2ème Chambre
ARRÊT N° 521
N° RG 15/05222
Mme Christine X...
M. Johan X...
C/
M. Peter Y...
SCP PHILIPPE Z...
SA ALLIANZ
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me A...
Me B...
Me C...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, rédacteur,
Assesseur : Madame Pascale DOTTE-CHARVY, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Régis ZIEGLER, lors des débats et Madame Marlène D... lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 juin 2018, Monsieur Joël CHRISTIEN, Président, entendu en son rapport,
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 12 octobre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame Christine X...
née le [...] à LAUSANNE (SUISSE)
[...]
(SUISSE)
Monsieur Johan X...
né le [...] à LIDINGO (SUEDE)
[...]
(SUISSE)
Représentés par Me Etienne A... de la SELARL AVOCATLANTIC, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
INTIMÉS :
Monsieur Peter Y...
né le [...] à SYDNEY (AUSTRALIE)
[...] (SUISSE)
Représenté par Me Pierre B... de la SCP ESTUAIRE AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
La S.A. ALLIANZ (anciennement AGF IARD)
dont le siège social est [...]
Représentée par Me Carole C... de la SELARL POLYTHETIS, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
La SCP PHILIPPE Z... ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.R.L. MARINE ATLANTIQUE, ayant son siège social [...]
dont le siège est [...]
Assignée par acte d'huissier en date du 6 octobre 2015, délivré à personne morale, n'ayant pas constitué
****
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon bon de commande du 24 février 2003, les époux X... ont confié à M. Y..., architecte naval, la fourniture des plans d'un voilier de 13,30 mètres de la série '[...]" dont il est le concepteur, puis lui ont ultérieurement demandé d'étudier la possibilité de le doter d'une propulsion au moteur hybride.
Selon devis du 20 décembre 2003, la société Marine Atlantique, exploitant un chantier naval, a quant à elle été chargée de l'aménagement de la coque, fournie par une entreprise tierce, du gréement et de la motorisation.
Le navire, dénommé '[...]', a été livré le 23 mars 2007.
Se plaignant de divers désordres ayant conduit à l'immobilisation du navire en septembre 2008, les époux X... ont, par acte du 4 août 2008, saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 16 septembre 2008, a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à M. E....
Sans attendre le dépôt du rapport de l'expert, ils ont, par actes des 25, 26 et 28 janvier 2010, fait assigner en paiement de dommages-intérêts la SCP Z... , ès-qualités de liquidateur de la société Marine Atlantique mise en liquidation judiciaire le 28 octobre 2009, la société Allianz, assureur de responsabilité du chantier naval, et M. Y... devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire.
Statuant sur la base du rapport d'expertise finalement déposé le 19 septembre 2011, les premier juges ont, par jugement du 2 avril 2015:
rejeté la demande d'annulation de l'expertise formée par M.Y...,
rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Allianz,
déclaré la société Marine Atlantique et M. Y... responsables in solidum des des désordres ayant affecté le navire, avec une répartition de 80% pour la société Marine Atlantique et de 20% pour M. Y...,
arrêté les préjudices subis par les époux X... à la somme de 131170 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
fixé à cette somme la créance des époux X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Marine Atlantique,
condamné M. Y... au paiement de cette somme,
condamné la société Allianz à payer, sur ladite somme, aux époux X... la somme de 20000 euros, dont à déduire sa franchise de 457,53 euros,
ordonné l'exécution provisoire du jugement dans la limite de 75% des condamnations, avec le recours entre coobligés à 80/20% prévu ci-dessous,
condamné in solidum M. Z..., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Marine Atlantique, la société Allianz et M. Y... au paiement d'une indemnité de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens incluant les frais du référé et de l'expertise judiciaire,
dit qu'entre eux, M. Z..., ès-qualités, la société Allianz et M. Y... se répartiront la charge finale de toutes les condamnations prononcées contre eux, à raison de 80% pour les sociétés Marine Atlantique et Allianz, et de 20% pour M.Y....
