COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88C
5e Chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 16 DECEMBRE 2021
No RG 21/00821
No Portalis DBV3-V-B7F-UL4Y
AFFAIRE :
S.A.S. SENTRY SOFTWARE
C/
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2012 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE
No RG : 11-02118
Copies exécutoires délivrées à :
Me Emmanuel DECHANCÉ
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES ILE DE FRANCE
Copies certifiées conformes délivrées à :
S.A.S. SENTRY SOFTWARE
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES ILE DE FRANCE
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. SENTRY SOFTWARE
[Adresse 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Emmanuel DECHANCÉ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2597
APPELANTE
****************
UNION POUR LE RECOUVREMENT DES COTISATIONS SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES ILE DE FRANCE
Département du contentieux amiable et judiciaire
[Adresse 2]
représenté par Mme [D] [J] (Autre) en vertu d'un pouvoir général
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 21 Octobre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Président,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Morgane BACHEA la suite d'un contrôle de la société Sentry software (la société) effectué en 2011 et portant sur l'année 2008, l'URSSAF d'[Localité 3] (l'URSSAF) lui a adressé, le 2 février 2011, une lettre d'observations opérant un redressement et concernant, pour l'essentiel, la remise en cause de l'exonération des cotisations employeurs prévue au bénéfice des jeunes entreprises innovantes.
L'URSSAF ayant décerné, le 21 juin 2011, une mise en demeure pour le recouvrement des sommes dues par la société, celle-ci a saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre.
Par jugement du 13 novembre 2012, ce tribunal a débouté la société de ses contestations et l'a condamnée à verser à l'URSSAF les sommes de 143 743 euros au titre des cotisations et de 23 861 euros au titre des majorations de retard, outre 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société a relevé appel de cette décision.
L'affaire, après avoir fait l'objet d'une radiation, a été réinscrite au rôle et évoquée à l'audience du 21 octobre 2021.
La société sollicite l'infirmation du jugement déféré et l'annulation de la mise en demeure et des redressements en invoquant :
- à titre principal, l'absence de signature de la lettre d'observations par tous les inspecteurs du recouvrement qui sont intervenus lors du contrôle,
- à titre subsidiaire, l'interdiction pour l'URSSAF de fonder ses redressements sur des renseignements et éléments obtenus auprès d'un tiers,
- à titre infiniment subsidiaire, l'absence de caractère contradictoire du contrôle et la violation des droits de la défense.
Elle sollicite la condamnation de l'URSSAF à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile.
L'URSSAF demande à la cour de déclarer la société recevable mais mal fondée en son recours, et de confirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre le 13 novembre 2012.
Sur le bien-fondé du chef de redressement no 3 intitulé « exonérations jeunes entreprises innovantes », elle demande pour l'essentiel de constater que le redressement litigieux est justifié par la remise en cause du statut de jeunes entreprises innovantes par décision de l'administration fiscale, confirmée de manière définitive par les juridictions administratives, dont un arrêt de non-admission rendu par le Conseil d'État, le 3 avril 2020. Elle sollicite reconventionnellement la condamnation de la société à lui payer la somme totale de 167 604 euros représentant 143 743 euros en cotisations et 23 861 euros en majorations de retard au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2008.
L'URSSAF demande par ailleurs, en tout état de cause, de constater que la somme en principal de 1 788 euros correspondant aux chefs de redressements no 1 et 2 non contestés par la société n'a pas été réglée, ni les majorations de retard provisoires y afférentes, et de condamner en conséquence la société au paiement de cette somme, augmentée des majorations de retard provisoires.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et des prétentions des parties, à leurs conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
A l'audience et par communication effectuée en délibéré, les parties ont été invitées par la cour à s'expliquer sur les moyens relevés d'office fondés sur :
- Le principe de la continuité du service public, conduisant à ce que la lettre d'observations soit signée par l'agent ayant compétence ou qualité pour le faire au moment de la signature ;
- Les dispositions des articles L. 114-19, L. 114-20 (avant son abrogation par décision du Conseil constitutionnel) et L. 114-21 du code de la sécurité sociale et L. 83 A du livre des procédure fiscales, d'où il ressort que le droit de communication ne s'exerce pas auprès des agents de la direction générale des finances publiques et que l'organisme de recouvrement n'est pas tenu, sur le fondement du troisième de ces textes, de délivrer au cotisant l'information sur la teneur et l'origine des informations et documents obtenus auprès des agents de l'administration fiscale ;
- L'application des dispositions de l'article L. 114-14 du code de la sécurité sociale régissant les échanges entre les agents des administrations fiscales, d'une part, les agents des administrations chargées de l'application de la législation sociale et du travail et des organismes de protection sociale, d'autre part ;
- L'irrecevabilité de la demande de l'URSSAF tendant à la condamnation de la société à lui payer la somme de 1788 euros, outre les majorations de retard provisoire, s'agissant d'une demande nouvelle n'entrant pas dans le champ des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile.
Vu la note d'audience du 21 octobre 2021 ;
Vu les observations des parties sur les moyens relevés d'office ;
SUR CE, LA COUR
1) Sur la signature de la lettre d'observations par les inspecteurs chargés du contrôle
Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret no 2007-546 du 11 avril 2007, applicable au litige, à l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de fin de contrôle, s'il y a lieu les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés.
En l'espèce, la société invoque la nullité de la lettre d'observations du 2 février 2011 au motif que celle-ci a été signée par une seule inspectrice, alors que deux inspectrices sont intervenues dans le contrôle.
Il ressort des explications fournies à l'audience par l'URSSAF et des pièces produites que le contrôle a été initié par Mme [Y], inspectrice du recouvrement, qui a adressé à la société l'avis de contrôle, le 30 avril 2009. Mme [Y] a quitté l'URSSAF d'[Localité 3] pour exercer ses fonctions à l'URSSAF de [Localité 4], le 1er février 2010. Ce fait est confirmé par Mme [Y] dans une attestation sur l'honneur établie le 15 octobre 2021. La lettre d'observations a seulement été signée par Mme [U], qui est intervenue dans les opérations de contrôle en prenant la suite de sa collègue. L'URSSAF justifie la durée du contrôle, qui s'est étalé sur deux ans, par les difficultés liées au chef de redressement afférent au statut de jeunes entreprises innovantes : ce statut est en effet dépendant de critères fiscaux, et la notification du redressement a été différée dans l'attente du dénouement du contrôle opéré par les services fiscaux. Ce point est du reste évoqué dans la lettre d'observations.
Si la lettre d'observations doit, en principe, être signée par l'ensemble des inspecteurs du recouvrement ayant participé au contrôle, la règle doit être écartée dès lors qu'au moment de la signature du document, l'un des inspecteurs n'avait plus qualité ou n'était plus compétent pour intervenir, ce qui est le cas lorsque cet inspecteur a cessé ses fonctions au sein de l'organisme contrôleur. La signature de la lettre d'observations par le seul inspecteur ayant qualité pour y procéder répond au principe de la continuité du service public, qui est un principe général du droit.
La société rétorque qu'il appartenait à l'URSSAF de pallier la difficulté rencontrée par le recours à la délégation de compétences et notamment, à la convention spécifique de réciprocité. Toutefois, comme le souligne pertinemment l'URSSAF à l'audience, une telle convention, qu'elle soit générale ou spécifique, n'a pas vocation à régir les mouvements de personnel au sein du réseau URSSAF ; elle a seulement pour effet d'étendre la compétence des organismes chargés de diligenter le contrôle et doit, au surplus, avoir été signée préalablement au contrôle.
Il s'ensuit que la lettre d'observations litigieuse, signée par Mme [U], qui était seule compétente pour signer ce document à la date de son établissement, est régulière.
2) Sur la nullité du redressement en ce qu'il est fondé sur des documents obtenus auprès d'un tiers
Selon l'article L. 114-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, les échanges d'informations entre les agents des administrations fiscales, d'une part, et les agents des administrations chargées de l'application de la législation sociale et du travail et des organismes de protection sociale, d'autre part, sont effectués conformément aux dispositions prévues par le livre des procédures fiscales, et notamment ses articles L. 97 à L. 99 et L. 152 à L. 162 B.
En l'espèce, la société énonce qu'il ressort clairement de la lettre d'observations que l'administration fiscale a informé les services de l'URSSAF de la remise en cause du statut de jeunes entreprises innovantes à la suite du contrôle fiscal, et que les inspecteurs du recouvrement ne peuvent fonder le redressement sur des documents, éléments ou renseignements recueillis auprès d'un tiers à l'employeur.
Toutefois, le redressement fondé sur des éléments recueillis auprès de l'administration fiscale ne peut être annulé au seul motif que cette dernière est un tiers, alors que les échanges d'informations entre les services fiscaux et les organismes de recouvrement sont prévues et organisées par des dispositions spécifiques et en particulier, par le texte susvisé.
Il s'ensuit que le moyen soulevé par la société doit être rejeté.
3) Sur l'absence de caractère contradictoire de la procédure de contrôle
Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret no 2007-546 du 11 avril 2007, applicable au litige, à l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant, notamment, l'objet du contrôle et les documents consultés.
En l'espèce, la société soutient que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, dès lors que les éléments transmis par l'administration fiscale n'ont pas été listés dans la lettre d'observations et ne lui ont pas été communiqués par l'inspecteur du recouvrement.
Cependant, il résulte des pièces produites qu'à la demande présentée, le 21 janvier 2011, par l'URSSAF, la brigade de vérification générale de la direction du contrôle fiscal d'[Localité 3] a informé l'inspectrice du recouvrement, par courrier mail du 26 janvier 2011, de la remise en cause du statut de jeune entreprise innovante de la société. Il n'apparaît pas que d'autres informations ou documents aient été transmis à l'URSSAF pour venir à l'appui du redressement litigieux. La lettre d'observations du 2 février 2011 mentionne expressément le motif du chef de redressement afférent aux jeunes entreprises innovantes, à savoir la remise en cause, par l'administration fiscale, de ce statut. Cette information figurant dans la lettre d'observations suffit à assurer le respect du contradictoire, étant observé que la société était nécessairement informée de la teneur du contrôle fiscal ayant abouti à cette remise en cause. Contestant l'analyse de l'administration fiscale, elle a, du reste, introduit un recours contentieux administratif puis juridictionnel, dont elle a été déboutée, en dernier lieu, par le Conseil d'Etat, aux termes d'une décision de non-admission du 3 avril 2020.
Enfin, il sera rappelé, même si la société ne fonde pas expressément son argumentation sur les dispositions régissant le droit de communication, que les agents de la direction générale des finances publiques sont exclus du droit de communication prévu à l'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale, en application de l'article L. 114-20 du code de la sécurité sociale, antérieurement à son abrogation par la décision no 2019-789 QPC du 14 juin 2019 du Conseil constitutionnel. Dès lors, l'obligation d'information prévue par l'article L. 114-21 du même code, sur la teneur et l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers, est inapplicable au présent litige (2e Civ., 8 juillet 2021, pourvois no 20-13.558 et 20-13.575).
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté la société de sa contestation.
4) Sur la demande de l'URSSAF en paiement de la somme de 1 788 euros correspondant aux autres chefs de redressement non contestés par la société, ainsi qu'en paiement des majorations de retard provisoires
Il ressort de la lettre d'observations que le chef de redressement no 3 intitulé « exonération jeunes entreprises innovantes » portait sur la somme de 141 955 euros. Les deux autres chefs de redressement, non contestés, représentent un montant total de 1788 euros. Le redressement porte donc sur un montant total de 143 743 euros, outre 23 861 euros au titre des majorations de retard.
Il est donc exact, comme le soutient l'URSSAF en réponse au moyen relevé d'office par la cour, qu'en sollicitant, devant les premiers juges, la condamnation de la société à lui verser la somme de 143 743 euros, outre 23 861 euros au titre des majorations de retard, l'organisme avait intégré les sommes dues au titre des chefs de redressement no 1 et 2. La demande est dès lors recevable.
Ne faisant l'objet d'aucune contestation ni dans son principe, ni dans son montant, elle apparaît au surplus bien fondée.
C'est donc bon droit que les premiers juges ont condamné la société à verser à l'URSSAF la somme de 143 743 euros, outre 23 861 euros au titre des majorations de retard. Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel.
Elle sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. L'URSSAF ne formule aucune demande sur le fondement de ce texte.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Sentry Software aux dépens exposés en appel ;
Déboute la société Sentry Software de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,