AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 09/04708
[R] [S]
[R] [V]
C/
[J]
[D]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Tribunal paritaire des baux ruraux de MONTBRISON
du 03 juillet 2009
RG : 09/0003
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 28 JUILLET 2010
APPELANTS :
[S] [R]
né le [Date naissance 2] 1951 au [Localité 10]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représenté par Maître Jean-Pierre PALANDRE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
[V] [R]
né le [Date naissance 1] 1941 au [Localité 10]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Maître Jean-Pierre PALANDRE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉS :
[F] [J]
né le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 12] ([Localité 12])
[Adresse 11]
[Localité 13]
représenté par Maître André BOUCHET, avocat au barreau de MONTBRISON
[T] [D] épouse [J]
née le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 9] ([Localité 9])
[Adresse 11]
[Localité 13]
représentée par Maître André BOUCHET, avocat au barreau de MONTBRISON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 mai 2010
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Louis GAYAT DE WECKER, Président
Dominique DEFRASNE, Conseiller
Françoise CLÉMENT, Conseiller
Assistés pendant les débats de Anita RATION, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 juillet 2010, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Louis GAYAT DE WECKER, Président, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSE DU LITIGE
Suivant bail d'habitation en date du 20 juin 2005, Monsieur [V] [R] et Monsieur [S] [R] ont donné en location à Monsieur [F] [J] et à Madame [T] [J], son épouse, une maison de type F4 dépendant de leur propriété sise à '[Adresse 11]', lieu dit 'l'Orangerie' sur la commune de [Localité 13] (Loire), pour une durée de trois années minimum, moyennant un loyer mensuel de 700 euros.
En vertu d'un autre contrat dénommé 'prêt à usage' signé entre les mêmes parties le 1er octobre 2005, les consorts [R] ont consenti aux époux [J], à titre de prêt à usage gratuit ou commodat, 15 box, un local à usage de sellerie, un hangar extérieur et des terrains situés sur la même propriété pour une durée d'un an à compter du 1er octobre 2005 renouvelable d'année en année par tacite reconduction, à défaut de congé donné par l'une des parties six mois à l'avance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Il était précisé à ce contrat que l'emprunteur s'obligeait expressément à n'utiliser les biens prêtés que pour le pacage et pour l'hébergement des chevaux.
Par lettre recommandée en date du 19 janvier 2009 les consorts [R] ont résilié le contrat de prêt à usage.
Par requête du 13 février 2009 Monsieur et Madame [J] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Montbrison afin d'obtenir, sur le fondement de l'article L 411-1 du code rural et sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- la requalification des contrats conclus le 20 juin et le 1er octobre 2005 en bail rural unique, régis par les dispositions s'appliquant au bail type du département de la Loire ;
- la désignation d'un expert agricole chargé de fournir tous éléments permettant à la juridiction de fixer ultérieurement le fermage ainsi que les conditions matérielles du bail rural ;
- la condamnation des consorts [R] au paiement de 2000 € à titre de dommages et intérêts et de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 3 juillet 2009, le tribunal paritaire des baux ruraux de Montbrison a :
- requalifié les conventions litigieuses en bail rural à effet au 1er septembre 2005 ;
- ordonné une expertise et commis pour y procéder Monsieur [K] [M] avec la mission sollicitée par les époux [J] ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné Monsieur [V] [R] et Monsieur [S] [R] aux dépens ainsi qu'au paiement de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par lettre recommandée adressée à la Cour le 17 juillet 2009, Monsieur [S] [R] et Monsieur [V] [R] ont relevé appel de ce jugement.
Par conclusions régulièrement communiquées et développées à la barre le 19 mai 2010, les consorts [R] demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux ;
- de dire que le contrat de bail d'habitation, d'une part, et le contrat de commodat, d'autre part, constituent deux contrats distincts ;
- de dire que l'activité exercée par les époux [J] est une activité de centre équestre n'ayant aucun caractère agricole ;
- de débouter les époux [J] de leur demande en requalification du contrat de commodat en contrat de bail rural et de toutes leurs autres demandes ;
- de condamner les époux [J] aux dépens ainsi qu'au paiement de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [R] s'opposent à l'argumentation développée par les époux [J] et acceptée par les premiers juges, selon laquelle les deux contrats n'en forment qu'un seul dans la mesure où l'habitation et l'exploitation sont liées, le contrat de commodat est un contrat onéreux puisque les époux [J] réglaient pour les box et terrains un loyer de 300 € sous couvert d'une vente fictive de fourrage, le bail du fonds agricole conclu en vue de l'entraînement des chevaux relève par nature du statut du fermage.
Ils font d'abord valoir que le bail d'habitation et le commodat ont été conclus à plus de trois mois d'intervalle sans aucune référence de l'un par rapport à l'autre, que leur objet et leur nature sont totalement différents et que le bail d'habitation indique expressément que le preneur ne pourra y exercer aucune activité professionnelle, ni en faire sa résidence secondaire :
Ils font valoir en second lieu que si Madame [J] exploite depuis un certain temps dans les lieux mis à sa disposition un centre équestre, cette destination n'a jamais été prévue à l'origine du contrat de commodat qui rappelle au contraire que l'emprunteur s'oblige expressément à n'utiliser les biens prêtés que pour le pacage et l'hébergement des chevaux.
