RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre C
ARRET DU 27 Avril 2006
(no , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/05763 Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Juillet 2005 par le conseil de prud'hommes de Bobigny RG no 05/00598 APPELANTE ASSOCIATION PRUDIS CGT 263, rue de Paris 93100 MONTREUIL SOUS BOIS représentée par Me Slim BEN ACHOUR, avocat au barreau de PARIS, R 270 INTIME Monsieur Pascal X... 8 rue d'Ulm 75005 PARIS comparant en personne COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2006, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Y..., et Madame Catherine Z..., chargées d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Catherine Y..., présidente
Madame Catherine Z..., conseillère
Madame Marie-Josée A..., Conseillère désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président pour compléter la formation
Greffière : Mademoiselle Céline B..., lors des débats
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Daniel LUDET, avocat Général, qui a fait connaître son avis.
ARRET : - contradictoire - prononcé publiquement par Madame Catherine Y..., Présidente, laquelle a signé la minute avec Mademoiselle Céline B..., Greffière présente lors du prononcé.
LA COUR,
Statuant sur l'appel formé par l'association PRUDIS CGT à l'encontre d'une ordonnance de référé du Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY en date du 28 juillet 2005 qui lui a ordonné de faire cesser le trouble manifestement illicite constitué par le licenciement de Monsieur Pascal X... en ordonnant à titre provisoire la poursuite du contrat de travail du salarié sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente ordonnance et l'a condamnée à payer à celui-ci la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 3 novembre 2005 de l'association PRUDIS CGT, appelante, qui demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures et observations orales à la barre en date du 3 novembre 2005 de Pascal X..., intimé, qui demande à la Cour de confirmer l'ordonnance entreprise en ordonnant la poursuite du contrat de travail avec une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt, la Cour se réservant la liquidation de l'astreinte, d'ordonner la liquidation de l'astreinte
décidée par la formation de référé du Conseil de Prud'hommes de BOBIGY, en condamnant l'Institut PRUDIS CGT à lui verser la somme de 6.000 euros et de condamner au surplus celui-ci à lui payer la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
Vu l'arrêt de cette chambre en date du 3 novembre 2005 désignant Monsieur C..., en qualité de médiateur ;
Vu l'échec de la médiation ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant qu'il est constant que Pascal X... a été engagé par l'association PRUDIS CGT selon un contrat à durée indéterminée en date du 15 octobre 1997 en qualité de directeur des études ; qu'à la suite du départ en retraite du directeur de l'institut et de la nomination d'un nouveau directeur, il a été mis en place une refonte du fonctionnement de celui-ci, ce qui a entraîné certaines difficultés entre la nouvelle direction et l'intimé ; que divers courriers ont été échangés entre les parties attestant des désaccords existants, et que par ailleurs l'intimé a déclaré se mettre en grève le 22 avril 2005 ;
Que le 28 avril 2005, il était convoqué à un entretien préalable à son licenciement qui a eu lieu le 11 mai 2005 ; que par délibération du 17 mai 2005, le Conseil d'Administration de l'association demandait à Pascal X... de prendre "l'engagement écrit, clair, loyal et non équivoque de mettre fin à cette attitude (de rupture) et de respecter de manière loyale les décisions prises par Prudis et qui lui ont été précisées tant par écrit qu'oralement" ;
Que par courrier du 25 mai 2005, celui-ci répondait que son précédent courrier du 12 mai était de nature à répondre à l'attente du Conseil d'Administration et suggérait qu'il soit procédé à son audition ;
Que par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mai 2005, il était licencié avec préavis de trois mois qu'il était dispensé d'effectuer ;
Que les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans cette lettre sont les suivants : "Malgré un avertissement qui t'a été notifié par un courrier en date du 31 mars 2005, tu persistes à vouloir imposer au sein de PRUDIS un type de fonctionnement, ne prenant en considération que tes choix et méthodes de travail. Ceux-ci se révèlent éminemment personnels et arbitraires, sans égard pour l'intérêt de l'association. Tu persistes, ainsi, à refuser toute démarche de travail collectif et t'oppose systématiquement aux décisions collectives. Par ailleurs, nous tenons à te confirmer notre plus profonde désapprobation quant aux propos que tu as tenus à de nombreuses reprises oralement et par écrit. Le mépris, le dénigrement, voire l'injure que tu as exprimés dernièrement à l'endroit de la direction de PRUDIS et des responsables confédéraux, nous semblent particulièrement éloignés des principes que nous défendons, d'autant plus que tu as profité de tes fonctions au sein de PRUDIS pour les relayer auprès des personnes concernées par nos formations, Ton attitude entrave le bon fonctionnement de PRUDIS en y maintenant une ambiance délétère et en hypothéquant le futur des formations. Dans ces circonstances, les faits qui te sont notifiés par la présente constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement." ;
Qu'estimant qu'au-delà de ces motifs apparents, son licenciement constituait un trouble manifestement illicite en raison de la violation de sa liberté d'expression et de son droit de grève, Pascal X... a saisi le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY qui a rendu la décision déférée ;
Considérant qu'il appartient à celui qui invoque un trouble manifestement illicite d'en rapporter la preuve et qu'en l'espèce, il revient à Pascal X... d'établir que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement ne constituent que des motifs apparents qui dissimulent les véritables raisons de son licenciement, à savoir l'exercice de sa liberté d'expression et de son droit de grève ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées au débat que le 1er juin 2004, l'intimé adressait à la direction de la confédération CGT un courrier dans lequel il faisait part de son souhait de voir nommer en remplacement du directeur de l'institut, Carlos D..., cette personne étant, selon lui, la plus apte à maintenir l'enthousiasme et à développer l'activité de formation de PRUDIS ; que néanmoins, cette suggestion n'était pas suivie d'effet et qu'il fut décidé de nommer à cette fonction Monsieur E... ; que par une circulaire du 30 juin 2004, le responsable de la coordination de l'activité confédérale, Bernard F... annonçait cette nomination et précisait qu'une réflexion collective allait être menée sur notamment le bilan des formations, le fonctionnement de l'association et la répartition des responsabilités au sein de celle-ci, ainsi que sur les propositions pouvant en découler ;
Qu'une note du 8 juillet 2004, du responsable du collectif national " Droits, libertés, Actions juridiques" Monsieur Philippe G..., confirmait cette orientation ;
Que le 5 juillet 2004, Pascal X... prenait l'initiative d'organiser le 10 septembre, une réunion informelle qu'il a qualifié plus tard de "protestataire"afin de "réfléchir ensemble sur les "retombées pédagogiques" de ce "chef-d'oeuvre" (à savoir la circulaire et la note sus-visée) et adressait à Philippe G... un courrier lui demandant des éclaircissements sur le sort de son propre contrat de travail ; que ce courrier était communiqué à l'ensemble des personnes
invitées à la réunion du 10 septembre ; qu'il lui était répondu, le 15 juillet, par Bernard F... que son départ de l'association n'était pas envisagé mais qu'en revanche, il était déploré son initiative de provoquer une réunion sans concertation préalable et son ton ironique et empreint de sous-entendus ; que l'intimé ne conteste pas avoir, courant août 2004, affiché dans son bureau un courrier du prédécesseur de Monsieur E..., dans lequel celui-ci critique les choix effectués par l'appelante et écrit en faisant implicitement référence au responsable du collectif national "Droits, Libertés, Actions juridiques"; "C'est au pied du mur que l'on voit le masson. Mais l'apprenti(chef) est si pressé que son mur est celui du son qui aurait substitué un "c" à son "s"! "
Que le 5 novembre 2004, un certain nombre de directeurs et d'éducateurs des stages nationaux adressaient un courrier collectif à Bernard F... protestant contre la refonte annoncée, contre le manque de respect de l'équipe des formateurs de PRUDIS et réaffirmant la valeur de l'institut ;
Que courant mars 2005, plusieurs courriers ont été échangés et rendus publics entre Monsieur E... et Pascal X..., notamment celui du 7 mars 2005 dans lequel celui-ci proteste contre les modifications de ses conditions de travail, demande au directeur soit de démissionner, soit de trouver une solution pour Monsieur D... dont il avait préconisé la nomination, et indique "Depuis ton arrivée à PRUDIS, je côtoie un autre homme qui se laisse aspirer par la nouvelle orientation de la galaxie "droits et liberté" qui érige en vertu la pratique des coups tordus";
Que le directeur répondait, le 8 mars 2005, par une lettre aux animateurs PRUDIS, reconnaissant les qualités pédagogiques de l'intimé mais déplorant l'attitude de celui-ci semblant vouloir combattre les décisions confédérales, s'abstenant de participer aux
réunions ne relevant pas strictement de l'activité PRUDIS, s'isolant, refusant l'action collective et agissant selon son bon vouloir et que le 29 mars, ce même directeur adressait à l'intimé une lettre définissant ses missions ;
Que parallèlement, se développait un contentieux entre les deux parties quant à la participation d'une intervenante à une formation prévue pour le début du mois d'avril 2005, que malgré l'opposition du directeur à cette participation et le choix par celui-ci d'une autre personne, l'intimé a maintenu sa position première ; qu'il en est résulté un refus de la nouvelle intervenante de participer à la formation et la décision du directeur d'annuler celle-ci ;
