Se fondant sur le non-paiement des loyers, le bailleur sollicite et obtient la résiliation judiciaire du bail. Estimant avoir rempli toutes ses obligations, le preneur interjette appel. Le propriétaire des locaux intervient alors pour dénier au bailleur tout pouvoir pour conclure le bail et sollicite la nullité du contrat. Selon la Cour, le propriétaire qui, même en l’absence de procuration ou de mandat, perçoit directement des mains de sa sœur les loyers de son immeuble donné à bail par celle-ci, selon les conditions de conclusion, le montant des loyers et mode de paiement fixés par elle et approuvés par lui, n’est pas étranger au bail litigieux. Dès lors, son action tendant à faire déclarer que le bail ne lui est pas opposable et obtenir l’expulsion du locataire ne peut prospérer (1).
Doit être infirmé, le jugement qui a prononcé la résiliation du bail et ordonné l’expulsion du locataire alors que celui-ci, preuve à l’appui, démontre avoir apuré sa dette et les loyers échus (2).
ARTICLE 101 AUDCG
Cour d’appel de Lomé, arrêt n° 017/2009 du 03 février 2009, AYIGAN A. Ad / Dame B Ab épouse X et A Ac.
La Cour ;
Ouï les conseils des parties en leurs déclarations et conclusions respectives ;
Le Ministre Public entendu ;
Vu le jugement N°1348/2003 rendu le 29 Août 2003 par le Tribunal de Première Instance de Lomé ;
Vu l’appel interjeté ensemble avec les pièces du dossier de la procédure ;
Vu le rapport du conseiller ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
En la Forme :
Attendu que l’appel interjeté le 24 Mai 2004 par la sieur C Aa Ad, assisté
de Me AQUEREBURU, Avocat à la cour, contre le jugement N°1348 rendu le 29 Août 2003 par le Tribunal de Première Instance de Lomé est recevable pour avoir été formé dans les forme et délai de la loi ;
Attendu que la tierce intervention du sieur A Ac a été faite dans les formes et délai de la loi ; qu’il échet de la recevoir ;
Au Fond :
Attendu que l’appelant fait grief au jugement entrepris d’avoir prononcé la résiliation du bail conclu le 1er Septembre 1999 entre dame Ab B et lui ;
Attendu que pour soutenir son action l’appelant expose qu’il a reçu à bail de l’intimée pour une durée de 20 ans un immeuble non bâti, objet du lot N° 2033 sis à Lomé Hédzranowoé, contre une redevance mensuelle de Vingt Mille ( 20 000 F) CFA payable trimestriellement ;
Que ledit contrat stipule en son article 1er que « le preneur s’oblige à édifier ou faire édifier sur le terrain présentement loué des constructions laissées au gré du preneur… » ; Que déférant à ces dispositions il a élevé sur ledit immeuble des bâtiments à usage scolaire ;
Attendu qu’il souligne qu’il a toujours et de façon régulière payé les loyers ; que malgré sa volonté de respecter scrupuleusement les termes du contrat il a été confronté à des difficultés financières au point d’accuser parfois des retards dans le payement des loyers ; que toutefois il s’est toujours évertué dans l’intérêt des élèves à payer ses dettes à la bailleresse en cas de « retour à meilleure fortune » ; que curieusement et contre toute attente, l’intimée lui a signifié par exploit d’huissier en date du 17 Juillet 2002 le contrat de bail avec commandement d’avoir à lui payer la somme de 480 000 F CFA , somme que selon les termes du commandement représenterait le montant en principal des arriérés de loyers de Juin 2000 à Mai 2002 majoré des frais de poursuites, de recouvrement et du coût de l’exploit ; soit au total 577 000 FCFA et ce à peine d’expulsion ; que joignant l’acte à la parole, l’intimée l’a attrait par devant le Tribunal de Lomé le 25 Juin 2002 pour s’entendre d’une part : résilier le contrat de bail du 1er Septembre 1999, ordonner son expulsion par la force publique en cas de résistance et le condamner d’autre part à 500 000 FCFA à titre de dommages intérêts ainsi que l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant les voies de recours ;
Attendu qu’il précise que par un autre exploit en date du 02 Août 2002 l’intimée lui a donné avenir à comparaître à l’audience du 13 Août 2002 ; que pour régler à l’amiable leur différend il a par l’intermédiaire de son conseil et par lettre en date de 07 Août 2002 offert un calendrier de règlement de sa dette à l’intimée ; qu’en dépit de cet engagement , le frère de l’intimée du nom d’A Ac se disant propriétaire des lieux litigieux lui a délaissé une sommation de laisser les lieux et ce en méconnaissance de toutes les procédures initiées par l’intimée ; que l’intervention de ce dernier illustre bien la volonté de l’intimée et d’autres personnes étrangères au contrat de l’évincer des lieux en se fondant la première sur l’article 101 de l’Acte Uniforme de l’OHADA et les autres sur le fait que les lieux étaient donnés à bail sans leur accord ;
Attendu qu’il précise que c’est dans ces circonstances que le premier Juge a par défaut rendu la décision entreprise ;
Attendu qu’il souligne que c’est à tort et à travers que le premier Juge a prononcé la réalisation du bail en se fondant sur les dispositions de l’article 101 de l’Acte Uniforme ; qu’en effet ledit article règle la situation des baux ruraux ; or en l’espèce il s’agit d’un bail de terrain avec obligation pour le preneur d’ériger des constructions à usage scolaire ; qu’aux termes de l’article 4 du contrat litigieux, il est dit que : « les constructions édifiées et les travaux et aménagement effectués par le preneur resteront sa propriété et celle de ses ayants cause pendant la durée de bail à construction » ; qu’on ne saurait au vu de ses dispositions résilier le contrat litigieux sans violer son droit de propriété sur les constructions surtout que le contrat précise qu’il ne peut ni être modifié, suspendu ou résilié avant son terme ni par les ascendants ni par les descendants ni par les collatéraux ;
Attendu que l’appelant fait observer en outre qu’il a honoré ses engagements en s’acquittant de tous les arriérés de redevances dues à l’intimée et paie normalement les encours ; qu’il résulte de ce qui précède que le premier juge n’est fondé ni en fait ni en droit pour prononcer la résiliation du bail litigieux ; que la décision du premier juge préjudicie à ses droits ; qu’il a mis son avoir et ses moyens au service de la nation en élevant à grands coûts des constructions sous la plus expresse autorisation de l’intimée ;
Attendu que pour finir, l’appelant souligne que le premier juge en le condamnant à 500 000 F CFA de dommages intérêts a erré, qu’il sollicite qu’il plaise à la cour infirmer le jugement entrepris et sollicite reconventionnellement la condamnation de l’intimée à lui payer la somme de 4 000 000 F CFA pour procédure vexatoire ;
Attendu que par conclusions en date du 19 Juin 2005 le sieur A Ac, assisté de Me DOSSOU, intervenant volontairement dans la présente procédure expose qu’il est propriétaire du terrain que l’intimée a donné à bail à l’appelant en l’espèce ; qu’il a un plus grand intérêt à intervenir dans la présente instance pour sauvegarder ses droits ; qu’en effet, l’intimée n’est pas propriétaire du terrain litigieux ; qu’elle est certes sa sœur ; que toutefois elle ne détient pas de procuration de sa part à l’effet de louer le terrain litigieux ; que tous les titres de propriété relatifs audit terrain sont en son nom ; qu’il résulte de ce contrat que l’appelant et l’intimée ont fait un contrat portant sur la chose d’autrui sans qu’il ait donné de procuration ou de mandat à qui que ce soit, qu’un contrat ne pouvant pas lier que les parties contractantes, il sollicite qu’il plaise à la cour de céans, déclarer que le contrat de bail conclu entre l’appelant et l’intimée ne lui est pas opposable et d’ordonner l’expulsion pure et simple de l’appelant des lieux sous astreinte de 500 000 F CFA par jour de retard ;
Attendu que réagissant à cette intervention, l’appelant fait observer que le tiers intervenant est frère utérin de l’intimée ; qu’en soutenant n’avoir donné de procuration à personne pour conclure le bail litigieux , le tiers intervenant change d’attitude en désespoir de cause ; qu’il use de mauvaise foi ; qu’il ne peut prétendre ignorer l’existence du bail litigieux dont les fruits lui sont périodiquement versés par la diligence de l’intimée ( sa sœur) auprès du Cabinet de Me KLOUVI, Huissier de Justice ; que pour s’en convaincre il suffit de se référer à la lettre de l’intervenant volontaire du10 Juin 2001, adressée au concluant ; que par cette lettre, il approuvait le bail et ses conditions ; qu’ayant donné sa bénédiction au contrat conclu entre l’appelant et l’intimée ; l’intervenant ne peut plus remettre en cause ce bail ; qu’il sollicite qu’il plaise à la Cour débouter le tiers intervenant de l’ensemble de ses prétentions ;
Attendu que l’intimée réfute l’ensemble des allégations de l’appelant et fait valoir que
l’appelant contrairement à ses affirmations ne paie pas les loyers ; que c’est le non paiement des loyers échus par l’appelant qui l’a obligé à l’attraire devant le Tribunal ; que c’est à bon droit que le premier juge a prononcé la réalisation du bail intervenu entre l’intimée et l’appelant ; que depuis le prononcé du jugement entrepris, l’appelant ne s’est toujours pas exécuté en payant les loyers échus ; qu’il sollicite la confirmation pure et simple du jugement entrepris ;
Attendu qu’il conclut d’autre part qu’il n’existe pas un bail à construction laissé à la discrétion du preneur ; qu’il s’agissait en l’espèce d’un bail commercial ; que c’est donc à bon droit que le premier juge a jugé comme il l’a fait car s’il avait été question d’un bail à construction, les locaux à construire auraient été précisés en leur nombre et coût ;
Attendu d’abord sur l’intervention volontaire du sieur B Ac ; que l’action de ce dernier tend à faire déclarer nul le bail intervenu entre l’intimée et l’appelant au motif que ce bail porte sur son bien et qu’il n’a pas donné procuration ou de mandat pour conclure ledit bail ;
Attendu que cet argument ne saurait prospérer ; que d’une part il ne nie pas que les loyers de ce bail lui sont directement versés par l’intimée ( sa sœur utérine) par la diligence d’un huissier en la personne de Me KLOUVI ; que d’autre part et même en l’absence de procuration ou mandat donné à sa sœur le contenu de sa lettre datée de Bamako le 10 Juin 2001 et adressée à l’appelant témoigne à suffisance qu’il était consentant pour le bail et était en parfait accord avec sa sœur sur les conditions de conclusion du bail et sur le montant des loyers de même que sur leur mode de paiement ; qu’il résulte de ce qui précède que le tiers intervenant n’est pas de bonne foi ; qu’il n’est pas étranger au bail litigieux ; qu’au vu des pièces jointes c’est même avec sa bénédiction que le bail litigieux a été conclu entre sa sœur et l’appelant ;
Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que l’intervention volontaire du sieur AMOUZOUGAN n’est pas fondée ; qu’il échet de l’en débouter ;
Attendu sur la résiliation du bail, que c’est à tort que le premier Juge l’a prononcée; qu’en effet il résulte des pièces du dossier et notamment des reçus de versement des loyers versés au dossier qu’à ce jour, l’appelant a apuré et sa dette et tous les loyers échus ; que le montant total des arriérés des loyers a été versé, que la preuve des paiements est faite par les reçus délivrés à l’appelant par le Greffier en Chef de la Cour d’appel de céans et versés au dossier de la présente procédure ; qu’il résulte de ce qui précède , que c’est donc à tort que le premier juge a prononcé la résiliation du bail litigieux et ordonné l’expulsion de l’appelant ; que sa décision mérite la censure de la Cour ;
Attendu que l’attitude de l’intimée et de l’intervenant volontaire cause un préjudice certain à l’appelant ; que sa demande de dommages intérêts est fondé dans son principe mais exagérée dans son quantum ; que la Cour entend le fixer à 200 000 f CFA ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, conditionnement, en matière civile et en appel ;
En la Forme :
Reçoit l’appel ; Reçoit également l’intervention volontaire du sieur A Ac ;
Au Fond : Dit l’intervention volontaire mal fondée ; En conséquence déboute le tiers intervenant de ses prétentions ; Dit par contre l’appel fondé ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
STATUANT A NOUVEAU - Dit et juge valable le contrat de bail conclu entre l’appelant et l’intimée ; Ordonne le maintien de l’appelant ainsi que tous occupants de son chef dans les lieux jusqu'à expiration du contrat de bail litigieux conformément aux dispositions de l’article 101 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général; - Condamne solidairement l’intimée et l’intervenant volontaire à servir à l’appelant deux cent mille (200 000 F) CFA à titre de dommages intérêts ; - Enjoint au Greffier en Chef près la Cour d’appel de céans de restituer à l’intimée les loyers consignés chez lui par l’appelant ; - Condamne l’intimée et l’intervenant volontaire aux entiers dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé, les jour, mois et an que dessus ;
Et ont signé le Président et le Greffier. /