Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 498468, la société Kartoo, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de la maire de Paris du 30 avril 2024 lui refusant l'autorisation de transformer un local situé 11 rue Vignon à Paris 8ème, au R+2 sur rue et sur cour, en meublé touristique, avec une surface de plancher changeant de destination de 127,80 m2, a produit un mémoire, enregistré le 16 juillet 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2412298/4-1 du 15 octobre 2024, enregistrée le 17 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Kartoo, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du paragraphe IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa version applicable au litige.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 et 4 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Kartoo soutient que les dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les dispositions des articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, de l'article 34 de la Constitution ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Par un mémoire, enregistré le 28 novembre 2024, la Ville de Paris soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.
Par un mémoire, enregistré le 3 décembre 2024, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre, à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui n'ont pas produit de mémoire.
2° Sous le numéro 498469, M. B... A..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de la maire de Paris du 16 juin 2024 lui refusant l'autorisation de transformer un local à usage de commerce en établissement hôtelier pour un local en rez-de-chaussée sur cour, d'une superficie de 144 m2, situé au sein de l'un des bâtiments constituant la copropriété des 20 au 26 rue Marie Stuart et 62 au 74 rue Montorgueil à Paris 2ème, a produit un mémoire, enregistré le 16 juillet 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2419301/4-1 du 15 octobre 2024, enregistrée le 17 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M. A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du paragraphe IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme dans sa version applicable au litige.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un nouveau mémoire, enregistré le 4 décembre 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... soutient que les dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les dispositions des articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, de l'article 34 de la Constitution ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Par un mémoire, enregistré le 28 novembre 2024, la Ville de Paris soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.
Par un mémoire, enregistré le 3 décembre 2024, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre et à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui n'ont pas produit de mémoire.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du tourisme, notamment son article L. 324-1-1 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;
Considérant ce qui suit :
1. Les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par le tribunal administratif de Paris portent sur les mêmes dispositions du code du tourisme. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme dans sa version applicable au litige : " IV bis. - Sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement prévue au III, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme. / Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local. / Lorsque la demande porte sur des locaux soumis à autorisation préalable au titre d'un changement de destination relevant du code de l'urbanisme, l'autorisation prévue au premier alinéa tient lieu de l'autorisation précitée dès lors que les conditions prévues par le code de l'urbanisme sont respectées. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent IV bis ".
4. Les requérants soutiennent que les dispositions précitées sont entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte au droit de propriété, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et qu'elles méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, en s'abstenant de définir la portée et le contenu de l'objectif de protection de l'environnement urbain, et qu'elles portent une atteinte disproportionnée à ce droit et à ces libertés.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux (...) du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales (...) ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
6. En outre, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.
7. Il résulte des dispositions du IV bis de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme qu'en permettant aux communes mettant en œuvre la procédure d'enregistrement des meublés de tourisme de soumettre à autorisation la mise en location en meublés de tourisme des locaux à usage commercial et en prévoyant que cette autorisation est délivrée par le maire au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, le législateur a entendu permettre aux communes marquées par d'importantes tensions sur le marché immobilier de lutter contre la pénurie de locaux commerciaux ainsi que de prévenir les atteintes à l'environnement urbain qui pourraient résulter d'une concentration excessive de locations touristiques dans certains quartiers, notamment au regard de la diversité et de la physionomie des commerces et de la qualité de vie des habitants. En permettant au maire d'instituer un tel régime d'autorisation, après délibération du conseil municipal, et en prévoyant que l'autorisation en cause est délivrée, à l'issue d'un examen au cas par cas de chaque demande et sous le contrôle du juge administratif, en considération de ces objectifs, qui ne sont ni imprécis, ni équivoques, le législateur n'a pas entaché les dispositions litigieuses d'incompétence négative. Par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence dans des conditions portant atteinte au droit de propriété, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux.
8. En second lieu, aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ". L'article 17 de la même Déclaration dispose : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible selon l'article 2 de la Déclaration de 1789, les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la propriété et des droits réels, de définir les modalités selon lesquelles les droits des propriétaires doivent être conciliés avec les limites apportées à leur exercice.
9. L'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dispose que : " La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ". Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
10. Il résulte de ce qui précède au point 7 qu'en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur a entendu poursuivre un objectif d'intérêt général. En créant un régime d'autorisation de la mise en location d'un local à usage commercial en meublé de tourisme, dont la mise en œuvre est facultative et réservée aux communes mettant en œuvre la procédure d'enregistrement des meublés de tourisme, et en prévoyant que l'autorisation est délivrée par le maire après examen de chaque demande au regard des objectifs précités, ces dispositions, qui ont entendu répondre aux conséquences pouvant résulter de telles mises en location sur la disponibilité de locaux à usage commercial et sur l'environnement urbain, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit et aux libertés invoqués par les requérants, au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux.
11. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Kartoo et par M. A..., qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par le tribunal administratif de Paris.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Kartoo, à M. B... A..., à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la Ville de Paris.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 décembre 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Gaspard Montbeyre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 31 décembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Gaspard Montbeyre
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café