Insatisfaits des dédommagements alloués, les époux X... ont relevé appel de cette décision le 1er juillet 2015, en demandant à la cour de:
fixer leurs préjudices à raison de:
225971,65 euros au titre de la perte de valeur du navire,
15451,05 euros au titre de la perte de chance de revendre le navire plus tôt,
27835 euros au titre des frais exposés en raison des avaries,
693497 euros au titre du préjudice de rétablissement,
60000 euros au titre du préjudice moral,
fixer en conséquence la créance des époux X... au passif de la procédure collective la société Marine Atlantique à la somme totale de 1022754,70 euros,
condamner M. Y... au paiement de la somme de 1022754,70 euros, in solidum avec la société Allianz à concurrence de 1012727,17 euros,
dire que les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2010,
condamner in solidum la SCP Z... , ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Marine Atlantique, M.Y... et la société Allianz au paiement d'une indemnité de 20000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Soutenant que les préjudices dont la réparation est réclamée sont exclus de sa garantie, la société Allianz a relevé appel incident et conclut principalement au débouté des époux X....
Subsidiairement, elle invoque la prescription de l'action en garantie des vices cachés exercée contre son assuré, l'insuffisance de preuve de l'existence de certains désordres, la responsabilité des époux X... relativement à d'autres désordres et la fixation du préjudice des époux X... à une somme n'excédant pas 91271 euros.
Elle sollicite enfin la condamnation de toute partie succombante au paiement d'une indemnité de 15000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
Contestant sa responsabilité, M. Y... a également relevé appel incident, en demandant à la cour de:
annuler les opérations d'expertise,
débouter les époux X... de leurs demandes formées à son encontre,
subsidiairement, dire que le préjudice subi par les époux X... au titre de la perte de valeur du navire ne saurait excéder 91000 euros,
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de réparation du préjudice financier,
dire que les époux X... ont contribué la réalisation de leur propre dommage,
dire que la société Allianz devra garantir M. Y... de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre,
condamner la société Allianz au paiement d'une indemnité de 16000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les époux X... le 8 avril 2018, pour la société Allianz le 18 décembre 2015, et pour M. Y... le 10 avril 2018, l'ordonnance de clôture ayant été prononcée le 26 avril 2018.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la nullité de l'expertise
Au soutien de sa demande d'annulation des opérations d'expertise ou, à tout le moins, de cancellation des développements du rapport consacrés au système de propulsion du navire, M. Y... invoque des erreurs de calcul ou de lecture de plan et fait aussi grief à l'expert d'avoir déposé un rapport sans achever ses diligences qui devaient comprendre des essais en mer auxquels il a été renoncé en raison de la vente du navire.
Il s'agit en réalité de critiques portant sur le bien fondé de l'avis technique de l'expert ainsi que sur l'efficience des investigations réalisées qui, à les supposer pertinentes, ne sont pas de nature à entraîner l'annulation des opérations d'expertise.
M. Y... reproche encore à M. E... de ne pas avoir répondu à l'intégralité de ses treize dires, de s'être prononcé sur les responsabilités et d'avoir fait preuve de partialité.
Le grief de partialité ne repose là encore que sur une critique de fond de l'avis technique de l'expert auquel il appartenait précisément de rechercher si des erreurs de conception pouvaient être la cause de désordres.
De même, M. E... n'a pas outrepassé sa mission en se prononçant sur la responsabilité juridique des différents intervenants à l'opération de construction navale, mais s'est borné à émettre un avis technique sur l'exécution de leurs prestations respectives.
Enfin, il a, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, suffisamment répondu aux dires des parties de nature à influer sur la réponse à apporter aux chefs de sa mission, et n'était pas tenu de les suivre dans le détail de leur argumentation.
Sur la prescription
La société Allianz, assureur de responsabilité de la société Marine Atlantique, invoque la prescription annale de l'article L.5113-5 du code des transports, aux termes duquel l'action en garantie des vices cachés contre le constructeur de navire se prescrit par un an à compter de la date de la découverte du vice.
Cependant, ainsi que les premiers juges l'ont pertinemment relevé, le délai de la prescription annale n'a commencé à courir qu'à compter du jour où le vice est apparu aux acquéreurs dans toute son ampleur et ses conséquences.
Or, bien qu'il ait été livré le 23 mars 2007 et a immédiatement connu diverses difficultés lors des essais en mer, le navire a fait l'objet d'interventions du chantier naval afin d'y remédier et n'a pris la mer que le 25 septembre suivant, les premières avaries affectant les safrans n'ayant été constatées qu'à Lisbonne à la fin du mois d'octobre 2007, et l'aggravation des fissures des safrans ainsi que l'inadaptation des hélices n'étant apparues qu'au mois de décembre suivant lors d'une escale au Portugal.
Il s'en évince que l'assignation en référé aux fins de désignation d'expertise du 4 août 2008 a bien été délivrée dans l'année de l'apparition des premiers vices dans toute leur ampleur et leurs conséquences.
Sur les responsabilités
L'expert E... s'est livré à une analyse approfondie et techniquement étayée des désordres litigieux, et a mené sa mission avec un sérieux et une compétence manifestes dans les limites de sa faisabilité technique, les critiques de M. Y... n'étant pas étayées par des avis techniques contraires et l'expert ayant légitimement estimé qu'il n'était pas utile de poursuivre ses investigations en procédant à de nouveaux essais en mer.
À cet égard, au terme de ces investigations, il a conclu que M.X... avait demandé à M. Y... de concevoir un voilier de classe [...] à propulsion hybride, ce que celui-ci avait accepté, et que la société Marine Atlantique avait relevé ce défit technique alors qu'elle ne disposait pas d'un bureau d'étude capable d'étudier et de gérer ce projet hors du commun, se contentant des informations fournis par l'architecte naval qui n'avait pas davantage d'expérience de ce type de projet et avait établi des plans de montage sans anticiper les conséquences sur le déplacement du centre de gravité du navire provoqué par le poids des batteries des moteurs électriques ainsi que sur les modifications de la coque et du groupe électrogène.
Il a ajouté que le chantier naval avait accepté que M. X... fasse installer sous le cockpit divers autres éléments pesants (chauffe eau, désalinisateur ...) ayant contribué à alourdir le bateau sans que M. Y... prenne le soin de refaire un calcul du poids et de l'assiette du navire, et sans que la société Marine Atlantique pressente, en sa qualité de professionnel de la construction navale, les conséquences d'un surpoids de 2,3 tonnes représentant environ 20 % du poids initialement prévu.
Il est ainsi résulté de la mauvaise exécution des prestations de la société Marine Atlantique et de M. Y...:
une inclinaison du navire sur l'arrière, avec déséquilibre de la carène et inclinaison des arbres porte-hélice,
un rendement insuffisant des moteurs,
un équilibre sous voile modifié créant des contraintes supplémentaires sur les safrans et les dérives qui les rendaient dangereux,
À cela, il convient aussi, selon l'expert, d'imputer:
à la société Marine Atlantique:
un défaut de ventilation des caissons des moteurs électriques, du cocon du groupe électrogène et des batteries,
un défaut de montage des arbres porte-hélice,
un défaut de montage des aménagements en composite réalisés sur une coque en aluminium,
une réalisation de safrans non conformes aux plans de l'architecte,
une isolation intérieure ne tenant pas compte de l'existence de ponts thermiques,
à M. Y...:
un défaut de 'réétude' du poids et de l'assiette du navire caractérisant un défaut de conseil à l'égard du propriétaire du navire et d'information loyale du chantier naval,
un défaut de conception des étambots mobiles et des volets de fermeture générant un environnement des hélices néfaste à la propulsion et n'ayant pas été pris en compte dans le calcul des hélices,
un calcul erroné des dérives ne tenant pas compte de leur allongement, ni de conditions de navigations défavorables susceptibles d'être souvent rencontrées,
et à M. X...:
la suppression des ventilations,
la suppression des vérins hydrauliques pour le contrôle des étambots mobiles. .
L'expert fait en conséquence grief:
à M. X..., d'être intervenu directement sur des choix techniques sans en avoir les compétences,
à l'architecte naval Y..., d'avoir omis de mettre en garde le chantier naval et le propriétaire du navire sur le non-respect de ses plans ainsi que sur les dangers que pouvaient présenter les demandes de M. X... mises en oeuvres par la société Marine Atlantique, et d'avoir également omis d'établir un calcul précis de poids et d'assiette du navire tenant compte du choix de propulsion par motorisation hybride,
à la société Marine Atlantique, d'avoir accepté de monter une motorisation hybride sans la connaître ni en avoir les compétences, d'avoir accepté des modifications inappropriées réclamées par le propriétaire du navire, et d'avoir exécuté certaines tâches de sa prestation sans respecter les règles de l'art ou les plans de l'architecte, et d'avoir livré un prototype sans procéder aux essais nécessaires.
Tenue de livrer un ouvrage exempt de vices, la société Marine Atlantique est ainsi responsable des conséquences préjudiciables des désordres affectant:
la fissuration des cloisons intérieures, dont les joints réalisés en époxy sur la coque nue en aluminium n'étaient pas adaptés,
la fissuration des safrans, réalisés avec des mèches de diamètre non conforme aux plans de l'architecte naval et supportant, du fait du surpoids du navire et de la modification de son centre de gravité, des contraintes supplémentaires sous voile,
la faiblesse des dérives, dont les risques de rupture, procédant en premier lieu d'une erreur de conception imputable à l'architecte naval, sont de surcroît accrus par le surpoids du navire et la modification de son centre de gravité générant des contraintes supplémentaires sous voile,
l'inclinaison anormale du navire, dont le surpoids et le déplacement du centre de gravité sont imputables à l'acceptation d'une commande de modification du prototype afin d'y adapter une propulsion par motorisation hybride impliquant d'implanter des batteries dans une coque inadaptée ainsi que d'un chauffe-eau et d'un désalinisateur dans le cockpit,
l'insuffisance de rendement, la surchauffe et la panne des moteurs électriques imputables à la pose de matériels inadaptés au milieu marin, aux défauts de montage des contrôleurs électroniques ainsi qu'à un défaut de ventilation des batteries, moteurs et groupe électrogène,
le manque de rendement des hélices imputable au surpoids du navire et à la modification de son centre de gravité provoquant une inclinaison des arbres porte-hélice et un défaut de montage des arbres porte-hélice,
outre diverses malfaçons affectant les travaux de menuiseries, de plomberie et d'électricité du navire.
M. Y... s'était quant à lui contractuellement engagé à fournir les plans du voilier et, s'il n'était pas chargée de la maîtrise d'oeuvre de l'opération de construction du navire, il a néanmoins accepté d'étudier, à la demande des époux X..., la possibilité d'une adaptation de l'[...], dont il était le concepteur, en vue de le doter d'une propulsion par une motorisation hybride, de sorte qu'il a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité contractuelle l'obligeant à réparer les conséquences préjudiciables des désordres affectant:
la fissuration des safrans, supportant, du fait du surpoids du navire et de la modification de son centre de gravité, des contraintes supplémentaires sous voile,
la faiblesse des dérives, dont les risques de rupture, procédant d'une erreur de conception ne tenant pas compte de leur allongement, ni de conditions de navigations défavorables susceptibles d'être souvent rencontrées, sont accrus par le surpoids du navire et la modification de son centre de gravité générant des contraintes supplémentaires sous voile,
l'inclinaison anormale du navire, dont le surpoids et le déplacement du centre de gravité sont imputables à l'acceptation, sans avoir l'expérience ou la compétence technique pour la traiter, d'une commande de modification du prototype afin d'y adapter une propulsion par motorisation hybride impliquant d'implanter des batteries dans une coque inadaptée,
l'insuffisance de rendement des hélices imputable au surpoids du navire et à la modification de son centre de gravité provoquant une inclinaison des arbres porte-hélice ainsi qu'à un défaut de conception des étambots mobiles et des volets de fermeture générant un environnement des hélices néfaste à la propulsion et n'ayant pas été pris en compte dans le calcul des hélices.
En revanche, il ne peut être fait grief à M. X... d'avoir contribué à son propre préjudice en demandant au chantier naval d'installer des dispositifs ayant alourdi le navire ou de supprimer des dispositifs de ventilations ainsi que des vérins hydrauliques destinés à contrôler les étambots mobiles, alors que, ainsi que les premiers juges l'ont exactement relevé, il n'était pas spécialiste de la construction de navires et que, s'en étant remis à des professionnels, il appartenait à ces derniers de conseiller leur client, qui ne disposait lui-même d'aucune compétence notoire avérée, sur la pertinence de ses choix techniques et de l'alerter sur le défaut de faisabilité ou le caractère inapproprié de ceux-ci.
Sur les préjudices
Les époux X..., qui ont vendu leur navire le 1er juillet 2012 avant l'issue de la procédure, ne réclament pas le coût de réparation des désordres évalué par l'expert à 91271 euros HT, mais la réparation du dommage résultant de la perte de valeur du navire, de la perte de chance de le revendre plus tôt, des frais exposés en raison de l'avarie, de leur préjudice de rétablissement et de leur préjudice moral.
Les fautes conjuguées de la société Marine Atlantique et de M.Y... ont indistinctement concouru à la réalisation de cet entier dommage, de sorte qu'ils seront, dans leurs rapport avec les époux X..., tenus de le réparer in solidum.
Il est certain que l'ensemble des désordres conjugués ont fait perdre au navire de sa valeur, cette perte trouvant sa mesure dans la différence entre la valeur qu'il aurait dû avoir au moment de la vente et le prix obtenu lors de cette cession.
Selon l'avis de l'expert, ce type de navire, d'un coût de construction total de 360971,65 euros HT, subit, sur le marche de la vente d'occasion, une décote de 15% la première année, de 10% la seconde, 5% la troisième et 3% les années suivantes, de sorte que, ayant été livré en 2007, sa valeur vénale en 2012 ressort à 246167 euros.
Ayant été vendu moyennant le prix de 150000 euros, le gain manqué par les époux X... est de 96167 euros.
Ceux-ci critiquent à tort l'application d'une décote sur la valeur à neuf du navire, dès qu'il est de principe que l'indemnisation de la perte subie du fait de la perte de valeur d'un bien endommagé faisant l'objet d'un commerce de l'occasion doit être calculée sur la base d'une valeur de remplacement tenant compte de ce que la victime pourra se procurer un bien identique dans un état comparable, et que, si l'Altika n'a pas effectué le tour du monde envisagé, il demeure qu'il a navigué et a subi l'usure du temps.
D'autre part, la vente du navire avant l'issue de la procédure ne procédant que d'un choix des époux X..., ceux-ci ne sont pas fondés à faire supporter par M. Y... et la société Marine atlantique les honoraires du tiers s'étant entremis dans la vente, ce préjudice n'étant pas en lien causal avec les fautes commises.
Admettant avoir été à juste titre déboutés par les premiers juges de leur demande de réparation du préjudice monétaire résultant de l'évolution défavorable du taux de change entre l'euro et le franc suisse, devise du pays où ils sont domiciliés, ils reformulent leur demande devant la cour en la présentant cette fois comme procédant de la réparation de la perte de chance de revendre leur bateau dès l'issue de leur tour du monde de deux ans, alors qu'en 2009 le taux de change entre l'euro et le franc suisse était plus favorable.
Ce faisant, ils continuent, sous le couvert de cette requalification intellectuelle de leurs prétentions, à solliciter à tort la réparation d'un prétendu préjudice monétaire, alors qu'ils admettent eux-mêmes que l'euro était la monnaie du contrat et que les intimés ne sont en rien responsables de l'évolution péjorative de la parité entre le franc suisse et l'euro.
De surcroît, l'affirmation selon laquelle ils envisageaient dès l'origine de revendre le voilier dès l'issue de leur tour du monde ne relève que d'une pure conjecture, de sorte que le préjudice allégué n'est qu'hypothétique et, partant, ne peut donner lieu à indemnisation.
En cause d'appel, les époux X... réclament une somme totale de 27835 euros au titre du remboursement de frais divers exposés en raison des avaries, soit:
9150 euros pour le remplacement des safrans,
11641 euros pour les frais de mouillage et de stationnement du bateau,
7044 euros pour leurs frais de déplacement en vue d'entretenir le navire et d'assister à l'expertise amiable, ainsi que pour les frais de cette expertise amiable et de manutention du navire à l'occasion des opérations d'expertise.
Le remplacement préventif des safrans était en effet une dépense nécessaire, les époux X... ne pouvant attendre et prendre le risque qu'ils cassent lors d'une navigation hauturière alors que l'expertise judiciaire a mis en lumière leur faiblesse structurelle.
De même, les appelants ont dû, entre la livraison du navire de mars 2007 et sa vente du 1er juillet 2012, exposer des frais afférents à son stationnement dans des ports au Portugal, en Espagne et en France, ces frais étant, contrairement à ce que soutient M. Y..., en lien causal direct avec les avaries subies par le navire du fait des fautes de l'architecte naval et du chantier naval, et non en relation avec le projet de circumnavigation conçu par les époux X....
Enfin, ces derniers ont effectivement exposé des frais de déplacement entre ces ports et leur résidence helvétique afin d'entretenir le navire.
En revanche, M. Y... fait à juste titre observer que les frais liés à l'expertise amiable, incluant les frais de déplacement de M. X... pour y assister au Portugal, ont en réalité été supportés par l'assureur de protection juridique des propriétaires du navire, la circonstance que cet assureur soit subrogé dans les droits de ses assurés ne conférant nullement à ces derniers qualité pour agir pour son compte.
Au regard des justificatifs produits et des éléments fournis pour évaluer les frais de déplacement, le préjudice indemnisable résultant des frais liés aux avaries a été exactement et intégralement réparé par les dommages-intérêts d'un montant de 20000 euros allouée par les premiers juges.
Exposant qu'exerçant les professions de professeur et de cadre, ils ont rompu leur contrats de travail à durée indéterminée en vue de réaliser un tour du monde à la voile qu'ils n'ont pu effectuer en raison des fautes de M.Y... et de la société Marine Atlantique, les époux X... sollicitent encore la réparation d'un préjudice de rétablissement chiffré à 693497 euros et consistant dans la perte subie du fait de la nécessité de louer un logement et de racheter une voiture en vue de vivre à terre et non sur leur bateau, ainsi que dans le gain manqué résultant de la réorganisation précipitée de leur vie professionnelle ayant conduit Mme X... à accepter un poste déclassé et M. X... à subir une longue période de chômage.
En réalité, ils ne formulent aucune réclamation chiffrée au titre de la perte subie, la somme de 693497 euros dont le paiement est demandé n'étant que la conversion en euros de la somme de 811392 francs suisses correspondant à la différence entre leurs revenus professionnels antérieurs à leur démission de 2007 et les revenus perçus de 2008 à 2011, entre la date d'immobilisation du navire et celle de sa vente.
Cependant, ainsi que les premier juge l'ont relevé, ce préjudice n'était pas prévisible.
Au surplus, il sera observé que la rupture de leurs contrats de travail ne résulte que de leur seul choix, que ce choix impliquait qu'ils renonçaient volontairement à tout salaire durant leur tour du monde d'au moins deux ans, et qu'il n'existe pas de lien causal suffisamment certain entre les fautes des intimés et les difficultés rencontrées par les appelants pour retrouver des emplois à un même niveau de rémunération.
Leur demande ne peut davantage prospérer sur le fondement, par ailleurs suggéré dans leurs écritures, de la perte de chance dès lors la perte certaine de l'éventualité favorable de renoncer à leur tour du monde et de vendre le navire plus tôt n'est pas démontrée, étant en effet observé qu'ils avaient eux-mêmes fait le choix de démissionner de leur emploi en 2007 et de renoncer à percevoir tous revenus salariaux au moins jusqu'en 2009, qu'il n'est pas établi qu'ils étaient légitimement empêchés de rechercher un emploi dès 2009 alors que le navire était immobilisé depuis 2008, et que rien ne démontre que, s'ils avaient pu effectuer leur tour du monde à la voile, ils auraient retrouvé avant 2012 des emplois aussi bien rémunérés que ceux qu'ils avaient quittés en 2007.
En revanche, il est certain que les époux X..., qui nourrissaient depuis plusieurs années le projet d'une circumnavigation au long court et avaient réorganisé leurs vies personnelles et professionnelles dans le but d'accomplir ce dessein, ont nécessairement ressenti, du fait des défauts de navigabilité du navire imputables à M. Y... et de la société Marine Atlantique les ayant conduits à renoncer à ce projet, une cruelle déception génératrice d'un préjudice moral à laquelle se sont ajoutées les tracasseries causées par les avaries et la procédure.
Ce préjudice moral a toutefois, au regard des éléments de la cause, été exactement et intégralement réparé par l'allocation à ce titre de dommages-intérêts d'un montant global de 20000 euros au bénéfice des deux époux X... ensemble.
Il convient, en conséquence de ce qui précède, de réformer le jugement attaqué, de fixer la créance chirographaire des époux X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Marine Atlantique à 136167 euros, et de condamner M. Y... au paiement de cette somme avec intérêts au taux légal à compter du jugement partiellement réformé, la cour entendant à cet égard user du pouvoir de dérogation que lui confère l'article 1153-1 alinéa deux du code civil dans sa rédaction applicable à la cause pour ne pas fixer le point de départ de ces intérêts courant sur une créance de nature indemnitaire à compter du présent arrêt partiellement infirmatif.
Il sera en outre rappelé qu'à l'égard de la société Marine Atlantique, le cours des intérêts a été arrêté de plein droit par l'ouverture de sa procédure de liquidation judiciaire en application des dispositions d'ordre public de l'article L.622-28 du code de commerce.
Sur la garantie de l'assureur
Aux termes de l'article 12.11.12 des conditions générales de la police d'assurance souscrite par la société Marine Atlantique, 'ne sont pas garantis, au titre de ce contrat, les fournitures et prestations de l'assurée tant en cours d'exploitation qu'après livraison, les dommages aux biens fournis par l'assuré ou ses sous-traitants, les frais incombant à l'assuré ou ses sous-traitants pour réparer, améliorer, remplacer, refaire tout ou partie des produits, marchandises, matériel fourni, des travaux ou prestations exécutés, ou pour leur substituer d'autres, même de nature différente, ainsi que la perte qu'ils subissent lorsqu'ils sont tenus d'en rembourser le prix, les frais de dépose, démontage, démolition, repose, remontage, réfection, engagés à ces occasions lorsque les opérations initiales de pose, montage, construction, ont été réalisés par l'assuré ou ses sous-traitants'.
D'autre part, il résulte de l'article 5.3 de ces conditions générales que ne constitue qu'une garantie facultative offerte moyennant cotisations supplémentaires conformément aux conditions particulières, la garantie 'des dommages immatériels consécutifs à la survenance d'un dommages matériel non garanti subi par le bien livré ou les travaux exécutés par l'assuré et affectés d'un vice caché ou d'un d'une malfaçon, ou résultant, suite à un vice caché, malfaçon ou erreur de livraison, et en l'absence de tout dommage, de l'impropriété du bien livré ou de travaux exécutés à l'usage auquel on les destine'.
La clause d'exclusion du produit livré ou de la prestation fournie, usuelle en matière d'assurance de responsabilité d'une entreprise industrielle ou commerciale, est formelle et limitée, et n'a pas pour effet de vider la police d'assurance, destinée à garantir les risques d'exploitation, de sa substance.
En outre, contrairement à ce que les époux X... soutiennent, il ressort clairement des conditions particulières du contrat d'assurance de la société Marine Atlantique que la garantie facultative des dommages immatériels autres que ceux résultant d'un dommage matériel garanti est 'exclue' et n'a donc pas été souscrite par l'assuré.
Les désordres litigieux ont tous leur siège dans des éléments réalisés par la société Marine Atlantique (cloisons, safrans, dérives) ou commandés et installés par celle-ci (moteurs et hélices), ou affectent la navigabilité même du navire en raison de la mauvaise prestation de l'assuré (surpoids et modification d'assiette).
Il s'agit donc tous de dommages matériels apparus après livraison, portant sur la prestation initiale de la société Marine et auxquels il doit être remédié par une reprise de cette prestation, de sorte qu'ils sont exclus de la garantie de l'assureur en application de l'article 12.11.12 des conditions générales de la police.
Dès lors, les préjudices dont les époux X... demandent réparation (perte de valeur du navire, perte de chance de revendre le navire plus tôt, préjudice de rétablissement et préjudice moral) constituent des préjudices immatériels non consécutifs à un préjudice matériel garanti, de sorte que, faute pour la société Marine Atlantique d'avoir souscrit l'extension de garantie couvrant ce risque, la société Allianz dénie avec raison sa garantie.
Enfin, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les frais exposés en raison des avaries constituent soit un dommage matériel au produit livré exclu de la garantie de l'assureur (remplacement des safrans), soit un dommage pécuniaire s'analysant un préjudice immatériel (frais de mouillage et de stationnement du bateau, frais de déplacement des propriétaires du navire, réalisation d'expertise amiables et manutention du navire au cours des opérations d'expertise) qui n'est pas garanti par la société Allianz dès lors que la garantie facultative des préjudices immatériels purs ou non consécutifs à un préjudice matériel garanti n'a pas été souscrite.
Il convient donc, après réformation du jugement attaqué sur ce point, de débouter les époux X... de l'ensemble de leurs demandes formées contre la société Allianz.
Sur le recours en garantie de M. Y...
Au regard du nombre et degré de gravité des fautes respectives du chantier naval et de l'architecte naval tels qu'elles ressortent des conclusions de l'expert judiciaires précédemment exposées, les premiers juges ont pertinemment réparti, dans leur rapports entre eux, les responsabilité et la charge finale de la dette à raison de 80% pour la société Marine Atlantique et de 20% pour M. Y....
Ce dernier n'est en revanche pas fondé à obtenir la condamnation de la société Allianz à le garantir de ses condamnations, fut-ce à hauteur de 80%, dès lors qu'il a été précédemment relevé que l'assureur de responsabilité du chantier naval n'était pas tenu d'indemniser le sinistre.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les époux X..., qui succombent en l'essentiel de leurs prétentions d'appel, supporteront les dépens exposés par les parties devant la cour.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de la société Allianz l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1500euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile formée par M. Y..., mal dirigée contre la société Allianz, sera quant à elle rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 2 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en ce qu'il a:
arrêté le préjudice des époux X... à 131170 euros avec intérêts légal à compter du jugement,
fixé à cette somme la créance des époux X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Marine Atlantique,
condamné M. Y... au paiement de cette somme,
condamné la société Allianz au paiement de la somme de 20000 euros ainsi qu'aux dépens,
mis la charge finale de 80% des condamnations sur la société Allianz;
Fixe la créance chirographaire des époux X... au passif de la liquidation judiciaire de la société Marine Atlantique à la somme de 136167euros;
Condamner M. Y... à payer aux époux X... la somme de 136167 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2015;
Déboute les époux X... et M. Y... de leurs demandes formées contre la société Allianz;
Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions;
Condamne les époux X... à payer à la société Allianz une somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les époux X... aux dépens d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT