COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRET N°048/16 DU 19 MAI 2016
Audience publique ordinaire du jeudi 19 mai 2016
Pourvoi : n°55/RS/11 du 28 avril 2011
AffaiBe : Ak Ab Ai
Ak An Aj
contre
Ak Ac Al
X Af Ah
Encourt cassation et annulation, l’arrêt de la Cour d’appel qui confirme le droit de propriété d’un héritier sur un immeuble indivis alors que l’acte de donation dont celui-ci se prévaut à l’égard de ses cohéritiers, a été pris en violation des dispositions de l’article 844 du code civil.
A l’audience de la chambre judiciaire de la Cour suprême du Togo, tenue au siège de la Cour, le jeudi dix-neuf mai deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :
Etaient présents :
Messieurs
BASSAH
PRESIDENT
ADI-KPAKPABIA
SAMTA
MEMBRES
C
Y
A
M. P.
Et Maître
AGBEMADON
GREFFIER
LA COUR
Sur le rapport de monsieur Kuma LOXOGA, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême;
Vu l’arrêt n°139/10 du 29 juillet 2010 par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé ;
Vu la requête à fin de pourvoi de maître AFANGBEDJI, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Vu le mémoire en réponse de maître AHYEE, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Vu les conclusions écrites de monsieur le deuxième avocat général près la Cour suprême ;
Vu les autres pièces de la procédure ;
Vu la loi organique n°97-05 du 06 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ;
Ouï le conseiller LOXOGA en son rapport ;
Nul pour les conseils des parties, absents et non représentés ;
Le Ministère public entendu ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant en matière civile et en état de cassation sur le pourvoi formé le 28 avril 2011 par maître Jil-Bénoît AFANGBEDJI, avocat à la Cour à Lomé, agissant au nom et pour le compte des nommés Ak Ab Ai et Ak An Aj, contre l’arrêt n°139/10 rendu le 29 juillet 2010 par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé qui a confirmé, en toutes ses dispositions, le jugement n°967/2004 du 28 mai 2004 rendu par le tribunal de première instance de Lomé, lequel avait confirmé le droit de propriété du sieur Ac Al Ak sur l’immeuble litigieux ;
EN LA FORME
Attendu que tous les actes de la procédure ont été fait et produits dans les forme et délai de la loi ; qu’il suit que le pourvoi est recevable ;
AU FOND
Attendu que, des énonciations de l’arrêt confirmatif attaqué et d’autres éléments du dossier, il ressort que suivant exploit en date du 19 mai 2003, les nommées Ak Ab Ai, Ak An Ag et Ak Ao Ag ont attrait par-devant le tribunal de première instance de Lomé, le sieur Ak Ac Ag Al pour s’entendre déclarer indivise la maison sise à Lomé Cocoteraie Pa de SOUZA, 210 rue des Rameaux, objet du titre foncier n°8136 RT, appartenant à leur mère Ak Aa Ad, décédée ab intestat le 7 novembre 1989 ; qu’au soutien de leur action, les requérants exposent qu’ils sont cohéritiers avec leur frère requis de la maison dont s’agit sur laquelle ce dernier élève des velléités de propriété exclusive en se prévalant d’une donation que lui aurait faite leur mère ; que si cette donation existe, elle est nulle et de nullité publique et ne saurait en conséquence, lui conférer un quelconque droit de propriété sur l’immeuble indivis ; que, résistant à l’action de ses frères, le sieur Ak Ac Ag Al allègue qu’il est propriétaire exclusif de l’immeuble querellé par voie de donation de sa mère, feue Aa Ad Am Z épouse Ak, de son vivant, et ce, par acte authentique, et qu’il a fait établir sur ledit immeuble un titre foncier n° 8136 RT en son nom qui en fait foi ; que ses frères étant des tiers, leur action lui cause un trouble de fait qui le gène dans la jouissance de l’immeuble dont il est légalement propriétaire, et un trouble de droit au regard de la loi en ce que la donation à lui faite a toujours valeur juridique et constitue un droit réel de sorte que l’action des tiers demandeurs doit être déclarée irrecevable et que ces derniers ainsi que tous occupants de leur chef soient expulsés de corps et de biens de l’immeuble litigieux ;
Que, par jugement n°967/2004 du 28 mai 2004, le tribunal de première instance de Lomé a débouté les requérants de toutes leurs demandes, fins et conclusions et, reconventionnellement, a confirmé le droit de propriété du sieur Ac Al Ak sur l’immeuble en cause ;
Que, statuant sur les mérites de l’appel interjeté dudit jugement par les nommées Ak Ab Ai et Ak Ao Ag, la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé a, suivant l’arrêt dont pourvoi, confirmé en toutes ses dispositions, la décision du premier juge ;
Sur le premier moyen unique
Vu l’article 894 du code civil ;
Attendu qu’aux termes de cet article, « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l’accepte » ;
Attendu que les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt entrepris de n’avoir pas suffisamment caractérisé l’intention de feue Aa Ad Am Z de se dépouiller irrévocablement de la chose prétendument donnée au profit exclusif du sieur Ak Ac Al, en ce que, il n’y a absolument aucune raison que la donatrice, mère des cohéritiers, ait voulu délibérément déshériter tous ses enfants au bénéfice exclusif d’un seul d’entre eux ;
Attendu qu’il résulte du testament établi par-devant maître Amavi AYITE-HILLAH, notaire à Lomé le 3 juin 1975, que dame Aa Ad Am Z a fait donation entre vifs, par préciput et hors part au sieur Al Ac Ak, l’un de ses enfants, qui l’accepte expressément, de l’immeuble querellé d’une contenance totale de 6 ares 23 centiares, sis à Bè, Commune de Lomé, objet du titre foncier n°8136 de la République Togolaise ;
Attendu qu’il est constant que de par la date à laquelle il a été établi, le testament dont s’agit doit être régi par les dispositions du code civil applicable au Togo en matière successorale au moment des faits ; que conformément aux dispositions de l’article 844 de ce code, « les dons faits par préciput ou avec dispense de rapport ne peuvent être retenus ni legs réclamés par l’héritier venant à partage jusqu’à concurrence de la quotité disponible ; l’excédent est sujet à réduction » ; qu’au regard de ce texte, la donation par préciput et hors part suppose l’existence d’une masse successorale sur laquelle est prélevée le bien objet d’une telle donation et ce, à concurrence de la quotité disponible ;
Or, attendu qu’il est également constant et non contesté qu’aucun élément au dossier n’indique qu’il existe une masse successorale sur laquelle l’immeuble litigieux doit être prélevé au profit exclusif du défendeur au pourvoi et que, dès lors que c’est ce dernier qui oppose à ses cohéritiers, demandeurs au pourvoi, la donation contestée, il lui appartient de rapporter la preuve de l’existence de cette masse successorale ; qu’à défaut de cette preuve, la donation dont s’agit est purement et simplement une exhérédation des autres héritiers, alors qu’aucun cas d’indignité de succéder n’est relevé contre ces derniers à l’égard de leur feue mère, de son vivant ;
Attendu dès lors que l’intérêt en la présente cause est la question de savoir si feue Aa Ad Am Z, analphabète de son état, au moment de la conclusion de la donation en cause au profit exclusif du défendeur au pourvoi, avait l’intention et surtout la conscience de se dépouiller irrévocablement au point de déshériter les autres de ses cinq enfants ;
Attendu, de toute évidence, qu’il ressort des dispositions de l’article 745 du code civil que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leur père ou mère, aïeux, aïeules ou autres descendants sans distinction de sexe ni de primogéniture et encore qu’ils soient issus de différents mariages ou nés hors mariage ;
Ils succèdent par égales portions et par tête, quand ils sont tous au premier degré et appelés de leur chef. Ils succèdent par souche lorsqu’ils viennent tous ou en partie par représentation » ; que sans doute, ce texte consacre le principe d’égalité de la filiation ;
Attendu que si aux termes de l’article 893 du code, « on ne pourra disposer de ses biens à titre gratuit que par donation entre vifs ou par testament… » et que l’article 894 visé au moyen, précité, prescrit que par la donation entre vifs, le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée…, l’article 913 de ce code prévoit que « les libéralités soit par acte entre vifs, soit par testament ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant, le tiers s’il laisse deux enfants, le quart s’il en laisse trois ou un plus grand nombre », et que conformément à l’article 920 de ce même code « les dispositions soit entre vifs, soit à cause de mort, qui excéderont la quotité disponible seront réductibles à cette quotité lors de l’ouverture de la succession » ;
Attendu qu’au regard de ces dispositions pertinentes applicables en l’espèce, au-delà de toutes considérations d’ordre factuel, feue Aa Ad Am Z ne pouvait, en toute conscience, au moment des faits, conclure une telle donation portant sur son unique immeuble au bénéfice exclusif du défendeur au pourvoi, l’un de ses enfants, et ainsi exclure de sa succession les quatre autres héritiers ;
Attendu qu’il ne s’agit pas en l’espèce, de savoir si feue Aa Ad Am Z était, à l’époque de la donation litigieuse, saine d’esprit ou lucide ; que la signature du mari de la donatrice et celle du frère cadet du défendeur au pourvoi et fils de cette dernière ne sauraient servir de caution à l’exhérédation des autres héritiers au profit exclusif d’un seul, ni valider une donation manifestement illégale en ce qu’elle intervient en violation des textes en vigueur ;
Attendu dès lors qu’en prenant uniquement en compte l’intention de faire une donation de son immeuble au défendeur au pourvoi, alors qu’elle n’avait pas la conscience qu’en agissant ainsi elle enfreignait les dispositions du code civil en déshéritant ses autres enfants, la Cour d’appel de Lomé n’a pas conféré de base légale à sa décision ;
Qu’ainsi, le moyen unique est fondé et l’arrêt déféré encourt cassation ;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement en matière civile et en état de cassation ;
EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ;
AU FOND
Le dit fondé ;
En conséquence, casse et annule l’arrêt n°139/10 rendu le 29 juillet 2010 par la chambre civile de la Cour d’appel de Lomé ;
Renvoie cause et parties devant la même Cour autrement composée pour y être, à nouveau statué, conformément à la loi ;
Ordonne la restitution de la taxe du pourvoi ;
Condamne le défendeur au pourvoi aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi dix-neuf mai deux mille seize, à laquelle siégeaient :
Monsieur Koffi Agbenyo BASSAH, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ;
Messieurs Essozinam ADI-KPAKPABIA, Badjona SAMTA, Gbèboumey EDORH et Kuma LOXOGA, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ;
En présence de monsieur Ae A, troisième avocat général près la Cour suprême ;
Et avec l’assistance de maître Sassougan AGBEMADON-SEKPLA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier./.