Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 24 MAI 2013
(n° 133, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/08658.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mars 2011 - Tribunal de Commerce de PARIS 12ème Chambre - RG n° 2007073093.
APPELANT :
SAS PRADA RETAIL FRANCE
prise en la personne de son Président,
ayant son siège social [Adresse 2],
représentée par Maître Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090,
assistée de Maître Pascal BECKER de la SELARL ipSO, avocat au barreau de PARIS, toque : L0052.
INTIMÉS :
- Monsieur [T] [B]
demeurant [Adresse 4],
- SARL CUPIDON
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 3],
représentés par Maître Belgin JUMEL, avocat associé de la SCP GRAPPOTTE- BENETREAU-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111,
assistés de Maître Cécile CUVIER-RODIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0995.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 4 avril 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Christine AIMAR, présidente,
Madame Sylvie NEROT, conseillère,
Madame Véronique RENARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Christine AIMAR, présidente, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
Monsieur [T] [B], styliste, expose avoir créé, sans indication de date devant la Cour, une 'couture dorsale ornementale placée dans le dos de vêtements, au niveau des omoplates', lesquels vêtements sont commercialisés par la société CUPIDON depuis 2001.
Indiquant avoir constaté la même année que la société PRADA RETAIL FRANCE commercialisait des manteaux qui reproduisaient selon eux cette pince d'omoplate, Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON, après avoir engager une première procédure et fait procéder à nouveau le 2 octobre 2007 à une saisie-contrefaçon dans la boutique PRADA située [Adresse 1] ainsi qu'à son siège social, ont, selon acte d'huissier en date du 8 novembre 2007, fait assigner à bref délai la société PRADA RETAIL FRANCE devant le Tribunal de Commerce de PARIS en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale aux fins d'obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par jugement en date du 10 avril 2008, le Tribunal de Commerce de PARIS a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société PRADA RETAIL FRANCE.
Par jugement en date du 16 mars 2011, le Tribunal de Commerce de PARIS, ordonnant l'exécution provisoire de la décision sauf en ce qui concerne les mesure de publication, a :
- dit que la société PRADA RETAIL FRANCE, en commercialisant les vêtements référencés GIACCA P 5414 et CAPPPOTTO P 6415 et P 6402, s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon à l'encontre de Monsieur [T] [B] et la SARL CUPIDON,
- interdit à la société PRADA RETAIL FRANCE de reproduire, sous quelque forme et quelque support que ce soit, tout modèle de pince dorsale s'inscrivant comme un trait dans le prolongement de la couture de saignée et constituant la reproduction servile ou quasi servile des modèles revendiqués par Monsieur [T] [B], et ce sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée,
- condamné la société PRADA RETAIL FRANCE à verser à Monsieur [T] [B] la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à son droit moral,
- condamné la société PRADA RETAIL FRANCE à verser à la société CUPIDON la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à son droit patrimonial,
- dit que la société PRADA RETAIL FRANCE ne s'est pas rendue coupable d'actes distincts de concurrence déloyale à l'encontre Monsieur [T] [B] et de la société CUPIDON, et débouté ces derniers de l'ensemble de leurs demandes à ce titre,
- ordonné la publication de la décision dans 5 journaux aux choix des requérants, aux frais de la société PRADA RETAIL FRANCE, sans que la somme mise à la charge de cette dernière n'excède la somme de 5.000 euros HT par insertion,
- condamné la société la société PRADA RETAIL FRANCE à verser à Monsieur [T] [B] et à la société CUPIDON, in solidum, la somme de 25.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- débouté les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la société PRADA RETAIL FRANCE aux dépens.
