COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE ARRET N°049/22 du 21 AVRIL 2022 _________ Pourvoi N°170/RS/2016 du 12 Août 2016 ___________ AFFAIRE
A Ae (Me A. DOVI-GNAWOTO)
C/
C Ad (Me François KOMBATE) ___________
PRESENTS: MM
BASSAH : PRESIDENT
KODA SAMTA MEMBRES LOXOGA AMOUSSOU-KOUETETE*
AZANLEDJI : M.P. ADJETE-AMLA : GREFFIER
REPUBLIQUE- TOGOLAISE Travail-Liberté-Patrie
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI VINGT-ET-UN AVRIL DEUX MILLE VINGT-DEUX (21/04/2022)
A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour, le jeudi vingt janvier deux mille vingt-deux, est intervenu l’arrêt suivant : LA COUR, Sur le rapport de monsieur Anani AMOUSSOU-KOUETETE, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ; Vu l’arrêt n°013/16 rendu le 12 janvier 2016 par la Cour d’appel de Lomé ; Vu la requête à fin de pourvoi de maître A. DOVI-GNAWOTO, conseil du demandeur au pourvoi ; Vu le mémoire en réponse de maître François KOMBATE, conseil du défendeur au pourvoi ; Vu les conclusions écrites de madame Ab M. B, premier avocat général près la Cour suprême ; Vu les autres pièces de la procédure ; Vu la loi organique n° 97-05 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n° 82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ; Ouï le conseiller Anani AMOUSSOU-KOUETETE en son rapport ; Nul pour les conseils des parties, absents et non représentés ;
Le ministère public entendu ; Et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant en matière civile et en état de cassation sur le pourvoi formé le 12 août 2016 par maître Thomas Amessuwo DOVI GNAWOTO, avocat au barreau du Togo, agissant au nom et pour le compte du sieur A Ae, contre l’arrêt N°013/2016 rendu le 12 janvier 2016 par la Cour d’appel de Aa, lequel arrêt a déclaré l’appel partiellement fondé et infirmé en conséquence le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré le sieur A Ae, propriétaire de l’ensemble du terrain querellé et, statuant à nouveau, a ordonné le partage dudit terrain en deux parts égales entre les parties qui devront recourir au service d’un expert géomètre en cas de désaccord sur les modalités pratiques dudit partage ; En la forme
Attendu que le pourvoi a été fait dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ; Au fond Attendu qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué et des éléments du dossier que suivant requête en date du 7 août 2014, le sieur C Ad a attrait le sieur A Ae par-devant le Tribunal de Dapaong pour voir confirmer son droit de propriété sur le terrain sis à Ac dans la préfecture de Tône, objet du litige qui les oppose, et voir ordonner la rétrocession d’une partie dudit terrain ; qu’alléguant avoir besoin de terres, le requérant qui veut reprendre une partie du domaine sur lequel son ancêtre, feu Nonongue, avait installé les ascendants du requis, soutient que leur installation ne peut qu’être précaire, ceux-ci étant des peuhls nomades ; que pour le requis A Ae, il prétend être propriétaire du terrain pour l’avoir hérité de ses parents, lesquels l’ont reçu depuis plus de cent (100) ans par voie de donation définitive du grand-père du requérant ; que le Tribunal de Dapaong a déclaré mal fondée la demande du requérant et a dit que le terrain litigieux est la propriété du requis A Ae ; que sur appel du sieur C Ad, la Cour d’appel de Aa a infirmé partiellement ledit jugement et ordonné le partage du terrain litigieux en deux (02) parts égales entre les parties ; Sur le premier moyen tiré de la violation des articles 38 et 39 du code de procédure civile en ce que l’arrêt dont pourvoi a modifié les termes du litige et adjugé au sieur C Ad ce qu’il ne lui a pas demandé ; Attendu que le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir modifié les termes du litige en adjugeant au sieur C Ad la moitié du terrain litigieux au lieu des deux tiers (2/3) que celui-ci réclamait, violant ainsi les articles 38 et 39 du code de procédure civile ; Mais attendu que l’objet du litige porte sur la revendication d’une partie du terrain litigieux ; que l’on ne peut donc valablement soutenir que le juge a modifié ledit objet en octroyant la moitié du terrain au lieu des deux tiers (2/3) réclamés par le défendeur au pourvoi, le partage induit de la revendication d’une partie du terrain étant et demeurant l’objet du litige, encore que le juge a accordé moins que la proportion sollicitée ; que l’objet du litige n’ayant pas été modifié par le juge qui n’a nullement statué ultra petita, il suit que le moyen n’est pas fondé et mérite rejet ; Sur le deuxième moyen tiré de la méconnaissance de la règle coutumière de l’irrévocabilité de la donation consacrée par l’article 612 du code des personnes et de la famille ;
Attendu que le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, en disant qu’il ne s’agit pas d’une installation définitive mais d’une détention précaire, méconnu la règle coutumière de l’irrévocabilité des donations consacrée par l’article 612 du code togolais des personnes et de la famille ;
