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10/03/2022 | FRANCE | N°19/04933

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 10 mars 2022, 19/04933


C2



N° RG 19/04933



N° Portalis DBVM-V-B7D-KIS7



N° Minute :













































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY



Me Sophie GEYNET-BOURGEON





AU NOM DU PEUPLE FRANÃ

‡AIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 10 MARS 2022





Appel d'une décision (N° RG F18/01117)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 29 novembre 2019

suivant déclaration d'appel du 11 décembre 2019





APPELANTE :



SA ENGIE ENERGIE SERVICES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domici...

C2

N° RG 19/04933

N° Portalis DBVM-V-B7D-KIS7

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

Me Sophie GEYNET-BOURGEON

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 10 MARS 2022

Appel d'une décision (N° RG F18/01117)

rendue par le Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE

en date du 29 novembre 2019

suivant déclaration d'appel du 11 décembre 2019

APPELANTE :

SA ENGIE ENERGIE SERVICES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Faubourg de l'Arche

1 place Samuel Champlain

92400 COURBEVOIE

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Marie DAIRION, avocat plaidant au barreau de LYON

INTIME :

Monsieur [T] [D]

né le 31 mars 1963 à Saint Martin d'Hères

de nationalité Française

12 rue Olympe de Gouges

38320 EYBENS

représenté par Me Sophie GEYNET-BOURGEON, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Valérie MALLARD de la SELARL MALLARD AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 1er décembre 2021,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, chargée du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date du 10 février 2022, prorogé à la date de ce jour, à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [T] [D] a été embauché à compter du 1er septembre 1986 par la société STREICHENBERGER SA, devenue GDF SUEZ ENERGIE SERVICES et actuellement dénommée SA ENGIE ENERGIE SERVICES, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de spécialiste d'entretien classé 2ème échelon - coefficient 175, pour une rémunération mensuelle brute de base de 5500 francs avec un horaire hebdomadaire de'39'heures.

Entre les mois de septembre 1986 et janvier 1992, Monsieur [D] a évolué au coefficient'270.

Au 1er mai 2001, Monsieur [D] a occupé les fonctions d'agent technique, échelon 2, coefficient 290, niveau 3, position 1.

Au dernier état de la relation contractuelle, Monsieur [T] [D] exerçait les fonctions de technicien, niveau 5, échelon 1 pour un salaire mensuel brut de 2'340,85 euros.

Monsieur [T] [D] a obtenu un premier mandat de délégué du personnel en 1995. En'1999 il était élu au comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail. Il a bénéficié de deux mandats de conseiller prud'hommes au sein de la juridiction prudhommale de Grenoble de 2003 à 2017. En dernier lieu, il détenait un mandat de membre titulaire du comité social et économique, dont il est le trésorier, membre de la commission santé, sécurité et conditions de travail, etun mandat de représentant de proximité de l'agence Savoie-Dauphiné.

Le 12 octobre 2018, Monsieur [T] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande dirigée contre son employeur en raison de discrimination liée à ses activités syndicales.

Par jugement du 29 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

DÉBOUTÉ la SA ENGIE ENERGIE SERVICES venant aux droits de la SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES de sa demande de dépaysement de l'affaire';

DIT et JUGÉ que Monsieur [T] [D] est victime de discrimination syndicale';

DIT que Monsieur [T] [D] doit être positionné au niveau VI (31 840,20 € en 2016), à revaloriser au titre des années 2017 et 2018';

CONDAMNÉ la SA ENGIE ENERGIE SERVICES venant aux droits de la SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES à verser à Monsieur [T] [D] les sommes suivantes':

- 53 700 € en réparation du préjudice matériel résultant de la discrimination syndicale subie,

- 5 000 € en réparation du préjudice moral,

- 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNÉ l'exécution provisoire du présent jugement';

DÉBOUTÉ la SA ENGIE ENERGIE SERVICES venant aux droits de la SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNÉ la SA ENGIE ENERGIE SERVICES venant aux droits de la SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES aux dépens.

La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signé le'30 novembre 2019 par M. [T] [D] et retourné avec la mention «'destinataire inconnu à l'adresse'» s'agissant de l'expédition adressée à la société ENGIE ENERGIE SERVICES SA.