Par dernières écritures signifiées le 27 septembre 2012, la société PRADA RETAIL FRANCE demande à la Cour de :
- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée,
- écarter des débats faute de datation la nouvelle pièce des intimées communiquée pour la première fois en 2012, numérotée 40 et intitulée 'veste [T] [B] noire en original',
- déclarer Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON irrecevables en leur appel incident, et en tout état de cause mal fondés, et les débouter de l'intégralité de leurs prétentions,
- infirmer le jugement déféré du Tribunal de Commerce de Paris du 16 mars 2011 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a prononcé l'absence d'acte de contrefaçon commis par la commercialisation de la robe manteau sans manches CAPPOTTO P 6403, ainsi que l'absence d'actes de concurrence déloyale,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- débouter (sic) Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON de toutes leurs demandes comme étant irrecevables, faute de pouvoir se prévaloir d'un droit valable,
- dire que si droit valable il devait y avoir, il ne pourrait encore et en tout état de cause porter que sur une 'uvre de l'esprit caractérisée comme : 'un élément de couture appliqué sur un vêtement, mis en valeur par contraste de couleurs et/ou de matières (surpiqûre très apparente, par le moyen d'une couleur et/ou d'une matière opposée/tranchée à la couleur/matière du vêtement lui-même), consistant en un double trait, soit un trait plein constitué d'une pince, surmonté d'une ligne en pointillés constitué d'une surpiqûre, ainsi particulièrement apparente, double-trait courant du bas des manches dans l'axe de leurs coutures de coude, et se poursuivant en haut des manches, à partir de la capsule reliant l'os du bras à l'omoplate, sur le dos du vêtement, à gauche et à droite, à mi-hauteur et sur la longueur des omoplates, en parallèle à la légère inclinaison naturelle de la clavicule',
à titre subsidiaire,
- dire et juger que, compte tenu des différences sensibles données entre sa pince, par ailleurs purement fonctionnelle, telle qu'incriminée par Monsieur [T] [B] et la société Cupidon, et l''uvre de l'esprit qu'invoquent ces derniers, donc de l'absence de toute confusion possible entre les deux, aucune contrefaçon ne peut lui être imputée,
- débouter en tout état de cause Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON de toutes leurs demandes en contrefaçon, en concurrence déloyale et/ou parasitaire,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq revues ou journaux de son choix et aux frais de Monsieur [T] [B] et Monsieur Cupidon (sic), pour un montant global de 100.000 euros HT,
- condamner in solidum Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON à lui verser la somme de 80.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner in solidum Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON en tous les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de son conseil.
Par dernières écritures signifiées le 9 février 2012, Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON entendent voir :
- déclarer la société PRADA RETAIL France mal fondée en son appel et l'a débouter de toutes ses demandes,
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident,
- écarter des débats le brevet du 16 juin1936 communiqué par la société PRADA faute de traduction, de copie certifiée conforme et d'élément permettant de visualiser le vêtement fini,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 16'mars'2011 en ce qu'il :
* a dit que la société PRADA RETAIL France a porté atteinte au droit moral de Monsieur [B] et aux droits patrimoniaux de la société CUPIDON, interdit à la société PRADA RETAIL France de reproduire, sous quelque forme que ce soit et que quelque support que ce soit tout modèle de pince dorsale s'inscrivant comme un trait dans le prolongement de la couture de saignée et constituant la reproduction servile ou quasi servile des modèles revendiqués par M. [T] [B] et ce, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée,
* l'a condamnée à verser la somme de 25.000 euros au titre des frais de justice de première instance et a ordonné la publication de la décision dans 5 journaux de leur choix aux frais de la société PRADA RETAIL France sans que la somme mise à la charge de cette dernière excède la somme de 5.000 euros H.T. par insertion,
- l'infirmer sur le montant des dommages et intérêts et en ce qu'il a dit que la société PRADA RETAIL France ne s'est pas rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- condamner la société PRADA RETAIL France à verser :
- à Monsieur [B] la somme de 100.000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,
- à la société CUPIDON la somme de 200.000 euros en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux,
- à la société CUPIDON la somme de 200.000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale commis à son encontre,
- la condamner à leur verser la somme de 40.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais de justice supportés dans le cadre de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de leur conseil.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2013.
SUR CE,
Sur le rejet de pièces :
Considérant que les intimés sollicitent le rejet des débats du brevet du 16 juin1936 communiqué par la société PRADA faute de traduction, de copie certifiée conforme et d'élément permettant de visualiser le vêtement fini ;
Mais outre le fait que la société appelante a produit en pièce n° 61 une traduction partielle de la base de données de l'Office américain des brevets et marques, cet élément constitue un moyen de preuve soumis à l'appréciation de la Cour de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'écarter des débats ;
Qu'il en est de même de la pièce des intimés communiquée sous le numéro 40 et intitulée 'veste [T] [B] noire en original' et qui ne serait pas datée ;
Que les demandes respectives des parties seront donc rejetées ;
Sur les droits d'auteur :
Attendu que Monsieur [B] et la société CUPIDON revendiquent, au titre du livre I du Code de la Propriété Intellectuelle, des droits d'auteur sur 'une couture dorsale ornementale placée dans le dos de vêtements, au niveau des omoplates';
Qu'ils exposent que la lecture de la presse confirme la notoriété progressivement acquise 'par ce modèle', que la validité de 'ce modèle' a déjà été reconnue par la Cour d'Appel de Paris dans une décision du 7 avril 2004 et par le Tribunal de Commerce dans la décision dont appel et que la société PRADA ne communique aucune pièce nouvelle de nature à mettre en cause l'originalité et la validité 'du modèle revendiqué' ;
Qu'ils poursuivent en indiquant que la société appelante a fait procéder par Monsieur [F], à une expertise non contradictoire, de même qu'elle a sollicité, sur la technique de la pince d'épaule, l'avis de la chambre syndicale des confectionneurs pour hommes et enfants ainsi que celui de son propre expert, Monsieur [R] ;
Qu'après avoir relevé que les intimés ont varié, au cours de procédure, sur la caractérisation de la pince revendiquée et sur la date de sa création, la société PRADA fait valoir en substance qu'ils revendiquent le principe même d'une pince c'est à dire un genre qui n'est pas susceptible d'appropriation et qui en tout état de cause ne reflète pas l'empreinte de la personnalité de Monsieur [B] ;
Considérant ceci exposé qu'il est constant qu'il appartient aux intimés, demandeurs à la protection, de démontrer que l'oeuvre revendiquée est une 'uvre de l'esprit originale ouvrant droit comme telle à la protection au titre du droit d'auteur et non pas à la société appelante de rapporter la preuve d'antériorités de toutes pièces, inopérantes en la matière, pour détruire l'originalité de l'oeuvre ;
Or en l'espèce, Monsieur [B] et la société CUPIDON se contentent de revendiquer des droits sur une 'couture dorsale ornementale placée dans le dos de vêtements, au niveau des omoplates' sans identifier avec précision cette couture et sans en caractériser les détails, condition première de la naissance du droit d'auteur et de la définition de son objet ;
Que ce faisant, ils ne démontrent pas en quoi l'oeuvre ou les oeuvres en cause seraient éligibles à la protection revendiquée et en particulier en quoi en l'espèce les différents éléments qui la ou les caractérisent seraient originaux et traduiraient un parti pris esthétique et l'empreinte de la personnalité de son auteur, en dehors de référence à des attestations qui établissent l'existence d'un style ou 'd'une signature', qui ne sont pas à eux seuls protégeables, ou à une précédente décision intervenue entre les parties et dans laquelle la couture en cause était manifestement considérée autrement ;
Attendu dès lors que les demandes formulées au titre de la contrefaçon ne peuvent prospérer étant précisé qu'il n'appartient pas à la Cour d'examiner elle-même ladite couture à travers des photographies en dehors de toute description par les intimés dans leurs écritures de l'oeuvre considérée ;
Que le jugement du Tribunal de Commerce du 16 mars 2011 sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré recevable et bien fondée l'action en contrefaçon de Monsieur [T] [B] et de la société CUPIDON ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant qu'après avoir indiqué que la société CUPIDON vise la même clientèle que la société PRADA, les intimés se prévalent d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière consistant à avoir reproduit sans nécessité la couture en litige en s'emparant de leurs efforts intellectuels et financiers afin de se placer dans le sillage du succès rencontré par Monsieur [B] ;
Mais considérant que l'action en concurrence déloyale ne saurait constituer une action de repli pour celui ou ceux qui ne peuvent bénéficier d'un droit protégé par le Code de la Propriété Intellectuelle ;
Qu'en se bornant à affirmer que la société PRADA a reproduit sans nécessité la création ou le signe revendiqué, s'emparant ainsi de ses efforts intellectuels et financiers ou de ceux de Monsieur [B], afin de se placer dans le sillage du succès rencontré par ce dernier, la société CUPIDON, qui au demeurant ne démontre nullement la réalité des investissements réalisés précisément pour la réalisation et la promotion de la couture litigieuse, n'établit aucun acte de concurrence qui contreviendraient à l'exercice loyal du commerce;
Que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
Sur les demandes reconventionnelles :
Considérant que Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON qui succombent seront condamnés aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
Qu'en outre, ils seront condamnés in solidum à payer à la société PRADA, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 20.000 euros ;
Considérant enfin qu'il n'y a pas lieu d'autoriser la publication de la présente décision telle que sollicitée par la société PRADA ;
PAR CES MOTIFS :
Dit n'y avoir lieu à écarter des pièces des débats.
Infirme le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 16 mars 2011 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon concernant la robe manteau sans manches CAPPOTTO P 6403 et l'action en concurrence déloyale.
Statuant à nouveau,
Rejette l'ensemble des demandes de Monsieur [T] [B] et de la société CUPIDON.
Condamne in solidum Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON à verser la société PRADA RETAIL FRANCE la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Déboute la société PRADA RETAIL FRANCE de sa demande de publication de la présente décision.
Condamne in solidum Monsieur [T] [B] et la société CUPIDON en tous les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le greffier,Le Président,