Arrêt n°45
Du 29 août 2024
Administratif
Affaire
N°J/261/RG/23
07/06/23
-Action Justice
Environnementale dite AJE (Le secrétaire exécutif)
CONTRE
-Etat du Sénégal
(AJE)
RAPPORTEUR
Oumar Gaye
PARQUET B Oumar Guèye
AUDIENCE
29 août 2024
PRESENTS
Oumar Gaye, président, Ibrahima Sambe,
Aïssatou Diallo Ba,
Idrissa Sow,
Fatou Faye Lecor Diop, conseillers,
Matar Saloum Camara,
greffier ;
MATIERE
Administrative
RECOURS
Annulation ET REPUBLIQUE DU SENEGAL
AU NOM DU PEUPLE SENEGALAIS
COUR SUPREME
DEUXIEME CHAMBRE ADMINISTRATIVE
AUDIENCE PUBLIQUE DE VACATIONS
DU JEUDI VINGT-NEUF AOÛT DEUX MILLE VINGT-QUATRE
ENTRE :
e Action Justice Environnementale dite AJE: association de droit sénégalais poursuites et diligences de son représentant légal en ses bureaux sis au quartier Liberté 6 extension, lot N°15, appartement N°1, récépissé N°019857/MINT/DGAT/DLPL/DAPA a Dakar, mail ajesenegal2019@gmail.com > téléphone 77 401 77 57;
DEMANDERESSE ; D’une part, :
e État du Sénégal : pris en la personne de l’agent judiciaire de l’État, en ses bureaux sis au Ministère de l’Économie et des Finances, building Peytavin, Avenue de la République x Avenue Carde à Aa ;
A,
D’autre part,
La Cour,
Vu la requête reçue le 7 juin 2023 au greffe central par laquelle l’association Action Justice Ag dite AJE, représentée par Ai Aj Ab, son Secrétaire exécutif, sollicite l’annulation du décret n°2023-813 du 5 avril 2023 approuvant et rendant exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de la bande de Yeumbeul-Nord, Ad, Ak Ah, déclassant une partie de la zone couverte par le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) d’une superficie de 826 ha, prescrivant l’immatriculation au nom de l’Etat des sites non encore immatriculés situés dans la zone déclassée et créant les zones d’Aménagement Concerté (ZAC) de Ak Ah et de Keur Massar ;
Vu la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême, modifiée par la loi organique n°2022-16 du 23 mai 2022 ;
Vu le Code de l’Environnement ;
Vu le Code de l’Urbanisme ;
Vu le Code forestier ;
Vu le mémoire de l’Etat reçu le 17 août 2023 au greffe :
Vu l’acte attaqué ;
Vu la lettre n°001/CS/PCA du 3 janvier 2024 du président de la chambre administrative portant réclamation de pièces :
Vu la lettre n°00127/MFB/AJFE/ambg du 6 février 2024 de l’ Agent judiciaire de l’Etat ;
Vu le procès-verbal de transport sur les lieux du 21 mai 2024 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Oumar Gaye, Président de chambre, en son rapport :
Ouï Monsieur Oumar Guéye, avocat général, en ses conclusions tendant au rejet ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que le décret n°2023-813 du 5 avril 2023 a procédé au déclassement d’une partie de la zone couverte par le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de la bande de Yeumbeul-Nord, Ad, Ak Ah d’une superficie de 826 ha pour la réalisation de diverses infrastructures et d’équipements ainsi que la construction de logements selon la répartition suivante :
ei 49, 03% de la superficie totale du PUD sont réservés à l’habitat ;
- 27, 97% de la superficie totale du PUD sont réservés aux voiries et réseaux divers :
- 23.00% de la superficie totale du PUD sont réservés aux équipements ;
Que contestant la régularité du déclassement, l’association Action Justice Environnementale (AJE) a introduit le présent recours en soulevant deux moyens tirés de la violation de la loi ;
Considérant que l’Etat du Sénégal conclut à l’irrecevabilité du recours aux motifs que l’AJE, bien que titulaire d’un récépissé du Ministère de l’Intérieur, n’a pas produit un agrément lui permettant d’agir en justice pour demander l’annulation du décret attaqué, conformément à l’article 107 du Code de l’Environnement :
Considérant que l’article 107 alinéa premier du Code de l’Environnement dispose que «les Collectivités territoriales et les Associations de défense de l’environnement, lorsqu'elles sont agréées par l’Etat dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement, peuvent introduire des recours devant les juridictions compétentes selon la procédure administrative ou la procédure de droit commun » ;
Que, cependant, le décret n°2001-282 du 12 avril 2001 portant application du Code de l’Environnement ne fixe pas les modalités d’application de la disposition précitée ;
Considérant qu’en l’espèce, l’association requérante a produit au dossier le récépissé de déclaration d’une association ayant pour titre « Action Justice Environnementale (AJE)» délivré le 8 juillet 2020 par la Direction générale de l’Administration territoriale :
Que, dès lors, sa qualité à agir, en tant qu’association dont l’objet est la protection de l’environnement, ne saurait être contestée ;
Qu'il s’ensuit que l’irrecevabilité n’est pas encourue ;
