni dans les observations subséquentes du requérant et que le juge s'est gardé de rechercher un grief résultant de l'irrégularité dont il a fait état, qu'aucune violation d'une formalité substantielle n'a été relevée ;
Et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres branches et moyens
Vu les articles 822 et 823 du Code de Procédure civile
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, "Tous exploits sont signifiés à personne ou à domicile ; dans ce dernier cas, la copie peut être remise à la personne, parent, allié ou serviteur, trouvée par l'huissier à charge par lui d'indiquer la qualité déclarée ; s'il ne trouve aucune de ces personnes, il remet la copie à un voisin, l'huissier indique le numéro, la date et l'autorité signataire de la carte d'identité de la personne qui reçois l'acte. Si la personne interpellée refuse de recevoir l'acte ou ne peut présenter sa carte d'identité, l'huissier remet, sans délai, la copie au maire ou à un adjoint ou encore, à défaut de ceux-ci, au chef d'arrondissement.' ;
Que le second texte précisé que "Dans le cas où la copie a été remise en mairie ou au chef d'arrondissement au plus tard le jour ouvrable suivant celui de la remise, l'huissier est tenu d'aviser par lettre recommandée avec accusé de réception la partie intéressée du dépôt ainsi fait et mention, signée de lui, en est faite sur l'original, à peine de nullité.
Lorsque la copie est remise à toute autre personne que la partie elle-même ou le procureur de la République, elle est délivrée sous enveloppe fermée ne portant d'autre indication, d'un côté, que les noms, prénoms et demeure de la partie, et de l'autre, que le cachet de l'étude de l'huissier apposé sur la fermeture du pli.
L'huissier fera mention du tout, tant sur l'original que sur la copie" ;
Et, attendu que pour déclarer la signification irrégulière, le premier juge a énoncé "qu'il résulte du récépissé de la poste que la lettre recommandée tendant à aviser X...Y... du dépôt fait à la sous-préfecture de Dakar-Plateau a été adressée à Dakar [...] ; que selon les déclarations de l'huissier, c'est à cause du défaut d'autorisation du greffe de la prison de Sébikotane qu'il n'a pu accéder à X...Y..., la personne intéressée en l'espèce", puis relevé "qu'il faut distinguer l'exploit qui peut être servi à domicile, à mairie ou au chef d'arrondissement de la lettre recommandée pour avis qui est destinée à la partie intéressée, en l'occurrence X...Y..." et retenu "qu'ainsi, en omettant d'adresser la lettre avec accusé de réception là où se trouve effectivement X...Y..., la personne intéressée, l'huissier n'a pas respecté les dispositions susvisées ; qu'en, définitive, l'exploit ne peut atteindre son objet";
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté, d'une part, qu'étant à Dakar [...], à la maison de X...Y... et n'ayant pu servir l'acte, l'huissier l'a déposé à la sous-préfecture de Dakar-Plateau et, d'autre part, qu'il résulte du récépissé de la poste que la lettre recommandée tendant à aviser X...Y... du dépôt fait à la sous-préfecture de Dakar-Plateau a été adressée à Dakar [...], le premier juge n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
Qu'en ajoutant à la loi, une condition relative à la remise de la lettre recommandée là où se trouve effectivement la personne intéressée, il a méconnu le sens et les portée des textes susvisés ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare recevable le pourvoi formé par l'Etat du Sénégal ;
Déclare le tribunal d'instance de Ziguinchor compétent ;
Casse et annule l'ordonnance n° 01 du 12 octobre 2023 du Président du tribunal d'instance de Ziguinchor :
Renvoie la cause et les partie devant le Tribunal d'instance Hors classe de Dakar pour y être jugées conformément à la loi ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre administrative de la Cour suprême, en son audience publique spéciale tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents:
Ciré Aly Ba, Premier président, président,
Abdoulaye NDIAYE, président de chambre, Ibrahima SAMB, Aissatou Diallo BA, Fatou Faye Lecor DIOP, conseillers,
Ousmane DIAGNE, premier avocat général ;
Marèma DIOP NIANG, administrateur des greffes
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Premier président, le président de chambre, les conseillers et l'administrateur des greffes.