ARRÊT
N°01/2019
DU 13 FEVRIER 2019
EXTRAIT DES MINUTES DU GREFFE
COUR DE JUSTICE DE L’UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST AH (AI)
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AUDIENCE PUBLIQUE DU 13 FEVRIER 2019
Recours en appréciation de légalité d’un Acte additionnel
Madame Léontine Marie Florence ZOMBRE ZIDA
C/
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI
et
l’Aa Ad et Monétaire Ouest AH (AI)
La Cour de Justice de lAAI, réunie en audience publique ordinaire le 13 février deux mil dix-neuf, à laquelle siégeaient :
Monsieur Salifou SAMPINBOGO, Juge, Président ; M. Mahawa Sémou DIOUF, Juge ; M. Daniel Amagoin TESSOUGUE, Juge rapporteur ; M. Euloge AKPO, Juge ; Augusto MENDES, Juge, en présence de Mme Eliane Victoire ALLAGBADA JACOB, Avocat Général ;
avec l’assistance de Me Boubakar TAWEYE MAIDANDA, Greffier ;
a rendu l’arrêt contradictoire dont la teneur suit :
ENTRE :
Composition de la Cour :
M. Salifou SAMPINBOGO, Juge, Président ;
M. Mahawa Sémou DIOUF, Juge
M. Daniel Amagoin TESSOUGUE, Juge Rapporteur ;
M. Euloge AKPO, Juge ;
M. Augusto MENDES, Juge ;
Mme Eliane Victoire ALLAGBADA JACOB, Avocat Général
Me Boubakar TAWEYE MAIDANDA, Greffier
Madame Léontine Marie Florence ZOMBRE ZIDA, agissant par l’organe de son conseil, Cabinet de Maître Prosper FARAMA Tél. : (00226) 25 37 54 99/(00226) 60 09 56 00 ; 10 BP : 13009 Ouagadougou 10-Burkina Faso, Avocat à la Cour,
Demandeur, d’une part ;
ET
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI et
l’Aa Ad et Monétaire Ouest AH AJAI), représentées par Monsieur Oumarou YAYE, Conseiller Technique du Président de la Commission chargé des questions juridiques, assisté de Maître Harouna SAWADOGO, Avocat à la Cour, 01 BP 4090 Ouagadougou 01
Défenderesses, d’autre part ;
LA COUR
VU le Traité de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH en date du 10 janvier 1994, tel que modifié le 29 janvier 2003 ;
VU le Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de lAAI ;
VU l’Acte additionnel n° 10/96 du 10 mai 1996 portant Statuts de la Cour de Justice de lAAI ;
VU le Règlement n° 01/96/CM du 05 juillet 1996 portant Règlement de procédures de la Cour de Justice de lAAI ;
VU le Règlement n°01/2012/CJ du 21 décembre 2012 portant Règlement administratif de la Cour de Justice de lAAI ;
VU le Procès-Verbal n°01/2016/CJ du 25 mai 2016 relatif à la désignation du Président de la Cour et à la répartition des fonctions au sein de la Cour ;
VU le Procès-Verbal n°02/2016/CJ du 26 mai 2016 relatif à la prestation de serment et à l’installation des membres de la Cour de Justice de lAAI ;
VU l’Ordonnance N°001/2019/CJ portant composition de la formation plénière devant siéger en audience publique ordinaire du 09 janvier 2019 ;
VU l’Ordonnance N°002/2019/CJ portant composition de la formation plénière devant siéger en audience publique ordinaire du 13 février 2019 ;
VU les convocations des parties ;
VU la requête en date du 07 mars 2016 enregistrée au Greffe de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AHAJ (AI), le 07 mars 2016, sous le numéro 16 R 001, par laquelle Madame Léontine ZOMBRE ZIDA, par l’entremise de son conseil, Maître Prosper FARAMA, Avocat à la Cour, demeurant à Ouagadougou, 10BP 13009 Ouagadougou 10, a introduit un recours en appréciation de la légalité de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA portant révocation des membres de la Cour de Justice de lAAI ;
VU les autres pièces du dossier;
OUÏ le Juge rapporteur en son rapport ;
OUÏ le Conseil de Madame Léontine ZOMBRE ZIDA en ses observations orales ;
OUÏ le Conseil de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et de l’Aa Ad et Monétaire Ouest AH AJAI), en ses observations orales ;
OUÏ Madame l’Avocat Général en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire :
FAITS ET PROCEDURE
Considérant que suite à une crise née d’une mésentente entre les membres de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH, crise qui malgré de nombreuses interventions n’a pu être résolue, les Chefs d’Etat et de Gouvernement par Acte additionnel n°02/2016/CCEG/UEMOA, révoquaient les sept membres concernés dont la requérante ;
Que par requête en date du 07 mars 2016, enregistrée au Greffe de la Cour de Justice sous le n° 16 R001 en date du 07 mars 2016 et signifiée par le Greffier de la Cour le 23 septembre 2016 tour à tour, à la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH AJAI), représentée par le Président de la Commission de lAAI, à l’Union Economique et Monétaire Ouest AH (AI) sous couvert de Monsieur le Président de la Commission, Maître Prosper FARAMA, au nom et pour le compte de Mme C née ZIDA Léontine Marie Florence, introduisait un recours en appréciation de légalité de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA portant révocation des membres de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH, demandant l’annulation de l’Acte additionnel sus indiqué en toutes ses dispositions, comme ayant été pris en violation des articles 4, 11, 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, des dispositions pertinentes du Traité de lAAI et de ses actes d’application ;
Que la caution fixée par l’Ordonnance n°15/2016/CJ en date du 14 septembre 2016 a été payée ;
