ARRÊT N°
EM/DB
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 07 MAI 2019
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Réputé contradictoire
Audience publique
du 26 mars 2019
N° de rôle : N° RG 19/00102 - N° Portalis DBVG-V-B7D-EBSG
S/appel d'une décision
du JUGE DE L'EXECUTION DE BESANCON
en date du 30 novembre 2018 [RG N° 17/00049]
Code affaire : 78A
Demande tendant à la vente immobilière et à la distribution du prix
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE C/ Y... T... , E... D... divorcée de Y... T... , Organisme TRESOR PUBLIC
PARTIES EN CAUSE :
CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE-COMTE
dont le siège est sis [...]
APPELANT
Représentée par Me Mohamed AITALI de la SELARL TERRYN - AITALI -GROS-CARPI-LE DENMAT, avocat au barreau de BESANCON
ET :
Monsieur Y... T...
né le [...] à LIEGE - de nationalité française,
demeurant [...]
INTIMÉ
Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON
Madame E... D... divorcée de Monsieur Y... T...
née le [...] à BESANCON (25000)
de nationalité française, demeurant [...]
INTIMÉE
n'ayant pas constitué avocat
TRESOR PUBLIC
poursuites et diligences du comptable public au pôle Recouvrement spécialisé DOUBS - Centre des Finances Publiques en vertu de son inscription d'hypothèque légale du 2 février 2017 publiée le 3 février 2017 Volume V 2017 V n°393 ayant effet jusqu'au 2 février 2027
dont le siège est sis [...]
INTIMÉ
Représentée par Me Séverine WERTHE de la SCP DSC AVOCATS, avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN (magistrat rapporteur) , Président de chambre.
ASSESSEURS : Madame B. UGUEN LAITHIER et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseillers.
GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Madame B. UGUEN LAITHIER et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 26 mars 2019 a été mise en délibéré au 07 mai 2019. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Faits et prétentions des parties
Le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté (la banque) a engagé, suivant commandement délivré le 24 juillet 2017 et publié le 18 septembre 2017 au service de la publicité foncière de Besançon 1 volume 2017 S n°30, une procédure de saisie immobilière à l'encontre de M. Y... T... et de Mme E... D... divorcée T... (les consorts T... ) portant sur divers biens immobiliers leur appartenant situés [...] , et ce pour paiement du montant de deux prêts immobiliers souscrits le 5 mai 2011.
Saisi par assignation délivrée le 30 octobre 2017 à la requête de la banque, dénoncée le 30 octobre 2017 au Trésor Public, pôle de recouvrement du Doubs, créancier inscrit, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Besançon, estimant que les consorts T... étaient recevables et fondés à contester la validité de la stipulation d'intérêts contractuels des prêts dès lors que la banque les avait calculés selon la méthode dite de l'année lombarde a, par jugement d'orientation rendu le 30 novembre 2018 :
- déclaré recevable l'action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels fixées dans chacun des deux prêts immobiliers souscrits le 21 avril 2011 et contenus dans l'acte authentique du 5 mai 2011 reçu par M. P... G..., notaire associé à Besançon,
- constaté que les deux prêts immobiliers n° [...] de 70000euros et n° [...] de 93000euros, comprenant stipulation d'intérêts conventionnels de 3,95 %, ont donné lieu au calcul des intérêts conventionnels dus par les emprunteurs selon une année de 360 jours, dite année lombarde,
- rappelé que le calcul par année lombarde est une clause abusive depuis la recommandation de la Commission des clauses abusives du 20 septembre 2005, et sanctionné depuis 2013 par la Cour de cassation,
- substitué au taux d'intérêts conventionnels des deux prêts immobiliers le taux d'intérêt légal,
- retenu que pour le prêt de 93000euros et à la date d'exigibilité, le trop perçu d'intérêts était de 16211,09euros, soit 28 fois le montant de l'échéance mensuelle,
- retenu que pour le prêt de 70000euros et à la date d'exigibilité, le trop perçu d'intérêts était de 12785,02euros, soit 27 fois le montant de l'échéance mensuelle,
- constaté dès lors que la créance invoquée par la banque n'était pas exigible lors des mises en demeure et de la délivrance du commandement de payer valant saisie,
- prononcé en conséquence la nullité de la procédure de saisie immobilière,
- débouté la banque de sa demande de vente forcée,
- condamné la banque à payer aux consorts T... la somme de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La banque a interjeté appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe le 15 janvier 2019 et, régulièrement autorisée par ordonnance présidentielle du 17 janvier 2019, elle a fait assigner à jour fixe M. Y... T... , Mme E... D... divorcée T... et le Trésor public selon exploits d'huissier délivrés le 23 janvier 2019 à personne.
Elle conclut en dernier lieu le 18 février 2019 à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :
- déclarer irrecevable car prescrite la contestation élevée par les consorts T... ,
- subsidiairement débouter ces derniers de l'intégralité de leurs demandes,
- en tout état de cause, dire qu'elle est fondée en ses demandes,
- mentionner le montant de sa créance en application de l'article R.322-18 du Code des procédures civiles d'exécution aux sommes de :
* 69616,75 euros outre intérêts au taux de 3,95 % sur 61925,48 euros à compter du 23 décembre 2017 au titre du prêt n° [...],
* 87999euros outre intérêts au taux de 3,95 % sur 79636,56euros à compter du 23 décembre 2017 au titre du prêt n° [...],
- ordonner la vente forcée du bien en application de l'article R.322-15 du Code des procédures civiles d'exécution,
- fixer une date à laquelle il sera procédé à la vente forcée du bien en cause conformément à l'article R.322-26 du Code des procédures civiles d'exécution,
- désigner dès à présent M. H... M..., huissier de justice lequel aura pour mission de faire visiter les biens saisis aux amateurs éventuels et pourra se faire assister si besoin par deux témoins, d'un serrurier et de la force publique,
- condamner solidairement les requis au paiement de la somme de 1500euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance, et à celle de 1500euros au même titre pour les frais engagés à hauteur d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel et dire que ces dépens seront pris en frais privilégiés de vente.
