COUR SUPREME DU TOGO
CHAMBRE JUDICIAIRE ARRET N°052/22 du 21 AVRIL 2022 _________ Pourvoi N°118/RS/2020 du 13 Août 2020 ___________ AFFAIRE
X Ai X Aa (Me M. EDORH-KOMAHE)
C/
Collectivité KOVE rep/ KOVE Ae Ac (Me ALONYO Joseph) ___________
PRESENTS: MM
BASSAH : PRESIDENT
KODA LOXOGA MEMBRES BODJONA AYEVA
AZANLEDJI : M.P. ADJETE-AMLA : GREFFIER
REPUBLIQUE- TOGOLAISE Travail-Liberté-Patrie
« AU NOM DU PEUPLE TOGOLAIS »
AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU JEUDI VINGT-ET-UN AVRIL DEUX MILLE VINGT-DEUX (21/04/2022)
A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au siège de ladite Cour, le jeudi vingt-et-un avril deux mille vingt-deux, est intervenu l’arrêt suivant : LA COUR, Sur le rapport de monsieur Koffi KODA, Conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ; Vu l’arrêt n°625/19 rendu le 11 décembre 2019 par la Cour d’appel de Lomé ; Vu la requête à fin de pourvoi de maître Mathias EDORH-KOMAHE, conseil des demandeurs au pourvoi ; Vu le mémoire en réponse de maître Joseph ALONYO, conseil de la défenderesse au pourvoi ; Vu les conclusions écrites de monsieur Aj AG, quatrième avocat général près la Cour suprême ; Vu les autres pièces de la procédure ; Vu la loi organique n° 97-05 du 6 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême et le décret n° 82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ; Ouï le conseiller Koffi KODA en son rapport ; Ouï maître Mathias EDORH-KOMAHE, conseil des demandeurs au pourvoi ; Nul pour maître Joseph ALONYO conseil de la défenderesse au pourvoi, absent et non représenté ; Le ministère public entendu ; Et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant en matière civile sur les pourvois formés les 13 et 14 août 2020, successivement par maîtres Mathias EDORH-KOMAHE et ABI Tchessa, tous deux avocats au barreau du Togo, le premier, agissant au nom et pour le compte des nommés X Ai et X Aa et le second, au nom et pour le compte de la succession de feu Z Ad représentée par Z Ab Ag, et de la collectivité KODJA SENYO-AGBEDANOU représentée par C Ah, contre l’arrêt n°625/19 rendu le 11 décembre 2019 par la Cour d’appel de Lomé qui a confirmé en toutes ses dispositions le jugement n°1169/2011 du 2 décembre 2011 par lequel le Tribunal de première instance de Tsévié a dit et jugé que la parcelle de terrain, d’une superficie de 29ha 15a 65ca, sise à Mission-Tové, au lieu-dit Avégnaké est la propriété pleine et entière de la collectivité KOVE représentée par B Ac ; JONCTION DE PROCEDURES
Attendu que les deux pourvois formés les 13 et 14 août 2020 portent sur le même arrêt et concernent les mêmes parties ; qu’en raison de leur lien de connexité et pour une bonne administration de la justice, il convient de joindre les deux procédures ; EN LA FORME
Attendu que tous les actes de procédure ont été faits dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu de recevoir les pourvois ; AU FOND
Sur le moyen unique du pourvoi formé le 13 août 2020 par maître Mathias EDORH-KOMAHE au nom et pour le compte des nommés X Ai et X Aa
Vu l’article 128 alinéa 1 du code de procédure civile ; Attendu qu’aux termes dudit article, « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé. » ; Attendu, selon l’arrêt et les éléments du dossier, que suivant deux exploits d’huissier distincts en date des 20 et 27 août 2008, la collectivité KOVE, représentée par le sieur B Ac, a fait donner assignation aux sieurs X Ai et X Aa et appeler en intervention forcée le sieur Z Ad à comparaître par-devant le Tribunal de première instance de Tsévié pour s’entendre dire et juger que le terrain litigieux, d’une superficie d’environ 29ha 15a 65ca, sis à Mission-Tové, au lieu-dit Avégnaké, est et demeure la propriété exclusive de la collectivité KOVE ; Qu’au soutien de son action, la requérante a exposé qu’elle est propriétaire par voie d’héritage du terrain rural susvisé mais que les requis ont envahi la propriété pour y entreprendre des travaux de bornage et en vendre des parcelles ; Qu’en réaction à cette action, les nommés X Ai et X Aa ont fait remarquer que la parcelle querellée n’a jamais été la propriété de la collectivité KOVE ; que depuis toujours, elle a élevé des prétentions de droit de propriété sur le domaine litigieux et, contrairement à ce qu’elle déclare, l’autorité traditionnelle n’a jamais tranché en sa faveur ; que B Ae Ac avait déjà reconnu leur droit de propriété sur le terrain litigieux lorsqu’il leur proposait de leur céder une autre parcelle de deux hectares en remplacement de celle déjà vendue par son père ; Que pour sa part, l’intervenant forcé Z Ad a prétendu qu’il est propriétaire du terrain sis à KOVIE d’une contenance de 03hectares et demi pour l’avoir hérité de son ancêtre Y, premier occupant des lieux ; que c’est à tort que cet immeuble qui a été exploité par ses ascendants successifs d’une manière pacifique, publique et continue, est aujourd’hui revendiqué par la collectivité KOVE, alors même que les deux familles Z et KOVE ont vécu en intelligence sur leurs domaines respectifs jusqu’au décès de KOZAN, le frère du sieur KOVE Kossi ; que c’est ce dernier qui tente de s’approprier illégalement le terrain appartenant à la famille Z ; Que par jugement n°1169 en date du 2 décembre 2011, le tribunal a dit et jugé que le terrain d’une superficie de 29ha 15a 65ca, sis à Mission-Tové au lieu-dit Avégnaké est la propriété pleine et entière de la collectivité KOVE ; Attendu que pour confirmer en toutes ses dispositions le jugement susvisé, en dépit des prétentions des demandeurs au pourvoi selon lesquelles les consorts KOVE ont fait arracher les plants de délimitation entre leurs propriétés pendant l’exil prolongé de leur famille au Ghana et sans égard au fait que les demandeurs au pourvoi déclarent que les parties au procès sont des descendants d’un ancêtre commun et ont produit à cet effet des sommations interpellatives et un arbre généalogique, la Cour d’appel retient que « les plants de délimitation conventionnelle en milieu EWE sont connus pour leur âpreté et l’impossibilité de leur éradication complète » ; Attendu qu’en se contentant de cette affirmation gratuite sans s’appuyer sur les résultats d’une mesure d’instruction préalablement ordonnée, alors que les prétentions des demandeurs au pourvoi relatives à la destruction des plants de délimitation et au caractère indivis du terrain querellé sont corroborées par des documents, notamment l’arbre généalogique et les sommations interpellatives, lesquels documents créent en faveur des demandeurs au pourvoi une présomption de droit de propriété, la Cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision ; ce qui équivaut à un défaut de motif, emportant violation de l’article 128 du code de procédure civile ; Qu’il s’ensuit que l’arrêt déféré encourt cassation de ce chef ; Sur le moyen unique du pourvoi formé le 14 août 2020 par maître ABI Tchessa au nom et pour le compte de la succession de feu Z Ad représentée par Z Ab Ag et la collectivité KODJA SENYO-AGBEDANOU représentée par C Ah
Attendu que pour confirmer le jugement déféré devant elle, la Cour d’appel a également déclaré que les jugements coutumiers versés au dossier par les demandeurs au pourvoi « sont empreints de fétichismes, de confusions et de contradictions et n’ont aucune force probante… » ; Attendu qu’en statuant ainsi sans dire en quoi ces décisions méritent les qualificatifs qui leur sont attribués alors qu’en droit coutumier, comme c’est le cas en l’espèce, le droit de propriété peut être rapporté par tous les moyens et que les jugements coutumiers dont s’agit constituent sinon une preuve, du moins un commencement de preuve par écrit, la Cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision et a, de ce fait, violé l’article 128 alinéa1 du code de procédure civile ; d’où il suit que son arrêt encourt cassation de ce chef également ; PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement, en matière civile et en état de cassation : Joint les deux pourvois ; EN LA FORME
Reçoit les pourvois ;
AU FOND
Les déclare fondés ;
En conséquence, casse et annule l’arrêt n°625/19 rendu le 11 décembre 2019 par la Cour d’appel de Lomé ;
Renvoie cause et parties devant la Cour d’appel de Lomé autrement composée pour qu’il soit, par elle, statué à nouveau conformément à la loi ;
Ordonne la restitution des taxes des pourvois aux demandeurs aux pourvois ;
Condamne la défenderesse au pourvoi aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée. Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre judiciaire de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi vingt-et-un avril deux mille vingt-deux à laquelle siégeaient :
Monsieur Koffi Agbenyo BASSAH, Président de la chambre judiciaire de la Cour suprême, PRESIDENT ; Messieurs Koffi KODA, Kuma LOXOGA, Pignossi BODJONA et Tcha-Tchibara AYEVA, tous quatre, conseillers à la chambre judiciaire de la Cour suprême, MEMBRES ; En présence de madame A Af, premier avocat général près la Cour suprême ; Et avec l’assistance de maître Agnélé ADJETE-AMLA, greffier à la Cour suprême, GREFFIER ; En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier. /.