COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRET N°062/16 DU 16 JUIN 2016
Audience publique ordinaire du jeudi 16 juin 2016
Pourvoi : n°52/RS/16 du 22 mars 2016
Affaire : Ministère public et les ayants-droit de AG Ab et AI Af
contre
X N’dah Koussithon
THAGOM Abdoul Latifou
(Maîtres François KOMBATE et Gilles Kokou ANANI)
La chambre judiciaire de la Cour suprême est compétente pour connaître des poursuites exercées contre des officiers de police judiciaire conformément à l’article 447 du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, lequel accorde aux officiers de police judiciaire un privilège de juridiction ; l’exception d’incompétence tirée de la violation de l’article 124 de la Constitution de la IVème République, des articles 5 du code pénal, 11 de la loi organique n°97-2005 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême doit en conséquence être rejetée.
Etaient présents :
Messieurs
ABDOULAYE
PRESIDENT
BASSAH
KODA
MEMBRES
A
AN
C
M. P.
Et Maître
ATCHOLADI
GREFFIER
LA COUR
Vu les pièces du dossier ;
Ouï les accusés en leurs réponses ;
Ouï les conseils François KOMBATE et Gilles Kokou ANANI en leurs demandes et plaidoiries au profit des accusés ;
Le Ministère public entendu ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant ordonnance de renvoi prise le 02 juin 2014 par le magistrat instructeur désigné, conformément à l’article 447 du code de procédure pénale, par ordonnance n°026/CAK/2013 de monsieur le président de la Cour d’appel de Ae à fin de conduire l’information dans la procédure ouverte contre les nommés Y AH et X N’dah Koussithon, inculpés respectivement d’homicide volontaire et de complicité d’homicide volontaire, détenus suivant mandats de dépôt en date du 25 avril 2013, les susnommés comparaissent par-devant la chambre judiciaire de la Cour suprême pour répondre des faits qui leur sont respectivement reprochés ;
Attendu que le nommé Y AH comparaît sous l’inculpation d’avoir à Koundjoaré, dans la préfecture de Kpendjal, le 13 octobre 2010, volontairement donné la mort aux nommés AG Ab et AI Af, faits prévus et punis par les articles 44 du code pénal du 13 août 1980, 1er et suivants de la loi n°2009-011 du 24 janvier 2009 relative à l’abolition de la peine de mort au Togo, tandis que le nommé X N’dah Koussithon comparaît sous l’inculpation d’avoir à Koundjoaré, dans la préfecture de Kpendjal, le 13 octobre 2010, sciemment provoqué à l’action en donnant au nommé Y AH des instructions pour commettre le crime d’homicide volontaire sur la personne de AG Ab qui lui est reproché, faits prévus et punis par les articles 13, 14 et 44 du code pénal du 13 août 1980, 1er et suivants de loi n°2009-011 du 24 janvier 2009 relative à l’abolition de la peine de mort au Togo ;
Attendu qu’il ressort des éléments du dossier que dans la matinée du 13 octobre 2010, à Koundjoaré, dans la préfecture de Kpendjal, suite à une affaire de dévastation de champ par des bœufs, une altercation eut lieu entre le sieur AG Ab, cultivateur de son état, et le nommé AL Aa, bouvier peuhl ; qu’au cours de cette altercations, AG Ab tira un coup de feu à l’aide de son fusil de chasse et AK AL Aa à la main ; que la brigade de gendarmerie de Mandouri fut aussitôt saisie par voie téléphonique ; qu’ainsi, le maréchal des logis chef X N’dah Koussithon et le maréchal des logis Y AH, en service à ladite brigade, à l’aide d’une motocyclette, se transportèrent sur les lieux où ils trouvèrent l’auteur du coup de feu, déjà maîtrisé par la population, qu’ils récupérèrent et menottèrent ; que Y le prit en croupe sur une motocyclette réquisitionnée sur place par X ; que sur le trajet retour, Y abattit le mis en cause à l’aide de son arme et prétend l’avoir fait en exécution des instructions de son chef hiérarchique AJ X ; qu’en représailles à cet homicide, les gourmantché, ethnie à laquelle appartient feu AG Ab, se déchainèrent contre les peuhls, saccageant leurs biens et incendiant leurs maisons ; qu’informés de ces actes de représailles, X et Y, auxquels se sont joints deux militaires appelés en renfort, décidèrent de se transporter sur les lieux ; que chemin faisant, ils furent encerclés par un groupe de personnes surexcitées, munies de toutes sortes d’armes blanche, qui refluaient des lieux des destructions ; qu’alors que les deux militaires s’étaient repliés et que les gendarmes étaient séparés, chacun tentant de calmer un groupe de manifestants, Y actionna à nouveau la gâchette de son arme et libéra deux munitions qui atteignirent mortellement le nommé AI Af, acte qu’il qualifie lui-même d’accident malheureux ;
Attendu que la saisine de la Cour de céans est faite conformément aux dispositions de l’article 447 du code de procédure pénale, en raison de la qualité d’officier de police judiciaire du nommé X N’dah Koussithon, maréchal des logis-chef, assumant les fonctions de commandant par intérim de la brigade de gendarmerie de Mandouri au moment des faits ;
SUR L’EXCEPTION D’INCOMPETENCE
Attendu que les conseils des accusés, maître Gilles K. ANANI et maître François KOMBATE, ont soulevé in limine litis l’incompétence de la Cour suprême, motif pris de ce que les poursuites, précédemment engagées devant le Cour d’assises de Ae qui s’est déclarée incompétente, le sont à présent devant la chambre judiciaire de la Cour suprême en violation de l’article 124 de la Constitution de la IVème République, des articles 5 du code pénal, 11 de la loi organique n°97-2005 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême ;
Attendu que conformément aux dispositions de l’article 332 alinéa 2 du code de procédure pénale, la Cour a joint cette exception au fond pour y statuer par un seul et même arrêt ;
Attendu que l’argument qui a servi de soutien à l’exception soulevée est que les textes susvisés font une énumération des matières dévolues à la chambre judiciaire de la Cour suprême sans mentionner les infractions commises par les officiers de police judiciaire et que, par conséquent, la Cour de céans doit se déclarer incompétente pour connaître des faits reprochés à Y et X, lesquels devraient recouvrer leur liberté faute de juridiction compétente pour les juger ;
Mais attendu que les poursuites ont été exercées conformément à l’article 447 du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, lequel accorde aux officiers de police judiciaire un privilège de juridiction en ces termes : « lorsqu’un préfet ou un sous-préfet, un maire, un officier de police judiciaire, un chef de canton ou de village sont susceptibles d’être inculpés d’un crime ou d’un délit, les règles applicables sont celles fixées par les articles précédents sous les réserves suivantes… » ; qu’au point 3 dudit article, il est précisé que : « le renvoi pour délit est effectué devant la chambre des appels correctionnels, le renvoi pour crime est effectué devant la chambre judiciaire de la Cour suprême » ; que ce code de procédure pénale, toujours en vigueur nonobstant les textes visés par les avocats de la défense, a pour vocation de déterminer la compétence des juridictions répressives et justifie, de ce fait, la compétence de la chambre judiciaire de la Cour suprême dans le cas d’espèce ; d’où il suit que l’exception n’est pas fondée et doit être rejetée ;
SUR L’ACTION PUBLIQUE
Attendu que les débats ont établi qu’il s’agit de deux évènements factuels, le premier relatif à la mort du nommé AG Ab et le second à celle de AI Af ; que le nommé Y est auteur des deux cas alors que le nommé X n’est concerné que par le second cas ; qu’ainsi la responsabilité du nommé Y sera appréciée par rapport aux deux meurtres et celle de X par rapport à la complicité du premier meurtre ;
Attendu que s’agissant de Y et par rapport au meurtre commis sur le nommé AG Ab, l’intéressé a reconnu formellement au cours de l’enquête préliminaire, de l’information et des débats devant la chambre judiciaire de la Cour de céans, la matérialité des faits à lui reprochés ; qu’il a en effet reconnu avoir tiré de sang froid sur la victime qui le suppliait de renoncer à l’acte, mais allègue l’ordre de son chef hiérarchique AJ X, lequel lui aurait demandé de s’arrêter en cours de trajet avant de lui intimer l’ordre d’abattre la victime conformément aux instructions qu’il aurait reçues d’un supérieur hiérarchique ; que, quelle qu’en ait été sa motivation, le meurtre est établi à son égard, de manière indiscutable ; qu’il y a lieu d’entrer en condamnation contre lui de ce chef ; que par rapport au meurtre commis contre AI Af, il est constant que deux munitions se sont libérées de son arme pour atteindre mortellement la victime ; qu’au cours des débats, il explique la situation par une négligence de sa part pour n’avoir pas mis son arme en position sécuritaire après le tir précédent ; que néanmoins, aucun élément du dossier ne corrobore la thèse d’accident soutenu par Y ; que pour établir sa culpabilité, il importe de prendre en compte le fait que les balles ont atteint une personne que Y a identifié comme sujet agité et menaçant et d’en déduire qu’il l’a particulièrement visé et abattu volontairement ; qu’il s’agit là aussi d’un meurtre délibérément commis par Y ; que sa responsabilité pénale ainsi établie pour cet homicide volontaire, il y a lieu d’entrer en condamnation contre lui de ce chef ;
Attendu que le Ministère public a requis contre Y une peine de 20 ans de réclusion criminelle ; que l’enquête sociale menée à son sujet établit qu’il est un délinquant primaire et qu’il a des charges familiales ; qu’il y a lieu de tenir compte de ces éléments et de lui accorder des circonstances atténuantes ;
Attendu qu’en outre, dans l’application de la sanction pénale à Y, il sera tenu compte de l’article 39 du nouveau code pénal dont les dispositions sont plus douces en matière de cumul d’infractions ainsi que des articles 1er et suivants de la loi n°2009-011 du 24 janvier 2009 relative à l’abolition de la peine de mort au Togo ;