Mais attendu qu’il s’agit ici d’interpréter le fait que les parents du demandeur au pourvoi ont été installés sur le terrain litigieux depuis de nombreuses années, terrain qu’ils ont complanté de cultures pérennes et bâti tout en y enterrant leurs défunts ; que contrairement au demandeur au pourvoi qui soutient qu’il ne s’agit pas d’une occupation précaire mais plutôt d’une donation relativement aux constatations matérielles sus-indiquées qui sont l’œuvre d’un véritable propriétaire, la Cour d’appel a estimé que ce fait ne saurait s’analyser en une installation définitive en motivant que « l’installation d’un peuhl bouvier ne doit pas être regardée comme une installation définitive équivalente à une donation translative de droit de propriété; qu’il s’agit d’une détention précaire que le bénéficiaire ne saurait transformer en plein droit de propriété indifféremment du nombre d’années que dure cette détention » pour en tirer la conséquence qu’il ne s’agit pas dans le cas d’espèce d’une action en révocation de donation mais d’une revendication de droit de propriété ; que l’interprétation des faits relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, laquelle échappe au contrôle de la haute juridiction, juge de droit, il y a lieu de dire que le moyen n’est pas fondé et mérite rejet ; Sur le troisième moyen tiré du défaut de motivation emportant violation de l’article 9 de l’ordonnance N°78-35 du 7 septembre 1978 ; Attendu que le demandeur au pourvoi reproche aux juges d’appel de n’avoir pas tenu compte de son occupation effective des lieux à travers les constructions, les cimetières et les cultures pérennes, laquelle fonde son droit de propriété, et d’avoir ainsi manqué de motiver l’arrêt attaqué ; Mais attendu qu’il ressort de la lecture de l’arrêt attaqué qu’après avoir rappelé que « selon la coutume moba, applicable à l’espèce, la terre appartient au premier occupant qui l’a défrichée et mise en valeur et que l’installation ou l’exécution des actes matériels sur des terres déjà conquises n’ont pas pour effets de conférer à leur auteur le droit de propriété dudit terrain » (page 6, dernier paragraphe), les juges d’appel, en affirmant « qu’en évoquant l’existence sur les lieux des constructions, des arbres pérennes et autres tombes, l’intimé a entendu se prévaloir de la présomption coutumière qui considère que seul le propriétaire peut complanter son terrain d’espèces pérennes ; que cette présomption n’est admise que pour suppléer à la carence de preuve de droit de propriété ; qu’il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattue par d’autres éléments de preuve existant dans la cause et qui caractérisent avec la plus grande vraisemblance le droit de propriété ; que le premier occupant des lieux étant identifié, l’on ne saurait plus évoquer la présomption de droit de propriété dudit terrain en faveur de celui qui y a posé des constatations matérielles pour dépouiller le premier occupant de sa propriété foncière qui est un droit perpétuel imprescriptible et qui ne se perd donc jamais par le non usage ; » (page 7, 2è et 3è paragraphe) ont motivé leur décision en donnant les raisons pour lesquelles les constatations matérielles qui ne sont, dans le cas d’espèce, que les conséquences d’une autorisation d’exploitation, ne sont pas prépondérantes avant de conclure « qu’il est notoire dans la coutume applicable à l’espèce que le bouvier peuhl est toujours accueilli et installé par un propriétaire autochtone sur ses terres pour les besoins de pâture et de surveillance de ses animaux ; qu’à l’instar d’un fermier et d’un métayer, il est le préposé de ce dernier qui est son maître ; qu’il occupe le terrain de son chef ; qu’ainsi, il ne saurait en devenir propriétaire par cette seule occupation» (page 7 dernier paragraphe) ; que les juges d’appel ayant exposé les motifs du caractère non déterminant des constatations matérielles qu’ils ont retenu, il suit que le moyen tiré du défaut de motivation n’est pas fondé et mérite rejet ; PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement, en matière civile et en état de cassation ; EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ; AU FOND
Le rejette ; Prononce la confiscation de la taxe de pourvoi ; Condamne le demandeur au pourvoi aux dépens ; Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée. Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi vingt-et-un avril deux mille vingt-deux à laquelle siégeaient :
Monsieur Koffi Agbenyo BASSAH, Président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ; Messieurs Koffi KODA, Badjona SAMTA, Kuma LOXOGA, et Anani AMOUSSOU-KOUETETE, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ; En présence de madame Ab M. B, premier avocat général près la Cour suprême ; Et avec l’assistance de maître Agnélé ADJETE-AMLA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ; En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier. /.