Sur le premier moyen, en sa première branche tirée de la violation de l’article L.48 du Code de l’Environnement en ce que la décision attaquée a procédé au déclassement de la zone couvrant la bande des filaos dont la présence contribue à fixer les dunes, à lutter contre l’avancée de la mer et à améliorer la qualité de l’air, alors que selon le texte précité tous plans, programmes ou projets de développement susceptibles de porter atteinte à l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale ;
Sur le premier moyen, en ses deuxième, troisième et quatrième branches tirées de la violation des articles 39 du décret n°64-573 du 30 juillet 1964 fixant les conditions d’application de la loi n°64-46 du 17 juin 1964 relative au Domaine national, 31 et 34 du décret n°2019-110 du 16 janvier 2019 portant application du Code forestier en ce que le déclassement en cause, aux fins exclusives de réalisation d’infrastructures et d’équipements ainsi que de construction de logements, a uniquement pour but de dégager un profit purement privé, alors qu’en application de ces textes, le déclassement d’une forêt ne peut intervenir que pour un motif d’intérêt général ou pour le transfert à une collectivité locale pour la gestion forestière ;
Les première, deuxième, troisième et quatrième branches du premier moyen étant réunies
Considérant que selon l’article L.A8 susvisé, la réalisation de tout projet de développement ou de toute activité susceptible de porter atteinte à l’environnement, de même que la mise en œuvre des politiques, des programmes, des études régionales et sectorielles doivent faire l’objet d’une étude environnementale ; que les procédures qui permettent d’exiger l’évaluation des impacts sur l’environnement des projets, programmes et politiques doivent être adoptées en vue d’éviter et de réduire au minimum les effets nocifs et, s’il y'a lieu, d’assurer la participation du public à ces
Qu’en vertu de l’article R53 du Code de l’Urbanisme, le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) est établi, notamment, dans le cadre des orientations fixées par les plans et schémas directeurs d’urbanisme et comprend un rapport de présentation, un règlement ainsi que des documents graphiques qui font apparaître, en particulier, la délimitation des zones suivant leur affectation et les zones de protection spéciale visées par le Code de l’Environnement ;
Considérant qu’en l’espèce, il résulte de l’examen des pièces du dossier, notamment, du rapport de l’évaluation environnementale stratégique du PUD de Pikine et Guédiawaye couvrant la zone de Ak Ah, Ae Ac et Malika du comité technique de validation du 6 octobre 2016 que l’étude environnementale a été réalisée :
Qu’en outre, le Ministre de l’Environnement a pris l’arrêté n°00975 du 22 janvier 2018 portant certificat de conformité environnementale de l’élaboration du PUD des villes de Pikine et Guédiawaye ;
Considérant que contrairement aux affirmations de la requérante, c’est l’article 28 du décret d’application du Code forestier qui dispose que « Le déclassement d’une forêt ne peut intervenir que pour un motif d’intérêt général ou de transfert des responsabilités de l’Etat en matière de gestion forestière au profit d’une collectivité territoriale qui garantit la pérennité de la forêt », qui est applicable ;
Considérant qu’il ressort du procès-verbal de transport sur les lieux du 21 mai 2024, que plusieurs parties du site litigieux ont fait l’objet de déclassement avant le décret attaqué, à savoir, la zone de Gadaye en 2022 pour reloger les déguerpis de Gadaye, la zone de Yeumbeul-Nord en 2018 qui abrite certaines infrastructures sociales et la zone dénommée EDK ainsi que le site de Af en 2017 d’une superficie de 45 ha, attribué par voie de bail ;
Considérant que le décret attaqué a pris en compte les déclassements antérieurs et a procédé au déclassement de nouvelles zones :
Page4|7 Que le décret est justifié par l’absence de réserves foncières dans les Communes de Ae Ac, Ad et Ak Ah et a pour objet la réalisation d’infrastructures et d’équipements relatifs à l’habitat, aux voieries et réseaux divers, dans ces communes et dans le nouveau Département de Keur Massar et poursuit ainsi un but d’intérêt général ;
Qu'il s’ensuit que ces branches du moyen ne sont pas fondées ;
Sur le premier moyen, en sa cinquième branche tirée de la violation de l’article 35 du décret n°2019-110 du 16 janvier 2019 portant application du Code forestier en ce que le décret attaqué ne comporte aucune mention de la saisine de la Commission nationale de conservation des sols, alors que son « avis motivé » favorable est exigé avant l’opération de déclassement envisagée dans la zone ;
Considérant que l’article 35 du décret d’application du Code forestier dispose : « La Commission nationale se réunit dans les trente (30) jours suivant la réception du dossier de classement ou de déclassement présentée par la Commission régionale.
