COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
SGA
Contre
REPUBLIQUE DU BENIN
REQUETE N°013/2017
ORDONNANCE PORTANT RABAT DU DELIBERE
05 DECEMBRE 2018
,
La Cour composée de : Sylvain ORE, Président, Ben KIOKO, Vice-Président, Gérard NIYUNGEKO, EI Hadji GUISSE, Rafaa BEN ACHOUR, Angelo v. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMUUSA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA,
Juges et Robert ENO, Greffier.
En I ‘affaire :
SGA
représenté par:
i. Me Marc BENSIMHON, avocat au Barreau de Paris
ii. Me Yaya POGNON, avocat au Barreau de Cotonou
iii. Me Issiaka MOUSTAPHA, avocat au Barreau de Cotonou
contre
REPUBLIQUE DU BENIN
représentée par:
i. Me Cyrille DJIKUI, avocat au Barreau de Cotonou, ancien Bâtonnier
ii. Me Elie VLAVONOU KPONOU, avocat au Barreau de Cotonou
iii. Me Charles BADOU, avocat au Barreau de Cotonou.
Apres en avoir délibéré, rend la présente ordonnance:
I. LES PARTIES
1. Le Requérant, est sieur SGA, (ci-après « le Requérant»), homme d'affaires et homme politique de la République du Benin.
2. L'Etat défendeur est la République du Benin (ci-après dénommée «Etat défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de I ‘homme et des peuples, (ci-après dénommée «la Charte»), le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l‘homme et des peuples (ci après dénommé « Ie Protocole »), le 22 août 2014. L'Etat défendeur a en outre déposé, le 8 février 2016, la Déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes directement introduites par les individus et les organisations non gouvernementales.
II. OBJET DE LA REQUETE
3. La Cour a été saisie de la requête en date du 27 février 2017. Dans celle-ci, le Requérant a expose qu'entre les 26 et 27 octobre 2016, la gendarmerie du Port Autonome de Cotonou et la Direction des douanes béninoises ont été alertées de la présence d'une quantité importante de cocaïne dans un conteneur à bord du navire « MSC Sophie» transportant des produits surgelés.
4. Sur la base de cette information donnée par les Services de Renseignements et de la Documentation de la Présidence de la République du Benin, le Ministère public et la Douane béninoise ont, dès le 28 octobre 2016, ouvert une procédure judiciaire contre le Requérant et trois de ses employés pour trafic de dix-huit (18) kg de cocaïne pure trouves dans un conteneur de produits surgelés importes par la Société Comptoir Mondial de Négoce (COMON SA) dont il est l'administrateur général.
5. Le 04 novembre 2016, la Chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, par jugement n°262/ IFD-16, a relaxe le Requérant et un des employés des fins de la poursuite pour insuffisance de preuves et au bénéfice du doute. Les deux autres employés ont été relaxes «purement et simplement ».
6. Le Requérant a également allégué que l'administration des Douanes a procédé à la suspension du terminal à conteneur de la Société de Courtage de Transit et de Consignation BA) ainsi qu'au retrait de l’agrément de commissionnaire en douane à la Société SOCOTRAC. La Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC), par deux décisions datées du 28 novembre 2016 a procédé à la coupure des signaux de la station de radio diffusion SOLEIL FM ainsi que de la chaine de télévision SIKKA TV. Le Requérant a allégué qu'il est l'actionnaire majoritaire dans toutes ces sociétés.
7. Dans sa requête soumise à la Cour le 27 février 2017, le Requérant, estimant que l'affaire de trafic international de drogue et la procédure subséquente s'inscrivent dans le cadre d'«un complot ourdi » contre lui et violent ses droits garantis et protégés par les instruments internationaux des droits de l'homme, a saisi la Cour de céans.
8. Par ailleurs, en octobre 2018, Ie Requérant a fait état de la création, en juillet 2018, d'une Cour d'exception, par l'Etat défendeur, en vue de le juger à nouveau pour la même affaire de trafic de drogue, et qui l'a effectivement condamné à vingt ans de prison ferme.
III. RESUME DE LA PROCEDURE DEVANT LA COUR
9. La Requête a été retenue au Greffe le 27 février 2017 et a été notifiée à l'Etat défendeur le 31 mars 2017. Par lettre datée du 29 mai 2017, reçue au Greffe le 1er juin 2017, l'Etat défendeur a soumis son mémoire sur les exceptions préliminaires.
10. Dans une lettre datée du 17 juillet 2017, reçue au Greffe le 19 juillet 2017, le Requérant a soumis sa réplique aux exceptions préliminaires soulevées par l'Etat défendeur. Le 29 août 2017, l'Etat défendeur a soumis sa duplique sur les exceptions préliminaires.
11. Le 09 octobre 2017, le Requérant a répondu à la duplique. Le 14 novembre 2017, l'Etat défendeur a soumis sa réponse aux observations du Requérant sur sa duplique.
12. Le 27 novembre 2017, le Greffe a informé les parties que la procédure écrite dans la présente affaire était close.
13. Dans une lettre datée du 06 novembre 2017, reçue au Greffe le 11 décembre 2017, le Requérant a allégué de nouvelles attaques contre sa personne et l'utilisation de nouvelles méthodes par l'Etat défendeur en vue d'asphyxier ses entreprises et a sollicité, de ce fait, la tenue d'une audience publique. Le 26 mars 2018, il a réitéré cette demande.
14. Le 09 mai 2018, la Cour a tenu son audience publique et a mis l'affaire en délibéré tout en accordant à l'Etat défendeur l'autorisation de déposer, dans un délai de trente (30) jours, sa réponse aux nouveaux moyens du Requérant. La dite réponse a été déposée au Greffe le 13 mai 2018.
15. Dans une lettre datée du 15 octobre 2018 et reçue le 16 octobre 2018, le Requérant a soumis à la Cour de nouvelles allégations en rapport avec l'affaire.
.
Dans ses écritures, il a fait valoir qu'alors que l'arrêt de la Cour de céans est attendu par les parties, l'Etat du Benin a créé, par une loi datée du 02 juillet 2018, une juridiction d'exception nommée « Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (ci-après « CRIET») pour connaitre, une fois encore, de l'affaire de trafic international de drogue qui l'a impliqué. Il a également allégué que cette nouvelle procédure implique de nouvelles violations de ses droits et a sollicité que la Cour rende une ordonnance demandant à l'Etat défendeur de surseoir à son procès devant la CRIET.
16. Le 24 octobre 2018, le Greffe a notifié à l'Etat défendeur les nouvelles allégations du Requérant.
17. Le 26 octobre 2018, le Requérant a soumis une autre lettre dans laquelle il fait état de l'arrêt de condamnation rendu par la CRIET et a demande a la Cour de rendre, à titre de mesures provisoires, une ordonnance de sursis à l'exécution dudit arrêt.
Cette lettre a été enregistrée au Greffe le 31 octobre 2018.
18. Le 31 octobre 2018, Ie Greffe a reçu du Requérant une lettre datée du même jour. Dans celle-ci, le Requérant a produit le compte-rendu de l'Assemblée générale des magistrats de Cotonou, qui soutient l'illégalité de la CRIET et a demande à la Cour de prendre toutes mesures appropriées, y compris le sursis à l'exécution de l'arrêt rendu par la CRIET jusqu'a l'examen du pourvoi en cassation.
19. Le 05 novembre 2018, le Requérant a adresse à la Cour une lettre rectificative de celle en date du 31 octobre 2018 et a demande à la Cour de considérer le sursis à l’exécution de l'arrêt de la CRIET jusqu'a sa décision et non jusqu'à l'examen du pourvoi en cassation. Cette lettre a été reçue au Greffe le 20 novembre 2018 et notifiée a l'Etat défendeur le même jour.
20. Le 07 novembre 2018, le Greffe a notifié à l'Etat défendeur les lettres du Requérant datées respectivement du 26 et 31 octobre 2018.
21. Le 12 novembre 2018, le Requérant a réitéré sa demande de sursis à l'exécution de l'arrêt de la CRIET. Cette lettre a été reçue au Greffe le 19 novembre 2018 et notifiée à l’Etat défendeur le 20 novembre 2018.
22. Le 13 novembre 2018, l'Etat défendeur a formulé ses observations sur la recevabilité des nouvelles allégations soumises par Ie Requérant. Les observations de l'Etat défendeur ont été reçues le 14 novembre 2018 au Greffe qui les a notifiées au Requérant le même jour.
23. Le 20 novembre 2018, le Greffe a reçu les observations de l'Etat défendeur, formulées dans sa lettre en date du 19 novembre 2018, sur le sursis à l'exécution de l'arrêt rendu par la GRIET. Le même jour le Greffe a transmis lesdites observations au Requérant.
24. Le 21 novembre 2018, le Requérant a soumis à la Gour un ensemble de documents, à l'appui des nouvelles allégations de violation de ses droits, constitué d'un rapport d'étude menée par le Barreau du Benin sur la GRIET, la transcription de la déclaration du Président de l'Union National des Magistrats du Benin ainsi qu'une copie de l'arrêt rendu par la GRIET. Lesdits documents ont été transmis à l'Etat défendeur le même jour.
IV. POSITION DE LA COUR
25. La Cour note que les développements intervenus après la mise en délibéré de l'affaire ont un lien avec les faits allégués dans la Requête introduite le 27 février 2017 et présentent une contuinité certaine avec ces derniers.
26.A cet égard, la Gour considère que dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, elle dispose du pouvoir inhérent de décider de rabattre le délibéré, de réouvrir les débats et de recevoir les nouvelles pièces déposées par les parties après la mise en délibéré de l'affaire.
V. DISPOSITIF
27. Par ces motifs,
LA COUR,
A l'unanimité,
i. Rabat Ie délibéré en l'affaire objet de la Requête n°0013/2018 Ac Aa Ab c. République du Benin et décide la réouverture de la procédure écrite;
ii. Reçoit les nouvelles pièces déposées par les parties après la mise en délibéré de l'affaire ;
iii. Accorde au Requérant un délai de trente (30) jours à compter de la date de notification de la présente ordonnance pour soumettre sa réplique au mémoire en défense de l'Etat défendeur sur tous les aspects de l'affaire.
Ont signé:
Sylvain ORE, Président;
Ben KIOKO, Vice-président;
Gérard NYUNGEKO, Juge ;
EI Hadj GUISSE, Juge ;
Rafaa BEN ACHOUR, Juge ;
Angelo v. MATUSSE, Juge ;
Suzanne MENGUE, Juge ;
M-Thérèse MUKAMULlSA, Juge ;
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;
Chafika BENSAOULA, Juge
et
Robert ENO, Greffier.
Fait à Tunis, le cinquième jour du mois de décembre 2018, en anglais et en français, le texte français faisant foi