La société ENGIE ENERGIE SERVICES a interjeté appel de la décision par déclaration de son conseil au greffe en date du 11 décembre 2019.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, la société ENGIE ENERGIE SERVICES, SA venant aux droits de la société GDF SUEZ ENERGIE SERVICES sollicite de la cour de':

Vu la loi,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble le'29'novembre'2019 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de dépaysement de l'affaire';

Statuant à nouveau,

CONSTATER que la société ENGIE Énergie Services ne sollicite plus le dépaysement de l'affaire devant une juridiction limitrophe';

CONSTATER que Monsieur [D] n'a pas été victime d'une situation de discrimination syndicale';

CONSTATER que la société ENGIE Énergie Services verse aux débats des éléments objectifs démontrant l'absence de toute situation discriminatoire';

Par conséquent,

DEBOUTER Monsieur [D] de ses demandes indemnitaires formulées à ce titre';

DEBOUTER Monsieur [D] de sa demande de revalorisation de son salaire pour 2019 sur la base du salaire médian annuel 2019';

En tout état de cause,

APPLIQUER le salaire médian afférent pour les années concernées, hors prime d'ancienneté ;

À titre extraordinaire, et en cas de revalorisation du salaire,

APPLIQUER un montant de'503,16'€';

ORDONNER à Monsieur [D] de rembourser l'intégralité des sommes versées en exécution du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble';

En tout état de cause,

CONDAMNER Monsieur [D] à payer à la société ENGIE ENERGIE SERVICES une somme de 2 500 € au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique 6 octobre 2021, Monsieur [T] [D] sollicite de la cour de':

CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination syndicale à la somme de 5 000 €';

Et statuant à nouveau de ce seul chef,

CONDAMNER la société ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à Monsieur [T] [D] la somme de 10 000 € en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination syndicale subie';

Y ajoutant,

CONDAMNER la société ENGIE ENERGIE SERVICES à revaloriser le salaire de Monsieur'[T] [D] également en 2019 sur la base du salaire médian annuel 2019 (32 904,20 €) pour 151,67 heures';

CONDAMNER la société ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à Monsieur [T] [D] la somme de 3 000 € au titre des dispositions du code de procédure civile, outre les entiers dépens';

DEBOUTER la société ENGIE ENERGIE SERVICES de ses demandes, fins et conclusions contraires.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 octobre 2021 et l'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 1er décembre 2021, a été mise en délibéré au 10 février 2022, prorogé au'10'mars'2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 - Sur la discrimination

Il résulte de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre discriminations, notamment en matière de rémunération en raison de ses activités syndicales.

L'article L.'2141-5 du même code dans sa version antérieure à la loi n°2015-994 du'17'août'2015 prévoit qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière, notamment, de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

L'article L.'2141-8 du même code prévoit que les dispositions des articles L.'2141-5 à L.'2141-7 sont d'ordre public. Toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à des dommages et intérêts.

Au visa de l'article L.'1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si l'interdiction des discriminations en raison des activités syndicales ainsi que les obligations résultant du principe d'égalité de traitement sont distinctes par leur objet, la méconnaissance concomitante de chacune d'elles n'ouvre droit à des réparations spécifiques que dans la mesure où cette méconnaissance entraîne des préjudices distincts.

Au cas d'espèce, Monsieur [T] [D] allègue, comme faits laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de ses activités syndicales, les faits suivants':

- L'absence d'évolution de carrière,

- Un déficit de formations,

- Une discrimination en matière de rémunération.

La cour rappelle au préalable qu'il n'est pas contesté que Monsieur [T] [D] occupe plusieurs mandats de représentant du personnel depuis 1995.

D'une première part, le salarié démontre qu'entre le 2 mai 2001 et le 12 octobre 2018, date de saisine du conseil de prud'hommes, il n'a bénéficié d'aucune promotion de classification ou de coefficient alors qu'il avait bénéficié de plusieurs évolutions de carrières avant son premier mandat, en 1995.

Il produit, à cet effet, son contrat de travail en date du 19 septembre 1986 qui indique comme classification «'spécialiste d'entretien, 2ème échelon, coefficient 175'», un courrier en date du'7'janvier 1991 qui précise «'Vous êtes classé': agent technique d'entretien, 1er échelon, coefficient 200'», un courrier en date du 6 janvier 1992 qui indique «'Vous êtes classé': agent technique, 1er échelon, position 5, coefficient 270'», ainsi qu'un courrier en date du'2'mai 2001 qui le classe comme «'Agent technique, 2e échelon, niveau 3, position 1, coefficient 190'».

