République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 04/12/2014
***
N° de MINUTE : 586/2014
N° RG : 13/07002
Jugement (N° 11/07199)
rendu le 12 Novembre 2013
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : BP/VC
APPELANT
Monsieur [I] [E]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 2] (CAMEROUN)
Demeurant
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie-Hélène LAURENT, membre de la SELARL ADEKWA, avocat au barreau de DOUAI
Assisté de Me Mourad BENKOUSSA, membre de la SCP ACG, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉ
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE DOUAI
Représenté par Monsieur Olivier DECLERCK, Substitut Général
DÉBATS à l'audience publique du 02 Octobre 2014, tenue par Bruno POUPET magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Maurice ZAVARO, Président de chambre
Dominique DUPERRIER, Conseillère
Bruno POUPET, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2014 après prorogation du délibéré en date du 27 Novembre 2014 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 septembre 2014
***
Le [Date mariage 2] 2001 a été célébré à [Localité 3] le mariage de [I] [E], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 2] (Cameroun), de nationalité camerounaise, et de [U] [L], de nationalité française, alors âgée de seize ans comme étant née le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 3].
Le 14 février 2002, Monsieur [E] a fait devant le juge du tribunal d'instance de Grenoble une déclaration d'acquisition de la nationalité française en application de l'article 21-2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 12 août 2002.
Le divorce par consentement mutuel des époux [E]-[L] a été prononcé le 23 octobre 2003.
Monsieur [E] s'est remarié le [Date mariage 1] 2004 avec Madame [D] [J], de nationalité camerounaise. Cette dernière, à son tour, a souscrit le 18 septembre 2008 une déclaration d'acquisition de la nationalité française en application de l'article 21-2 du code civil mais s'est vu notifier le 12 juin 2009 un refus d'enregistrement.
Par acte du 8 juillet 2011, le procureur de la République de Lille a assigné Monsieur [E] devant le tribunal de grande instance de cette ville aux fins d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité du 14 février 2002 et de constatation de l'extranéité de l'intéressé.
Par jugement contradictoire du 12 novembre 2013, le tribunal a :
- déclaré recevable l'action engagée par le procureur de la République,
- annulé la déclaration effectuée par Monsieur [I] [E] le 14 février 2002 en vue de l'acquisition de la nationalité française,
- constaté l'extranéité de l'intéressé,
- déclaré irrecevable la demande de ce dernier sur le fondement de la possession d'état,
- condamné Monsieur [E] aux dépens.
Monsieur [E], ayant relevé appel de ce jugement le 11 décembre 2013, demande à la cour de l'infirmer et, statuant à nouveau :
- de dire l'action du ministère public prescrite en application de l'article 26-4 du code civil,
- subsidiairement et sur le fond, de débouter le ministère public de ses demandes et de mettre les dépens à la charge du Trésor Public,
- à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner l'audition de Madame [U] [L] sur les conditions de leur vie commune entre leur mariage et la déclaration de nationalité française contestée.
Les conclusions du Procureur Général près la cour d'appel de Douai ont été déclaré irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 10 juin 2014.
SUR CE
Attendu que l'article 26-4 du code civil dispose en son dernier alinéa que l'enregistrement [d'une déclaration de nationalité] peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte ; que la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude;
que Monsieur [E] fait grief au jugement d'avoir déclaré recevable l'action exercée par le ministère public en retenant, au visa d'une jurisprudence jusqu'alors constante de la cour de cassation, que c'est à compter de la date à laquelle le ministère de la justice a été saisi par le ministère chargé des naturalisations d'une demande d'engagement de la procédure, soit en l'espèce le 11 mars 2010, que court le délai de deux ans ;
qu'il fait valoir que cette conception, qui fait dépendre la recevabilité de la contestation d'une simple communication interne de renseignements entre services de l'Etat, qui permet donc à l'Etat d'engager une action en contestation de nombreuses années après l'enregistrement d'une déclaration, quelle que soit la date à laquelle il a eu connaissance d'un mensonge ou d'une fraude, et qui n'enferme donc en réalité l'action en contestation dans aucun délai, est contraire à l'esprit de la loi et au principe de sécurité juridique ;
qu'il ajoute que dans la plupart des cas, un particulier, qui n'a pas connaissance des courriers échangés entre les services de l'Etat, est dans l'impossibilité de prouver que le ministère public a eu connaissance d'un mensonge ou d'une fraude plus de deux ans avant l'introduction de la procédure ;
attendu que l'article 26-4, précité, ne précise pas que la découverte de la fraude ou du mensonge qui fait courir le délai de contestation du ministère public est leur découverte par le ministère public ;
que si l'on admet que le but poursuivi par les délais de prescription et de forclusion est d'éviter que des situations soit remises en cause longtemps après leur création, il est cohérent de faire courir ce délai de la découverte de la fraude ou du mensonge par les services de l'Etat dont le ministère public est un organe, auquel est confié l'exercice de poursuites ;
qu'au cas présent, le ministère chargé des naturalisations a notifié à la seconde épouse de Monsieur [E] un refus d'enregistrement de sa déclaration de nationalité par lettre du 12 juin 2009 ; que le motif de ce refus est le suivant : 'il résulte de l'examen de votre dossier que votre époux a acquis la nationalité française de manière présumée frauduleuse au sens des dispositions de l'article 26-4-3° du code civil' ;
qu'il en résulte qu'à cette date, l'Etat avait déjà connaissance d'une fraude ou de faits laissant présumer une fraude, pouvant justifier la remise en cause de l'acquisition de la nationalité française par Monsieur [E] ;
que dès lors, la contestation élevée par le ministère public par assignation du 8 juillet 2011, soit plus de deux ans après, doit être tenue pour tardive et irrecevable et qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
déclare irrecevables les demandes du ministère public,
dit que les dépens de première instance et d'appel seront à la charge du Trésor Public.
Le Greffier,Le Président,
D. VERHAEGHEM. ZAVARO