Attendu que s’agissant de X, l’information a établi la constance des déclarations de Y faisant état de l’ordre donné par lui, son chef hiérarchique, d’éliminer physiquement GNANLI ; que pour tenter de démentir cette allégation, le sieur X n’apporte aucun élément de preuve ; que toutefois, il ressort des éléments du dossier et des débats que le meurtre a été commis au moment où les susnommés conduisaient la victime GNANLI à la brigade, donc en présence et sous la surveillance constante de X, qui n’a rien fait pour porter secours à la victime ni déplorer l’acte et livré son auteur à l’autorité compétente, mais qui a forgé des versions parfois changeantes pour tenter de se disculper, par des simulations que son subordonné, acteur principal, ne reconnaît pas ; qu’en se faisant féliciter par ses supérieurs hiérarchiques au lieu de livrer à ceux-ci le gendarme THAGOM qui venait de commettre un meurtre, tentant ainsi d’assurer à ce dernier une impunité, X n’a fait que confirmer sa complicité au regard de l’article 14 du code pénal en vigueur au moment des faits, lequel considère comme complices, non seulement ceux qui ont donné des instructions, mais aussi ceux qui ont soit procuré des moyens en vue de la préparation, de la commission de l’infraction, provoqué à l’action ou favorisé l’impunité des auteurs ou soit aidé ou assisté les auteurs dans les faits qui ont préparé, facilité ou consommé l’infraction ; qu’en l’espèce, le fait pour X d’avoir favorisé l’impunité de Y en ne le livrant pas à ses supérieurs hiérarchiques, constitue un acte de complicité ; que c’est en vain, qu’il tente de s’abriter derrière un scénario imaginaire que l’acteur principal ne confirme pas ; d’où il suit que la responsabilité de X est établie ; qu’il y a lieu d’entrer en condamnation contre lui de ce chef ;
Attendu que le Ministère public a requis contre X une peine de 20 ans de réclusion criminelle ; que l’enquête sociale menée à son sujet établit qu’il est un délinquant primaire et qu’il a des charges familiales ; qu’il y a lieu de tenir compte de ces éléments et de lui accorder des circonstances atténuantes ;
Attendu qu’en outre, dans l’application de la sanction pénale à X, il sera tenu compte de l’article 39 du nouveau code pénal dont les dispositions sont plus douces en matière de cumul d’infractions ainsi que des articles 1er et suivants de la loi n°2009-011 du 24 janvier 2009 relative à l’abolition de la peine de mort au Togo ;
SUR L’ACTION CIVILE
Attendu qu’au cours des débats, le sieur AI Ac s’est constitué partie civile au nom et pour le compte des ayants-droit de feu AI Af ; qu’il sollicite que Y AH soit condamné à lui payer la somme de 50 000 000 FCFA pour tous chefs de préjudice confondus ;
Attendu que cette constitution de partie civile est régulière en la forme et doit être déclarée recevable ;
Attendu que la demande de la partie civile est fondée dans son principe ; que toutefois, le montant sollicité est exagéré ; qu’il échet de le ramener à une proportion plus raisonnable, soit à la somme de 5 000 000 FCFA ;
Attendu que les ayants-droit de la victime AG Ab n’ont pas comparu bien qu’ayant été représentés au cours de l’information par le sieur B Ag ; qu’il a lieu de réserver leurs doits ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière pénale, en premier ressort et conformément à l’article 447 du code de procédure pénale ;
Sur l’exception d’incompétence
Déclare l’exception recevable en la forme mais la dit non fondée et la rejette ;
SUR LA RESPONSABILITE PENALE
Déclare le nommé Y AH coupable d’homicide volontaire sur la personne du nommé AG Ab ;
Le déclare également coupable d’homicide volontaire sur la personne du nommé AI Af ;
En répression, le condamne à 07 ans de réclusion criminelle ;
Déclare X N’dah Koussithon coupable de complicité d’homicide volontaire commis par Y AH sur la personne du nommé AG Ab ;
En répression, le condamne à 05 ans de réclusion criminelle ;
SUR L’ACTION CIVILE
Reçoit les ayants-droit de feu AI Af, représentés par sieur AI Ac, en leur constitution de partie civile ;
Condamne Y AH à leur payer, en réparation du préjudice subi, la somme de 5 000 000 FCFA ;
Réverse les droits des ayants-droit de feu AG Ab ;
Condamne Y AH et X N’dah Koussithon aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi seize juin deux mille seize (16-06-2016) et à laquelle siégeaient :
Monsieur Bawa Yaya ABDOULAYE, président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, EMPECHE ;
Messieurs Agbenyo Koffi BASSAH, conseiller le plus ancien de la composition, PRESIDENT, Koffi KODA, Koffi DEGBOVI et Kuma LOXOGA, tous quatre, conseillers à ladite Chambre, MEMBRES ;
En présence de madame Z Ad Ah, premier avocat général près la Cour suprême ;
Et avec l’assistance de maître Awié ATCHOLADI, attaché d’administration, greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et le greffier./.