Que l’Ordonnance n°01/2017/CJ du 06 janvier 2017 constatait la fin de la procédure écrite après échange d’écritures entre la requérante et les défenderesses ;
Que M. Daniel Amagoin TESSOUGUE était, par l’Ordonnance n°04/2017/CJ, désigné comme Juge Rapporteur de la présente procédure ;
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Prétentions et moyens de la requérante
Considérant que les faits de la cause, tels qu’exposés par la requérante se présentent comme suit :
Qu’elle a été désignée le 10 juin 2013 par Acte additionnel n° 03/2013/CCEG/UEMOA, comme Juge, membre de la Cour de Justice de lAAI, et installée suite à la prestation de serment du 25 juin 2013 ;
Que curieusement, elle constatait que sans fondement légal, par Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement décidait de révoquer de leurs fonctions au sein de la Cour de Justice de lAAI, les sieurs : Honorat ADJOVI, Daniel Lopes FERREIRA, Ousmane DIAKITE, Elhadj Moussa MATY, Abalo Pgnakiwè PETCHELEBIA ; Mesdames Seynabou NDIAYE DIAKHATE et Léontine Marie Florence ZOMBRE née ZIDA, membres respectivement au titre du Bénin, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Togo, du Sénégal et du Burkina Faso ;
Que la décision ainsi prise, trouverait son fondement dans le constat fait par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, de « la persistance de la crise survenue au sein de la Cour de Justice de lAAI depuis le 11 février 2014, en dépit des diverses mesures arrêtées par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement » ;
Que ladite crise, aurait débouché sur un blocage du fonctionnement de l’Organe de contrôle juridictionnel communautaire ; or pour elle, une telle conclusion n’est pas exacte ;
Que la requérante, pour soutenir sa demande, évoque par un bref rappel la genèse de ladite crise, qualifiée d’inédite ayant conduit au blocage du fonctionnement de la Cour ; qu’alors à la réalité, elle a comme acte déclencheur une décision de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ;
Qu’en effet, après constat à Bamako de l’expiration des mandats du Président et des membres de la Commission nommés en 2007, et leurs prorogations exceptionnelles, mission a été donnée à Lomé le 30 mai 2011, au Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, de procéder à la désignation du Président de la Commission par une série de consultations ;
Que si par consensus la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a pu désigner les membres de la Commission, il n’a pu en être de même pour le Président de la Commission ;
Que cependant, par Acte additionnel n° 06/2011 du 21 octobre 2011, Monsieur Ac Ae B était nommé en qualité de Commissaire par le Sénégal, pour remplacer Monsieur Ag Ai Y dont le mandat était toujours en cours et qui était en concurrence avec le candidat du Niger pour briguer la Présidence de la Commission de lAAI ;
Qu’après des tractations, par Acte additionnel n° 07 du 16 novembre 2011, la crise de la présidence de la Commission de lAAI était désamorcée ; Monsieur B, consacré Président de la Commission avec mandat unique aux termes de cet Acte additionnel ;
Qu’ainsi, Monsieur B qui avait l’obligation de publier l’Acte additionnel n° 07 du 16 novembre 2011 au Bulletin officiel de l’Union, omettait de le faire, malgré de nombreux rappels à l’ordre du Niger ;
Que c’était là le début de la crise, politique dans un premier temps, qui finira dans un second temps, à se transposer au sein de la Cour de Justice de lAAI ;
Que suite à son éviction par l’Acte additionnel n° 06/2011 du 21 octobre 2011 qui nommait Monsieur B en ses lieu et place, Monsieur Y le 15 novembre 2011 saisissait la Cour de Justice de deux recours, l’un pour attaquer l’Acte additionnel sus visé, et l’autre, en indemnisation du préjudice qu’il estimait avoir subi ;
Considérant que le Président de la Cour de Justice, Monsieur Ousmane DIAKITE qui avait diligenté la procédure, voyait au même moment, son mandat arriver à terme ; l’élection en vue de son remplacement consacrait Monsieur Daniel LOPES FERREIRA de la Guinée-Bissau comme nouveau Président de la Cour ; que dès lors, le dossier de Monsieur Y, se voyait gelé ;
Que sans aucun motif légitime, en dépit des rappels des Conseils du requérant Y, le nouveau Président de la Cour s’obstinait à refuser de programmer une audience de la juridiction pour connaître dudit dossier ;
Que pire, il refusait même de convoquer une X AG à la demande de ses collègues, se comportant de manière à créer une vraie léthargie de la juridiction ;
Que devant cette situation somme toute surréaliste, les membres de la Cour décidaient de tenir une X AG, conformément au règlement de procédure de la Cour, laquelle assemblée désignait leur doyen d’âge, Ousmane DIAKITE en remplacement de Monsieur Daniel LOPES FERREIRA comme Président ;
Que devant cette évolution, un Acte additionnel portant rappel des membres signataires de l’acte de défiance était adopté, un Comité ad hoc était créé qui proposait le retour au statu quo ante, pensant ainsi mettre fin à la crise ;
Que malgré tous ces faits, aucune amélioration ne se produisait ; Qu’à la réunion au Sommet tenue à Cotonou le 19 janvier 2015, le Président de la Commission, soumettait un Acte additionnel dans l’objectif de faire rappeler dans leur pays, tous les membres de la Cour, signataires de l’acte d’empêchement de Monsieur Z ;
Que ceux-ci, rappelés dans leur pays respectif, étaient plus tard révoqués par l’Acte additionnel n° 02/20016/CCEG/UEMOA portant révocation des membres de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH ;
Considérant que Madame C née ZIDA Léontine Marie Florence soumet à la Cour de Justice la question de la légalité de l’Acte additionnel dont mention, et articule pour sa défense les moyens suivants :
De la compétence et de la recevabilité
De la compétence de la Cour
Qu’aux termes de l’article 14 du Règlement n° 01/06/CM/UEMOA portant règlement de procédures de la Cour de Justice de lAAI « la Cour de Justice assure le respect du droit relativement à l’interprétation et à l’application du Traité » ; qu’ainsi , il rentre dans la compétence de la Cour l’appréciation de la légalité de toute décision prise par un Organe de l’Union et dans le cas présent, il s’agit d’apprécier la légalité de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016 ; qu’ainsi, la requérante sollicite qu’il plaise à la Cour retenir sa compétence et statuer sur le présent recours ;
De la recevabilité du recours pour avoir respecté les forme et délai prescrits par les actes pris en application du Traité de lAAI
Que la requérante évoque l’article 15.2 du Règlement n° 01/96 portant règlement de procédures de la Cour de Justice, qui ouvre le recours en légalité à toute personne physique ou morale, contre tout acte d’un Organe de lAAI, lui faisant grief ; que dans la situation présente, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, premier Organe de lAAI, a adopté un acte révoquant les juges de la Cour de Justice de lAAI, dont Mme C née ZIDA Léontine Marie Florence ;
Que si le grief peut être analysé comme un préjudice de quelque nature qu’il soit subi par une personne morale ou physique, la requérante sollicite qu’il plaise à la Cour, accepter que du fait de l’Acte additionnel querellé, elle a subi un préjudice ;
Que le préjudice subi, est non seulement moral, les motifs invoqués à la base étant spécieux ; mais aussi matériel, du fait de la perte de son emploi et de ses revenus et avantages y liés ;
Que l’acte querellé ayant été pris le 08 janvier 2016, au regard de l’article 8, alinéa 3 du Protocole additionnel n° 01 relatif aux Organes de contrôle de lAAI « le recours doit être formé dans un délai de deux (02) mois à compter de la publication de l’acte, de sa notification au requérant, ou à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance » ; que le délai courant jusqu’au 08 mars, le présent recours formulé le 07 mars 2016, réunit toutes les conditions de recevabilité et demande à la Cour de lui en donner acte ;
Des moyens de droit développés au fond par la requérante au titre de son action
Que pour la requérante, l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016 doit être annulé car violant de manière flagrante les dispositions légales issues des instruments originels comme dérivés de l’Union ;
Que pour étayer cette prétention, elle s’appuie sur quatre moyens :
Moyen tiré de l’incompétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement pour révoquer un Juge de la Cour de Justice
Que la requérante se fonde sur la définition selon laquelle la compétence est l’aptitude légale à accomplir un acte donné ;
Que dès lors, il faut s’interroger si la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a aptitude à « révoquer » un Juge de la Cour de Justice avant la fin de son mandat ;
Qu’aucune disposition de l’acte originel de lAAI n’évoque cette faculté pour quelque motif que ce soit ;
Qu’ainsi, il est clair qu’en aucune façon, nul Organe ne saurait statuer sur des matières hors de sa compétence d’attribution ; or en agissant comme il l’a fait, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a outrepassé ses prérogatives, quel que soit le motif soutenant ladite décision ;
Que de ce fait, l’acte étant illégal, il doit être annulé par la Cour de céans ;
Moyen tiré de la violation des articles 11 et 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice
Que le concept de révocation, qui fait référence au licenciement pour faute d’un agent pour des motifs disciplinaires est méconnu dans l’Ordonnancement juridique de lAAI, notamment au titre des pouvoirs accordés à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union ;
Que l’article 11 de l’Acte additionnel n° 10/96/CCEG/UEMOA du 10 mai 1996 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI a évoqué clairement qu’ « en dehors des renouvellements réguliers, de relève et de décès, les fonctions de membres de la Cour prennent fin individuellement… » ; Qu’ainsi, le concept de relève prévu dans les textes communautaires, est bien différent de celui de la révocation ;
Quand bien même par extraordinaire ces deux notions auraient été utilisées suite à une confusion dans les esprits, l’Acte additionnel querellé n’en serait pas moins illégal, puisque l’article 12 de l’Acte additionnel n°10/96 prévoit que lorsque les qualités requises à l’article 5 dudit acte ne sont plus réunies chez un membre, la Cour de Justice peut envisager sa relève ; que même là, cette décision de la Cour obéit à une procédure bien singulière laquelle n’est nullement de la compétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ; qu’à ce titre également, l’acte doit être annulé.
Du moyen tiré de la violation de l’article 4 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI
Que le mandat des Juges de la Cour est de six (6) ans, renouvelable ;
Qu’en dehors des cas de relève, de démission et de décès, ledit mandat ne peut être interrompu pour quelque motif que ce soit, cela étant conforme aux dispositions des actes fondateurs de lAAI ;
Qu’en interrompant le mandat de la requérante par une « prétendue révocation » ; la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a pris un acte illégal, qui mérite la censure de la Cour de céans, laquelle devra le déclarer nul et de nul effet ;
Du moyen tiré de la dénaturation des faits par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement en vue d’aboutir à l’Acte additionnel querellé
Qu’à la suite du retrait de la confiance au Président Daniel Lopes FERREIRA par les autres Juges, ils recevaient tous, individuellement, notification le 03 septembre 2014 par le Président de la Commission de lAAI, de la décision de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, de réinstaller « le Président déchu » dans ses fonctions ;
Qu’ainsi, les faits qui étaient considérés comme ayant créé la crise étant réglés, les activités de la Cour avaient repris normalement, comme en atteste la tenue de deux (2) assemblées intérieures, les 21 octobre et 09 décembre 2014 ;
Que la dénaturation pouvant être comprise comme le fait pour l’autorité, auteur d’un acte, de donner une interprétation non conforme à des faits établis en vue d’aboutir à une décision donnée, la Cour devra prendre en compte cet aspect ;
Qu’à la date de l’adoption de l’Acte additionnel querellé, aucune crise n’existait au sein de la Cour ;
Qu’en agissant dès lors comme elle l’a fait, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a dénaturé les faits et qu’en conséquence, l’Acte additionnel doit être annulé.
Prétentions et moyens des défenderesses
Considérant que dans son mémoire en défense, Me Harouna SAWADOGO a, au nom et pour le compte de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI et de l’Aa Ad et Monétaire Ouest AH AJAI), Organe de lAAI, soutenu les arguments de la défenderesse, en cantonnant les prétentions de la requérante, en « d’une part à la violation des articles 4, 11 et 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI et d’autre part à ̏ une prétendue dénaturation ̋ des faits par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, en vue d’aboutir à l’adoption de l’Acte additionnel déféré » ;
Qu’à la réalité, c’est au regard de l’existence de circonstances exceptionnelles, que l’organe suprême de lAAI, à savoir la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement se devait de prendre ses responsabilités et de mettre fin à une situation aux conséquences désastreuses pour la Communauté ;
De la genèse des faits selon les défenderesses
Considérant que pour les défenderesses, contrairement aux allégations de la requérante, les faits se sont déroulés de la manière suivante :
Que le 11 février 2014, six (6) des huit membres de la Cour de Justice de lAAI, réunis en Assemblée générale extraordinaire convoquée par eux-mêmes, décidaient de destituer le Président Daniel LOPES FERREIRA et de désigner Monsieur Ousmane DIAKITE, doyen d’âge des Juges, ancien Président et candidat malheureux à l’élection ayant conduit à la désignation de Monsieur Z ;
Que Monsieur Z s’opposait à cette éviction qu’il jugeait illégale, ce qui du coup conduisait à bloquer l’institution, devant l’insistance des autres membres de la juridiction ;
Que les Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, saisis du dossier, décidaient de mettre en place un Comité ad hoc de Présidents de Cour Suprême, avec comme mission de faire des propositions de sortie de crise, sur place à Ouagadougou où ces Présidents de Cour Suprême s’étaient rendus ;
Qu’à l’issue de ladite mission, le rapport établi concluait entre autres, qu’il importait de mettre fin à « la rébellion » en rappelant chaque Juge dans son pays pour le mettre en demeure de se soumettre à l’autorité du Président élu ou de se démettre ;
Que notification de ces mesures censées mettre fin au blocage était faite aux Juges par le Président de la Commission, le 14 août 2014 ;
Que cependant, le Comité de relecture des textes de la Cour de Justice de lAAI, composé des membres de l’ex-comité de Présidents de Cour Suprême, auxquels étaient joints un ancien Président de la Cour de Justice et un Auditeur de la Cour, préposé aux fonctions de rapporteur, mis en place le 02 mars 2015, constatait que le blocage du fonctionnement de la Cour persistait toujours ;
Qu’en effet, depuis le 1er septembre 2014, date de la notification aux juges de la Cour de la lettre du Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, les invitant à restaurer le Président FERREIRA dans ses fonctions, aucune audience n’a été tenue, ni de décision rendue alors que des dossiers restaient en instance ;
Que les lettres des 12 novembre et 16 décembre 2014 du Président de la Cour au Président de la Commission confirmaient le blocage ; qu’en sus de ces faits, au plan juridique, les défenderesses articulent différents arguments :
Des moyens de droit
De la prétendue incompétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI
Considérant que la requérante, en querellant la légalité de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016, fonde ses arguments sur la violation des articles 4, 11 et 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, en ce qu’ils établissent l’incompétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement à révoquer des membres de la Cour de Justice ;
Que les défenderesses allèguent qu’au contraire, l’Acte additionnel soumis à la censure de la Cour relève bien de la compétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI ;
Qu’en tant qu’Organe suprême de l’Union, il a pour mission entre autres d’assurer une fonction politique et normative ; qu’à ce titre, il peut prendre des mesures exceptionnelles si les circonstances l’exigent ;
Que la situation qui prévalait au sein de la Cour de Justice était symptomatique de l’existence de circonstances exceptionnelles, de nature à expliquer et à justifier des mesures exceptionnelles, comme celles prises par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ;
Qu’ainsi, l’Acte additionnel querellé, a permis à la Cour de Justice de sortir d’une paralysie de près de deux ans, entretenue par ses membres, au mépris du code d’éthique et de déontologie applicable au Président et aux membres de la Cour de Justice de lAAI ;
Qu’en droit administratif, comme l’affirment les doctrinaires Af Aj et Af Ah, les circonstances exceptionnelles correspondent à une situation anormale imposant à l’administration, l’obligation d’agir sous peine de compromettre l’intérêt général et ne permettant pas l’observation des règles ordinaires, nécessaires, de la « frapper d’inefficacité » ;
Que, pour la doctrine, trois facteurs sont nécessaires pour qu’on parle de circonstances exceptionnelles :
l’existence d’une situation anormale et grave ;
la nécessité pour l’administration d’agir ;
l’obligation pour l’administration d’agir, comme elle l’a fait en l’espèce ;
Qu’au plan jurisprudentiel, le Conseil d’Etat français a rendu des arrêts de principe, comme l’arrêt HEYRIES du 28 juin 1918 et l’arrêt DAMES DOL ET LAURENT, du C.E 28 février 1919 ;
Que les observations relatives à l’Arrêt HEYRIES illustrent l’intérêt de la prise en compte des circonstances exceptionnelles dans l’action de toute administration ; que dans ses conclusions, le Commissaire du Gouvernement HELBRONNER déclarait:
« Dans les sociétés organisées, au-dessus des intérêts individuels, les plus respectables, au-dessus des intérêts collectifs les plus sérieux, il y a l’intérêt général, le droit supérieur pour une nation d’assurer son existence et de défendre son indépendance et sa sécurité » ;
Qu’au regard des circonstances exceptionnelles qui fondent la décision prise, l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016, est tout à fait empreint de légalité ;
De la prétendue dénaturation des faits par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement
Considérant que la requérante, lorsqu’elle allègue qu’il y a dénaturation des faits, évoque une situation non conforme à la réalité ; surtout quand elle soutient qu’à la date de l’Acte additionnel, il n’y avait plus de crise au sein de la Cour ;
Qu’en fait, la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement s’est fondée sur la présentation réelle des faits exposés dans le rapport du Comité ad hoc relatif à la crise au sein de la Cour de Justice ;
Que dudit rapport, il ressort clairement que « la mésentente est telle que la Cour de Justice de lAAI, dans sa composition actuelle, ne constitue plus une équipe capable de continuer de travailler ensemble d’une part et que l’attitude desdits membres de la Cour constitue un précédent fâcheux, un mauvais exemple pour les générations futures, tant nationales que communautaires » ;
Qu’au demeurant, contrairement aux allégations de la requérante, depuis septembre 2014, jusqu’à la révocation des Juges en janvier 2016, la Cour de Justice de lAAI n’a tenu aucune audience, toutes choses dues à la persistance de la crise malgré les démarches et médiations entreprises pour la juguler ;
Que les défenderesses sollicitent qu’il plaise à la Cour, recevoir en la forme le recours de la requérante, au fond, rejeter toutes les prétentions, fins et moyens de la requérante comme étant mal fondés, la condamner aux entiers dépens ;
DISCUSSION
Que de l’ensemble des prétentions, discussions et arguments des parties, il apparait :
Sur la recevabilité
Considérant que l’article 8, alinéa 2 du Protocole additionnel n° 1 relatif aux Organes de contrôle de lAAI, ouvre le recours en appréciation de la légalité à toute personne physique ou morale, contre tout acte d’un Organe de l’Union lui faisant grief ;
Qu’il est établi que l’Acte additionnel querellé émane de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ; que la requérante s’estimant victime de la décision ainsi prise de cet Organe a agi dans le délai de deux mois conformément à l’article 8, alinéa 3 du Protocole additionnel n° 1 dont mention ci-dessus ;
Que le recours est donc dès lors, recevable en la forme ;
Sur le fond
Considérant que si la requérante articule ses arguments autour de quatre moyens, ceux-ci se résument essentiellement en deux points à savoir :
la dénaturation des faits ayant conduit à l’adoption de l’Acte additionnel querellé ;
l’illégalité de la décision, objet de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016, ce par violation des articles 4, 11 et 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI.
Des circonstances de la cause
Considérant que dans cette procédure, il y a lieu de considérer les circonstances qui ont conduit à faire naître une crise profonde au sein de l’institution judiciaire communautaire ;
Que si dans ses écritures, la requérante fait remonter la genèse de la tension qui a secoué la Cour de Justice à l’élection du Président de la Commission et à la saisine de l’Organe de contrôle par le Commissaire évincé Monsieur Ag Ai Y, elle ne produit aucun élément probant permettant de conforter ses dires ; que par ailleurs, de l’examen du dossier, nulle part, il n’est fait cas d’un quelconque problème politique ayant dégénéré au point d’affecter la Cour de Justice ;
Qu’en cela, l’Acte additionnel querellé porte la signature des Chefs d’Etat de pays incriminés, comme ayant semé la graine de la discorde qui plus tard s’est muée en crise ayant affecté de façon très grave le fonctionnement de la Cour de Justice ;
Qu’au demeurant, l’aspect politique, argument avancé par la requérante, ne saurait prospérer, tant les termes du serment prêté par chaque membre de la Cour, impose l’indépendance, l’impartialité, la dignité et la loyauté, toutes choses qui mettent le juge au-dessus des contingences politiques ; et comme développé ci-dessus, la requérante ne consolide cet argumentaire d’aucune preuve matérielle ou juridique ;
Qu’en droit, il est de principe intangible, que la preuve incombe au demandeur ; qu’il lui revient d’apporter la preuve de ses dires, sous peine de succomber, ce qui est le fondement du risque de la charge de la preuve ; que le plaideur qui ne parvient pas à faire la preuve de son allégation soit par abstention, soit par refus et laisse le juge dans le doute, en assume les conséquences ;
Que des pièces du dossier, il apparaît nettement qu’une crise profonde intervenait au sein de la Cour de Justice à la suite de l’élection du Président de cette juridiction ;
Qu’ayant gagné par une voix de différence, Monsieur Daniel Lopes FERREIRA était élu Président au détriment de l’ancien Président, Ousmane DIAKITE, candidat à sa propre succession ;
Qu’en fait, les méthodes managériales du nouveau Président étaient pointées du doigt, causant des frustrations, comme celle du refus de tenir une audience ;
Que six membres de la Cour décideront de convoquer une X AG, laquelle se transformera en Assemblée élective, puisque l’ancien Président, doyen d’âge des juges était désigné Président suppléant, pour remplacer le Président FERREIRA qui, de facto, était destitué ;
Que le vice qui entache cette X AG est son mode de convocation, car aux termes de l’article 16 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, in fine : « … l’X AG est composée de l’ensemble des membres de la Cour auxquels peuvent être joints des membres du personnel ou leur représentants. Elle se réunit sur convocation du Président et se prononce sur le règlement administratif de la Cour ainsi que sur les modalités d’application de ses règlements généraux et de sa discipline » ;
Que ce fait ne correspond pas à l’esprit et à la lettre de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, mais également au Protocole additionnel n° 1 relatif aux Organes de contrôle de lAAI, dont l’article 2, alinéa 2 et 3, est ainsi libellé : « Les membres de la Cour désignent en leur sein pour trois ans le Président de la Cour de Justice » ;
Ils repartissent entre eux les fonctions de juges et d’avocats généraux ».
Que par ailleurs, la procédure de désignation du Président ainsi décrite, ne prévoit nullement son éviction, que dès lors, la convocation de l’X AG qui s’est muée en assemblée élective a conduit à exacerber la tension ;
Que devant cette situation, les Chefs d’Etat et de Gouvernement investissaient un Comité ad hoc composé de Présidents de Cour Suprême ;
Que ledit Comité ad hoc a été accepté par toutes les parties, tant par le Président FERREIRA que par les autres membres ; que nul n’a récusé ledit Comité, que tous ont fait l’objet d’une écoute par lui, que ce faisant, en acceptant cette médiation, sans réserve, les parties ont entendu acquiescer les conclusions dudit rapport rendues aux Chefs d’Etat et de Gouvernement ;
Que de l’intervention de tiers en qualité de médiateurs pour ramener la paix et le calme au sein de la juridiction, il s’en déduit l’existence d’une situation conflictuelle ;
Qu’ainsi, l’affirmation de la requérante de l’absence d’une crise à la date de l’Acte additionnel, ne correspond pas à la réalité, comme en font foi :
le rapport du Comité ad hoc relatif à la crise au sein de la Cour de Justice de lAAI, qui fait le constat que « la crise est profonde au sein de la Cour de Justice de lAAI entre le Président FERREIRA et les autres membres, et une inimitié profonde les oppose désormais » ;
les lettres en date du 12 novembre et 16 décembre 2014, du Président FERREIRA, adressées au Président de la Commission qui font état toujours de blocage ;
la note de synthèse à la haute attention des Chefs d’Etat et de Gouvernement de lAAI, du Comité d’Experts juristes chargés de la révision des textes relatifs à la Cour de Justice lAAI auprès de la Commission, à la page 3, « constate que le blocage du fonctionnement de la Cour persistait. Après une seule audience, irrégulièrement tenue, parce que composée et présidée par le « Président suppléant », la Cour n’a tenu aucune audience, ni rendu aucune décision depuis le 1er septembre 2014… ce qui permet de penser qu’après s’être engagés auprès de leur Chef d’Etat respectif à se soumettre à l’autorité de leur Président, les juges sont revenus à Ab, au siège de la Cour, avec le même état d’esprit de refus de reconnaissance de l’autorité du Président FERREIRA…Le blocage du fonctionnement de la Cour perdure, en raison de la mésentente entre les juges » ;
Que le Comité, dans la suite de ses conclusions fustige le comportement de la requérante et de ses collègues, qui constitue bien une défiance vis à vis des statuts et du code d’éthique et de déontologie applicable au Président et aux membres de la Cour de Justice de lAAI ;
Qu’au moment de la prise de l’Acte additionnel portant révocation des Juges, la crise persistait toujours, que dès lors, l’argument de la dénaturation des faits ne peut tenir ;
Qu’il y a lieu de le rejeter ;
De l’application des mesures exceptionnelles
Considérant qu’au regard du blocage de la Cour de Justice du fait de la crise, il s’avérait essentiel de trouver une solution, sous peine de mettre en péril l’Union elle-même dans son existence ;
Que s’il est vrai, que dans des conditions normales, aucun membre ne peut être relevé, sans une application rigoureuse des formalités et dans les formes décrites à l’article 12 de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, en date du 10 mai 1996 ; des dispositions auraient dues être prises pour prévoir les cas de dysfonctionnement du genre ainsi que les mécanismes par lesquels les résoudre ;
Que de l’analyse de l’Acte additionnel n° 10/96 portant statuts de la Cour de Justice de lAAI, sont évoquées éparses des dispositions relatives à la discipline mais individuelle pour le cas où un juge de la Cour manquerait à ses obligations ;
Que dans le cas d’espèce, il ne s’agit plus de gérer un cas individuel mais un fait de groupe, singulièrement la défiance de l’ensemble de la Cour vis-à-vis de son Président, rendant toute collaboration future impossible, ce qui est contraire au Traité, au Protocole additionnel, à l’Acte additionnel portant statuts de la Cour ainsi que la décision portant code d’éthique et de déontologie ;
Qu’au regard de ces faits, une crise qui bloque le fonctionnement normal d’un des Organes de l’Union, qui plus est un des deux seuls Organes de contrôle, le risque d’atteinte à l’intégrité de la construction d’une communauté économique et monétaire, où les intérêts de plusieurs dizaines de millions d’habitants sont en cause, ne pouvait pas rester en l’état dans l’attente de la fin de mandats des membres en fonction ;
Qu’en présentant les faits tel qu’elle l’a fait, la requérante a mis en avant les effets et non la cause, ce qui ne permet pas d’analyser objectivement le problème ;
Que c’est la crise qui a conduit à prendre des mesures non prévues par les actes de l’Union ;
Qu’il fallait pour ce faire, se fonder sur les principes généraux du droit et sur la théorie des circonstances exceptionnelles ;
Considérant que de doctrine constante, le principe de la légalité est le socle de l’action de l’administration lato sensu, laquelle se doit de respecter le droit ; que son fonctionnement est subordonné à des règles, à des principes, à des procédures qui l’habilitent à agir ; que ce principe de la légalité a des exceptions, parmi lesquels, les circonstances exceptionnelles, qui s’appliquent dans le cas présent ;
Qu’en effet, selon la doctrine et la jurisprudence, il a été jugé que lorsque l’administration se heurte à des circonstances exceptionnelles, il faut lui permettre d’y faire face, et par voie de conséquence, assouplir la rigueur des règles juridiques qui s’imposent à elle dans les conditions normales ;
Que lorsqu’une menace grave risque de troubler l’ordre public ou d’entraver le fonctionnement des services publics, il convient d’écarter le principe strict de la légalité et d’admettre dans certaines conditions, la régularité des mesures en cause ; d’où l’abondante jurisprudence qui conforte le principe de circonstances exceptionnelles, faisant apparaître l’existence d’une légalité d’exception ;
Qu’en effet, l’arrêt Hyeries (Conseil d’Etat, 28 juin 1918) permet de fonder l’argument selon lequel « … la théorie des circonstances exceptionnelles consiste à admettre que dans certaines conditions, de très graves urgences, politiques ou sociales, le pouvoir exécutif peut s’affranchir du respect intégral et pointilleux de la loi afin de préserver les services publics et les intérêts de la nation ;
Dit autrement, les circonstances exceptionnelles sont une condition mais aussi une excuse pour appliquer un régime de légalité d’exception des actes administratifs. Ainsi, les actes administratifs en temps normal illégaux deviennent légaux, en raison des circonstances exceptionnelles » ;
Considérant que pour que la théorie des circonstances exceptionnelles, puisse prospérer, il faut la réunion de certaines conditions, tenant à la qualité de l’acte pris, mais aussi aux conditions propres aux éléments constitutifs à la mesure d’exception ;
Que pour que l’acte soit assimilable à un acte administratif qui puisse être présenté comme pris en situation de circonstances exceptionnelles, il faut qu’il obéisse aux conditions de formes et aux procédures d’édiction d’un acte administratif ;
Que même s’il s’agit de droit communautaire, l’emprunt de la théorie des circonstances exceptionnelles au droit administratif pour argumenter la prise d’un acte se conçoit, le droit de façon générale, étant une condition de la cohésion du sujet de droit qu’il régit ;
Qu’en effet le droit n’existe pas pour lui-même. Il a pour fin l’organisation de la vie sociale et il ne faut pas que le respect qui lui est dû, se retourne contre les intérêts qu’il a pour mission de servir ; le législateur comme le juge ont été sensibles à la nécessité d’affranchir dans certaines circonstances les autorités administratives de la stricte obligation d’observer les règles qui régissent normalement leurs actions ;
Que pour ce faire, l’acte, pour être légal, doit satisfaire un but d’intérêt général ;
Qu'en sus, quant à la fin de l’acte, l’administration peut à tout moment mettre fin à une règlementation ou la modifier à condition de respecter le parallélisme des compétences. Seule l’autorité qui a édicté la règlementation peut y mettre un terme ;
Considérant que les circonstances exceptionnelles sont par elles-mêmes institutives d’une compétence nouvelle pour l’autorité administrative, que pour être conforme aux règles de l’Etat de droit, l’Administration doit toujours disposer d’une voie légale pour atteindre un résultat, que l’intérêt public exige impérieusement.
Considérant que pour la doctrine, l’effet de la théorie des circonstances exceptionnelles consiste à rendre légaux des actes administratifs qui eussent été illégaux en période normale ; que les vices dont l’acte se trouvait atteint sont donc en principe, couverts : incompétences, vice de forme, vice de procédures… ;
Que la doctrine et la jurisprudence sont abondantes à admettre l’administration lato sensu à faire recours aux mesures exceptionnelles, chaque fois que de besoin ;
Considérant que s’il y a eu révocation, c’est au regard du blocage intervenu dans le fonctionnement de la Cour de Justice de lAAI, du fait d’une action concertée des membres de démettre dans des conditions non conformes à la légalité, le Président par eux élus ;
Qu’en dépit de nombreuses démarches pour faire restaurer la légalité et la continuité normale du service public, la situation demeurait telle, l’Organe politique mais également normatif, qu’est la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne pouvait que se résoudre, à agir afin de permettre à l’Union de poursuivre ses objectifs ;
Qu’il est de la compétence de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, conformément aux articles 5 et 17 du Traité de l’Union, d’édicter des normes, mais aussi de définir les grandes orientations de la politique de l’Union ;
Que revêtue de ces prérogatives, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement ne pouvait que mettre fin au blocage dans l’intérêt de l’ensemble de la Communauté en prenant, conformément à la règle du parallélisme de forme, un Acte additionnel, conforme au caractère d’un acte administratif ;
Qu’au regard des mesures exceptionnelles, les articles 4, 11, et 12 de l’Acte additionnel n° 10/96/CM/UEMOA du 10 mai 1996 portant statuts de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH, ne peuvent recevoir application, car étant édictés pour gérer une situation normale ;
Que du fait du blocage de la Cour par ses membres eux-mêmes, ce serait contre nature que d’accepter que la requérante se prévale de sa propre turpitude et admettre, légal et sans conséquence son comportement ;
Qu’en cela, il faut mettre en avant la cause qui a conduit à la révocation et non tirer argument des effets pour alléguer l’illégalité de l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08 janvier 2016 portant révocation des membres de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH ; qu’il y a lieu de rejeter les prétentions de la requérante.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière de droit communautaire et en recours en appréciation de la légalité
En la forme :
Se déclare compétente ;
Déclare la requête de Madame C née ZIDA Léontine Marie Florence recevable.
Au fond :
Dit que l’Acte additionnel n° 02/2016/CCEG/UEMOA du 08/02/2016 portant révocation des membres de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest AH AJAI) est conforme à la légalité en vertu des circonstances exceptionnelles ;
Déboute Madame C née ZIDA Léontine Marie Florence de ses prétentions ;
Met, conformément à l’article 60, alinéa 2 du Règlement de procédure, les dépens à sa charge.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à Ab les jour, mois et an que dessus.
Suivent les signatures illisibles.
Pour expédition certifiée conforme
Ab, le 05 mars 2019
Le Greffier
Boubakar TAWEYE MAIDANDA