République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 29/04/2013
***
N° de MINUTE : 201/2013
N° RG : 12/02350
Jugement (N° 10/08961)
rendu le 07 Mars 2012
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : EM/VD
APPELANTE
Madame [S] [I] [Y] veuve [G]
née le [Date naissance 2] 1924 à [Localité 4]
Demeurant
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Bernard FRANCHI de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI
assistée de Me Thérèse WILS-DOBBELS, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ
Monsieur [D] [G]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 2] ([Localité 2])
Demeurant
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Isabelle CARLIER, avocat au barreau de DOUAI, constituée aux lieu et place de la SCP CARLIER-REGNIER, avocats au barreau de DOUAI, SCP dissoute
DÉBATS à l'audience publique du 18 Mars 2013, tenue par Evelyne MERFELD magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Evelyne MERFELD, Président de chambre
Pascale METTEAU, Conseiller
Joëlle DOAT, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 Avril 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame Evelyne MERFELD, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
VISA DU MINISTÈRE PUBLIC : 11 mars 2013
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 mars 2013
***
Monsieur [P] [G] a épousé Madame [J] [Z] le 10 avril 1944. Le 26 février 1948 il a déposé une requête en divorce pour faute. L'ordonnance de non conciliation a été rendue le 8 avril 1948.
Madame [Z] a accouché le 4 mai 1948 d'un garçon prénommé [D] qui a été déclaré à l'état civil comme étant le fils légitime de [P] [G].
Le divorce des époux [G]-[Z] a été prononcé par jugement du tribunal de première instance de Lille en date du 1er juillet 1948, qui a confié la garde de l'enfant à la mère. Aucun contact n'a été prévu entre Monsieur [P] [G] et l'enfant.
Le 29 juillet 1963 Monsieur [P] [G] a épousé Madame [S] [Y]. Par acte notarié du 13 février 1979, il lui a consenti, au cas où elle lui survivrait, une donation portant sur la propriété de l'universalité des biens composant sa succession en l'absence de descendant et, pour le cas où il laisserait des descendants, sur la pleine propriété de l'immeuble d'habitation et, au choix de la donataire, sur la quotité disponible la plus large entre époux qui sera permise par la loi en vigueur lors du décès du donateur.
Monsieur [P] [G] est décédé le [Date décès 1] 2010 à [Localité 6].
Par acte d'huissier du 27 septembre 2010 Madame [Y] veuve [G] a fait assigner Monsieur [D] [G] devant le Tribunal de Grande Instance de Lille pour voir déclarer ouverte la succession de Monsieur [P] [G], dire que sa veuve se trouve être sa seule et unique héritière et renvoyer la cause et les parties devant notaire.
Par jugement du 7 mars 2012 le tribunal a :
- déclaré ouverte la succession de Monsieur [P] [G],
- dit que Monsieur [D] [G] a bien la qualité d'héritier à la succession de Monsieur [P] [G],
- renvoyé la cause et les parties devant Maître [H] [T], notaire,
- rappelé que le notaire devra dresser un état liquidatif dans le délai d'un an à compter de sa désignation, conformément à l'article 1368 du code de procédure civile, sauf prorogation accordée par le juge commis à la surveillance des opérations de partage,
- débouté Monsieur [D] [G] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Madame [Y] aux dépens.
Les premiers juges ont dit que [D] [G] est né alors que les époux [G]-[Z] étaient toujours mariés, que la présomption de paternité trouve donc à s'appliquer et que l'absence de relations entre [P] et [D] [G] ne peut avoir aucun effet sur le lien de filiation alors que l'action en contestation de paternité, fondée sur le fait qu'il n'a existé aucune possession d'état conforme au titre, n'a jamais été exercée. Ils ont dit qu'aucune atteinte à la vie privée de Monsieur [P] [G] ne peut résulter d'un non exercice volontaire par celui-ci d'actions en désaveu ou en contestation de paternité qui lui étaient ouvertes pendant trente années à compter de la naissance de l'enfant et ont jugé que dès lors que la présomption de paternité n'a pas été écartée Monsieur [D] [G] est bien le fils de Monsieur [P] [G] et entre donc dans sa succession avec le conjoint survivant.
Madame [S] [Y] veuve [G] a relevé appel de ce jugement le 18 avril 2012.
Elle demande à la Cour, au visa de l'adage 'fraus omnia corrumpit', des articles 12 et 17 de la déclaration des droits de l'homme, de l'article 1 du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 8 et 13 de ladite convention, de réformer le jugement, de dire qu'elle est seule et unique héritière de Monsieur [P] [G], Monsieur [D] [G] ne pouvant justifier que d'une légitimité seulement fondée sur son acte de naissance délivré à la suite d'une fraude, non corroborée par la possession d'état d'enfant légitime et contraire à sa filiation biologique.
Subsidiairement et avant dire droit elle sollicite une expertise ADN de Monsieur [D] [G] et des neveux de Monsieur [P] [G].
En tout état de cause elle demande que les parties soient renvoyées devant Maître [Q] [R], notaire à [Localité 5].
Elle soutient qu'il est de notoriété publique que [D] n'est pas le fils biologique de [P] [G] et que la situation actuelle découle d'une double fraude commise par Madame [J] [Z], d'abord en faisant acter 180 jours avant la naissance de l'enfant qu'elle quittait le domicile conjugal alors qu'elle était séparée de son mari depuis plus de six mois, ensuite en déclarant que l'enfant était de son mari. Elle en déduit que l'acte de naissance qui découle de cette fraude et l'apparente légitimité de Monsieur [D] [G] doivent lui être déclarés inopposables.
Elle invoque la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme sur le droit de propriété et fait valoir qu'elle ne saurait être privée d'une partie importante de ses droits dans la succession de son mari par le simple jeu d'une prescription, les premiers juges n'ayant pas, selon elle, répondu à son argumentation à ce sujet.
Elle ajoute :
- que les énonciations d'un acte de naissance ne font foi que jusqu'à preuve du contrat, que l'acte de naissance de [D] [G] comporte des contrevérités, l'officier d'état civil ayant été tenu dans l'ignorance de la séparation des époux et de la procédure de divorce, que [D] [G] ne prouve pas sa qualité d'héritier alors qu'elle-même prouve le contraire,
- que le droit français, en raison des délais stricts auxquels il soumet l'exercice des actions en contestation ou établissement de filiation ne semble pas conforme aux exigences européennes,
- qu'une situation dans laquelle la présomption légale pourrait prévaloir sur la réalité biologique ne serait pas compatible avec l'obligation de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale, rappelé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme,
- qu'elle peut se prévaloir de 50 ans de vie commune alors que l'intimé ne peut justifier d'aucun lien affectif avec le défunt, qu'il ne se fait d'ailleurs pas appeler par son prénom mais est connu sous celui de [E].
Subsidiairement à l'appui de sa demande d'expertise elle déclare que cette mesure d'instruction reste possible puisqu'elle dispose d'une mèche de cheveux de son défunt mari et que le frère jumeau de celui-ci a deux fils qui accepteraient de se soumettre à l'expertise.
Par ordonnance du 15 janvier 2013 le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions déposées par Monsieur [D] [G] le 5 novembre 2012, postérieurement à l'expiration du délai de deux mois qui lui était imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour répondre aux conclusions de l'appelante après assignation en reprise d'instance du 30 juillet 2012.
A la demande de Madame [Y] le dossier a été communiqué à Monsieur le Procureur Général qui y a apposé son visa le 11 mars 2013.
SUR CE :
Attendu que dans le cadre d'une action en ouverture des opérations de partage de la succession de Monsieur [P] [G], sa veuve, Madame [Y], conteste la qualité d'héritier de Monsieur [D] [G] ;
Attendu que selon l'article 731 du code civil la succession est dévolue par la loi aux parents (enfants et descendants, père et mère, frères et soeurs et autres ascendants et collatéraux) et au conjoint successible du défunt ;
Que pour se prétendre seule héritière Madame [Y] remet en cause le lien de filiation entre son époux et l'intimé alors que cette filiation est établie par un titre, l'acte de naissance de Monsieur [D] [G], né de [P] [G] et de [J] [Z], le 4 mai 1948, pendant le mariage des époux [G]-[Z] dont le divorce ne sera prononcé que le 1er juillet 1948 ;
Que l'acte de naissance désigne le mari en qualité de père et [D] [G] est né seulement 26 jours après l'ordonnance de non conciliation du 8 avril 1948 ; qu'il bénéficie donc de la présomption de paternité instituée par la loi ;
Attendu qu'il est vrai que son acte de naissance n'est pas corroboré par la possession d'état ; que cependant l'absence de possession d'état n'autorise pas pour autant Madame [Y] à remettre en cause la filiation de Monsieur [D] [G] devant la juridiction chargée des opérations de succession ; que dans le cadre de la présente instance son argumentation fondée sur la fraude et l'inopposabilité de l'acte de naissance est inopérante ; que de même il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise génétique, qui ne peut présenter un intérêt que pour une action en contestation de paternité ;
Attendu que de son vivant Monsieur [P] [G] n'a exercé aucune action en désaveu ni contestation de paternité ;
Que déjà sous l'empire du droit antérieur à l'ordonnance du 4 juillet 2005 toute personne ayant un intérêt matériel ou moral pouvait, sur le fondement de l'article 322 du code civil pris a contrario, contester la filiation paternelle de l'enfant qui n'avait pas une possession d'état conforme à son titre de naissance mais que cette action était soumise à la prescription trentenaire et Madame [Y] fait valoir que le délai de prescription est expiré ;
Que pour autant il n'en résulte aucune violation des droits de propriété et au respect de la vie privée consacrés par les articles 12 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme ;
Qu'en effet si aux termes de l'article 1 du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international il convient de constater que les droits de propriété dont Madame [Y] prétend être privée sont ceux dépendant de la succession de Monsieur [P] [G] dévolus à Monsieur [D] [G], son fils légitime à l'égard duquel il n'a jamais contesté sa paternité ; qu'en présence d'un descendant du défunt Madame [Y] ne peut prétendre à un droit de propriété sur la totalité de la succession de son mari, ni en conséquence invoquer une atteinte apportée à ce droit ;
Que le tribunal a justement relevé qu'aucune atteinte à la vie privée de Monsieur [P] [G] ne peut résulter du non exercice volontaire par celui-ci, d'actions en désaveu ou en contestation de paternité qui lui étaient ouvertes pendant trente années à compter de la naissance de l'enfant ;
Que la prescription trentenaire alors applicable n'est pas un 'délai strict' susceptible de faire échec à la mise en conformité juridique avec la réalité biologique ainsi que Madame [Y] le soutient ;
Qu'en cause d'appel Madame [Y] fait en outre valoir qu'une situation dans laquelle la présomption légale pourrait prévaloir sur la réalité biologique ne serait pas compatible avec l'obligation de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale, en l'occurrence la sienne ;
Qu'elle semble donc considérer subir une atteinte au respect de sa vie privée et familiale du fait que la prescription lui interdit de remettre en cause la filiation de Monsieur [D] [G] ;
Que cependant la situation actuelle n'est pas différente de celle qui était la sienne depuis son mariage avec Monsieur [P] [G] en 1963 ; que Madame [Y] ne subit aucune atteinte à sa vie privée et familiale ;
Que le principe de l'intangibilité de l'état civil s'oppose à une rectification des actes tendant à un changement d'état sans qu'une action en contestation soit judiciairement engagée dans le respect des délais impartis pour agir ;
Attendu que Madame [Y] doit être déboutée de son appel ainsi que de sa demande d'expertise ;
Que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions y compris en ce qu'il a renvoyé les parties devant Maître [T], notaire pour les opérations de liquidation partage de la succession, aucun motif légitime n'étant invoqué par Madame [Y] au soutien de sa demande tendant au remplacement de ce notaire par Maître [R] ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant contradictoirement,
Rejette la demande d'expertise,
Confirme le jugement,
Condamne Madame [S] [Y] veuve [G] aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,
D. VERHAEGHEE. MERFELD