En cas d’avis défavorable, le rejet est notifié à l’intéressé.
En cas d’avis favorable, elle transmet au Président de la République le dossier, avec son avis motivé, dans les quinze (15) jours suivant la réunion.
Le classement ou le déclassement de la forêt est prononcé par décret. En cas de déclassement, ce décret fixe, s’il y a lieu, les conditions précises d’exploitation par les bénéficiaires en fonction du plan d'aménagement de la zone concernée. » ;
Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable suivie à titre obligatoire ou facultatif n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il résulte des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés des garanties auxquelles ils avaient droit ;
Considérant qu’en l’espèce, une étude environnementale a été réalisée et la circonstance que la Commission nationale de la conservation des sols n’a pas préalablement donné son avis ou que la mention de cet avis ne figure pas sur l’acte attaqué, n’est pas de nature à entrainer l’illégalité de l’acte attaqué ;
Qu'il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé :
Sur le second moyen, en ses deux branches réunies tirées de la violation des articles 7 de l’Accord de Paris et 5 de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification en ce que l’Etat du Sénégal, partie à ces Accords, a l’obligation de prendre des mesures tendant à renforcer les capacités d’adaptation, accroitre la résilience aux changements climatiques, réduire la vulnérabilité à ces changements, lutter contre la désertification, contribuer à l’atténuation de la sécheresse et d’y consacrer des ressources suffisantes en rapport avec sa situation et ses moyens, alors que le décret de déclassement attaqué ne contribue ni aux exigences du développement durable ni à la réduction de la vulnérabilité, au regard de l’impact des dunes et des filaos sur l’avancée de la mer et la protection de cet espace environnemental ;
Considérant que l'accord de Paris et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification sont des traités internationaux relatifs au réchauffement climatique ;
Que ces accords visent à fournir aux pays en développement des ressources financières pour atténuer les changements climatiques, renforcer la résilience, accroître les capacités d'adaptation aux effets produits par ces changements, lutter contre la sécheresse et la désertification, tout en contribuant au développement durable ;
Considérant que l’article 6 du décret attaqué prévoit que des parties de la bande située sur la bande Yeumbeul Nord- Malika -Tivaouane Peulh d’une superficie de 44 ha entre Ae Ac et Ak Ah seront classées en zone de protection et feront l’objet d’opérations de reboisement et d’aménagements paysagers ;
Que l’article 7 du même texte précise que pour la sauvegarde de la vocation de cette zone, les titres d’occupation précaires et révocables qui y sont concédés seront annulés et ceux concédant des droits réels feront l’objet d’un retrait pour cause d’utilité
Considérant que les dispositions du décret de déclassement étant compatibles aux exigences des traités internationaux invoqués, le requérant n’établit pas la violation des articles 5 et 7 visés au moyen par l’acte attaqué :
Qu'il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé :
Par ces motifs
Rejette le recours de l’association Action pour la Justice environnementale (AJE) contre le décret n°2023-813 du 5 avril 2023 approuvant et rendant exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de la bande de Yeumbeul-Nord, Ad, Ak Ah, déclassant une partie de la zone couverte par le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) d’une superficie de 826 ha, prescrivant l’immatriculation au nom de l’Etat des sites non encore immatriculés situés dans la zone déclassée et créant les zones d’Aménagement Concerté (ZAC) de Ak Ah et de Keur Massar ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la deuxième chambre administrative
de la Cour suprême, en son audience publique de vacations tenue les jour, mois et
an que dessus et où étaient présents :
Oumar Gaye, président,
Ibrahima Sambe, Aïssatou Diallo Ba, Idrissa Sow, Fatou Faye Lecor Diop,
conseillers,
Oumar Guèye, avocat général ;
Matar Saloum Camara, greffier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, les conseillers et le greffier
Le président
Oumar Gaye
Les conseillers :
Ibrahima Sambe Aïssatou Diallo Ba
Idrissa Sow Fatou Faye Lecor Diop
Le greffier
Matar Saloum Camara