Que ce contentieux a entraîné une intervention du président de l'association sous la forme d'un avertissement, notifié le 31 mars 2005 à Pascal X...;
Que le même désaccord relatif à la même personne s'est renouvelé à l'occasion de l'organisation d'un autre stage prévu en mai 2005 et qu'entre temps, par un long courrier du 5 avril 2005, l'intimé faisait un récapitulatif des difficultés rencontrées qu'il adressait au directeur et au président de l'association et qui fut distribué à l'ensemble des membres du conseil d'administration, le même jour ; que ce courrier est une réponse aux griefs formulés par le directeur et constitue une défense du travail accompli et des convictions du salarié mais comporte des termes tels que "torchon" et "document qui a suscité le dégoût chez la plupart de ses lecteurs" en parlant de la lettre du 8 mars, évoque ironiquement "le génial Philippe G...", affirme que "Gérard E... ment effrontément" et qu'en annulant un stage "il a été fait le choix de l'irresponsabilité"; que ce courrier évoque également un acte arbitraire du directeur, et le comportement de Philippe G... comme celui d' "une personne qui se distingue plus par sa prédisposition à organiser des séances de psychothérapie de
groupe aux relents nauséabonds que par les qualités humaines que lon est en droit d'attendre d'un animateur d'un collectif droits et libertés" ; qu'enfin, il se termine par la considération suivante : " Coincé entre un directeur de PRUDIS qui joue au caporal et un Responsable du collectif national droits et libertés aux tendances ubuesques, je me laisse parfois aller à un peu de pessimisme sur le libre exercice de ma liberté d'expression sur l'évolution de PRUDIS" ;
Que l'intimé, soutenu par un collectif de défense, se déclarait en grève le 22 avril, protestant contre "la casse de l'outil de formation des conseillers prud'hommes de la CGT" et "le démantèlement du contrat de travail et la dégradation des conditions de travail de Pascal X..." ;
Que suite au désaccord persistant, notamment sur l'organisation de la formation de fin mai et le choix des personnes intervenantes, et malgré diverses tentatives de médiation interne demeurées sans effet, le licenciement de l'intimé fut envisagé et débattu au conseil d'administration du 17 mai 2005 dans les termes visés ci-dessus ; que l'intimé n'ayant pas souhaité modifier ses décisions, il était évincé de la formation se tenant du 23 au 27 mai ; que le 25 mai, il maintenait ses positions et était licencié le 30 mai ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que dès le changement de direction de l'association, les parties se sont opposées sur la politique à mettre en place au sein de l'institut ; que si dans le cadre de ses fonctions, le salarié à un droit à une libre expression et peut exprimer une opinion critique sur son employeur et sa façon de diriger, il n'en demeure pas moins que ce droit doit s'exercer sans abus ni excès ; que force est de constater que par ses propos virulents, dénigrants et parfois insultants à
l'encontre de divers dirigeants de l'association, l'intimé a fait un usage excessif de son droit et qu'il ne peut, dès lors, dans un tel contexte, invoquer la violation de sa liberté d'expression pour soutenir l'existence d'un trouble manifestement illicite et affirmer que les motifs invoqués dans la lettre de licenciement ne constituent qu'un prétexte dissimulant, la véritable raison de son licenciement ; Considérant, par ailleurs, que si la convocation à un entretien préalable à son licenciement date du 28 avril 2005, alors qu'il s'était déclaré en grève le 22 avril, il n'apparaît pas, compte tenu des éléments énoncés ci-dessus, que Pascal X... ait été licencié en raison d'un fait de grève ; qu'en effet, il convient de rappeler que les faits qui lui sont reprochés, sont antérieurs au 22 avril, qu'ils ont perduré au-delà de cette date et que l'intimé n'a jamais entendu revenir sur ses positions, alors que l'appelante démontre qu'avant de décider du licenciement, elle a mis son salarié en mesure de modifier son attitude ;
Qu'il n'est, dès lors, pas plus démontré une violation du droit de grève et par voie de conséquence, un trouble manifestement illicite de ce chef ;
Qu'il en résulte que la demande de poursuite du contrat de travail formulée par l'intimé est mal fondée et qu'il y a lieu, infirmant la décision entreprise, de le débouter de celle-ci ; que par voie de conséquence, il n'y a pas lieu à liquidation de l'astreinte fixée par les premiers juges ;
Considérant que les circonstances de l'espèce ne conduisent pas à faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Que l'intimé qui succombe en ses prétentions sera condamné aux dépens
de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
INFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
STATUANT à nouveau :
STATUANT à nouveau :
DÉBOUTE Pascal X... de ses demandes ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
CONDAMNE l'intimé aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE