COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 DECEMBRE 2019
J-B.C.
N° 2019/343
Rôle N° 16/15449 -
N° Portalis DBVB-V-B7A-7ESN
[Z] [Y]
C/
PROCUREUR GENERAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Mme [M]
Me Isabelle FICI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 29 Juin 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 15/08821.
APPELANT
Monsieur [Z] [Y]
né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 5] (Sénégal)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2016/011037 du 17/10/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
représenté par Me Isabelle FICI, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
PRÈS LA COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
[Adresse 3]
représenté par Madame Isabelle POUEY, Substitut général.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre
Mme Annie RENOU, Conseiller
Mme Annaick LE GOFF, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2019,
Signé par M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M. [Z] [Y] a obtenu le 26 février 2013 un certificat de nationalité française, délivré par le greffier en chef du Tribunal d'instance de NICE.
Par exploit signifié le 6 juillet 2015, le Procureur de la république a fait assigner M. [Y] par devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE afin d'obtenir l'annulation de l'enregistrement de cette déclaration, et de faire constater son extranéité.
Le ministère public faisait valoir que l'acte de naissance n°1594 supposé être celui de M. [Y] [Z], établi par l'Officier d'état civil de la commune de [Localité 5] au Sénégal et communiqué par les autorités sénégalaises était apocryphe dès lors qu'il était établi que l'acte de naissance n°1594 correspondait à une autre personne que M. [Y]
M. [Y] n'ayant pas constitué avocat en première instance le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE rendait le 29 juin 2016 un jugement réputé contradictoire et en premier ressort, statuant ainsi qu'il suit :
- « Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;
- Dit que le certificat de nationalité française délivré le 26 février 2013 â [Z] [Y], se disant né le [Date naissance 1] 1982 â [Localité 5] au Sénégal, l'a été à tort ;
- Constate l'extranéité de [Z] [Y] se disant né le [Date naissance 1] 1982 â [Localité 5] au Sénégal ;
- Ordonne la mention du présent jugement en marge des actes de naissance des intéressés en application de l'article 28 du Code civil ;
- Condamne [Z] [Y] aux dépens. »
Le tribunal a retenu l'argumentation du ministère public concernant l'absence d'état civil fiable de l'intéressé et l'absence de preuve de son lien de filiation avec une personne de nationalité française.
M. [Y] a formé appel de cette décision le 23 août 2016.
Il fait valoir que c'est par erreur que la copie de l'acte de naissance qui lui a été délivrée et qu'il a produite lors de sa demande de certificat de nationalité porte le numéro 1594, sa naissance ayant été enregistrée en réalité sous le n° 1595 . Il produit pour en attester une nouvelle copie littérale de son acte de naissance portant le N° 1595 ainsi qu'une copie de l'acte de reconnaissance par son père portant le même numéro. Il explique le fait que sa carte nationale d'identité sénégalaise porte également le numéro 1594 par le fait qu'il a fourni un acte de naissance comportant le numéro erroné. ( NB les actes qu'il a produits pour obtenir le Certificat NI portent tous le N° 1594 et sont délivrés à des dates différentes : la copie d'acte de naissance le 16 avril 2013. La copie de l'acte de reconnaissance le 22 décembre 2012 et la CNI sénégalaise le 26 juin 2010. Comment expliquer que l'erreur se soit répétée trois fois) Il indique avoir sollicité un renouvellement de sa CNI sous le bon numéro.
Concernant le fait que, bien que sa déclaration de naissance soit intervenue plus de 45 jours après sa naissance sans que figure en marge de l'acte l'inscription de déclaration tardive il produit un courrier de Monsieur l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 5] attestant que, dans la pratique cette mention est souvent oubliée.
Il fait valoir qu'il a obtenu du Tribunal d'instance de [Localité 5] le 21 février 2019,une décision qui constate l'inexistence juridique de l'acte de naissance établi sous le n°1594 de l'année 1982, annule les copies de cet acte et dit que Monsieur [Y] [Z] est régulièrement inscrit dans les registres du centre secondaire de l'état civil de la commune de [Localité 5], sous le N° 1595 de l'année 1982.
Il précise que la décision est définitive comme en fait foi le certificat de non opposition et de non appel en date du 07 Octobre 2019 du Jugement rendu par le Tribunal d'instance de [Localité 5] du 21 février 2019 et doit être reconnue en France selon l'article 47 c de la Convention Franco-Sénégalaise de coopération Judiciaire signée à Paris le 29 mars 1974.
Le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Il fait valoir :
Qu'il résulte des vérifications auprès de l'état civil sénégalais que l'acte 1594/1982 dressé au centre d'état civil de [Localité 5] ne concerne pas Monsieur [Z] [Y], mais un tiers ce qui suffit à faire la preuve que le certificat de nationalité française délivré le 26 février 2013 l'a été à tort, sur production d'un acte apocryphe, ce qui fait tomber la force probante qui lui est attachée et renverse la charge de la preuve.
Que la décision de rectification obtenue par M. [Y] ne peut être reconnue en France aux termes de l'article 47 de la convention franco sénégalaise de coopération judiciaire signée à [Localité 4] le 29 mars 1974 que si elle ne peut plus, "d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, faire l'objet d'un recours ordinaire ou d'un pourvoi en cassation".
Que la cour devra s'interroger sur la régularité internationale de cette décision en vérifiant qu'elle remplit les conditions prévues par l'article 47 de la dite convention.
Que l'appelant présente désormais divers documents attestant de ce que sa naissance a été enregistrée sous le numéro 1595 mais que le contenu de ces pièces est directement contredit :
- par la copie d'acte de reconnaissance, délivrée le 22 décembre 2012, produite au soutien de la demande de certificat de nationalité française, portant le numéro 1594, tout comme l'acte de naissance initialement produit;
- par le numéro d'identification nationale figurant sur la carte d'identité de l'intéressé (1 970 1982 01594), délivrée le 26 juin 2010 (soit deux ans avant la délivrance de la copie d'acte censément entachée d'une erreur matérielle), faisant lui aussi référence à un acte n°1594.
Que d'autre part, l'article 51 du Code de la famille sénégalais (pièce jointe n°6) énonce que toute naissance doit en principe être déclarée dans le délai d'un mois et "lorsqu'un mois et quinze jours se sont écoulés depuis une naissance sans qu'elle ait fait l'objet d'une déclaration, l'officier de l'état civil peut néanmoins en recevoir une déclaration tardive pendant le délai d'une année à compter de la naissance à condition que le déclarant produise à l'appui de sa déclaration un certificat émanant d'un médecin ou d'une sage-femme ou qu'il fasse attester la naissance par deux témoins majeurs. En tête de l'acte dressé tardivement doit être mentionné : « inscription de déclaration tardive»". Que cette mention ne figure pas sur la copie d'acte de naissance produite par Monsieur [Z] [Y].
Que même s'il était authentique, l'acte n°1595/1982 se trouverait par là même privé de toute force probante au sens de l'article 47 du Code civil, pour ne pas avoir été rédigé dans les formes usitées au Sénégal
Il estime que faute de justifier d'un état civil certain, Monsieur [Z] [Y] ne peut se voir reconnaître la nationalité française.
SUR CE:
Sur la charge de la preuve
Aux termes de l'article 30 du code civil «La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.
M. [Z] [Y] a obtenu le 26 février 2013 un certificat de nationalité française, délivré par le greffier en chef du Tribunal d'instance de NICE.
L'application de la règle précitée suppose cependant que le certificat de nationalité n'ait pas été obtenu par fraude.
Il convient donc d'examiner la copie de l'acte de naissance qu'a produite M. [Z] [Y] pour obtenir la délivrance du certificat de nationalité.
Il s'agit d'une copie littérale d'acte de naissance portant le numéro 1594. Cette copie délivrée le 22 décembre 2012 atteste de ce que le 31 décembre 1982 devant l'officier d'état civil de [Localité 5] a été déclarée la naissance le 10 mars 1982 de [Z] fils de [X] [N] [Y].
Si cet acte ne présente pas en lui-même une apparence frauduleuse le ministère public justifie de ce que la vérification des registres de l'état civil de la ville de [Localité 5] a démontré que la personne enregistrée sous le numéro 1594 de l'année 1982 n'était pas M. [Y].