Ils indiquent, en toute hypothèse, que l'exploitation d'un centre équestre n'entre pas dans la classification des activités agricoles prévues par l'article L311-1 du code rural qui ne vise que les activités de préparation et d'entraînement d'équidés en vue de leur exploitation, que les époux [J] ne justifient d'aucune exploitation agricole sur les terrains mis à leur disposition ni d'aucun revenu provenant d'une telle exploitation agricole et que la location d'immeubles ruraux pour pensions et randonnées équestres, faute d'une juxtaposition avec une production agricole, ne permet pas la requalification du contrat en bail rural.
Les consorts [R] font valoir en troisième lieu que les époux [J] ne sauraient démontrer le caractère onéreux du commodat sous prétexte qu'ils auraient payé mensuellement à titre de loyer une somme de 300 € sous couvert d'une vente fictive de fourrage.
Ils expliquent que si certaines sommes leur ont été réglées plus ou moins régulièrement, elles correspondent bien à des fournitures de fourrage, variables en fonction du nombre de chevaux hébergés et nullement à des loyers.
Ils ajoutent que ces fournitures de fourrage proviennent d'une grande superficie de prairie qu'ils exploitent sur la commune voisine et permettent à Madame [J] pour une large part de subvenir à l'alimentation de ses chevaux.
Par conclusions régulièrement communiquées et développées à la barre le 19 mai 2010, Monsieur et Madame [J] demandent de leur côté à la Cour :
- de confirmer le jugement entrepris ;
- de débouter Monsieur [V] [R] et Monsieur [S] [R] de leurs prétentions;
- de les condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de 3000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [J] expliquent qu'ayant appris l'existence d'un centre équestre dans la Loire qui cherchait preneur, ils ont rencontré les frères [R] qui étaient d'accord pour leur attribuer des terrains agricoles en superficie suffisante pour un fermage de 1000 € par mois, que dans ce contexte les consorts [R] leur ont imposé deux contrats indivisibles, le contrat qualifié de bail d'habitation pour un loyer mensuel de 700 € et le contrat qualifié de commodat pour un loyer de 300€ non déclaré et travesti en vente fictive de fourrage, que ces errements ont été suivis jusqu'au jour où les consorts [R] ont réclamé une augmentation de 200 € par mois pour le commodat, ce qu'ils ont refusé, entraînant ainsi la résiliation de ce contrat.
Ils font valoir qu'en dépit de l'apparence de deux contrats distincts résultant du montage organisé par les frères [R] , ces derniers ont bien mis à leur disposition à titre onéreux un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter au sens de l'article L 411-1 du code rural.
Ils précisent que ce caractère onéreux n'est pas contestable en ce qui concerne le bail d'habitation, ni en ce qui concerne le commodat compte tenu à la fois du versement et de l'encaissement d'une somme mensuel de 300 € et de la reconnaissance par les consorts [R] de l'absence de livraison, que l'usage agricole du bien ne fait pas non plus de doute puisque l'immeuble a été remis en vue de son exploitation à Madame [J] affiliée à la MSA de la Loire depuis le 15 octobre 2005, que les biens objet des deux contrats concernent tout à la fois l'habitation unique du preneur et le siège de son unique exploitation agricole, que l'exploitation est la seule source de revenus des époux.
MOTIFS DE LA COUR
Attendu qu'en vertu de l'article L 411-1 du code rural, seule constitue un bail rural soumis aux dispositions du statut du fermage, la mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L 311-1 ;
Que ce dernier texte dans sa rédaction issue de la loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux prévoit que sont réputées agricoles les activités de préparations et entraînements des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l'exclusion des activités de spectacle ;
Attendu, en l'espèce, que le bail d'habitation, par sa nature, n'est pas soumis au statut du fermage et que le contrat de prêt à usage stipule que l'emprunteur s'oblige expressément à n'utiliser les biens prêtés que pour le pacage et l'hébergement des chevaux ;
Qu'il est constant que les époux [J] ont installé sur ces biens immobiliers un centre équestre qui consiste dans l'hébergement, la restauration des chevaux et dans l'enseignement de l'équitation ;
Que les intimés soutiennent que le centre équestre était également utilisé pour l'élevage agricole ;
Qu'ils versent aux débats deux attestations de saillie de l'année 2007 mais que ces documents sont insuffisants pour démontrer une véritable activité de reproduction et de poulinage ;
Que de même, l'affiliation de Madame [J] en qualité d'exploitant agricole à la MSA depuis le 15 octobre 2005 pour l'élevage d'autres animaux que les équidés, sur d'autres parcelles, n'implique pas une activité agricole sur les biens mis à sa disposition par les consorts [R] ;
Qu'il s'en suit que l'activité de centre équestre exercée par les époux [J] n'entre pas dans la classification des activités agricoles prévues par l'article 311-1 du code rural qui ne vise que les activités d'élevage ou les activités de préparation et d'entraînement d'équidés en vue de leur exploitation ;
Que dans ces conditions et sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère onéreux de la mise à disposition des biens, il convient de rejeter la demande des époux [J] tendant à obtenir le bénéfice du statut des baux ruraux et la requalification des contrats conclus avec les consorts [R] ;
Attendu que les époux [J] qui succombent supporteront les dépens, ;
Qu'il convient d'allouer aux consorts [R] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Dit l'appel recevable ;
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :
Dit que Monsieur [F] [J] et Madame [T] [J] son épouse ne peuvent prétendre au bénéfice du statut des baux ruraux sur les biens mis à leur disposition par Messieurs [V] et [S] [R] ;
Déboute les époux [J] de leur demande en requalification du contrat de bail d'habitation et du contrat de prêt à usage en un bail rural unique ;
Condamne les époux [J] à payer à MM [V] [R] et [S] [R] pris ensemble la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les époux [J] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT