ARRÊT
N°04/2019
DU 15 MAI 2019
Recours aux fins de réparation de
préjudice
L’AGENCE WELLINDE VOYAGES S.A.R.L.
C/
La Commission de l’Union Economique et Monétaire Ouest C XA)
Composition de la Cour :
Mme Joséphine S. EBAH TOURE,
Présidente,
M. Salifou SAMPINBOGO, Juge
M. Mahawa S. DIOUF, Juge
Rapporteur ;
M. Euloge AKPO, Juge ;
M. Augusto MENDES, Juge ;
Mme Eliane Victoire ALLAGBADA JACOB, Avocat Général ;
Me Hamidou YAMEOGO, Greffier COUR DE ps JUSTICE DE L’UNION
ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST
C XA)
AUDIENCE PUBLIQUE DU 15 MAI 2019
La Cour de Justice de l'UEMOA, réunie en audience
publique ordinaire le quinze mai deux mil dix-neuf, à laquelle siégeaient :
Madame Joséphine Suzanne EBAH-TOURE,
Présidente ; Monsieur Salifou SAMPINBOGO, Juge ;
M. Mahawa Sémou DIOUF, Juge Rapporteur ; M
Euloge AKPO, Juge ; M. Augusto MENDES, Juge ;
En présence de Madame Eliane Victoire
ALLAGBADA JACOB, Avocat Général ;
Avec l’assistance de Me Hamidou YAMEOGO,
Greffier ;
A rendu l’arrêt contradictoire dont la teneur suit :
ENTRE
L’AGENCE WELLINDE VOYAGES S.A.R.L., ayant son siège social à B sis Boulevard Ad Ac, Ae 2000, 02 BP 5847 B 02, Tél : (226) 25 46 32 32, ayant pour conseil la Société Civile Professionnelle d’Avocats, SCPA-Sissili Conseils sise au 460, Rue 15-606, Avenue du Dialogue, Ae 2000, 01 BP 6042 B 01, Avocats inscrits au Barreau du Ab Aa ;
Partie demanderesse, d’une part ;
ET
La Commission de l’Union Economique et Monétaire
Ouest C XA), ayant pour Agent le
Conseiller Technique du Président de la Commission de l’UEMOA Chargé des Questions juridiques, assisté du
Cabinet Harouna SAWADOGO, Avocats inscrits au
Barreau du Ab Aa, 01 BP4091 B 01,
Tél. (+226) 25 30 69 46, Fax (+226) 25 31 08 52,
Partie défenderesse, d’autre part ;
LA COUR
VU le Traité de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine en date du 10 janvier 1994, tel que modifié le 29 janvier 2003 ;
VU le Protocole additionnel n° 1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA ;
VU l’Acte additionnel n° 10/96 du 10 mai 1996 portant Statuts de la Cour de Justice de l’UEMOA ;
VU le Règlement n° 01/96/CM du 05 juillet 1996 portant Règlement de procédures de la Cour de Justice de l’'UEMOA ;
VU le Règlement n°01/2012/CJ du 21 décembre 2012 portant Règlement administratif de la Cour de Justice de l’UEMOA ;
VU le Procès-Verbal n°01/2016/CJ du 25 mai 2016 relatif à la désignation du Président de la Cour et à la répartition des fonctions au sein de la Cour ;
VU le Procès-Verbal n°02/2016/CJ du 26 mai 2016 relatif à la prestation de serment et à l’installation des membres de la Cour de Justice de l’UEMOA ;
VU l’ordonnance n°004/2019/CJ du 08 février 2019 portant composition de la formation plénière devant siéger en audience publique ordinaire du 13 mars 2019 ;
VU l’ordonnance n°012/2019/CJ du 09 mai 2019, portant composition de la formation plénière devant siéger en audience publique ordinaire du 15 mai 2019 ;
VU les convocations des parties ;
VU les pièces du dossier ;
VU la requête aux fins de réparation de préjudice, de WELLINDE VOYAGES S.A.R.L., enregistrée au Greffe de la Cour le 22 novembre 2017, sous le numéro 17 R 004 ;
OUÏ le Juge rapporteur en son rapport ;
oui le Conseil de la partie demanderesse en ses observations orales ;
oui le Conseil de la partie défenderesse en ses observations orales ;
oui le Premier Avocat Général en ses conclusions orales ;
Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire :
r- DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Considérant que par requête en date du 14 novembre 2017, enregistrée au Greffe de la Cour de Justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest C XA), le 22 novembre 2017, sous le numéro 17 R 004, l’Agence WELLINDE VOYAGES S.A.R.L., élisant domicile … l’étude de la SCPA SISSILI Conseils, expose que, dans le cadre de la vente de titre de transports au profit des agents de la Commission de l’UEMOÀA, celle-ci restait lui devoir des sommes d’argent au titre de factures impayées s’étalant du 6 juillet 2012 au 5 avril 2013, pour un montant de huit cent soixante-six millions cinq cent cinquante-cinq mille soixante-seize (866 555 076) francs CFA ;
Que s’estimant lésée par ce qu’elle considère comme un défaut de paiement, elle a introduit un recours devant la Cour de céans aux fins de condamner la Commission à lui payer ladite somme ainsi que d’autres montants, au titre de la réparation du préjudice financier subi.
Qu’ainsi il a saisi la Cour de Justice de l'UEMOA aux fins de :
En la forme :
- Se déclarer compétente pour statuer sur le présent recours ;
- Dire que l’action a été introduite dans les délais ;
Au fond :
- Condamner la Commission à lui payer la somme de huit cent soixante-six millions cinq cent cinquante-cinq mille soixante-seize (866 555 076) francs CFA, au titre du principal de la créance ;
- Condamner la Commission à lui payer la somme de trois cent vingt-deux millions quatre cent trente mille sept cent un (322.430.701) francs CFA en réparation du préjudice financier ;
- Condamner la Commission en outre à lui payer la somme de vingt-neuf millions cinq cents (29.000.500) francs CFA représentant les frais d’avocat ;
- Condamner la Commission aux entiers dépens ;
I- DES MOYENS DES PARTIES
Considérant qu’au soutien de son recours, la requérante invoque la rétention abusive et injustifiée de sa créance ;
Considérant que la Commission, dans son mémoire en réponse, a soulevé l’incompétence de la Cour de justice de l’'UEMOA, la prescription de l’action et a subsidiairement sollicité, au fond, la désignation d’un expert pour faire la situation de leurs comptes ;
Qu'elle rappelle que la requérante a saisi la Cour de justice sur le fondement de l’article 15 du Protocole additionnel N°I relatif aux organes de contrôle. A ce titre, elle souligne que l’utilisation de l’expression « sans préjudice », qui signifie selon elle « sans compter » ou « indépendamment de », renvoie à l’idée que la règle de compétence énoncée par ce texte est sans incidence sur l’application d’une autre règle, en l’espèce l’article 9 du Traité de l’'EMOA, qu’elle entend ne pas écarter et qui va également s’appliquer ;
Qu'elle précise que cet article 9 traite de la responsabilité contractuelle de l’'UEMOA et de la juridiction nationale compétente pour tout litige y afférent, lesquelles sont régies par la loi applicable au contrat en cause. Elle ajoute que la Cour de justice de l’'UEMOA a une compétence d’attribution qui liste les différents recours susceptibles d’être portés devant elle et, de surcroît, les articles 27 de l’Acte additionnel n°10/96 portant Statuts de la Cour de justice et 15.5 du Règlement n°01/96/CM portant Règlement de Procédures de la Cour de justice ne régissent que la compétence de la Cour à déclarer engagée la responsabilité non contractuelle de l’Union ;
Que la Commission soutient également que les relations visées par la requérante sont de nature commerciale et sont régies par l’Acte uniforme sur le droit commercial général qui dispose en son article 301 que « la prescription des actions en matière de vente commerciale est soumise aux dispositions du chapitre IV du livre I du présent acte uniforme sous réserve du présent livre. Le délai de prescription en matière de vente commerciale est de deux ans sauf dispositions contraires du présent livre» ;
Qu’ainsi, elle plaide que le présent recours a été introduit le 22 novembre 2017 alors qu’il devait l’être à partir de 2014 pour les prétendues factures de 2012 et à partir de 2015 pour celles de 2013 prétendument impayées ;
Qu'elle estime également que si la Cour doit examiner le fond de l’affaire, il y a lieu d’abord d’ordonner une expertise pour faire les comptes entre les parties et mettre les frais à la charge de l’Agence ;
Considérant que, dans son mémoire en réplique, la requérante invoque la non exclusivité de la compétence des juridictions nationales à statuer sur la responsabilité contractuelle de l’Union ;
Qu’ainsi, elle expose que si le législateur voulait établir une compétence exclusive, il l’aurait fait de façon non équivoque tel que procédé à l’article 15.5 du Règlement n°01/96/CM portant Règlement de Procédures de la Cour de justice, lequel indique que la 4 Cour est seule compétente pour déclarer engagée la responsabilité non contractuelle et condamner l’Union à la réparation du préjudice causé ;
Qu'elle soutient que la Cour ne peut, au risque de s’arroger les pouvoirs du législateur, retenir une compétence exclusive des juridictions nationales en matière de responsabilité contractuelle de l’Union ;
Qu'elle ajoute que la lecture de l’article 27 de l’Acte additionnel n°10/96 portant Statut de la Cour de justice de l’'UEMOA ne permet pas de distinguer entre responsabilité contractuelle et celle non contractuelle ;
Que sur la prescription soulevée par la Commission, la requérante invoque les dispositions de l’article 234 du livre III, de l’Acte Uniforme sur le droit commercial général, qui précisent que le texte de l’article 301 concerne la vente commerciale à savoir les contrats de vente de marchandises entre commerçants, physiques ou personnes morales. ;
Qu'elle soutient que la Commission, n’ayant pas la qualité de commerçant, la prescription biennale ne peut être appliquée mais plutôt celles de l’article 16 du même livre qui prévoient une prescription quinquennale ;
Qu'elle plaide également la suspension des délais de prescription, causée par la signature, le 6 février 2014, d’un accord de conciliation à l’issue de laquelle, elle a convenu avec la Commission de se soumettre au résultat d’audit d’un expert et par la suite à celui de la Cour des comptes de l’'UEMOA ; ceci en application de l’article 21.2 de l’Acte uniforme précité.
Qu’enfin, elle demande à la Cour d’enjoindre à l’Union de mettre à la disposition des parties et de la juridiction de céans les résultats des précédents audits conformément à l’article 40 du Règlement de Procédures de la Cour de justice ;
Considérant que, dans son mémoire en duplique, la Commission souligne que même si la requérante accepte le principe de l’expertise judiciaire, il demeure que la présente action ne relève pas de la compétence de la Cour de justice ;
Qu'elle excipe, en outre, de la prescription triennale prévue à l’article 15 alinéa 5-2 du Règlement sus visé et l’irrecevabilité, en l’état, du recours en ce qu’il a été introduit sans attendre le résultat de l’expertise de la Cour des comptes ;
Qu'’enfin, elle manifeste son intention de mettre toutes les informations nécessaires à la manifestation de la vérité à la disposition de la Cour ;
II- DE LA DISCUSSION
Sur la compétence
Considérant que la Commission a soulevé l’incompétence de la juridiction de céans au motif que les règles de compétences d’attribution sont d’ordre public et peuvent être soulevées à toutes les étapes de la procédure, même d’office par le Juge ;
Considérant que la Cour de justice bénéficie d’une compétence d’attribution limitativement énumérée par les textes communautaires que sont le Protocole additionnel n° I relatif aux organes de contrôle de l'UEMOA, l’Acte additionnel n° 10/96 du 10 mai 1996 portant Statuts de la Cour de Justice de l’'UEMOA et le Règlement n° 01/96/CM du 05 juillet 1996 portant Règlement de procédures de la Cour de Justice de l’UEMOA ;
Qu’ainsi, selon l’article 27 de l’Acte additionnel portant Statuts de la Cour de Justice de l’UEMOA, elle est compétente pour connaitre notamment : des recours en manquement des Etats membres, des recours en annulation des règlements, directives et décisions des organes de l’UEMOA, des recours en responsabilité, conformément à l’article 15-5 du Règlement de Procédures, des différends entre membres relatifs au Traité de l'UEMOA, des litiges entre l'UEMOA et ses agents et du recours à titre préjudiciel ;
Qu'en effet, aux termes de l’article 15-5 du Règlement de Procédures, « La Cour de Justice est seule compétente pour déclarer engagée la responsabilité non contractuelle et condamner l’Union à la réparation du préjudice causé… » ;
Qu'en l’espèce, s’agissant d’un litige portant sur la responsabilité contractuelle de la Commission de l’UEMOA, la Cour doit se déclarer incompétente ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement en premier et dernier ressort en matière de droit communautaire ;
EN LA FORME :
- Se déclare incompétente ;
AU FOND :
- Renvoie l’Agence WELLINDE VOYAGES S.A.R.L., la requérante, à mieux se pourvoir ;
- Condamne aux dépens l’Agence WELLINDE VOYAGES S.A.R.L.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à B les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
La Présidente Le Greffier
Joséphine Suzanne EBAH TOURE Hamidou YAMEOGO