Et il établit avoir bénéficié d'évaluations annuelles favorables par la production des entretiens annuels entre 1993 et 2021.

Ainsi, l'entretien annuel de 1995 indique «'M. [D] a manifesté une réelle volonté de s'adapter au niveau poste auquel il a été affecté (bon esprit d'équipe)'»'; l'entretien effectué en 2003 précise, comme commentaires sur la performance professionnelle': «'bon esprit d'équipe, des efforts faits dans la gestion de son parc, A continuer'»'; l'entretien de 2006 note que «'[T] maîtrise son poste, il doit respecter les procédures de fonctionnement unité'»'; celui de 2009 précise «'Doit être plus rigoureux sur les planifications ' Bonne relation client et gestion des contrats dont [T] est le responsable'»'; l'entretien de 2011 indique «'Bon esprit d'équipe ' bon sens du service client'»'; sur les entretiens annuels de 2012 et 2013, la case B est cochée concernant la majorité des compétences transversales'; la synthèse des entretiens annuels de 2014, 2015, 2017 et 2018 indique «'compétent'» concernant le niveau global de performance et «'atteint'» concernant la réalisation globale des objectifs.

Il ressort des différents compte-rendus d'entretien annuel d'appréciation, produits par le salarié, que Monsieur [T] [D] a sollicité à plusieurs reprises une évolution de carrière au niveau 6, les entretiens annuels de 2015 à 2018 précisant notamment que «'malgré un point carrière demandé au cours de précédents entretiens, il n'a eu aucun retour à ce jour'».

Surtout, il ressort des évaluations faites en 2002 et 2003 que l'employeur a indiqué en termes de spécificités de l'emploi occupé': le nombre d'heures «'effectuées en délégation CE, CHSCT DP affectées'» ; cet élément n'apparaît plus à partir de 2004, alors que le salarié avait indiqué, sur l'entretien annuel de 2003, son désaccord avec cette indication relative à ses activités syndicales'; sur l'entretien annuel de 2002 il est précisé, concernant l'esprit d'équipe': «'Très disponible (hors délégation)'».

En revanche, le salarié ne démontre pas que la société ENGIE n'aurait pas «'adapté son organisation du travail pour concilier sa charge de travail et l'exercice de son mandat'», aucun élément n'étant produit.

Dès lors, le premier fait allégué par Monsieur [T] [D] doit être considéré comme établi.

D'une deuxième part, le salarié établi avoir subi un déficit de formation entre 2001 et 2018.

La cour constate que les parties s'accordent sur l'état des formations suivies par le salarié depuis'2001, dont neuf formations en relation avec ses mandats, sept formations relatives aux habilitations nécessaires à son poste, cinq formations relatives à la santé et la sécurité du salarié et finalement onze autres formations quant à ses attributions professionnelles et compétences.

Il ressort de la lecture combinée des entretiens annuels et du listing des formations que le salarié a sollicité à plusieurs reprises des formations nécessaires à ses fonctions qu'il n'a effectuées que plusieurs années après en avoir fait la demande, et notamment sur la régulation, sur le fonctionnement et le réglage des brûleurs, sur l'électricité ou encore sur la connaissance des contrats.

Et le salarié démontre, par la production de certificats de qualification, qu'entre 1990 et 1993, il a participé à trois formations pour un total de 105 heures de formation, alors que, selon le listing de formations entre 2001 et 2018, il n'a bénéficié que de 155,5 heures de formation.

Dès lors, le second fait allégué par le salarié est établi.

D'une troisième part, le salarié démontre ne pas avoir bénéficié de revalorisation de sa rémunération après son 1er mandat en 1995.

Il produit à cet effet plusieurs courriers datant de 1989 à 2013 qui démontrent qu'il s'est vu accorder trois augmentations individuelles de son salaire après 1995, à savoir en 1997, 2001 et 2008 et que quatre augmentations de salaire ont été effectués à la suite d'une révision annuelle des salaires en 1993, 1994, 2012 et 2013.

Il établit également ne pas avoir bénéficié d'une seule augmentation individuelle, entre 2013 et 2015, alors que dans le même temps, 95,4% des salariés de son périmètre d'affectation «'COFELY Sud-Est'» en ont bénéficié, en versant aux débats un document intitulé «'Négociations annuelles obligatoires 2016 ' Document support NAO'».

Et, il démontre, par la production d'un courrier en date du 4 avril 2018 et de plusieurs courriers de l'inspection du travail entre le 27 avril 2017 et le 19 juillet 2018, qu'il s'est vu verser une «'gratification exceptionnelle d'un montant de 300'euros'», une prime de 249,66'euros en février 2018, attribuée à l'ensemble des salariés conformément à un accord d'entreprise, ainsi qu'une augmentation individuelle de salaire de 30'euros, alors qu'une enquête a été ouverte par l'inspection du travail en 2017 sur «'l'existence d'une discrimination dont [des représentants du personnel] auraient pu faire l'objet en matière d'évolution de carrière et de salaire.'».

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur [T] [D] établit la matérialité de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination dont il fait grief à l'employeur à raison de ses activités syndicales.

Pour sa part, la société ENGIE échoue à justifier par des raisons objectives à toute discrimination syndicale les faits invoqués par Monsieur [T] [D].

D'une première part, l'employeur n'apporte aucun élément ni aucune justification quant au fait que, pour les entretiens annuels 2002 et 2003, le notateur a indiqué les heures de délégation effectuées par le salarié pour ses activités syndicales, signe distinctif d'une discrimination en raison des activités syndicales du salarié.

Il ne produit aucune pièce permettant d'établir des raisons objectives pour lesquelles il n'a pas été fait droit à la demande du salarié de faire un point de carrière entre 2015 et 2018, celui-ci n'ayant été effectué qu'en 2019, postérieurement à la saisine du conseil des prud'hommes.

En outre, le «'point carrière'» établi le 11 juin 2019, produit par l'employeur, n'est pas signé par le salarié, de sorte que les affirmations selon lesquelles «'pas de projet / n'a jamais souhaité monter en compétence ni évoluer'» ne peuvent lui être opposables, d'autant qu'il ressort de plusieurs entretiens annuels qu'il a sollicité une évolution de coefficient.

Par ailleurs, l'employeur ne démontre pas avoir sollicité l'accord du salarié pour changer son affectation suite à la fusion entre les sociétés COFATHEC Services et ELYO afin de le placer au sein de l'équipe Multisites Tertiaire.

En particulier, l'employeur a finalement affecté le salarié à l'équipe Habitat après avoir reçu un courrier de l'inspection du travail en date du 29 décembre 2009 par lequel l'inspectrice du travail informe la société ENGIE qu'elle ne peut pas affecter le salarié à un autre service sans son consentement en raison de son statut de salarié protégé.

Aussi, il n'apporte aucun élément permettant d'affirmer que Monsieur [T] [D] allait suivre les formations adéquates à la nouvelle affectation, d'autant qu'il ressort d'un courrier de la société ENGIE en date du 29 décembre 2009 qu'elles auraient été nombreuses, concernant le froid, le traitement d'eau et les installations et travaux en hauteur. Pourtant, les compétences relatives aux multisites ont été rayées lors des entretiens annuels du salarié de 2007 et 2010 et selon le listing des formations produits par les parties, le salarié n'a bénéficié que d'une seule formation relative au démarrage à froid des installations thermiques en 2004.

La société ENGIE ne verse aucune pièce permettant de démontrer, d'une part, que ce changement d'affectation constituait une évolution de carrière alors qu'aucune augmentation de salaire ou de coefficient n'est proposée dans le courrier en date du 29 décembre 2009 et, d'autre part, qu'il existait des raisons objectives pour lesquelles l'employeur reproche au salarié, dans un courrier en date du 31 mai 2011, d'avoir refusé cette affectation.

Finalement, quand bien même la société ENGIE a répondu aux demandes d'analyse d'évolution de rémunération et de carrière faites par le salarié, les réponses apportées ne permettent pas de démontrer que le salarié n'a subi aucune discrimination syndicale compte tenu des développements qui précédent.

D'une deuxième part, l'employeur n'apporte aucun élément justificatif d'une cause étrangère à toute discrimination quant au fait que plusieurs demandes de formations relevées par le notateur lors des entretiens annuels n'ont reçues de réponse par l'employeur que plusieurs années après, celui-ci se contentant d'affirmer que le salarié a bénéficié de certaines des formations qu'il a demandées dans les entretiens d'évaluation à compter de 2010.

L'employeur n'apporte pas plus d'élément justificatif quant au fait que certaines formations ont été prises par le salarié sur son droit individuel à la formation en 2013 et 2015, en dehors de toute initiative de la société ENGIE, alors que d'autres formations étaient en réalité gratuites.

De plus, par courrier en date du 6 février 2013, la société ENGIE a indiqué au salarié que «'Nous trouvons regrettable d'avoir été contraint, une nouvelle fois, de reporter cette formation qui est pourtant nécessaire dans le cadre de l'évolution de votre fonction'», alors que l'annulation résultait de la participation du salarié à une formation de conseiller prud'hommes.

Encore, la société ENGIE ne verse aucun élément permettant d'établir que le salarié aurait été convié à participer à une nouvelle session de formation en 2013, alors que ledit annonce que le salarié devra participer à la session prévue en janvier 2013 mais que cette formation n'apparaît pas sur le listing des formations produit par les parties.

Aussi la cour constate que l'employeur, qui affirme que le salarié était absent sans raison à une formation prévue les 12 et 13 juin 2019, omet le fait que, le 12 juin, le salarié a effectué des heures de délégation en raison de l'exercice de l'un de ses mandats et que, pour le 13 juin, il avait posé sa demi-journée en raison du handicap de son fils, ce qui est établi par la production d'une fiche hebdomadaire d'éléments de paie et un courrier du centre communal d'action social de la ville d'Eybens.

Enfin, l'employeur échoue à démontrer que le salarié aurait bénéficié d'un excédent de formation par rapport à ses collègues, le tableau produit ne permettant pas de rendre compte de manière pertinente de la comparaison alléguée.

D'une troisième part, la société ENGIE n'apporte aucune réponse quant au fait allégué selon lequel les augmentations de salaire de 1993, 1997, 2005, 2012 et 2013 seraient individuelles alors qu'il ressort des courriers produits par le salarié qu'en réalité, elles s'inscrivent dans le cadre de la révision générale des salaires pour l'ensemble des salariés concernés ou dans le cadre d'un accord d'entreprise sur les relations sociales.

Et, il n'apporte aucun élément justificatif quant au fait que le salarié n'a bénéficié d'aucune augmentation individuelle de salaire à partir de 2008, ni n'explique les raisons pour lesquelles le salarié n'a pas bénéficié d'aucune revalorisation salariale entre 2013 et 2015 contrairement à 95% des autres salariés du périmètre «'COFELY Sud-Est'» auquel appartient le salarié.

La société ENGIE n'apporte pas plus d'explication quant au fait que, suite à l'enquête de l'inspection du travail ouverte en 2017, Monsieur [T] [D] a bénéficié de deux primes et d'une augmentation individuelle de salaire de 30'euros en 2018.

Enfin, concernant la comparaison effectuée par l'inspection du travail par laquelle cette dernière conclut à un écart de rémunération entre Monsieur [D] et neuf autres salariés, l'employeur se contente d'affirmer que les autres salariés justifient d'un diplôme supérieur et de fonctions différentes.

Cependant, la seule différence de diplômes ne permet pas de fonder une différence de rémunération entre des salariés qui exercent les mêmes fonctions, sauf s'il est démontré par des justifications, dont il appartient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, que la possession d'un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l'exercice de la fonction occupée.

Or, il ressort du tableau produit par l'employeur et transmis à l'inspection du travail que Monsieur [T] [D] est le seul, parmi les dix salariés, à être classé au niveau 5 et échelon 1er, d'autant que six autres salariés présentent le même libellé d'emploi de «'technicien'» sans qu'aucun autre élément ne soit apporté par l'employeur pour objectiver cette différenciation, ni démontrer l'existence d'une différence de fonctions.

Et la cour ne peut tirer aucune conclusion de l'absence de réponse de l'inspection du travail au courrier de l'employeur en date du 12 octobre 2018, dès lors que l'inspectrice du travail avait simplement demandé à la société ENGIE de lui indiquer les éléments objectifs venant apporter une justification à l'absence d'évolution professionnelle et d'écart de rémunération, sans qu'elle soit soumise à une quelconque obligation de réponse aux justifications apportées par l'employeur.

Il résulte, ainsi, des énonciations qui précédent que la société ENGIE échoue à justifier par des raisons objectives étrangères à toute discrimination syndicale les faits établis par Monsieur'[T] [D].

En conséquence, la discrimination syndicale est établie.

La discrimination syndicale retenue constitue une atteinte à la liberté syndicale qui a valeur constitutionnelle, de sorte que le salarié est bien fondé à demander la réparation du préjudice subi par cette discrimination.

