RG N° 09/01482
DM
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
S.C.P. CALAS
S.C.P. GRIMAUD
Me RAMILLON
S.C.P. POUGNAND
S.E.LA.R.L. DAUPHIN
& MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET DU JEUDI 10 FEVRIER 2011
Appel d'une décision (N° RG 2007F1269)
rendue par le Tribunal de Commerce de ROMANS
en date du 18 mars 2009
suivant déclaration d'appel du 01 Avril 2009
APPELANTS :
Monsieur [B] [N]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 9]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représenté par la SCP Franck et Alexis GRIMAUD, avoués à la Cour
assisté de Me Valérie EZINGEARD, avocat au barreau de VALENCE
Madame [J] [N]
née le [Date naissance 5] 1961
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par la SCP Franck et Alexis GRIMAUD, avoués à la Cour
assistée de Me CARREZ, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2009/5822 du 22/09/2009 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)
INTIME :
Maître [P] [L] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société AGIS
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représenté par la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC, avoués à la Cour
assisté de Me HERPIN, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Daniel MULLER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Conseiller,
Mme Fabienne PAGES, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Nadine LEICKNER, Greffier.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DEBATS :
A l'audience publique du 08 Décembre 2010, Monsieur MULLER, Président a été entendu en son rapport,
Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré au jeudi 27 janvier 2011, ledit délibéré ayant été prorogé à ce jour, ce dont les parties ont été avisées.
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La société AGIS, constituée au 1er janvier 1997, exerçait une activité de gardiennage et de surveillance.
Son gérant fondateur était M. [N], lequel a démissionné de ses fonctions de gérant le 16 avril 2004 et a cédé ses parts sociales.
Mme [N], sa soeur, a été désigné en qualité de gérante en remplacement du gérant démissionnaire par l'assemblée générale extraordinaire du 16 avril 2004.
Mme [N] a régularisé le 6 mai 2005 une déclaration d'état de cessation des paiements et le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a ouvert, le 11 mai 2005, une procédure de redressement judiciaire.
Par jugement du 12 octobre 2005, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a prononcé la liquidation judiciaire de la société AGIS et a désigné Maître [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Sur le fondement des dispositions de l'article L624-3 ancien du code de commerce, Maître [L] a engagé, ès-qualités, une action en comblement de passif à l'encontre des dirigeants de droit successifs de la société AGIS.
Par jugement du 18 mars 2009, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a condamné M [N] à payer à Maître [L] es-qualités la somme de 150.000 € au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif et a condamné Mme [N] à payer à Maître [L] es-qualités la somme de 250 000 € au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif.
M [N] et Mme [N] ont interjeté appel de ce jugement.
Vu les conclusions signifiées le 30 novembre 2010 par M. [N], lequel demande à la cour, à titre principal, de prononcer la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 18 mars 2009 et de dire et juger que l'existence d'une faute de gestion à son encontre n'est nullement établie et, à titre subsidiaire, de dire et juger que l'existence d'une faute de gestion à son encontre n'est nullement établie et en conséquence d'infirmer en sa totalité le jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 18 mars 2009 et, à titre infiniment subsidiaire, de réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 150000 € et, en toute hypothèse, de débouter Maître [L], es-qualités, de l'ensemble de ses demandes de le condamner à lui payer la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 30 novembre 2010 par Mme [N], laquelle demande à la cour, à titre principal, de constater que par ordonnance du 17 novembre 2008, le tribunal a désigné un juge enquêteur chargé d'établir un rapport sur la situation du dirigeant, de constater qu'elle n'a pu prendre connaissance dudit rapport en raison de son non dépôt auprès du greffe du tribunal de commerce au mépris des dispositions de l'article 164 du décret du 27 décembre 2005, de dire et juger que l'inobservation de cette formalité lui a causé un grief alors qu'elle n'a pas été en mesure de discuter du rapport qui aurait dû être examiné contradictoirement et, en conséquence, de dire et juger que le jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 18 mars 2009 est nul et non avenu et, à titre subsidiaire, de constater que le demandeur n'apporte pas la preuve qu'elle a commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société AGIS, de dire et juger qu'en tout état de cause elle n'a commis aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société AGIS et qu'il n'y a pas lieu à la condamner au comblement de tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société AGIS et, en conséquence, d'infirmer en sa totalité le jugement du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère rendu le 18 mars 2009 dans ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 250 000 € et, en toute hypothèse, de débouter Maître [L], es-qualités, de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 4500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 30 novembre 2010 par Maître [L], es-qualités de liquidateur judiciaire de la société AGIS, lequel demande à la cour de débouter M [N] et Mme [N] de leur appel, de débouter les appelants de leur demande
de nullité du jugement et, en tout état de cause, de dire et juger que l'appel dispose d'un effet évolutif en l'absence de nullité des assignations, de dire et juger que M. [N] a commis des faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société AGIS, de dire et juger que Mme [N] a commis des faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société AGIS, de dire et juger que les fautes successives de M. [N] et de Mme [N] ont contribué au même dommage, l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société AGIS, de condamner en conséquence solidairement M. [N] et Mme [N] à combler l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société AGIS à hauteur de la somme de 400 000 € et de les condamner solidairement à lui payer es-qualités la somme de 4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 8 octobre 2010, par lesquelles Mme la procureure générale près la cour d'appel de Grenoble conclut au rejet de la demande de nullité du jugement et à la confirmation de la responsabilité de M [N] et de Mme [N] pour leur contribution à l'insuffisance d'actif.
À l'audience, Maître [L] a déposé des conclusions de rejet des conclusions signifiées le 30 novembre 2010 par M. [N].
A l'audience du 1er décembre 2010, ces conclusions ont été rejetées et les conclusions de M. [N] ont été déclarées recevables étant observé que Maître [L] et Mme [N] ont eux-mêmes échangé des écritures au mois de novembre 2006, et notamment le 30 novembre 2010, et que Maître [L] ne saurait soutenir que ces écritures ne concernent pas M [N] alors que les fautes qu'il invoque à l'encontre de M et Mme [N] sont de même nature et que par ailleurs il sollicite une condamnation solidaire de ces derniers.
MOTIFS
Sur la nullité du jugement
M [N] et Mme [N] soutiennent que le jugement est nul alors que le rapport du juge enquêteur ne leur a pas été communiqué préalablement à l'audience.
Il apparaît cependant qu'aucun rapport n'a été présenté, ni écrit ni oral, étant relevé que le juge enquêteur n'a pas siégé à l'audience de plaidoiries, et qu'ainsi la nullité du jugement ne saurait être prononcée.
Sur le comportement fautif reproché à M [N]
M [N] a été gérant de droit de la société AGIS du 1er janvier 1997 au 16 avril 2004.
Maître [L], qui s'appuie essentiellement sur l'analyse des documents comptables et souligne l'importance de l'insuffisance d'actif, estime que la société AGIS était en état de cessation des paiements dès le 31 décembre 2002 et en tout état de cause au 31 décembre 2003.
Maître [L] met en exergue le montant du passif exigible (dettes à plus d'un an au 31 décembre 2002 : 781.615 €), qu'il compare aux faibles disponibilités de la société (17.213 €), et il estime que le montant des comptes courants d'associés ne peut être pris en compte et pas davantage le plan d'apurement des dettes fiscales consenti par l'administration fiscale, alors que l'état de cessation des paiements était antérieur à ce plan.
Par ailleurs, Maître [L] fait valoir que M [N] a tenu de façon fautive la comptabilité, ce qui a donné lieu à un redressement notifié par l'administration fiscale.
In fine, Maître [L] retient à l'encontre de M [N] le défaut de déclaration d'état de cessation des paiements et la poursuite d'une activité déficitaire ainsi qu'une tenue fautive de la comptabilité de la société et des irrégularités commises dans le cadre des déclarations fiscales.
Il convient en premier lieu d'observer que le seul constat des mauvais résultats de l'entreprise ne peut à lui seul caractériser une ou des fautes de gestion imputables au dirigeant.
Par ailleurs, les versements effectués par avances en compte courant par l'un des actionnaires, pour un montant cumulé de 418.482 €, ne sauraient par a priori être considérés comme un mode de financement anormal destiné à masquer les difficultés de la société alors que cet actionnaire non dirigeant n'en a pas sollicité prématurément le remboursement, même s'il a normalement déclaré sa créance le moment venu, et que ces versements successifs marquent davantage la confiance de cet actionnaire dans le devenir de la société. Il sera au surplus relevé que ce mode de financement ne peut être considéré comme ruineux alors qu'il a permis d'éteindre des dettes exigibles sans recourir à l'emprunt bancaire.
Il n'est pas contestable que la société AGIS a cumulé diverses dettes fiscale, pour un montant important alors que cette dette s'élevait, en comprenant l'URSSAF, à hauteur de la somme de 199.504 € au 15 avril 2004.
Pour autant, la société AGIS a bénéficié d'un plan de règlement consenti le 15 avril 2004 par la Commission des Chefs des Services Financiers, plan qui n'a pas été remis en cause par l'administration fiscale avant le prononcé du redressement judiciaire.
Maître [L] ne fait état que de dettes au montant marginal (pages 10 et 11 de ses conclusions), qui n'ont pas donné lieu à réclamations de la part des créanciers, et qui ne sauraient caractériser de façon suffisamment nette une faute de gestion tenant à la poursuite d'une activité déficitaire étant observé que
le cabinet d'expertise comptable (COGEFI) a relevé suite à la révision des comptes au 30 septembre 2004 (pièce 7) que la société AGIS avait accompli des efforts qui « commencent à se faire ressentir sur les comptes », ce qui montre en définitive que M [N] a certes poursuivi une activité qui s'est en définitive révélée déficitaire, avec le soutien actif d'un actionnaire, mais que cette poursuite d'activité correspond à une période d'augmentation du chiffre d'affaires laissant entrevoir un redressement de la société.
Au demeurant, il ne saurait être reproché à M [N] de ne pas avoir déclaré en temps utile l'état de cessation des paiements alors que Maître [L] a lui-même relevé que le concours financier de l'actionnaire SARL PARTICIPATION B PHILIBERT a permis d'éviter une situation de cessation des paiements.
Enfin, il sera observé que la contestation par l'administration fiscale du caractère déductible de certaines dépenses, dont il n'est pas démontré qu'elles aient bénéficié à M [N], ne saurait caractériser une faute de gestion en rapport de causalité avec l'insuffisance d'actif.
Il convient par voie de conséquence, infirmant le jugement entrepris, de débouter Maître [L] de ses demandes formées à l'encontre de M [N].
Sur le comportement fautif reproché à Mme [N]
Mme [N] a été désignée gérante de la société le 16 avril 2004.
Maître [L] estime qu'elle connaissait parfaitement la situation de la société et il lui reproche de na pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements dans les 45 jours ainsi que la poursuite d'une activité déficitaire. Il estime également que Mme [N] n'a pas correctement tenu la comptabilité et qu'elle a tardé au recouvrement de certaines créances clients.
Il convient de relever que les apports en compte courant d'associé de la société PARTICIPATIONS B PHILIBERT, dont il ne peut être affirmé par a priori qu'il s'agissait d'un mode de financement anormal, a permis de faire face aux dettes exigibles, qu'en outre la société AGIS a eu recours à l'affacturage, qui est également un mode normal de financement, et qu'il n'est pas démontré que le découvert bancaire n'ait pas été au moins accepté tacitement alors que la banque n'a pas manifesté son intention de mettre fin à ses relations avec la société AGIS.
Il n'est ainsi pas démontré, indépendamment du caractère déficitaire de l'exploitation, que la société AGIS n'ait pas été en mesure de faire face à son passif exigible antérieurement au 30 avril 2005.
Par ailleurs, il ne saurait être reproché à Mme [N], et ce même si ses efforts se sont révélés finalement insuffisants, d'avoir poursuivi une activité déficitaire alors que son action a permis d'améliorer le résultat net de la société et de diminuer la dette.
En outre, un redressement fiscal ne saurait, au seul visa de son constat, caractériser une faute de gestion.
Enfin, les difficultés de recouvrement de certaines créances, et notamment à l'égard de la société ANNUNZIATA, ne peuvent caractériser en l'absence de démonstration de la négligence de Mme [N] une faute imputable à cette dernière.
La seule importance de l'insuffisance de l'actif ne peut à elle seule caractériser la ou les fautes de gestion alléguées et il convient par voie de conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de débouter Maître [L] de ses demandes.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont pu exposer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette l'exception de nullité du jugement entrepris,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute Maître [L], es-qualités, de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective dont distraction au profit de la SCP GRIMAUD, Avoués.
SIGNE par Monsieur MULLER, Président et par Madame LEICKNER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président