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30/07/2024 | FRANCE | N°24NC01896

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 30 juillet 2024, 24NC01896


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 17 juillet 2024, M. B... A..., représenté par Me Poinsignon, demande à la cour :



1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;



2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, lui faisant, d'une part, interdiction de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Strasbourg

pendant une durée de trois mois, sauf autorisation, d'autre part, obligation pour une même durée de se...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2024, M. B... A..., représenté par Me Poinsignon, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 juin 2024 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, lui faisant, d'une part, interdiction de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Strasbourg pendant une durée de trois mois, sauf autorisation, d'autre part, obligation pour une même durée de se présenter une fois par jour au commissariat de Strasbourg, de faire connaître et de justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu de résidence dans un délai de vingt-quatre heures et enfin interdiction de paraître les 26 juin et 25 août 2024 sur le passage de la flamme olympique et de la flamme paralympique à Strasbourg ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros HT à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est présumée remplie s'agissant des mesures prises en application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ;

- il n'y a pas de délai contraint pour le jugement des appels relatifs à des recours contre de telles mesures ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :

- la décision est insuffisamment motivée s'agissant de la deuxième condition permettant une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et tenant aux relations entretenues avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ;

- cette deuxième condition n'est pas remplie ;

- la décision en litige, qui fait un lien entre son comportement et la religion, est entachée d'erreur de fait ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir et au droit au respect de sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête n'est pas recevable en tant qu'elle concerne l'interdiction de paraître dans un périmètre donné pour la journée du 26 juin 2024 ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la présomption d'urgence est renversée compte tenu des impératifs tenant à la sauvegarde de l'intérêt public et que l'intéressé peut demander un aménagement de ses obligations ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu :

- la requête n° 24NC01889 par laquelle M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg n°2404645 du 11 juillet 2024 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2024 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a désigné Mme Kohler, présidente-assesseure, comme juge des référés en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 juillet 2024 à 10h00 :

- le rapport de Mme Kohler, juge des référés ;

- les observations de Me Poinsignon, représentant M. A..., qui reprend les conclusions et moyens de la requête,

- le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'étant ni présent ni représenté.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique du 25 juillet 2024 à 10h13.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a transmis le 24 juillet 2024, un mémoire séparé et le 25 juillet 2024, après l'audience, une note en délibéré, qui n'ont pas été communiqués à M. A... en application des dispositions de l'article L. 773-11 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 21 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé à l'encontre de M. A... une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance régie par les articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, valable pour une durée de trois mois, lui interdisant de se déplacer en dehors du territoire de la commune de Strasbourg, sauf autorisation, lui faisant obligation de se présenter une fois par jour au commissariat de police de Strasbourg, lui faisant obligation de justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de celui-ci et lui interdisant de paraître les 26 juin et 25 août 2024 sur le passage de la flamme olympique et de la flamme paralympique à Strasbourg. Par un jugement n° 2404645 du 11 juillet 2024 le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté. Un appel contre ce jugement, enregistré sous le n° 24NC01889, est actuellement pendant devant la cour. M. A... demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 juin 2024.

Sur l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".

3. En raison de l'urgence résultant de l'application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, et alors qu'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'aide juridictionnelle, il y a lieu d'admettre M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, sur le fondement de ces dispositions.

Sur l'étendue du litige :

4. M. A... demande la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 juin 2024 dans toutes ses dispositions. Or, ainsi que le fait valoir le ministre en défense, l'interdiction de paraître le 26 juin 2024 sur le passage de la flamme olympique à Strasbourg avait déjà été complètement exécutée à la date d'introduction de la requête qui est, par suite, irrecevable en tant qu'elle concerne cette interdiction.

Sur les conclusions à fin de suspension :

5. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

6. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer et justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu d'habitation. / L'obligation prévue au 1° du présent article peut être assortie d'une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés se trouvant à l'intérieur du périmètre géographique mentionné au même 1° et dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Cette interdiction tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. Sa durée est strictement limitée à celle de l'événement, dans la limite de trente jours. Sauf urgence dûment justifiée, elle doit être notifiée à la personne concernée au moins quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. (...) ".

En ce qui concerne la condition d'urgence :

7. Eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d'aller et venir, une décision prise par l'autorité administrative en application des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge des référés de la cour administrative d'appel, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, la suspension de l'exécution de cette décision.

8. En se bornant à invoquer la menace terroriste globale pesant sur la France en raison, d'une part, des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris qui se dérouleront du 26 juillet au 8 septembre 2024 et, d'autre part, du risque d'importation du conflit israélo-palestinien à la suite de l'attaque du 7 octobre 2023, le ministre de l'intérieur n'établit pas l'existence de circonstances particulières relatives à la situation de M. A... de nature à remettre en cause la présomption d'urgence reconnue pour les mesures prises sur le fondement des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.

En ce qui concerne la condition relative au doute sérieux :

9. Il résulte de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures qu'il prévoit doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

10. En l'espèce, la décision prononcée à l'encontre de M. A... est motivée par la circonstance que l'intéressé a un comportement violent et qu'il aurait " proféré à plusieurs reprises des menaces sur fond religieux ". Il n'est pas contesté que M. A... présente des troubles mentaux et que son comportement compromet la sûreté des personnes et porte atteinte, de façon grave à l'ordre public, justifiant sa prise en charge en soins psychiatriques sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. Il n'est pas davantage contesté qu'il a adopté à plusieurs reprises, un comportement violent et qu'il a proféré des menaces contre des éducateurs des foyers dans lesquels il a été hébergé. Il ne résulte toutefois ni des différents rapports éducatifs établis notamment à la suite de ces incidents, ni d'aucune autre pièce versée au dossier, qu'un lien pourrait être fait entre ces comportements et menaces et la religion. Le moyen tiré de l'erreur de fait paraît ainsi, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 21 juin 2024.

Sur l'application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :

11. Ainsi qu'il a été dit au point 3, il y a lieu d'admettre provisoirement M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Poinsignon, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de son client à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Poinsignon de la somme de 500 euros HT.

ORDONNE :

Article 1er : M. A... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : L'exécution de la décision du 21 juin 2024 par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé à l'encontre de M. A... une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance sous la forme d'une interdiction de se déplacer, sauf autorisation, en dehors du territoire de la commune de Strasbourg pendant une durée de trois mois, d'une obligation pour une même durée de se présenter une fois par jour au commissariat de Strasbourg, de faire connaître et de justifier de son lieu d'habitation ainsi que de tout changement de lieu de résidence dans un délai de vingt-quatre heures et d'une interdiction de paraître le 25 août 2024 sur le passage de la flamme paralympique à Strasbourg est suspendue.

Article 3 : Sous réserve de l'admission définitive de M. A... à l'aide juridictionnelle, l'Etat versera à Me Poinsignon, conseil de M. A..., sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, la somme de 500 euros HT en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A..., à Me Poinsignon et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Nancy, le 30 juillet 2024.

La juge des référés,

Signé : J. Kohler

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. C...

2

N° 24NC01896


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Numéro d'arrêt : 24NC01896
Date de la décision : 30/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julie KOHLER
Avocat(s) : POINSIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-30;24nc01896 ?
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