C'est donc par une juste appréciation des circonstances de l'espèce, que la cour fait sienne, que les premiers juges ont condamné la société ENGIE ENERGIE SERVICES à verser à Monsieur'[T] [D] la somme de 5'000'euros à titre de dommages et intérêts du préjudice moral subi, le salarié étant débouté du surplus de ses prétentions de chef.

2 - Sur les demandes salariales afférentes à la discrimination

La réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu.

Il résulte des articles L.'1132-1 et L.'1134-5 du code du travail que le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée.

Il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'étendue du préjudice subi par un salarié résultant d'une discrimination, de sorte qu'il peut être réparé, d'une part, en application de la reconstitution de carrière aux dates souverainement fixées et selon les niveaux retenus de la classification des emplois prévus dans l'entreprise correspondant aux fonctions exercées par le salarié, et d'autre part, par une indemnisation du préjudice matériel résultant de la discrimination.

En l'espèce, d'une première part, il apparaît que Monsieur [T] [D] a sollicité son positionnement au niveau 6 dès 2010 lors de son entretien annuel.

Et il ressort des différentes comparaisons opérées par les parties et par l'inspection du travail que Monsieur [T] [D] est l'un des seuls salariés à ne pas avoir été promu au niveau'6, ce qui s'explique par la discrimination établie en raison de ses activités syndicales.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné que Monsieur [T]  [D] doit être repositionné en tant que technicien, niveau 6 à compter de l'année'2016, ce qui a été fait en décembre 2019.

D'une seconde part, le salarié s'appuie sur la méthode Clerc afin d'évaluer son préjudice entre'1995 et 2018, à hauteur de 53'700'€, en intégrant à la fois l'écart de salaire et l'incidence de retraite, et sollicite une revalorisation pour l'année 2019.

La cour rappelle que la méthode Clerc consiste à effectuer une triangulation à partir de l'écart de rémunération observé, sur toute la durée de la discrimination, entre le salarié discriminé et ses collègues de qualification et d'âge similaires.

La société sollicite le rejet du calcul basé sur la méthode Clerc au motif qu'elle manque d'objectivité et que le panel choisi en l'espèce par l'inspection du travail n'est pas pertinent.

Et, elle conteste le calcul opéré par le salarié au motif que le salaire médian mensuel réel indiqué sur l'éventail des rémunérations mensuelles de base des OETAM de 2016 à 2019 prend déjà en compte le fait que le salaire médian de base a été versé pour 13,3 mois.

Cependant, la société ne caractérise ni le manque d'objectivité de la méthode Clerc ni le manque de pertinence du panel en question.

La cour constate que la méthode Clerc constitue un moyen approprié permettant de manière juste et adéquate de réparer de manière intégrale le préjudice subi par le salarié victime de discrimination.

Par ailleurs, le calcul de l'employeur apparaît erroné dès lors qu'il convient de comparer le salaire de Monsieur [T] [D] avec le salaire médian réel. Le salarié est donc bien-fondé à demander le versement de la différence entre les deux en fonction du nombre de salaire versé par année, à savoir 13,3 mois.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA ENGIE SERVICES à verser à Monsieur [T] [D] la somme de 53'700'€ en réparation du préjudice matériel résultant de la discrimination syndicale subie entre 1995 et 2018.

Et, il convient de condamner la société ENGIE SERVICES à verser à Monsieur [T]'[D] la somme de 2'853,46'€ au titre de la revalorisation salariale pour l'année 2019, non comprise dans le calcul effectué par les premiers juges.

3 - Sur les demandes accessoires

La SA ENGIE ENERGIE SERVICES, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Monsieur [T] [D] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA ENGIE ENERGIE SERVICES à lui payer la somme de 1'200'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à verser à son salarié la somme de 1'800'euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SA ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à Monsieur [T] [D] la somme de 2'853,46'euros (deux mille huit cent cinquante-trois euros et quarante-six centimes) au titre de la revalorisation salariale pour l'année 2019';

DÉBOUTE la SA ENGIE ENERGIE SERVICES de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la SA ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à Monsieur [T] [D] la somme de 1'800'euros (mille huit cents euros) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel';

CONDAMNE la SA ENGIE ENERGIE SERVICES aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 19/04933
Date de la décision : 10/03/2022

Références :

Cour d'appel de Grenoble 13, arrêt n°19/04933 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-03-10;19.04933 ?
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