M. Y... T... a répliqué en dernier lieu le 13 mars 2019 pour demander à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à constater également que les intérêts ont été calculés sur la base d'une année de 365 jours, sans considération des années bissextiles, et de condamner la banque à lui payer 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le Trésor Public, créancier inscrit, a constitué avocat le 30 janvier 2019 en la personne de Mme Séverine Verthe, mais n'a pas conclu.
Mme E... D... divorcée T... n'a pas constitué avocat.
En application des dispositions de l'article 474 alinéa 1 du code de procédure civile, le présent arrêt sera réputé-contradictoire.
Motifs de la décision
- sur la fin de non recevoir tirée de la prescription,
Il résulte des dispositions des articles 1304 et 1907 du code civil, et L. 313-1 et L.313-2 du code de la consommation dans leur version applicable à la cause, qu'en cas d'octroi d'un crédit à un consommateur ou à un non professionnel, la prescription de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel engagée par celui-ci en raison d'une erreur affectant le taux effectif global, court, de même que l'exception de nullité d'une telle stipulation contenue dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d'exécution, ce qui est le cas en l'espèce, à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur ; qu'ainsi le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur (Civ. 1ère, 11 juin 2009, n° de pourvoi :08-11755).
En l'espèce il est pas contesté que les consorts T... n'ont pas la qualité de professionnels.
Il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge, après avoir constaté que l'erreur invoquée sur le calcul du taux de l'intérêt conventionnel ne pouvait être détectée par la simple lecture du contrat de prêt mais seulement à la suite d'opérations mathématiques, a considéré que la prescription n'avait pas couru à compter de la date de la convention mais de sa révélation aux emprunteurs de sorte qu'elle n'était pas acquise à la date du 5 avril 2018 lorsque M. T... a soulevé l'exception de nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
- au fond,
Conformément aux dispositions des articles 1907 du Code civil et L. 313-1 et R. 313-1 du Code de la consommation, dans leur rédaction applicable aux contrats litigieux, le taux conventionnel comme le taux effectif global doit, dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou à un non-professionnel, être calculé sur la base de l'année civile laquelle comporte 365 ou 366 jours. (Cass. Civ. 1ère 17 juin 2015, n° de pourvoi : 14-14326 - Com. 10 janvier 1995, n° de pourvoi : 91-21141).
En l'espèce, suite à la production au dossier d'un rapport établi par M. Q..., sur le contenu duquel les parties ont pu librement débattre et dont les calculs effectués, relativement simples, ont pu être vérifiés tant par elles que par la cour, la banque a reconnu qu'elle avait calculé le taux de l'intérêt conventionnel sur la base du mois normalisé, à savoir d'un mois de 30,41666 jours, soit 365/12 que l'année soit bissextile ou non.
Or, l'application du rapport 30,41666/365 est équivalent à celui 30/360 de l'année dite lombarde, soit égal à 0,08333.
Il est ainsi parfaitement établi que la banque n'a pas calculé le taux conventionnellement stipulé sur la base de l'année civile de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a considéré que le taux légal devait lui être substitué sur toute la durée des deux prêts.
Eu égard à cette substitution, et nonobstant le caractère erroné des tableaux d'amortissement reconstitués par M. Q... qui a appliqué un taux légal fixe de 0,38 % l'an au lieu du taux légal réellement applicable année par année, il appartenait à la banque de démontrer qu'à la date de délivrance du commandement de payer, soit le 24 juillet 2017, elle était titulaire d'une créance exigible.
Faute pour elle d'administrer une telle preuve en produisant de nouveaux tableaux d'amortissement tenant compte de l'intérêt au taux légal applicable selon les années concernées et faisant apparaître une créance à son bénéfice exigible à la date de délivrance du commandement de payer, le jugement déféré qui a prononcé la nullité de la procédure de saisie immobilière et débouté la banque de sa demande de vente forcée ne peut qu'être confirmé de ces chefs.
Le dispositif d'un jugement n'ayant à faire ni de constat, ni de rappel, le jugement déféré sera dès lors confirmé mais seulement en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels fixés dans chacun des deux prêts immobiliers souscrits le 21 avril 2011 et contenus dans l'acte authentique du 5 mai 2011 reçu par M. P... G..., notaire associé à Besançon,
- substitué au taux d'intérêts conventionnels des deux prêts immobiliers le taux d'intérêt légal,
- prononcé la nullité de la procédure de saisie immobilière,
- débouté la banque de sa demande de vente forcée,
- condamné la banque à payer aux consorts T... la somme de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il sera en revanche infirmé par retranchement pour le surplus.
La banque qui succombe en son recours supportera les dépens d'appel et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé-contradictoire après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement d'orientation rendu le 30 novembre 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Besançon en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels fixés dans chacun des deux prêts immobiliers souscrits le 21 avril 2011 et contenus dans l'acte authentique du 5 mai 2011 reçu par M. P... G..., notaire associé à Besançon,
- substitué au taux d'intérêts conventionnels des deux prêts immobiliers le taux d'intérêt légal,
- prononcé la nullité de la procédure de saisie immobilière,
- débouté la banque de sa demande de vente forcée,
- condamné la banque à payer aux consorts T... la somme de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'infirme par retranchement pour le surplus.
Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne le Crédit agricole mutuel de Franche-Comté aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Dominique Borowski, Greffier.
Le greffier, Le président de chambre