COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRET N°025/16 DU 17 MARS 2016
Audience publique ordinaire du jeudi 17 mars 2016
Pourvoi : n°129/RS/12 du 13 août 2012
Affaire : MINISTERE PUBLIC
et les Ayants droit de B Aa
(Me DOGBEAVOU)
contre
X Ae Ad
C (Ab A, AMETSIPE-KOFFIGOH, ABI et EKON)
La décision d’appel fondée sur des motifs dubitatifs contrarie l’article 9 de l’ordonnance n°78/35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire. Elle encourt cassation et annulation pour défaut de motifs.
A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour à Lomé, le jeudi dix-sept mars deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :
Etaient présents :
Messieurs
ABDOULAYE
PRESIDENT
ADI-KPAKPABIA
SAMTA
MEMBRES
DEGBOVI
LOXOGA
AZANLEDJI
M. P.
Et Maître
ATCHOLADI
GREFFIER
LA COUR
Sur le rapport de monsieur Koffi DEGBOVI, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ;
Vu l’arrêt n°14/2012 rendu en matière pénale le 9 août 2012 par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Lomé ;
Vu la requête à fin de pourvoi de maître Sédjro DOGBEAVOU, avocat à la Cour à Lomé, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Vu le mémoire en réponse de maître APEVON, conseil du défendeur au pourvoi ;
Vu le mémoire en réponse de maître AMETSIPE-KOFFIGOH, conseil du défendeur au pourvoi ;
Nul pour maître Tchessa ABI, absent et non représenté, conseil du défendeur au pourvoi ;
Vu les conclusions écrites de monsieur le troisième avocat général près la Cour suprême ;
Vu les autres pièces de la procédure ;
Vu la loi organique n°97-05 du 06 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême ;
Ouï le conseiller Koffi DEGBOVI en son rapport ;
Ouï maître SALLAH, représentant la SCP DOGBEAVOU, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Ouï maître AMETSIPE-KOFFIGOH, conseil du défendeur au pourvoi ;
Nul pour maître APEVON, ABI et EKON, tous trois absents et non représentés, conseils du défendeur au pourvoi ;
Le Ministère public entendu ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant en matière pénale, sur le pourvoi formé le 10 août 2012 par la SCP DOGBEAVOU et ASSOCIES, agissant au nom et pour le compte des ayants-droit de feue B Aa, partie civile dans la procédure pénale suivie contre le nommé X Ae Ad, prévenu d’homicide involontaire contre l’arrêt n°14/2012 rendu le 9 août 2012 par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Lomé, lequel arrêt a confirmé le jugement avant-dire-droit n°1758/bis/11 du tribunal de première instance de Lomé qui a rejeté l’exception d’incompétence soulevée devant lui et s’est déclaré compétent pour connaître de l’affaire ;
EN LA FORME
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les éléments du dossier, que le 25 avril 2010, le nommé X Ae Ad, officier de l’armée togolaise, s’est bagarré avec feu B Aa, son ex-compagne et mère de sa fille prénommée Lanhèziè, âgée de 3 ans à l’époque des faits ; que la bagarre s’est produite au moment où ledit officier s’apprêtait à restituer l’enfant à la défunte, après une promenade ; que dans la foulée, feu B Aa s’est mise à courir dans l’obscurité, son enfant dans les bras, pour s’éloigner de son ex-concubin et est tombée, avec l’enfant dans un puits dont elle a été repêchée morte ; que le sieur X fut poursuivi et inculpé pour homicide involontaire. Que devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Lomé où il comparaissait pour répondre des faits d’homicide qui lui étaient reprochés, une exception d’incompétence fut soulevée par les conseils des ayants-droit de la victime au motif que les faits ont une nature criminelle ; que le tribunal a rendu le jugement avant-dire-droit n°1785/bis/11 du 30 novembre 2011 par lequel il a retenu sa compétence ; que la partie civile a aussitôt interjeté appel dudit jugement devant la Cour d’appel de Lomé qui, par arrêt n°14/2012 en date du 9 août 2012, a confirmé ledit jugement ; que le présent pourvoi est dirigé contre ledit arrêt et articulé en trois moyens ;
Sur le troisième moyen tiré de la violation de l’article 9 de l’ordonnance n°78/35 du 7 septembre 1978 portant organisation judiciaire, constitutive d’une erreur de motif équivalent à un défaut de motif ;
Attendu qu’il est de principe que les juges ne peuvent décider sur la base de motifs dubitatifs sans faire encourir cassation à leurs décisions pour défaut de motif au sens de l’article 9 de l’ordonnance n°78-35 du 7 septembre 1978 susvisé, qui dispose que « les jugements et arrêts doivent être motivés à peine de nullité… » ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir adopté le motif selon lequel il est peu probable que le prévenu, qui est un militaire, puisse monter dans sa voiture avant de poursuivre sa femme qui apparemment ne devrait pas être une sportive particulièrement rapide ; que les demandeurs estiment qu’il s’agit là d’un motif dubitatif et que la Cour devrait entendre les témoins avant de prendre sa décision plutôt que d’ajouter aux faits des éléments extérieurs, marquant de motiver sa décision qui, de ce fait, encourt cassation ;
Attendu que pour confirmer le jugement ayant retenu la compétence de la chambre correctionnelle du tribunal de Lomé, l’arrêt attaqué a énoncé qu’il y a lieu de dire qu’il est peu probable que le prévenu, qui est un militaire, puisse monter dans sa voiture avant de poursuivre sa femme qui apparemment ne devrait pas être une sportive particulièrement rapide alors que l’expression « il est peu probable » ne traduit pas une certitude mais plutôt un doute ;
Attendu que les faits sur lesquels repose la motivation ne peuvent se confirmer qu’à l’issue des débats au fond, exigeant qu’au préalable l’exception d’incompétence soit jointe au fond, ce que le premier juge a manqué de faire ; que le motif critiqué est dubitatif ; que c’est à bon droit que le moyen a relevé ce grief constitutif d’un défaut de motif et emportant cassation de l’arrêt attaqué ;
Vu l’article 234 du code de procédure civile ;
Attendu que conformément aux dispositions de l’article 234 du code de procédure civile, si la Cour retient l’un des moyens invoqués, elle n’a pas à statuer sur les autres moyens dès lors que le moyen retenu entraine cassation ;
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi est fondé en son troisième moyen ; qu’il y a lieu de casser l’arrêt attaqué, de renvoyer cause et parties devant la Cour d’appel de Lomé autrement composée, d’ordonner la restitution de la taxe du pourvoi aux demandeurs et de condamner le défendeur aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement en matière pénale et en état de cassation ;
EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ;
AU FOND
Le déclare fondé ;
Casse et annule l’arrêt attaqué en toutes ses dispositions ;
Renvoie cause et parties devant la Cour d’appel de Lomé autrement composée pour y être à nouveau statué conformément à la loi ;
Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi aux demandeurs ;
Condamne le défendeur aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de l’arrêt critiqué ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi dix-sept mars deux mille seize (17-03-16) et à laquelle siégeaient :
Monsieur Bawa Yaya ABDOULAYE, président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ;
Messieurs Essozinam ADI-KPAKPABIA, Badjona SAMTA, Koffi DEGBOVI et Kuma LOXOGA, tous quatre, conseillers à ladite chambre, MEMBRES ;
En présence de madame Y Ac Af, premier avocat général près la Cour suprême ;
Et avec l’assistance de maître Awié ATCHOLADI, attaché d’administration, greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier./.