Ce n'est qu'à la suite de cette constatation que M. [Y] a fait valoir que c'était par erreur que l'officier d'état civil avait porté le numéro 1594 sur la copie de l'acte de naissance et que sa naissance avait été en réalité enregistrée sous le numéro 1595. Il produit désormais une nouvelle copie littérale de son acte de naissance qui comporte les mêmes éléments que celle qu'il avait antérieurement produits mais qui porte cette fois le numéro 1595 de 1982. Elle est accompagnée d'un courrier établi par un officier d'état civil de [Localité 5] attestant de ce que c'est par erreur que la copie initiale faisait référence à un acte portant le numéro 1594.
M. [Y] a par la suite produit une décision du tribunal d'instance de [Localité 5] qui sur sa requête a constaté l'inexistence juridique de l'acte de naissance de [Z] [Y] établi sous le numéro 1594 de 1982, a annulé les copies de l'acte 1594 de 1982 et a dit que M. [Z] [Y] est régulièrement inscrit sur les registres de l'état civil de [Y] sous le numéro 1595 de 1982. Il a enfin communiqué un certificat de non appel de cette décision.
Malgré les éléments produits par M. [Y] il apparaît que la copie de l'acte de naissance est entachée d'une fraude et qu'elle n'est pas simplement porteuse d'une erreur.
En effet si M. [Y] a dans ses démarches entretenu une certaine confusions entre l'acte de naissance lui-même qui porte un numéro sur les registres d'état civil et les copies de cet acte délivrées par l'officier d'état civil qui doivent mentionner ce numéro d'enregistrement, son argumentation actuelle consiste à affirmer que son acte de naissance a valablement été enregistré sous le numéro 1595 et que l'officier d'état civil qui, le 22 décembre 2012, lui en a délivré une copie a commis une erreur matérielle portant sur le numéro.
Cette argumentation ne peut cependant résister à l'examen.
En effet si une erreur de la personne chargée de délivrée les copies d'actes d'état civil est toujours possible il n'est pas vraisemblable qu'elle se renouvelle dans les mêmes termes à plusieurs reprises.
Il est déjà troublant de constater que le même jour l'officier d'état civil a commis la même erreur à deux reprises ; en effet la copie de l'acte de reconnaissance délivrée à M. [Y] le 22 décembre 2012 comporte également l'erreur affectant la copie de l'acte de naissance. La répétition de cette erreur le même jour n'est cependant pas déterminante puisqu'elle a pu être commise dans la foulée de la première erreur.
Tel n'est pas le cas pour l'erreur affectant la carte d'identité de M. [Y]. En effet il résulte des échanges entre les parties que le numéro de la carte d'identité sénégalaise comporte notamment le numéro d'enregistrement de l'acte de naissance. Or le numéro figurant sur la carte d'identité délivrée à M. [Y] le 26 juin 2010, comporte le numéro 1994 ce qui suppose que la copie de l'acte de naissance produite par M. [Y] à cette occasion comportait également l'erreur affectant celle délivrée deux ans plus tard, le 22 décembre 2012, et qui a été produite à l'appui de la demande de certificat de nationalité.
Une telle répétition n'est pas vraisemblable et permet de considérer, malgré les rectifications que M. [Y] a fait opérer par les autorités sénégalaises que l'acte de naissance qu'il a produit était frauduleux et que cela affecte la validité du certificat de nationalité qu'il a obtenu.
Cette constatation fait obstacle à ce que cet acte frauduleusement obtenu produise des effets et notamment qu'il renverse la charge de la preuve.
C'est donc à M [Z] [Y] qu'il appartient de démontrer qu'il est français.
Sur la qualité de français de M. [Y]:
Pour que la qualité de français puisse être reconnue à un individu il convient en premier lieu qu'il dispose d'un état civil fiable permettant de remonter la chaîne de filiation jusqu'à l'ancêtre français dont il se revendique.
L'argumentation relative à la validité de la copie de l'acte de naissance produit par M. [Y] pour obtenir la délivrance du certificat de nationalité précité peut être transposée en ce qui concerne la fiabilité de son état civil. Il produit deux copies d'actes de naissance comportant un numéro différent et il n'est pas vraisemblable que cela résulte d'une simple erreur de copiste pour le motifs déjà indiqués.
Dans ces conditions les rectifications ultérieures de prétendues erreurs matérielles ne sont pas de nature à lever l'ambiguïté qui pèse sur l'état civil de M. [Y] de sorte qu'il ne peut être considéré qu'il démontre qu'il est français.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort
Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise.
Condamne M. [Z] [Y] aux dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT