COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRET N°029/16 DU 17 MARS 2016
Audience publique ordinaire du jeudi 17 mars 2016
Pourvoi : N°78/RS/15 du 9 juin 2015
Affaire : - Société Industrielle de Colles et Peintures (SICOLEP) SARL
représentée par sieur Ae Ab B,
(Maître KANMANPENE)
- Intervenant forcé :
Etat togolais, Ministère de l’Industrie et des Innovations Technologiques
(Maître TCHALIM)
Contre
Sieur Ac Z
Af A,
Liquidation de la Togolaise de l’Industrie Métallurgique (TIM))
représentée par sieur Ac Z
(Maître Edah N’DJELLE)
Viole les dispositions de l’article 46 du code de procédure civile, le juge d’appel qui statue sur un litige né du contrat conclu sur le maintien de la qualification de bail commercial donnée audit contrat par les parties, alors que tout contrat conclu par 1’Etat, portant sur le domaine public et comportant des clauses exorbitantes de droit commun, est un contrat administratif dont les litiges doivent être connus de la juridiction administrative.
A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de la Cour à Lomé, le jeudi dix-sept mars deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :
Etaient présents :
Messieurs
BASSAH
PRESIDENT
KODA
ADI-KPAKPABIA
MEMBRES
AI
C
AH
M. P.
Et Maître
ATCHOLADI
GREFFIER
LA COUR
Sur le rapport de monsieur Koffi KODA, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ;
Vu l’arrêt n°124/15 du 1er avril 2015 rendu par la Cour d’appel de Lomé ;
Vu la requête afin de pourvoi de maître Blaise KANMANPENE, avocat à la Cour à Lomé, conseil de la demanderesse au pourvoi ;
Vu les mémoires en réponse de maîtres X et N’DJELLE, tous deux avocats à la Cour à Lomé, respectivement conseil de l’Etat togolais et conseil des défendeurs au pourvoi ;
Vu le mémoire en réplique de maître Blaise KANMANPENE, avocat à la Cour à Lomé, conseil de la demanderesse au pourvoi ;
Vu les conclusions écrites de monsieur le procureur général près la Cour suprême ;
Vu les autres pièces de la procédure ;
Vu la loi organique n°97-05 du 06 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ;
Ouï le conseiller Koffi KODA en son rapport ;
Ouï Y KANMANPENE, conseil de la demanderesse au pourvoi ;
Ouï maître WOANA-TCHALIM, substituant maître Tchitchao TCHALIM, conseil de l’Etat togolais ;
Ouï maître DOURMA Marwanya, substituant maître N’DJELLE, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Le Ministère public entendu ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant en matière civile et en état de cassation sur le pourvoi formé le 9 juin 2015 par maître Blaise KANMANPENE, avocat à la Cour à Lomé, agissant au nom et pour le compte de la Société Industrielle de Colles et Peintures (SICOLEP) SARL, représentée par le sieur Ae Ab B, contre l’arrêt n°124/15 rendu le 1er avril 2015 par la Cour d’appel de Lomé qui a confirmé l’ordonnance de référé n°534 en date du 22 juin 2010 par laquelle le président du tribunal de Lomé a prononcé l’expulsion des demandeurs au pourvoi des lieux litigieux ;
EN LA FORME
Attendu que tous les actes de procédures ont été faits dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu de recevoir le pourvoi ;
AU FOND
Sur la première branche du premier moyen
Vu l’article 46 du code de procédure civile ;
Attendu que « Le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, nonobstant la dénomination que les parties en auraient proposée et peut relever d’office les moyens de pur droit… » ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les éléments du dossier, que suivant exploit d’huissier en date du 30 avril 2010, la faillite EURAF-GMC et la liquidation des biens de la Société togolaise de l’industrie métallurgique (TIM) S.A., toutes deux prises en la personne du sieur Ac Z, syndic et administrateur judiciaire près la Cour d’appel de Lomé, ont fait donner assignation aux Etablissements GARCIAS-TOGO et au sieur Ad Ag AG, gérant desdits établissements, à comparaître par devant le président du tribunal de première instance de Lomé pour venir s’entendre ordonner l’expulsion des requis des lieux qu’ils occupent sans titre ni droit ainsi que de tous occupants de leur chef ;
Qu’au soutien de leur action, les requérants ont exposé qu’ils ont depuis 1990, bénéficié de l’attribution par le ministère de l’industrie, de l’artisanat et des innovations technologiques, d’une parcelle de terrain dans le domaine de l’ex Centre National de Perfectionnement des Petites et Moyennes Entreprises (CNNPPME) ; que curieusement, ces derniers temps, des individus sans titre ni droit posent des actes d’occupation de leur parcelle en y entreposant des sacs de café et de cacao ; que sommés de déguerpir, les requis déclarent avoir bénéficié d’un bail à eux consenti par la société IPCT le 23 juin 2008 ; or, disent les requérants, la société IPCT est déclarée en liquidation judiciaire par jugement n°517 du 19 mai 1995 ;
Qu’en réaction, les requis ont soutenu que l’Etat togolais a attribué le domaine à la société EURAF-GMC qui a sous loué une partie du terrain à la société IPCT ; que cette dernière à son tour, a loué aux établissements GRACIAS-TOGO la parcelle par eux occupée ; que le bail au titre duquel ils occupent les lieux ayant été consenti par une entité autre que celles en liquidation, les requérants peuvent tout au plus demander les loyers de la sous-location et ne sauraient faire expulser les requis ;
Que par ordonnance de référé n°534 en date du 22 juin 2010, le président du tribunal de Lomé a prononcé l’expulsion immédiate des requis des lieux litigieux ; que cette ordonnance a été confirmée par l’arrêt n°101 rendu le 3 mai 2011 par la Cour d’appel de Lomé ; que sur tierce opposition de la SICOLEP SARL, la Cour d’appel a, suivant l’arrêt n°124/15 rendu le 1er avril 2015, confirmé son arrêt n°101 susvisé ;
Attendu que pour qualifier de bail commercial, le contrat qui liait le ministère de l’industrie et des sociétés d’Etat aux faillites EURAF-GMC et TIM SA, la Cour d’appel retient que « l’article 103 de l’acte uniforme de l’OHADA portant droit commercial général dispose : « Est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du présent titre, et une personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle » ; que ce texte qui consacre l’appellation « bail à usage professionnel » à la place de celle antérieure de « bail commercial », crée une véritable présomption légale de bail à usage professionnel dès lors qu’une activité commerciale, artisanale, industrielle ou professionnelle est exploitée dans les lieux loués ; que la jurisprudence, loin d’exiger l’intitulé « bail commercial » ou une référence à ce terme pour reconnaître la nature commerciale du bail comme semble l’affirmer le conseil des tiers opposants, permet de se référer aux statuts de la société preneuse, à son objet social et non seulement aux clauses du bail pour en déterminer la nature ; qu’en l’espèce, ni l’activité industrielle des sociétés défenderesses à la tierce opposition, ni la qualité de propriétaire du domaine de l’Etat percevant des loyers, ne sont contestés ; qu’il s’ensuit que le bail dont elles sont bénéficiaires est un bail à usage professionnel relevant des dispositions de l’acte uniforme de l’OHADA portant droit commercial général comme le prévoit l’article 101 du même texte » ;
Attendu qu’en statuant ainsi alors :
Qu’il est de jurisprudence constante que le contrat conclu par l’Etat et portant sur le domaine public est par nature un contrat administratif ;
Qu’en l’espèce, le procès-verbal dit d’attribution d’une parcelle de terrain pour l’installation d’une usine d’emballages métalliques dans le domaine industriel de Lomé signé en 1990 entre l’Etat togolais et la société EURAF-GMC porte sur un domaine public ;
Que le procès-verbal d’attribution est accompagné d’un cahier des charges contenant des clauses exorbitantes de droit commun tel que la possibilité pour l’Etat de retirer l’autorisation pour cause d’utilité publique ;
Que tout contrat conclu avec l’Etat et composant des clauses exorbitantes de droit commun est un contrat administratif dont les litiges afférents relèvent des juridictions administratives ;
Qu’à cet effet, le cahier des charges renvoie tout litige éventuel à la juridiction administrative ;
la Cour d’appel a violé l’article 46 du code de procédure civile ; que son arrêt encourt cassation de ce chef ;
Attendu qu’aux termes de l’article 234 alinéa 2 du code de procédure civile : « Si la Cour retient l’un des moyens invoqués, elle n’a pas à statuer sur les autres moyens dès lors que le moyen retenu entraîne cassation » ;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement en matière civile et en état de cassation ;
EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ;
AU FOND
Casse et annule l’arrêt n°124 rendu le 1er avril 2015 par la Cour d’appel de Lomé ;
Renvoie cause et parties devant la même juridiction autrement composée pour qu’il soit, par elle, statué à nouveau conformément à la loi ;
Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi aux demandeurs au pourvoi ;
Condamne les défendeurs au pourvoi aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi dix-sept mars deux mille seize (17-03-2016) et à laquelle siégeaient :
Monsieur Agbenyo Koffi BASSAH, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ;
Messieurs Koffi KODA, Essozinam ADI-KPAKPABIA, Gbèboumey Ananou Galley EDORH et Koffi DEGBOVI, tous quatre, conseillers à ladite chambre, MEMBRES ;
En présence de madame AJ Aa Ah, premier avocat général près la Cour suprême ;
Et avec l’assistance de maître Awié ATCHOLADI, attaché d’administration, greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier./.