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29/04/1999 | CEDH | N°25088/94;28331/95;28443/95

CEDH | AFFAIRE CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE


AFFAIRE CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE
(Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95)
ARRÊT
STRASBOURG
29 avril 1999
En l'affaire Chassagnou et autres c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole no 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M. L. Wildhaber, président,   Mme 

E. Palm,   MM. L. Caflisch,    J. Makarczyk,    P. Kūris,    J.-P. Costa,    W. Fu...

AFFAIRE CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE
(Requêtes nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95)
ARRÊT
STRASBOURG
29 avril 1999
En l'affaire Chassagnou et autres c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole no 111, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :
M. L. Wildhaber, président,   Mme E. Palm,   MM. L. Caflisch,    J. Makarczyk,    P. Kūris,    J.-P. Costa,    W. Fuhrmann,    K. Jungwiert,    M. Fischbach,    B. Zupančič,   Mmes  N. Vajić,    W. Thomassen,    M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. T. Panţîru,    A.B. Baka,    E. Levits,    K. Traja,
ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 décembre 1998, 6 janvier et 17 mars 1999,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1.  Les affaires Chassagnou et autres c. France, Dumont et autres c. France et Montion c. France ont été déférées à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention3, par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») les 15 décembre 1997 pour la première et le 16 mars 1998 pour les deux autres, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A leur origine se trouvent trois requêtes (nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95) dirigées contre la République française et dont dix ressortissants de cet Etat avaient saisi la Commission en vertu de l'ancien article 25. La première desdites requêtes a été déposée par Mme Marie-Jeanne Chassagnou, M. René Petit et Mme Simone Lasgrezas, le 20 avril 1994, la deuxième par MM. Léon Dumont, Pierre Galland, André Galland, Edouard Petit – décédé depuis lors –, Michel Petit et Michel Pinon, le 29 avril 1995, et la troisième, par Mme Joséphine Montion, le 30 juin 1995.
Les demandes de la Commission renvoient aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 9, 11 et 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
2.  En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A4, les requérants ont exprimé le désir de participer à l'instance et ont désigné le même conseil (article 30).
3.  Le 27 mars 1998, le président de la Cour à l'époque, M. R. Bernhardt, a estimé qu'il y avait lieu de porter les affaires Dumont et autres c. France et Montion c. France devant la chambre déjà constituée pour l'affaire Chassagnou et autres c. France.
4.  Le 26 juin 1998, la chambre a décidé de joindre les trois affaires (article 37 § 3 du règlement A).
5.  En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole no 11, M. Bernhardt avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement français (« le Gouvernement »), le conseil des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire des requérants le 21 juillet 1998 et celui du Gouvernement, le 30 septembre 1998.
6.  A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole no 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. M. Fischbach, vice-président de section (articles 27 § 3
de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. J. Makarczyk, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. B. Zupančič, Mme N. Vajić, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panţîru, M. E. Levits et M. K. Traja (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement). Par la suite, M. Ferrari Bravo et M. Hedigan, empêchés, ont été remplacés par M. A.B. Baka et M. P. Kūris (article 24 § 5 b) du règlement).
7.  Le 10 novembre 1998, M. Wildhaber a décidé de joindre au dossier des observations écrites et des documents déposés le 22 octobre 1998 par le conseil du requérant (article 38 § 1 du règlement).
8.  A l'invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. J.-C. Geus, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.
9.  Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience s'est déroulée en public le 16 décembre 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement  MM. J.-F. Dobelle, directeur adjoint des affaires     juridiques du ministère des Affaires étrangères, agent,    B. Nedelec, magistrat détaché à la sous-direction     des droits de l'homme au ministère      des Affaires étrangères,    G. Bitti, chargé de mission à la sous-direction      des droits de l'homme du service      des affaires européennes et internationales     du ministère de la Justice, conseils ;
– pour les requérants  M. G. Charollois, administrateur de l'Association     pour la protection des animaux sauvages (ASPAS)     et de la Société nationale de protection     de la nature (SNPN), conseil ;
– pour la Commission  M. J.-C. Geus, délégué,  Mme  M.-T. Schoepfer, secrétaire de la Commission.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Geus, M. Charollois et M. Dobelle.
EN FAIT
I. introduction
10.  Etant donné l'importance du contexte historique de l'affaire, il semble, exceptionnellement, utile de faire précéder la partie « Circonstances de l'espèce » par une brève introduction, fondée sur les données fournies par le Gouvernement.
11.  Jusqu'à la Révolution française de 1789, le droit de chasse était un privilège de la noblesse : seuls les nobles pouvaient s'approprier le gibier, considéré comme étant la propriété du seigneur.
A la Révolution, deux conceptions s'affrontèrent : la première, soutenue par Mirabeau, réservait le droit de chasse au seul propriétaire foncier tandis que la seconde, défendue par Robespierre, visait à instaurer la liberté de chasse en tous lieux au bénéfice de tous les citoyens sans conditions. Ce fut la première conception qui l'emporta puisque, dans la nuit du 4 août 1789, le privilège de la chasse fut aboli « sous l'unique réserve de ne permettre l'usage qu'aux seuls propriétaires » et qu'un décret du 11 août 1789 posa comme principe que « tout propriétaire a le droit de détruire ou de faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier ».
Par la suite, une loi du 3 mai 1844, dont une grande partie est encore en vigueur, organisa le droit de chasse en instaurant le permis de chasse et en réglementant les périodes de chasse. L'article 1er de cette loi, codifié par la suite à l'article 365 puis à l'article L. 222-1 du code rural, rappelait que « nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ».
La jurisprudence précisa toutefois que ce consentement pouvait être tacite et qu'il était possible de chasser sur les terres d'autrui tant que le titulaire du droit de chasse n'avait pas expressément manifesté son opposition par des mesures telles que la signature d'un bail, l'assermentation d'un gardien ou l'installation de pancartes « chasse gardée ».
12.  Si des associations de chasseurs s'étaient créées spontanément afin de tenter d'organiser l'exercice de la chasse dans les régions au nord de la Loire où dominaient les grandes propriétés agricoles et forestières, la théorie jurisprudentielle de l'autorisation tacite eut pour effet, dans tout le Sud de la France, où la propriété est beaucoup plus morcelée, de permettre une liberté quasi illimitée de chasser, dite chasse « banale » : à l'exception de quelques chasses gardées, les chasseurs pouvaient ainsi se livrer à leur loisir où bon leur semblait et personne n'était responsable de la bonne gestion du capital cynégétique, ce qui eut pour conséquence de décimer les ressources en gibier de certaines régions.
13.  C'est dans ces conditions qu'intervint la loi no 64-696 du 10 juillet 1964 (paragraphes 41 et suivants ci-dessous), dite loi « Verdeille », qui prévoyait la création d'Associations communales de chasse agréées (« ACCA ») et d'Associations intercommunales de chasse agréées (« AICA »). L'article 1er de la loi (devenu par la suite l'article L. 222-2 du code rural, paragraphe 41 ci-dessous) leur assignait pour mission de « favoriser sur leur territoire le développement du gibier et la destruction des animaux nuisibles, la répression du braconnage, l'éducation cynégétique de leurs membres dans le respect des propriétés et des récoltes et, en général, d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport ». A cette fin, la loi prévoit que les propriétaires de terrains d'une superficie inférieure à un certain seuil, variable selon les départements, sont tenus de devenir membres de l'ACCA constituée dans leur commune et de lui faire apport de leur fonds pour ainsi créer un territoire de chasse à l'échelle communale.
14.  Cette loi s'applique dans les départements métropolitains autres que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, où existe un régime spécial hérité du droit allemand (paragraphe 40 ci-dessous). La création d'une ACCA est obligatoire dans les départements dont la liste est arrêtée par le ministre chargé de la chasse, soit 29 des 93 départements métropolitains concernés, dont la Creuse, où habitent MM. Dumont, A. et P. Galland, E. et M. Petit et Pinon (paragraphe 23 ci-dessous), ainsi que la Gironde, où est domiciliée Mme Montion (paragraphe 28 ci-dessous). Dans les communes des autres de ces 93 départements, des ACCA peuvent être instituées par le préfet à la demande de quiconque justifie de l'accord amiable de 60 % des propriétaires représentant 60 % du territoire. Au 28 février 1996, des ACCA ont ainsi été créées dans 851 communes réparties dans 39 départements, dont 53 des 555 que compte la Dordogne, où habitent Mme Chassagnou, M. R. Petit et Mme Lasgrezas (paragraphe 16 ci-dessous).
15.  Le droit de chasse appartient au propriétaire sur ses terres (paragraphe 36 ci-dessous), mais la création d'une ACCA a pour effet le regroupement des territoires de chasse à l'échelle communale, de telle sorte que les membres de l'association peuvent chasser sur l'ensemble de terrains ainsi constitué (paragraphes 41 et 50 ci-dessous). Dans certaines conditions, les propriétaires de fonds d'une superficie minimale d'un seul tenant (60 hectares dans la Creuse et 20 hectares dans la Gironde et la Dordogne) peuvent s'opposer à l'inclusion de leur terrain dans le périmètre de l'ACCA ou en demander le retrait (paragraphes 47-49 ci-dessous).
II. les circonstances de l'espèce
A. Mme Chassagnou, M. R. Petit et Mme Lasgrezas
16.  Mme Chassagnou, M. R. Petit et Mme Lasgrezas sont nés respectivement en 1924, 1936 et 1927. Tous trois sont agriculteurs et résident dans le département de la Dordogne, à Tourtoirac quant à la première, et à Sainte-Eulalie-d'Ans quant aux deux autres.
Ils y sont propriétaires de terrains d'une superficie inférieure à 20 hectares d'un seul tenant et inclus dans le périmètre des ACCA de Tourtoirac et de Chourgnac-d'Ans.
17.  Membres du Rassemblement des opposants à la chasse (« ROC »), puis de l'Association pour la protection des animaux sauvages (« ASPAS »), une association d'utilité publique, agréée au titre de la protection de la nature, les requérants apposèrent en 1985 sur les limites de leurs terrains des panneaux comportant les indications « Chasse interdite » et « Refuge ». Les ACCA de Tourtoirac et de Chourgnac-d'Ans saisirent le juge des référés d'une demande tendant à l'enlèvement de ces panneaux. Ledit juge y fit droit par une ordonnance du 26 septembre 1985, laquelle fut confirmée le 18 juin 1987 par la cour d'appel de Bordeaux.
18.  Le 20 août 1987, le préfet de la Dordogne rejeta la demande que M. R. Petit et Mmes Chassagnou et Lasgrezas lui avaient adressée, tendant au retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA de Tourtoirac et de Chourgnac-d'Ans.
Les intéressés saisirent le tribunal administratif de Bordeaux d'un recours en annulation de cette décision, que ledit tribunal rejeta par un jugement du 26 mai 1988.
1. La procédure devant le tribunal de grande instance de Périgueux
19.  Par ailleurs, le 30 juillet 1987, les requérants avaient assigné les ACCA de Tourtoirac et de Chourgnac-d'Ans devant le tribunal de grande instance de Périgueux.
Ils alléguaient essentiellement l'incompatibilité avec les articles 9, 11 et 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1, des articles 3 et 4 de la loi Verdeille aux termes desquels, d'une part, tous les terrains non clos d'une superficie inférieure à 20 hectares et situés à plus de 150 mètres des habitations sont soumis à l'action de l'ACCA par apport des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse, ces apports étant réputés réalisés de plein droit et dévolus gratuitement même contre le gré de ces derniers et, d'autre part, le propriétaire non chasseur est de droit membre de l'association. Ils invitaient le tribunal à en déduire qu'ils étaient des tiers par rapport aux   ACCA en cause, que leurs terrains ne pouvaient plus être soumis à l'action de ces dernières et que celles-ci ne pouvaient se prévaloir de l'apport de leurs droits de chasse. Enfin, ils priaient le tribunal de leur reconnaître la faculté d'apposer sur leurs propriétés des panneaux visant à y faire respecter leurs droits.
20.  Le 13 décembre 1988, le tribunal de grande instance de Périgueux rendit un jugement ainsi motivé :
« [Sur le moyen tiré de l'article 1 du Protocole no 1 :]
Certes, la loi aboutit à une dépossession forcée du droit de chasse, attribut du droit de propriété et conduit à imposer chez les propriétaires de terrains soumis à l'emprise des ACCA le passage de tiers, en l'occurrence des chasseurs.
La loi Verdeille apparaît d'ailleurs édicter une réglementation particulière échappant au principe posé par l'article 365 du Code rural aux termes duquel « nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ».
Le Protocole (...) n'exclut pas (...) des tempéraments qui peuvent être apportés au droit de propriété puisque, après avoir énoncé que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international », l'article 1er précise encore que « les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
La généralité des termes employés traduit le caractère particulièrement large des restrictions qui peuvent être apportées par les Etats signataires au droit de propriété, dans leurs législations internes.
La loi Verdeille dont le but avoué (...) est de favoriser notamment le développement du gibier sur le territoire, la destruction des animaux nuisibles et la répression du braconnage, répond à la « cause d'utilité publique » prévue par l'article 1 du Protocole (...). De même, en voulant « assurer une meilleure organisation technique de la chasse », le législateur français a eu pour finalité de permettre l'exercice démocratique de la chasse et d'empêcher qu'un propriétaire foncier ne se réserve l'exclusivité de la pratique cynégétique sur son terrain, restreignant ainsi le droit d'usage des biens, en l'espèce le droit de chasse, conformément à l'« intérêt général » auquel fait référence le Protocole (...)
Par suite, au regard du droit de propriété, les dispositions des articles 3 et 4 de la loi [Verdeille] n'apparaissent pas contraires à la Convention (...)
[Sur les moyens tirés des articles 11, 14, 9 et 10 de la Convention :]
En édictant que les propriétaires d'unités foncières de moins de vingt hectares sont membres de droit de l'ACCA, l'article 4 de la loi Verdeille consacre une véritable adhésion forcée à une association dont les membres, comme en l'espèce, ne partagent pas pour des motifs d'éthique personnelle les buts et même s'y opposent vigoureusement.
La liberté d'association doit s'interpréter nécessairement comme la liberté « positive » pour chaque individu d'adhérer à telle association de son choix mais aussi comme le droit négatif de ne pas être contraint à adhérer à une association ou un syndicat. Admettre que l'article 11 de la Convention (...) ne garantit que la liberté « positive » d'association conduirait à nier le principe même de cette liberté qui repose sur une démarche libre et volontaire de tout homme désireux d'adhérer à un groupe.
Dès lors, en contraignant certains propriétaires fonciers à adhérer à une ACCA, les articles 3 et 4 de la loi Verdeille violent la substance même de la liberté d'association qui doit être regardée comme un aspect de la liberté de conscience, d'opinion et d'expression également garanties par la Convention (...) et conduisent non à une restriction de la liberté d'association mais à une négation de cette dernière.
Cette violation de la liberté d'association apparaît d'autant plus choquante que le droit d'opposition aux apports des droits de chasse est réservé exclusivement par l'article 3 de la loi [Verdeille] aux propriétaires d'un fonds d'un seul tenant de plus de vingt hectares.
Ainsi, la loi Verdeille établit une discrimination entre les propriétaires, en fonction de leur fortune immobilière, et ce en totale contradiction avec l'article 14 de la Convention (...) alors que le droit de ne pas adhérer aux ACCA devrait être uniformément attribué à tout propriétaire foncier, quelle que soit la superficie de ses terrains.
Il convient néanmoins de rechercher si l'atteinte à l'exercice de la liberté d'association découlant des articles 3 et 4 de la loi Verdeille peut se justifier au regard du paragraphe 2 de l'article 11 de la Convention (...)
Etant nécessairement exclu que la loi Verdeille constitue « dans une société démocratique » une « mesure nécessaire » à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ladite loi ne peut être estimée compatible avec la Convention (...) que si l'on admet que l'entorse faite à l'exercice de la liberté d'association se justifie par la « protection des droits et libertés d'autrui », seule restriction en l'espèce prévue par l'article 11 précité.
Il faut donc apprécier si la loi Verdeille régissant l'organisation des ACCA dont le but est « en général » – pour l'essentiel soutiennent les demandeurs – « d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport » peut prévaloir sur le droit de ne pas adhérer à une association de chasse.
Force est de constater, en premier lieu, que la loi Verdeille n'apparaît pas une impérieuse nécessité si l'on considère qu'elle n'est appliquée intégralement que dans vingt-huit départements français sur soixante et onze et concerne seulement neuf mille communes en France dont soixante-dix-sept en Dordogne et qu'elle ne dispose pas d'un monopole en matière de protection du gibier et d'indemnisation des dégâts causés par ce dernier.
Le droit de chasse n'est pas considéré en second lieu comme l'un de ceux protégés par la Convention (...) (en ce sens Cass. Ch. Crim. 15.12.1987 – GP 1988 page 8).
Par suite, la simple protection de l'exercice d'un sport ne saurait prévaloir sur la liberté fondamentale d'adhérer ou non à une association. En contraignant des propriétaires fonciers à devenir membres d'ACCA, au mépris comme en l'espèce de l'éthique et de la conscience personnelle desdits membres, la loi Verdeille conduit à infliger à ces particuliers des torts disproportionnés au but poursuivi, à savoir la satisfaction égoïste d'une activité de loisir et l'organisation de cette activité.
Il y a donc lieu de dire que les articles 3 et 4 de la loi [Verdeille] ne respectent pas les dispositions impératives de la Convention (...) en ses articles 11, 9, 10 et 14.
En conséquence, les demandeurs sont fondés désormais à dénier leur qualité de membres des ACCA concernées et d'apposer sur leurs propriétés des panneaux de leur choix dans les limites de l'ordre public et des bonnes mœurs. »
2. La procédure devant la cour d'appel de Bordeaux
21.  Le 23 décembre 1988, les ACCA de Tourtoirac et Chourgnac-d'Ans interjetèrent appel devant la cour d'appel de Bordeaux.
Le 18 avril 1991, ladite cour réforma en toutes ses dispositions le jugement du 13 décembre 1988 par un arrêt ainsi motivé :
« Il est certain qu'en recherchant l'exploitation rationnelle du droit de chasse par la mise en commun des droits individuels sur des territoires d'une superficie inférieure à un minimum réglementaire, la loi [Verdeille] a constitué une dérogation importante au principe posé par les dispositions de l'article 365 du code rural que « nul n'a [la faculté] de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement de son propriétaire ou de ses ayants droit » ; de la sorte cependant, le droit de chasse, attribut du droit de propriété, a été détaché de celui-ci pour qu'il puisse en être fait un usage conforme à l'intérêt général, tel qu'il est défini à l'article 1 de la loi, qui précise que les [ACCA], ainsi investies de prérogatives de puissance publique, « ont pour but de favoriser sur leur territoire le développement du gibier et la destruction des animaux nuisibles, la répression du braconnage, l'éducation cynégétique de leurs membres dans le respect des propriétés et des récoltes et, en général, d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport ».
L'affirmation que le législateur aurait seulement pris en considération « la satisfaction égoïste d'une activité de loisir » qui n'aurait pas dû de ce fait autoriser la privation de droits fondamentaux pour certains, a été formulée par les premiers juges en méconnaissance évidente de l'objet des dispositions susvisées et relatives aussi bien à la protection de l'environnement et de la faune contre la chasse sauvage, les déprédations de toutes sortes ou une gestion anarchique qu'à l'organisation et à la réglementation du sport lui-même ; celui-ci en raison du très grand nombre de ses adeptes et en outre de l'enjeu économique correspondant, doit être soumis à l'instar de toute activité de loisir largement répandue, aux contraintes inhérentes au fonctionnement normal d'un service public de surcroît reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat (CE 7/7/1978 – CE 5/7/1985) ; pareilles restrictions pour cause d'utilité publique à l'exercice du droit de propriété sont expressément prévues par la Convention (...) en son article 1er du Protocole additionnel, dont les consorts Chassagnou-Petit-Lasgrezas ne sauraient ainsi utilement invoquer la violation ; de même le regroupement de petites propriétés en des territoires de chasse de taille suffisante et de ce fait en mesure d'offrir au plus grand nombre l'accès à des loisirs, qui ne pourraient autrement que demeurer réservés aux possesseurs privilégiés d'un patrimoine foncier important, prive de tout fondement le grief fait à la loi, d'une discrimination par la fortune, prohibée à l'article 14 de la Convention (...)
Enfin si l'apport de leurs terrains aux ACCA confère aux propriétaires concernés la qualité de membres de droit ainsi habilités à intervenir dans la gestion du territoire communal de chasse ainsi qu'à faire valoir leurs intérêts, là sont les seuls effets des dispositions incriminées ; au contraire des adhérents dont l'affiliation requiert notamment le paiement de cotisations, il n'est mis à la charge des membres de droit aucune obligation et encore moins n'est-il prévu à leur encontre quelconques dispositions coercitives ou sanctions ; ces derniers sont libres de chasser ou de ne pas chasser, d'exercer un droit de regard sur le fonctionnement de l'ACCA et de s'immiscer dans leur action ou bien de s'abstenir de toute participation à celle-ci.
Alors que d'autre part la création de ces ACCA, leurs champ et mode d'action, leurs statuts sont non seulement régis par les dispositions légales, mais encore subordonnés à l'agrément préfectoral et que de ce fait quelle que soit la forme associative de ces organismes, leur mission de service public exclut tout rapport contractuel entre leurs adhérents, l'admission de droit et gratuitement des propriétaires tenus à apport n'est qu'une contrepartie de l'aliénation partielle que ceux-ci subissent, et constitue de surcroît un tempérament certain aux dispositions restrictives du droit de propriété.
Il apparaît que les membres du ROC qui ne sont pas sans savoir que l'intérêt général commande certaines limitations à l'exercice du droit de propriété et que la loi [Verdeille] n'est en aucun cas génératrice d'entraves à la liberté d'association, revendiquent en réalité un droit de non-chasse, lequel n'est ni consacré par la loi interne, ni, pas plus que le droit de chasse lui-même, garanti par les traités internationaux.
3. La procédure devant la Cour de cassation
22.  Par un arrêt du 16 mars 1994, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par les requérants. Les motifs retenus par la haute juridiction sont les suivants :
« (...) attendu que les dispositions de l'article 1er du Protocole (...) reconnaissant aux Etats le droit de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général et la cour d'appel ayant retenu, d'une part, que les dispositions de la loi [Verdeille] étaient relatives aussi bien à la protection de l'environnement et de la faune contre la chasse sauvage, les dégradations de toutes sortes ou une gestion anarchique, qu'à l'organisation et à la réglementation du sport lui-même et, d'autre part, que le regroupement de petites propriétés en des territoires de chasse suffisants et, de ce fait, en mesure d'offrir au plus grand nombre l'accès à des loisirs qui ne pourraient autrement que demeurer réservés aux possesseurs d'un patrimoine foncier important, prive de tout fondement le grief d'une discrimination par la fortune, le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
(...) attendu qu'ayant relevé qu'il n'était mis aucune obligation à la charge des membres de droit que sont les propriétaires ayant apporté leurs terrains à l'association, à l'égard desquels n'étaient prévues ni dispositions coercitives, ni sanctions, que ces membres pouvaient participer à l'action de l'association ou s'en abstenir et que la mission de service public de l'association excluant tout rapport contractuel entre les adhérents, l'admission de droit et gratuitement des propriétaires tenus à apport n'était qu'une contrepartie de cet apport, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef[.] »
B.  MM. Dumont, A. et P. Galland, E. et M. Petit et Pinon
23.  MM. Dumont, A. et P. Galland et E. Petit (décédé en juin 1995) sont nés respectivement en 1924, 1926, 1936 et 1910, et MM. M. Petit et Pinon, en 1947. Tous sont agriculteurs et résident à Genouillac, dans le département de la Creuse. Ils sont propriétaires de terrains d'une superficie inférieure à 60 hectares d'un seul tenant et inclus dans le périmètre des ACCA de La Cellette et de Genouillac, et se disent opposants éthiques à la chasse loisir. Ils sont eux aussi membres de l'ASPAS.
1. La procédure devant le tribunal administratif de Limoges
24.  Les requérants demandèrent chacun au préfet de la Creuse, en août et septembre 1987, de procéder au retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA en question. Ils saisirent ensuite le tribunal administratif de Limoges d'un recours en annulation des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par ledit préfet, en invoquant tant les dispositions de la Convention que celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention de l'OIT de 1948 concernant la liberté syndicale.
25.  Le 28 juin 1990, le tribunal administratif de Limoges rejeta les recours par six jugements identiques motivés comme suit :
« Sur le moyen tiré de la violation de la liberté de conscience
Considérant qu'aucune disposition de la loi du 10 juillet 1964 (...) ne porte atteinte à la liberté des opposants à la chasse d'exprimer leur conviction en ce sens, ni de la manifester, même publiquement ; que la seule constitution des ACCA ne leur impose sur ce point aucune contrainte, obligation ou interdiction ; (...) que la liberté d'opinion et d'expression des adversaires de la chasse trouve nécessairement ses limites dans la protection des droits et libertés reconnus aux chasseurs et aux citoyens qui partagent leurs convictions ;
Sur le moyen tiré de la violation de la liberté d'association
[Considérant] que de telles dispositions font obstacle à l'obligation, pour des citoyens, de devoir, contre leur gré, adhérer à une quelconque association ; que toutefois, dès lors qu'aux termes mêmes des dispositions invoquées, la liberté d'association peut faire l'objet de restrictions nécessitées par des motifs d'intérêt général, un citoyen peut être légalement contraint d'adhérer à une association dont l'objet est de satisfaire à un intérêt général ; que l'exercice rationnel du droit de chasse organisé par la loi du 10 juillet 1964 constitue un motif d'intérêt général nonobstant la circonstance qu'eu égard à ses modalités de mise en œuvre, ladite loi ne soit pas en pratique, appliquée sur l'ensemble du territoire national ; que l'atteinte ainsi portée à la liberté individuelle d'association n'est pas excessive au regard de cet intérêt général ;
Sur le moyen tiré de la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi
Qu'en toute hypothèse, il ne résulte pas des dispositions de la loi (...) que ce texte instaure une discrimination par la fortune ; que si elle fixe un seuil minimum de superficie pour mettre en œuvre les mécanismes d'opposition et de retrait, il résulte des termes mêmes de la loi ainsi que des travaux préparatoires que ces limites ont été instituées pour assurer une organisation rationnelle de l'activité cynégétique ; qu'un tel intérêt général justifie que les propriétaires fonciers puissent être traités différemment en fonction de la superficie des terres qu'ils possèdent sans que cette différence soit de nature à constituer une rupture de l'égalité des citoyens ;
Sur le moyen tiré de la violation du droit de propriété et du droit d'usage
Considérant que si les dispositions précitées protègent les droits de propriété et d'usage des biens, elles ne font pas obstacle à ce que des atteintes y soient portées dans l'intérêt général ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, l'organisation de la chasse présente un intérêt général de nature à justifier de telles atteintes ; que les propriétaires dont les terrains sont situés dans le territoire d'une ACCA trouvent la contrepartie de la perte de leur droit d'usage exclusif dans leur participation à l'ACCA et dans les prestations qu'elle assure ; que la circonstance que [les requérants] déclarent ne pas être personnellement intéressés par de telles contreparties n'est pas de nature à les faire regarder comme insuffisantes ; qu'enfin si [les requérants] entendent soutenir que la loi du 10 juillet 1964 n'assurerait pas une juste et préalable indemnisation en méconnaissance de dispositions à valeur constitutionnelle, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi ; que dès lors un tel moyen ne peut être utilement discuté devant le Tribunal Administratif ; »
2. La procédure devant le Conseil d'Etat
26.  Invoquant les articles 9, 11 et 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1, les intéressés se pourvurent devant le Conseil d'Etat.
27.  Par six arrêts identiques du 10 mars 1995, la haute juridiction rejeta leurs requêtes aux motifs suivants :
Considérant qu'aucune disposition de la loi [Verdeille] ne fait obligation au non-chasseur de pratiquer ou d'approuver la chasse ; que, dès lors et en tout état de cause, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a jugé que les dispositions de la loi [Verdeille] n'étaient pas contraires aux dispositions de l'article 9 de la Convention (...)
Considérant que la loi [Verdeille] a institué des associations communales de chasse agréées par le préfet dans le but d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse ; qu'en vue de mettre ces organismes en mesure d'exécuter la mission de service public qui leur est confiée, diverses prérogatives de puissance publique leur ont été conférées ; que, dès lors, en tout état de cause, les dispositions précitées ne sauraient être utilement invoquées pour contester la légalité de la décision attaquée du préfet de la Creuse ;
Considérant que la circonstance que des terres appartenant au requérant ont été incluses dans le périmètre de l'[ACCA] et que des titulaires du droit de chasse peuvent venir y pratiquer cette activité n'a pas privé le requérant de sa propriété, mais a seulement apporté des limitations à son droit d'usage de celle-ci conformément aux règles édictées par la loi, lesquelles ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que le moyen sus analysé ne saurait, dès lors, être accueilli ;
Considérant que la définition par la loi [Verdeille] de règles différentes selon que les propriétés concernées par ladite loi sont d'une superficie inférieure ou supérieure à vingt hectares correspond à une différence de situation eu égard aux objectifs poursuivis par cette loi et en particulier à la gestion du patrimoine cynégétique ; que ces règles n'instituent aucune des discriminations de la nature de celles qui sont visées (...) par l'article 14 de la Convention (...) »
C. Mme Montion
28.  Mme Montion est née en 1940 et exerce la profession de secrétaire. Elle réside à Sallebœuf, dans le département de la Gironde.
29.  La requérante et son époux – décédé en février 1994 – étaient propriétaires d'un terrain de 16 hectares inclus dans le périmètre de l'ACCA de Sallebœuf.
Membre de la Société nationale de protection de la nature (« SNPN ») et du ROC, M. Montion avait vainement demandé au cours de la procédure d'institution de ladite ACCA que son fonds bénéficiât au sein de celle-ci du statut de réserve. Il avait ensuite, sans plus de succès, attaqué, devant les juridictions administratives, l'arrêté préfectoral du 7 décembre 1979 portant agrément de cette association.
30.  Désormais résolu à apporter son fonds au réseau de réserves naturelles volontaires de la SNPN, il demanda au préfet de la Gironde, par une lettre du 15 juin 1987, d'une part, d'enjoindre à l'ACCA de Sallebœuf de le rayer de la liste de ses membres et, d'autre part, de radier son terrain de la liste des parcelles constituant le territoire de chasse de ladite association. Le 29 juin 1987, il adressa la même requête au président de l'ACCA.
Le préfet et le président de l'ACCA lui signifièrent leurs refus par des lettres datées respectivement des 25 juin et 10 juillet 1987.
1. La procédure devant le tribunal administratif de Bordeaux
31.  Le 13 août 1987, M. Montion et la SNPN saisirent le tribunal administratif de Bordeaux d'un recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des 25 juin et 10 juillet 1987. Ils plaidaient essentiellement la méconnaissance des articles 9, 11 et 14 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1.
32.  Le 16 novembre 1989, le tribunal administratif de Bordeaux rejeta les requêtes par un jugement ainsi rédigé :
« Sur la décision en date du 10 juillet 1987 du président de l'[ACCA] :
Considérant (...) que [la demande adressée par M. Montion au président de l'ACCA de Sallebœuf] doit être regardée comme valant contestation de l'adhésion à une association de la loi de 1901 ; que si, pour atteindre les objectifs fixés par la loi [Verdeille], les [ACCA] sont investies de prérogatives de puissance publique, elles n'en demeurent pas moins des organismes de droit privé ; que les décisions qu'elles prennent en dehors de l'exercice desdites prérogatives, notamment en ce qui concerne la délivrance ou le retrait de la qualité de membre, sont des actes de droit privé qui ne relèvent pas de la juridiction administrative ; que par suite, les conclusions de la requête (...) dirigées contre le refus de retirer à M. Montion la qualité de membre de l'ACCA de Sallebœuf, sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et doivent être rejetées ;
Sur la décision en date du 25 juin 1987 du préfet de la Gironde (...) :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la Convention (...)
Considérant que le droit de chasse ou de non-chasse ne figure pas parmi les droits et libertés dont la jouissance est protégée par la Convention (...) ; que par suite, M. Montion et la [SNPN] ne sont pas fondés à se prévaloir de ces textes pour invoquer la violation de la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi ; que toutefois, l'égalité des citoyens devant la loi constitue un principe général du droit que les requérants peuvent invoquer ;
Considérant que l'article 3 de la loi [Verdeille] réserve aux propriétaires de terrains d'une superficie minimum de vingt hectares d'un seul tenant la possibilité de faire opposition à l'entrée de ces terrains dans le territoire de l'ACCA ; que cette limite, dont il n'est pas démontré qu'elle constitue une discrimination par la fortune, a été instituée pour assurer une organisation rationnelle de l'activité cynégétique par regroupement de territoires de chasse d'une taille suffisante et pour garantir ainsi le droit de chasse au plus grand nombre ; que dans ces conditions, elle ne saurait être regardée comme portant atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi ;
Considérant que si la Convention (...) protège le droit de propriété, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que des atteintes y soient portées dans l'intérêt général ; que l'organisation de la chasse, en raison même de la nature de cette activité, du nombre des chasseurs et du phénomène social qu'elle constitue, présente un intérêt général de nature à justifier une atteinte au droit de propriété ; que le propriétaire dont les terrains sont situés dans le territoire de l'ACCA trouve la contrepartie de la perte du droit d'usage privatif dans l'exercice d'un droit d'usage sur les terrains des autres propriétaires, sans compter les autres prestations assurées par l'association dont il devient membre de droit ; que M. Montion n'est pas, en outre, fondé à se prévaloir de son propre renoncement à ces contreparties pour prétendre qu'il ne bénéficie pas d'une juste indemnisation de la perte de son droit d'usage ;
Considérant (...) que selon l'article 9 de la Convention (...)
Considérant que ces dispositions ont pour objet de protéger les droits et libertés fondamentales auxquels le droit de « non-chasse » n'appartient pas ; qu'au surplus, lesdites dispositions prévoient que les principes qu'elles énoncent peuvent recevoir des limites inhérentes à la concurrence des droits et libertés de chacun ; qu'aussi bien, sont ainsi justifiées, dans leur principe et leurs modalités, les limites apportées à ces droits et libertés, eu égard aux intérêts divergents en présence ; que l'organisation de la chasse est nécessitée, comme il a été rappelé ci-dessus, par l'ordre public et la sécurité publique, de même que la protection du droit de chasse pour tous ;
Considérant (...) qu'aux termes de l'article 11 de la Convention (...)
Considérant que la participation à l'[ACCA], pour un propriétaire dont les terrains sont inclus dans le territoire de l'ACCA, est un droit accordé en contrepartie de la perte du droit d'usage exclusif de ses terrains et destiné à lui permettre de défendre ses intérêts au sein de l'association ; qu'il dispose, en outre, de la possibilité de se retirer dans les conditions prévues à l'article 8 de la loi [Verdeille] et n'a pas à payer de cotisation, l'apport des terrains ne pouvant, au demeurant, être regardé comme un élément de la cotisation dès lors que des compensations sont accordées à ce titre ; que, par suite, le refus d'autoriser M. Montion à se retirer de l'ACCA de Sallebœuf ne méconnaît pas la liberté d'association ;
2. La procédure devant le Conseil d'Etat
33.  Invoquant les articles 9, 11 et 14 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1, M. Montion et la SNPN se pourvurent devant le Conseil d'Etat le 3 et le 11 janvier 1990 respectivement.
34.  Le 10 mai 1995, le Conseil d'Etat rejeta les requêtes par un arrêt motivé à l'identique de ceux qu'il avait rendus le 10 mars de la même année dans les causes de MM. Dumont, A. et P. Galland, E. et M. Petit et Pinon (paragraphe 27 ci-dessus).
iiI. LE DROIT INTERNE PERTINENT
35.  L'article L. 220-1 du code rural (« C. rural ») stipule :
« Le Gouvernement exerce la surveillance et la police de la chasse dans l'intérêt général. »
A. Droit de chasse et droit de propriété
36.  L'article L. 222-1 (ancien article 365) du code rural dispose :
« Nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit. »
Il en résulte que le « droit de chasse » appartient au propriétaire foncier. Ce droit est exclusif, sous réserve du « droit de chasser » que la loi confère au preneur d'un bail rural sur le fonds (article L. 415-7 C. rural).
Le propriétaire peut « louer » ledit droit mais ne peut le vendre indépendamment du fonds sur lequel il porte.
37.  Aux termes de l'article R. 228-1 du code rural,
« Seront punis des peines prévues pour les contraventions de la 5o classe ceux qui auront chassé sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire ou du détenteur du droit de chasse. »
38.  Aux termes de l'article R. 227-5 du code rural, il appartient au ministre chargé de la chasse de fixer la liste des espèces d'animaux susceptibles d'être classés nuisibles en application de l'article L. 227-8. Cette liste est établie après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage en fonction des dommages que ces animaux peuvent causer aux activités humaines et aux équilibres biologiques.
L'article R. 227-6 prévoit que dans chaque département, le préfet détermine les espèces d'animaux nuisibles parmi celles figurant sur la liste prévue à l'article R. 227-5, en fonction de la situation locale, et pour l'un des motifs ci-après : dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publique ; pour prévenir les dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ou pour la protection de la flore et de la faune.
L'arrêté du préfet est pris annuellement après avis du conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage et de la Fédération des chasseurs. Il est publié avant le 1er décembre et entre en vigueur le 1er janvier suivant.
En vertu de l'article R. 227-7 du code rural, le propriétaire, possesseur ou fermier procède personnellement aux opérations de destruction d'animaux nuisibles, y fait procéder en sa présence ou délègue par écrit le droit d'y procéder. Le délégant ne peut percevoir de rémunération pour sa délégation.
La jurisprudence a précisé que la destruction des animaux nuisibles n'est pas un acte de chasse, mais un droit inhérent à la propriété ou à la jouissance du sol (Paris, 9 juillet 1970, D. 1971.16, note M. B.)
B.  Le regroupement légal des territoires de chasse
39.  La loi oblige dans certains cas au « regroupement » des territoires de chasse.
1. Le régime applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
40.  Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, l'exercice du droit de chasse est régi par une loi locale du 7 février 1881. Ledit droit est administré par la commune au nom et pour le compte des propriétaires. Celle-ci, par adjudication publique, loue pour neuf ans le territoire de chasse en lots qui ne peuvent être inférieurs à 200 hectares. Le produit de la location est soit réparti entre les différents propriétaires au prorata de la contenance cadastrale de leur propriété, soit, lorsque deux tiers au moins des intéressés possesseurs des deux tiers au moins des territoires loués en décident ainsi, abandonné à la commune.
Le propriétaire d'une parcelle supérieure à 25 hectares d'un seul tenant (5 hectares pour les lacs et étangs) peut réserver son droit de chasse mais, lorsque la majorité qualifiée des propriétaires a décidé d'abandonner le loyer de la chasse à la commune, il doit verser à celle-ci une contribution proportionnelle à l'étendue de ladite parcelle. Plusieurs propriétaires ne peuvent se regrouper pour créer les surfaces légales minimales. Echappent à l'emprise de la loi les terrains entourés d'une clôture faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins.
2. Le régime applicable dans les autres départements métropolitains
41.  Dans les autres départements s'applique la loi no 64-696 du 10 juillet 1964, dite loi « Verdeille », qui crée les Associations communales et intercommunales de chasse agréées (« ACCA » et « AICA »).
Régies par le droit commun des associations (loi du 1er juillet 1901) ainsi que par les dispositions spéciales de la loi Verdeille (codifiées aux articles L. 222-2 et suivants du code rural) et les dispositions réglementaires codifiées aux articles R. 222-1 et suivants du code rural, les ACCA regroupent les territoires de chasse à l'échelle communale. Elles ont pour but légal de « favoriser sur leur territoire le développement du gibier et la destruction des animaux nuisibles, la répression du braconnage, l'éducation cynégétique de leurs membres dans le respect des propriétés et des récoltes et, en général, d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport » (article L. 222-2 C. rural).
42.  Il ne peut y avoir qu'une ACCA par commune (article L. 222-4 C. rural), mais deux ou plusieurs ACCA d'un même département peuvent constituer une AICA (articles L. 222-22 et R. 222-70 et suivants C. rural).
a) Institution des Associations communales de chasse agréées
43.  L'institution d'ACCA n'est obligatoire que dans certains départements : la liste de ceux-ci est arrêtée par le ministre chargé de la chasse sur proposition des représentants de l'Etat dans lesdits départements et après avis conforme des conseils généraux et consultation des chambres d'agriculture et des fédérations départementales des chasseurs (article L. 222-6 C. rural). 29 des 93 départements métropolitains autres que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle – dont la Creuse et la Gironde – sont concernés.
Dans les autres de ces 93 départements, le représentant de l'Etat arrête la liste des communes où sera créée une ACCA. L'arrêté est pris à la demande de quiconque justifie de l'accord amiable pour une période d'au moins six années, de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune (article L. 222-7 C. rural). Au 28 février 1996, des ACCA ont ainsi été créées dans 851 communes réparties dans 39 départements, dont 53 des 555 communes que compte la Dordogne.
44.  Au total, des ACCA ont été constituées dans environ 10 000 des quelque 36 000 communes que compte la France métropolitaine.
45.  Dans les communes concernées, il est procédé, à la diligence du préfet, à une enquête publique préalable aux fins de déterminer « les terrains soumis à l'action de l'association communale de chasse par apport des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse » (articles L. 222-8, L. 222-9 et R. 222-17 et suivants C. rural).
L'article L. 222-9 du code rural stipule :
« A la demande de l'association communale, ces apports sont réputés réalisés de plein droit pour une période renouvelable de six ans si, dans le délai de trois mois qui suit l'annonce de la constitution de l'association communale par affichage en mairie et par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à tout propriétaire   ou détenteur de droits de chasse remplissant les conditions prévues à  l'Article L. 222-13, les propriétaires ou détenteurs de droits de chasse n'ont pas fait connaître à la mairie de la commune, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, leur opposition justifiée à l'apport de leur territoire de chasse. »
b) Territoire concerné
i.  Terrains soumis à l'action de l'ACCA
46.  Aux termes de l'article L. 222-10 du code rural,
« L'association communale est constituée sur les terrains autres que ceux :
1o Situés dans un rayon de 150 mètres autour de toute habitation ;
2o Entourés d'une clôture telle que définie par l'article L. 224-3 [« continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage [du gibier à poil] et celui de l'homme »] ;
3o Ayant fait l'objet de l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse sur des superficies d'un seul tenant supérieures aux superficies minimales mentionnées à l'article L. 222-13 ;
4o Faisant partie du domaine public de l'Etat, des départements et des communes, des forêts domaniales ou des emprises de la Société nationale des chemins de fer français. »
ii. Terrains faisant l'objet d'une opposition ou d'un retrait
47.  Les propriétaires ou détenteurs de droits de chasse – ou des groupements de ceux-ci – peuvent, lorsque certaines conditions sont remplies, faire opposition à l'inclusion de leur territoire de chasse dans le périmètre de l'ACCA. L'article L. 222-13 du code rural précise ce qui suit :
« Pour être recevable, l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse (...) doit porter sur des terrains d'un seul tenant et d'une superficie minimum de vingt hectares.
Ce minimum est abaissé pour la chasse au gibier d'eau :
1o A trois hectares pour les marais non asséchés ;
2o A un hectare pour les étangs isolés ;
3o A cinquante ares pour les étangs dans lesquels existaient, au 1er septembre 1963, des installations fixes, huttes et gabions.
Ce minimum est abaissé pour la chasse aux colombidés à un hectare sur les terrains où existaient, au 1er septembre 1963, des postes fixes destinés à cette chasse.
Ce minimum est porté à cent hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la limite de la végétation forestière.
Des arrêtés pris, par département, dans les conditions prévues à l'article L. 222-6 peuvent augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne peuvent excéder le double des minima fixés. »
Dans les départements où les ACCA sont obligatoires, les superficies minima peuvent être triplées par arrêté ministériel (Conseil d'Etat, 15 octobre 1990, Consorts de Viry, RFDA 6 (6), novembre-décembre 1990, p. 1100).
48.  L'article L. 222-14 du code rural ajoute :
« Le propriétaire ou le détenteur de droits de chasse ayant formé opposition est tenu de payer les impôts et taxes pouvant être dus sur les chasses gardées, d'assurer la garderie de son terrain, d'y procéder à la destruction des nuisibles et à la signalisation, en le limitant par des pancartes. Les fédérations des chasseurs sont tenues, sur la demande des propriétaires, d'en assurer le gardiennage. »
49.  Le propriétaire ou détenteur du droit de chasse d'un terrain d'une étendue supérieure aux superficies minimales mentionnées à l'article L. 222-13 du code rural qui désire se retirer de l'ACCA ne peut le faire qu'à l'expiration de chaque période de six ans, avec un préavis de deux ans. L'ACCA a alors la faculté de lui réclamer une indemnité fixée par le tribunal compétent et correspondant à la valeur des améliorations apportées par celle-ci (article L. 222-17 C. rural).
Le propriétaire d'un terrain d'une surface inférieure aux minima susmentionnés, qui acquiert par la suite d'autres terrains constituant avec le premier un ensemble d'un seul tenant d'une superficie supérieure auxdits minima, peut exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de l'ACCA (article R. 222-54 C. rural). Les propriétaires et détenteurs de droits de chasse ne peuvent s'associer pour faire jouer le droit de retrait à l'encontre d'une ACCA (Conseil d'Etat, 7 juillet 1978, Sieur de Vauxmoret, Recueil Lebon, p. 295).
c) Effets de l'apport de droits de chasse à l'ACCA
50.  Les articles L. 222-15 et L. 222-16 du code rural disposent respectivement :
« L'apport de ses droits de chasse par le propriétaire ou le détenteur de droits de chasse entraîne l'extinction de tous autres droits de chasser, sauf clause contraire passée entre les parties. »
« L'apport donne lieu à indemnité, à la charge de l'association, si le propriétaire subit une perte de recette provenant de la privation de revenus antérieurs.
Le montant de cette réparation est fixé par le tribunal compétent, de même que celle due par l'association au détenteur du droit de chasse qui a apporté des améliorations sur le territoire dont il a la jouissance cynégétique. »
d) Les membres de l'ACCA
51.  L'article L. 222-19 dispose :
« Les statuts de chaque association doivent prévoir l'admission dans celle-ci des titulaires du permis de chasser visé et validé ;
1o Soit domiciliés dans la commune ou y ayant une résidence pour laquelle ils figurent, l'année de leur admission, pour la quatrième année sans interruption, au rôle d'une des quatre contributions directes ;
2o Soit propriétaires ou détenteurs de droits de chasse ayant fait apport de leur droits de chasse ainsi que leurs conjoints, ascendants et descendants ;
3o Soit preneurs d'un bail rural lorsque le propriétaire a fait apport de son droit de chasse.
Ces statuts doivent prévoir également le nombre minimum des adhérents à l'association et l'admission d'un pourcentage minimum de chasseurs ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus.
Le propriétaire non chasseur est de droit et gratuitement membre de l'association, sans être tenu à l'éventuelle couverture du déficit de l'association. »
52.  La qualité de membre d'une ACCA confère le droit de chasser sur l'ensemble du territoire de chasse de l'association, conformément à son règlement (article L. 222-20 C. rural).
e) La tutelle préfectorale
53.  L'association est agréée par arrêté du préfet après vérification par celui-ci de l'accomplissement des formalités requises et de la conformité des statuts et du règlement intérieur aux prescriptions légales (articles L. 222-3 et R. 222-39 C. rural).
Le préfet assure la tutelle des ACCA ; toutes modifications aux statuts, au règlement intérieur et au règlement de chasse doivent être soumises à son approbation (article R. 222-2 C. rural). L'article R. 222-3 dispose en outre que le préfet peut prendre par arrêté des mesures provisoires, voire dissoudre et remplacer le conseil d'administration d'une ACCA, en cas de violation par celle-ci des obligations qui lui incombent en vertu des articles R. 222-1 à R. 222-81.
C. Les réserves de chasse
1. Les réserves de l'ancien article 373-1 du code rural et les réserves obligatoires des ACCA et AICA
54.  La loi no 56-236 du 5 mars 1956, codifiée aux articles 373-1 puis L. 222-25 du code rural, mettait en place un système de création obligatoire de réserves de chasse : le ministre chargé de la chasse avait la compétence, sur proposition des fédérations départementales des chasseurs, d'arrêter la liste des départements où pouvaient être créées des réserves communales de chasse.
Sur proposition de la fédération départementale des chasseurs, et après avis du conseil municipal, du conseil général et de la chambre d'agriculture, un arrêté du ministre pouvait établir, pour chacun de ces départements, la liste des communes dans lesquelles une réserve de chasse devait obligatoirement être créée, avec indication de la superficie minimale de cette réserve. Sauf exceptions prévues au cinquième alinéa de l'article 373-1 du code rural, la chasse y est interdite.
55.  La loi Verdeille fait obligation aux ACCA et AICA de constituer une ou plusieurs réserves de chasse communales ou intercommunales. La superficie desdites réserves doit être d'au moins un dixième de la superficie totale du territoire de l'association. La liste des parcelles cadastrales les constituant est approuvée par décision du préfet. Elles doivent être constituées « dans des parties du territoire de chasse adaptées aux espèces de gibier à protéger et établies de manière à assurer le respect des propriétés et des récoltes et plantations diverses » (articles L. 222-21, R. 222-66 et R. 222-67 C. rural).
2. L'unification des statuts des réserves de chasse : les réserves de chasse et de faune sauvage
a) L'unification des statuts des réserves de chasse
56.  Dans sa nouvelle rédaction issue de la loi no 90-85 du 23 janvier 1990, l'article L. 222-25 dispose :
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'institution et de fonctionnement des réserves de chasse. Il détermine notamment les conditions dans lesquelles sont prises les mesures propres à prévenir les dommages aux activités humaines, à favoriser la protection du gibier et de ses habitats, à maintenir les équilibres biologiques. »
57.  Le décret no 91-971 du 23 septembre 1991 (Journal officiel du 24 septembre 1991) instaure les « réserves de chasse et de faune sauvage » et modifie les articles R. 222-82 à R. 222-92 et R. 222-65 du code rural.
Le nouvel article R. 222-65 stipule que les réserves des ACCA sont soumises aux dispositions des articles R. 222-82 à R. 222-92 du code rural.
L'article 4 du décret précise en outre que les réserves de chasse approuvées par l'Etat antérieurement à son entrée en vigueur sont désormais régies par les articles R. 222-85 à R. 222-92 du code rural.
b) Les réserves de chasse et de faune sauvage (articles R. 222-82 à R. 222-92 C. rural)
58.  Les réserves de chasse et de faune sauvage sont instituées par le préfet (article R. 222-82 C. rural) soit d'office, « lorsqu'il apparaît nécessaire de conforter des actions importantes de protection et de gestion du gibier effectuées dans l'intérêt général » (article R. 222-84 C. rural), soit sur demande du détenteur du droit de chasse (article R. 222-83 C. rural) ; le cas échéant, la décision préfectorale de refus doit être motivée (ibidem).
Le préfet peut mettre fin à une réserve de chasse et de faune sauvage à tout moment, pour un motif d'intérêt général ou, sur demande du détenteur du droit de chasse, à l'issue notamment de périodes sexennales courant à compter de la date d'institution de la réserve. Le cas échéant, la décision de refus doit être motivée (article R. 222-85 C. rural).
59.  Tout acte de chasse est interdit dans une réserve de chasse et de faune sauvage. L'arrêté d'institution peut toutefois prévoir la possibilité d'exécuter un plan de chasse lorsqu'il est nécessaire au maintien des équilibres biologiques et agro-sylvocynégétiques ; cette exécution doit alors être autorisée chaque année par l'arrêté attributif du plan de chasse (article R. 222-86 C. rural). Par ailleurs, des captures de gibier à des fins scientifique ou de repeuplement peuvent être autorisées dans les conditions de droit commun (article R. 222-87 C. rural). D'autres activités propres à perturber le gibier ou menacer son habitat peuvent être réglementées ou interdites (articles R. 222-89 à R. 222-91).
D. Les réserves naturelles
1. Les réserves naturelles établies par décret
60.  L'article L. 242-1 du code rural dispose :
« Des parties du territoire d'une ou plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présente une importance particulière ou qu'il convient de les soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader. Le classement peut affecter le domaine public maritime et les eaux territoriales françaises. »
Sont notamment prises en considération à ce titre : la préservation d'espèces animales ou végétales ou d'habitats en voie de disparition sur tout   ou partie du territoire national ou présentant des qualités remarquables ; la reconstitution de populations animales ou végétales ou de leurs habitats ; la conservation des jardins botaniques et arboretums constituant des réserves d'espèces végétales en voie de disparition, rares ou remarquables ; la préservation de biotopes et de formations géologiques, géomorphologiques ou spéléologiques remarquables ou la préservation ou la constitution d'étapes sur les grandes voies de migration de la faune sauvage.
61.  La décision de classement est prise par décret, après consultation de toutes les collectivités locales intéressées. A défaut de consentement du propriétaire, le classement est prononcé par décret en Conseil d'Etat (article L. 242-2 C. rural). La procédure de classement, dont l'initiative appartient au ministre chargé de la protection de la nature, est décrite aux articles R. 242-1 à R. 242-18 du code rural.
Au 23 septembre 1998, 144 réserves naturelles avaient été instituées par le biais de cette procédure.
2. Les réserves naturelles volontaires
62.  L'article L. 242-11 du code rural dispose :
« Afin de protéger, sur les propriétés privées, les espèces de la flore et de la faune sauvage présentant un intérêt scientifique et écologique, les propriétaires peuvent demander qu'elles soient agréées comme réserves naturelles volontaires par l'autorité administrative après consultation des collectivités territoriales intéressées. »
63.  La demande d'agrément doit être adressée par le propriétaire au préfet, accompagnée d'un dossier comprenant notamment les pièces suivantes (article R. 242-26 C. rural) : une lettre justifiant l'objet, les motifs et l'étendue de l'opération ; un rapport établi par une personne qualifiée faisant apparaître l'intérêt particulier scientifique et écologique de l'opération ; l'énumération des actions ou activités estimées préjudiciables à la préservation des espèces présentant un intérêt scientifique et écologique et celle des mesures conservatoires, permanentes ou temporaires, souhaitées par le demandeur ; une note précisant les modalités prévues par le propriétaire pour le gardiennage de la réserve et définissant les travaux d'équipement ou d'aménagement nécessaires pour en assurer la protection.
Le préfet soumet le dossier pour avis notamment au conseil municipal de la ou des communes intéressées, à l'Association communale de chasse agréée – ou, à défaut, à la fédération départementale des chasseurs – s'il est demandé d'interdire ou réglementer la pratique de la chasse à l'intérieur de la réserve et à la commission départementale des sites siégeant en formation de protection de la nature (article R. 242-27 C. rural).
64.  Il appartient au préfet de décider. Le cas échéant, la décision d'agrément fixe les limites de la réserve, la nature des mesures   conservatoires affectant celle-ci et les obligations du propriétaire en matière de surveillance et de protection de la réserve (article R. 242-28 C. rural).
65.  L'agrément, donné pour six ans, est renouvelable par tacite reconduction et peut être abrogé à la demande du propriétaire présentée avant le terme de chaque période sexennale (article R. 242-31 C. rural).
Au 7 septembre 1998, 129 réserves naturelles avaient été instituées par le biais de cette procédure.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSiON
66.  Mmes Chassagnou et Lasgrezas et M. R. Petit ont saisi la Commission le 20 avril 1994, MM. Dumont, P. Galland, A. Galland, E. Petit, M. Petit et Pinon, le 29 avril 1995, et Mme Montion, le 30 juin 1995.
Ils soutenaient que, en application de la loi no 64-696 du 10 juillet 1964 portant organisation des Associations communales de chasse agréées, dite loi « Verdeille », nonobstant leur opposition éthique à la chasse, ils sont obligés d'« apporter » leurs terrains à des Associations communales de chasse agréées, sont « d'office » affiliés auxdites associations et ne peuvent faire obstacle à la pratique de ce sport sur leurs propriétés ; ils y voyaient une méconnaissance de leurs droits à la liberté de conscience et d'association ainsi que de leur droit au respect de leurs biens, garantis respectivement par les articles 9 et 11 de la Convention et 1er du Protocole no 1. Ils se disaient en outre victimes d'une discrimination fondée sur la fortune, contraire à l'article 14 de la Convention combiné avec les trois dispositions susmentionnées, résultant de la faculté réservée aux propriétaires d'un terrain d'une superficie supérieure à certains minima d'échapper à l'apport forcé de leur terrain à une Association communale de chasse agréée et, ainsi, d'y exclure la pratique de la chasse et d'éviter leur affiliation à une telle association.
67.  Le 1er juillet 1996, la Commission a déclaré les trois requêtes (nos 25088/94 , 28331/95 et 28443/95) recevables. Dans son rapport (ancien article 31 de la Convention) sur la requête no 25088/94, du 30 octobre 1997, elle conclut à une violation de l'article 1 du Protocole no 1 pris isolément (vingt-sept voix contre cinq) ainsi que combiné avec l'article 14 de la Convention (vingt-cinq voix contre sept) et de l'article 11 de la Convention pris isolément (vingt-quatre voix contre huit) ainsi que combiné avec l'article 14 (vingt-deux voix contre dix), et au non-lieu à examen de l'affaire sous l'angle de l'article 9 de la Convention (vingt-six voix contre six). Dans ses rapports sur les requêtes nos 28331/95 et 28443/95, tous deux du 4 décembre 1997, elle parvint à la même conclusion par vingt-six voix contre cinq (article 1 du Protocole pris isolément), vingt-quatre voix contre sept (article 1 du Protocole combiné avec l'article 14 de la Convention), vingt-quatre voix contre sept (article 11), vingt-deux voix contre neuf (article 11 combiné avec l'article 14) et vingt-quatre voix contre sept (non-lieu à examen des affaires sous l'angle de l'article 9). Le texte intégral de son avis relatif à la requête no 25088/94 et des opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt5.
CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR
68.  Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de rejeter les requêtes des requérants en ce qui concerne les griefs tirés des articles 9 et 11 de la Convention, à titre principal pour incompatibilité ratione materiae et, à titre subsidiaire, pour absence de violation de ces dispositions. Pour ce qui est du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement demande de le rejeter pour absence de violation. Enfin, s'agissant du grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec les articles 9 et 11 et avec l'article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement demande également à la Cour de le rejeter pour absence de violation de cette disposition.
69.  De leur côté, les requérants invitent la Cour à constater que l'application de la loi Verdeille constitue une violation des articles 9 et 11 de la Convention, de l'article 1 du Protocole no 1, ainsi que de l'article 14 de la Convention combiné avec les autres dispositions invoquées, et de leur allouer une satisfaction équitable.
en droit
I. sur la violation alléguée de l'article 1 du Protocole no 1, pris isolément
70.  Les requérants se plaignent que l'apport forcé de leurs terrains à une ACCA, conformément aux dispositions de la loi Verdeille, constitue une atteinte à leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole no 1, qui dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur l'applicabilité de l'article 1 du Protocole no 1
71.  Les comparants s'accordent à considérer que l'apport forcé des terrains à une ACCA, conformément à la loi Verdeille, doit s'analyser à la lumière du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, qui laisse aux Etats le droit d'adopter les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. Il y a désaccord en revanche sur la question de savoir s'il y a eu réellement « ingérence » dans le droit des requérants de faire usage de leurs biens.
72.  Les requérants estiment que l'obligation qui leur est faite d'apporter leurs terrains à l'ACCA, sans leur consentement et sans indemnité ni contrepartie, constitue une privation anormale de leur droit d'usage sur leurs fonds puisqu'ils sont, d'une part, obligés de supporter la présence des chasseurs sur leurs terrains, alors qu'ils sont opposés, pour des raisons éthiques, à la pratique de la chasse et, d'autre part, qu'ils ne peuvent affecter les terrains dont ils sont propriétaires à la création de réserves naturelles où la chasse serait prohibée.
73.  Pour le Gouvernement, au contraire, l'ingérence dans le droit de propriété des requérants serait mineure dans la mesure où ils n'ont pas été véritablement privés de leur droit de faire usage de leurs biens. La loi Verdeille n'a pas pour effet de supprimer le droit de chasse, attribut du droit de propriété, mais vise seulement à en atténuer l'exercice exclusif par les propriétaires. La seule chose que les requérants ont perdue est la faculté d'exclure autrui de la chasse sur leur fonds. Or la chasse ne se pratique que pendant six mois de l'année et l'article L. 222-10 du code rural prévoit expressément que les terrains situés dans un rayon de 150 mètres autour de toute habitation (soit au total une surface de 7 hectares) ne sont pas soumis à l'action de l'ACCA.
74.  La Cour relève que, si les requérants n'ont pas été dépouillés du droit d'user de leurs biens, de les louer ou de les vendre, l'apport forcé de leur droit de chasse sur leurs terrains à une ACCA les empêche de faire usage de ce droit, directement lié au droit de propriété, comme bon leur semble. En l'occurrence, les requérants ne souhaitent pas chasser chez eux et s'opposent à ce que des tiers puissent pénétrer sur leur fonds pour   pratiquer la chasse. Or, opposants éthiques à la chasse, ils sont obligés de supporter tous les ans sur leur fonds la présence d'hommes en armes et de chiens de chasse. A n'en pas douter, cette limitation apportée à la libre disposition du droit d'usage constitue une ingérence dans la jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaire. Dès lors, le second alinéa de l'article 1 joue en l'espèce.
B.  Sur le respect des conditions du second alinéa
75.  Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article. En conséquence, une mesure d'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l'Etat une grande marge d'appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l'intérêt général, par le souci d'atteindre l'objectif de la loi en cause (arrêt Fredin c. Suède (no 1) du 18 février 1991, série A no 192, p. 17, § 51).
1. But de l'ingérence
76.   Les requérants contestent la légitimité du but de la loi Verdeille : selon eux, cette loi n'a pas été prise dans l'intérêt général mais uniquement au bénéfice d'une catégorie spécifique de personnes, à savoir les chasseurs, puisque la loi elle-même précise que les ACCA ont pour but « d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport ».
La loi n'envisage la faune sauvage que sous forme de « gibier », c'est-à-dire sous l'angle des espèces que l'on prend habituellement à la chasse. Quant à la destruction des animaux nuisibles, que la création des ACCA est également censée favoriser, les requérants relèvent que, même lorsqu'une ACCA est constituée, le droit de destruction appartient exclusivement au propriétaire, possesseur ou fermier sur ses terres (article L. 227-8 C. rural) et qu'il ne peut qu'être délégué, le cas échéant, à une ACCA.
77.  Les requérants estiment en outre que les modalités d'application de la loi Verdeille démontrent l'absence d'un quelconque intérêt général justificatif. L'apport forcé de terrains aux ACCA est en droit français une exception au principe selon lequel nul n'a le droit de chasser sur la propriété   d'autrui sans son consentement, droit qui implique aussi, selon les requérants, le droit de ne pas chasser. Or la loi Verdeille fait fi des convictions individuelles en n'envisageant même pas qu'il puisse y avoir des propriétaires non intéressés par la chasse. Enfin, pour une bonne exploitation du capital cynégétique, il n'y aurait nul besoin d'un mécanisme de préemption comme celui imaginé par la loi Verdeille.
En effet, plus de trente ans après son adoption, sur les 36 200 communes de la France métropolitaine, il n'existerait qu'environ 9 200 ACCA, dont environ 8 700 résultant de l'application du régime obligatoire, contre seulement environ 500, dites « facultatives », créées après avis d'une majorité de propriétaires fonciers. La loi ne s'applique ni dans les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ni aux domaines de l'Etat ou des collectivités territoriales. Selon les requérants, ce défaut de généralisation prouve l'absence d'un intérêt général, les ACCA gérant simplement la chasse comme loisir.
Les requérants estiment qu'en France, le lobby des chasseurs, qui ne représente pourtant que 3 % de la population, impose ses choix et dicte des règlements en violation du droit communautaire et du droit international, plus protecteur de la nature. Ils en veulent pour preuve, par exemple, l'autorisation en France, unique en Europe, de la chasse des oiseaux migrateurs durant le mois de février, malgré un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, un arrêt du Conseil d'Etat en date du 10 mars 1995 et plus de cent jugements de tous les tribunaux administratifs du pays en application d'une directive communautaire.
78.  Le Gouvernement, quant à lui, estime qu'il serait réducteur d'évaluer seulement le caractère d'intérêt général de la loi Verdeille à l'aune de l'amélioration de l'exercice du sport cynégétique pour le seul intérêt des chasseurs. Le développement de la faune sauvage mais aussi le respect des propriétés et des récoltes tirent bénéfice d'une bonne organisation cynégétique.
Le Gouvernement relève que la chasse représente une activité très ancrée dans la tradition rurale française. Toutefois, la règle selon laquelle nul ne peut chasser en dehors des terrains dont il est propriétaire était depuis longtemps méconnue dans une très large moitié du pays. L'un des principaux objectifs de la loi Verdeille fut donc la réalisation d'une unité de gestion, sans laquelle toute exploitation rationnelle de la chasse, tout en assurant le respect de l'environnement, était devenue impossible. Les ACCA assurent en outre une fonction éducative par la participation des chasseurs à la gestion de l'association et à l'élaboration de la politique cynégétique ainsi que par l'autodiscipline imposée à tous les membres, chasseurs ou non, par le règlement intérieur et le règlement de chasse, sous peine de sanction.
Le Gouvernement rejette également l'argument des requérants selon lequel la non-application de la loi Verdeille sur la totalité du territoire   français démontrerait son absence d'intérêt général. Il estime en effet que ladite loi peut être d'application générale dans l'ensemble du pays, selon des modalités démocratiques, à savoir la création obligatoire d'une ACCA uniquement après consultation du conseil général, de la chambre d'agriculture et de la fédération départementale des chasseurs et une création volontaire dans les autres cas.
Enfin, la loi ne peut être appliquée sur tout le territoire parce que la nécessité de regrouper les territoires de chasse dépend de la configuration géographique des départements. Ainsi, il ne saurait être question de créer des ACCA dans les régions de montagne ou très urbanisées ou dans les départements où la chasse est déjà organisée.
79.  La Cour estime, vu les buts assignés aux ACCA par la loi Verdeille, tels qu'ils sont énumérés à l'article 1 de celle-ci, et les explications fournies à ce sujet, qu'il est assurément dans l'intérêt général d'éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique.
2. Proportionnalité de l'ingérence
80.  Les requérants affirment que l'apport forcé de leurs terrains à une ACCA est une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leurs biens. Ils exposent qu'ils n'ont aucun moyen de se soustraire à cet apport, malgré les tentatives qu'ils ont effectuées auprès des ACCA ou des autorités préfectorales pour obtenir le retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA concernées. Selon eux, il n'est nul besoin de préempter les petites propriétés au bénéfice d'associations de chasseurs pour une exploitation rationnelle des ressources cynégétiques. En effet, dans les départements ou les communes où il n'y a pas d'ACCA, le fait que certains propriétaires refusent de chasser eux-mêmes et interdisent la pratique de la chasse chez eux ne pose aucun problème ni pour ce qui est de la prolifération de certaines espèces ni pour ce qui concerne les espèces déclarées nuisibles, que seuls les propriétaires ont le droit de détruire.
81.  Le Gouvernement combat cette thèse. Il considère que la loi Verdeille offre un large éventail de possibilités permettant aux propriétaires qui le souhaitent d'échapper à son emprise. Il se réfère à cet égard à la possibilité qu'ont les requérants de clore leurs propriétés (articles L. 222-10 et L. 224-3 C. rural, paragraphe 46 ci-dessus), d'acquérir, conformément à l'article R. 222-54 du code rural, d'autres terrains constituant avec les leurs un ensemble d'un seul tenant d'une superficie supérieure aux minima prévus à l'article L. 222-13 du code rural (paragraphes 47 et 49 ci-dessus) ou de demander aux ACCA d'inclure leur fonds dans la réserve de chasse que celles-ci sont tenues de constituer en application de l'article L. 222-21 du code rural (paragraphe 55 ci-dessus).
Les requérants auraient eu en outre la possibilité de demander au ministre ou au préfet d'inclure leurs terrains dans une réserve de chasse ou de chasse et de faune sauvage (articles L. 222-25 et R. 222-83 dudit code, paragraphes 56 et 58 ci-dessus). De même, ils auraient pu solliciter que leurs terrains soient classés, par décret, réserve naturelle ou faire une demande en vue du classement en réserve naturelle volontaire (articles L. 242-1 et L. 242-11 C. rural, paragraphes 60-63 ci-dessus).
Le Gouvernement souligne enfin que l'apport forcé des terrains à l'ACCA n'est pas sans contrepartie : les propriétaires perdent certes leur droit de chasse exclusif mais cette perte est compensée par le fait que de leur côté ils peuvent chasser sur tout le territoire de l'ACCA.
Par ailleurs, l'apport forcé donne lieu à indemnisation des propriétaires lorsque de ce fait il y a eu perte de recettes provenant de la privation de revenus existant antérieurement à l'apport (article L. 222-16 C. rural, paragraphe 50 ci-dessus).
82.  La Cour estime qu'aucune des options évoquées par le Gouvernement n'était susceptible en pratique de dispenser les requérants de l'obligation légale d'apporter leur fonds aux ACCA. Elle relève notamment que la clôture visée à l'article L. 224-3 doit être continue, constante et de nature à empêcher complètement le passage du gibier à poil et celui de l'homme, ce qui suppose qu'elle soit d'une certaine hauteur et d'une certaine solidité. On ne saurait exiger des requérants d'exposer des frais importants pour échapper à l'obligation d'apport de leurs fonds aux ACCA. Une telle exigence apparaît d'autant plus déraisonnable que, sauf en ce qui concerne Mme Montion, l'utilisation des terrains en question à des fins agricoles serait largement hypothéquée par l'aménagement d'une telle clôture.
Quant à la possibilité qu'auraient les requérants de demander que leurs terrains soient inclus dans une réserve de chasse ou une réserve naturelle, la Cour note que ni les ACCA, ni le ministre, ni le préfet ne sont tenus de réserver une suite favorable à de telles demandes émanant de simples particuliers, comme le montrent les refus opposés en l'espèce aux requérants (paragraphes 18, 24 et 29-30 ci-dessus). Il ressort enfin des dispositions relatives aux réserves naturelles (paragraphes 60 et 62 ci-dessus) que les requérants ne pouvaient prétendre remplir les conditions spécifiques pour bénéficier de ce statut.
Quant aux contreparties légales mentionnées par le Gouvernement, la Cour est d'avis qu'elles ne sauraient être considérées comme représentant une juste indemnisation de la perte du droit d'usage. Il est clair que dans l'esprit de la loi Verdeille de 1964, la privation du droit de chasse exclusif de chaque propriétaire soumis à apport devait être compensée par la possibilité concomitante de chasser sur l'ensemble du territoire de la commune soumis à l'emprise de l'ACCA. Cependant, cette compensation n'a de réalité et d'intérêt que pour autant que tous les propriétaires concernés soient chasseurs ou acceptent la chasse. Or la loi de 1964 n'a   envisagé aucune mesure de compensation en faveur des propriétaires opposés à la chasse qui, par définition, ne souhaitent tirer aucun avantage ou profit d'un droit de chasse qu'ils refusent d'exercer. De même, l'indemnisation de la perte de recettes provenant de la privation de revenus antérieurs ne concerne que les propriétaires qui, avant création d'une ACCA dans leur commune, tiraient un revenu de l'exercice de leur droit de chasse, par exemple en le louant à des tiers, ce qui, en l'occurrence, n'est pas le cas des requérants.
Etant tous propriétaires de terrains d'une superficie inférieure aux minima leur permettant de faire opposition (paragraphe 47 ci-dessus), les requérants ne pouvaient donc échapper à l'apport forcé aux ACCA de leurs communes du droit de chasse sur leurs fonds.
83.  Or cet apport forcé représente une exception au principe général posé par l'article 544 du code civil, qui prévoit que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois. L'apport forcé du droit de chasse, attribut en droit français du droit de propriété, est également dérogatoire au principe posé par l'article L. 222-1 du code rural, selon lequel nul ne saurait chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire. La Cour relève également que le fait de passer outre est, aux termes de l'article R. 228-1, puni des peines prévues pour les contraventions de la 5e classe. Il convient enfin de noter qu'en droit interne (article R. 227-7), la responsabilité de procéder aux opérations de destruction des animaux nuisibles incombe personnellement au propriétaire et que cette responsabilité ne peut, le cas échéant, qu'être déléguée par écrit à une ACCA, comme à toute autre personne au choix du propriétaire.
84.  La Cour observe en outre que, à la suite de l'adoption de la loi Verdeille en 1964, qui excluait dès l'origine les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, seuls 29 départements, sur les 93 départements concernés en France métropolitaine, ont été soumis au régime de la création obligatoire d'ACCA, que le régime des ACCA facultatives ne s'applique que dans 851 communes, et que la loi ne vise que les petites propriétés de moins de 20 hectares, à l'exclusion tant des grandes propriétés privées que des domaines appartenant à l'Etat (paragraphe 46 ci-dessus).
85. En conclusion, nonobstant les buts légitimes recherchés par la loi de 1964 au moment de son adoption, la Cour estime que le système de l'apport forcé qu'elle prévoit aboutit à placer les requérants dans une situation qui rompt le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général : obliger les petits propriétaires à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions se révèle une charge démesurée qui ne se justifie pas sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. Il y a donc violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION alléguée DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1, COMBINé AVEC L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
86.  Les requérants soutiennent que les dispositions de la loi Verdeille créent à leur égard deux discriminations, l'une fondée sur la fortune et l'autre sur l'opinion et le mode de vie. Ils invoquent l'article 14 de la Convention qui dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
87.  Ils s'estiment victimes d'une première discrimination résultant, dans le système de la loi Verdeille, de la faculté réservée aux propriétaires fonciers possédant un terrain de 20 hectares ou plus, ou disposant de moyens suffisants pour réaliser une clôture hermétique et onéreuse, d'échapper à l'emprise des ACCA.
Selon eux, une seconde discrimination naît du fait que le chasseur est privilégié puisqu'il bénéficie, en contrepartie de son droit de chasse privatif, du droit de chasse sur un territoire plus grand, alors que le non-chasseur perd, sans contrepartie ni indemnisation, non seulement son droit d'usage mais aussi sa liberté de pensée et de manifester ses convictions en promouvant son éthique sur son fonds. De plus, les groupements de chasseurs reçoivent, en apport forcé, gratuitement, des terrains privés, alors que les associations de préservation de la nature ne peuvent plus recevoir, en apports volontaires, les terrains de leurs propres adhérents.
88.  Le Gouvernement rappelle que le principe de non-discrimination posé à l'article 14 ne s'oppose pas à ce que des personnes se trouvant dans des situations différentes soient régies par des règles différentes. Or, en l'espèce, seules les propriétés de taille importante peuvent faire l'objet d'une gestion cynégétique rationnelle, les terrains plus petits devant pour cela être mis en commun. Aussi les différentes catégories de propriétaires ne constituent-elle pas une catégorie de personnes homogène et la distinction entre eux est objective, justifiant l'existence de différents seuils ouvrant droit à opposition. A cet égard, le Gouvernement ajoute que si le critère de la superficie de 20 hectares procède d'une certaine approximation, il n'est pas pour autant arbitraire, la jurisprudence des organes de la Convention laissant en la matière aux Etats une marge d'appréciation importante.
Enfin, le Gouvernement estime que le grief tiré d'une prétendue discrimination fondée sur la fortune au motif que les plus gros propriétaires peuvent s'affranchir des contraintes de la loi de 1964 n'est pas sérieux. L'assertion est au demeurant fausse car certains terrains de moins de 20 hectares peuvent avoir une valeur économique et patrimoniale bien supérieure à des landes ou des friches de plus de 20 hectares.
89.  La Cour rappelle que l'article 14 n'a pas d'existence autonome, mais joue un rôle important de complément des autres dispositions de la Convention et des Protocoles puisqu'il protège les individus, placés dans des situations analogues, contre toute discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans ces autres dispositions. Lorsque la Cour a constaté une violation séparée d'une clause normative de la Convention, invoquée devant elle à la fois comme telle et conjointement avec l'article 14, elle n'a en général pas besoin d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de cet article, mais il en va autrement si une nette inégalité de traitement dans la jouissance du droit en cause constitue un aspect fondamental du litige (arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 26, § 67).
90.  En l'espèce, la Cour doit examiner les conséquences de la loi Verdeille sur la création des ACCA pour la jouissance des droits que le Protocole no 1 garantit aux requérants en leur qualité de propriétaires fonciers. Le traitement discriminatoire allégué par les requérants tient à la différence qui est faite entre ceux possédant 20 hectares ou plus en Dordogne ou en Gironde voire 60 hectares dans la Creuse, qui peuvent s'opposer à l'apport forcé de leur terrain à une ACCA, conformément à l'article L. 222-13 du code rural (paragraphe 47 ci-dessus), et ceux qui sont propriétaires, comme les requérants, de terrains d'une superficie inférieure, qui ne le peuvent pas. La situation des propriétés des divers requérants est en l'occurrence fort bien représentative des divers cas de figure qui peuvent se présenter : les propriétés de Mme Chassagnou, M. R. Petit et Mme Lasgrezas sont situées en Dordogne, un département où l'institution d'ACCA est facultative et où le seuil d'opposition est de 20 hectares tandis que les propriétés de M. Dumont, M. P. Galland, M. A. Galland, M. M. Petit et M. Pinon ainsi que celle de Mme Montion sont situées respectivement dans les départements de la Creuse et de la Gironde, où la création d'ACCA est obligatoire mais où les seuils d'opposition sont de 60 hectares pour la Creuse et de 20 hectares pour la Gironde.
91.  La Cour rappelle qu'une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s'il n'existe pas de « rapport raisonnable de proportionnalité » entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, en dernier lieu, l'arrêt Larkos c. Chypre [GC], no 29515/95, § 29, CEDH 1999-I).
92.  La Cour observe que l'Etat défendeur cherche à justifier la différence de traitement entre les petits et les grands propriétaires en invoquant la nécessité d'assurer le regroupement des petites parcelles pour favoriser une gestion rationnelle des ressources cynégétiques. Tout en admettant qu'une mesure ayant pour effet de traiter différemment des personnes placées dans une situation comparable peut trouver une justification dans des motifs d'intérêt public, la Cour considère qu'en l'espèce le Gouvernement n'a pas expliqué de manière convaincante comment l'intérêt général pouvait être servi par l'obligation faite aux seuls petits propriétaires de faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains. A première vue, l'exploitation rationnelle des ressources cynégétiques dans une commune donnée est tout aussi indispensable sur les grandes propriétés que sur les petites et le Gouvernement n'a démontré aucun intérêt prépondérant apte à justifier l'utilisation du critère de la superficie des terrains comme seul élément de différenciation. La Cour n'aperçoit pas, en effet, ce qui serait susceptible d'expliquer que, dans une même commune, les grands propriétaires puissent se réserver l'exercice exclusif du droit de chasse sur leur fonds, notamment pour en tirer des revenus, et se verraient dispensés d'en faire apport à la collectivité ou, n'y chassant pas eux-mêmes, puissent interdire aux autres de chasser sur leur fonds, tandis que les petits propriétaires, au contraire, sont mis dans l'obligation d'apporter leurs terrains à une ACCA.
93.  Par ailleurs, s'il peut paraître dans l'intérêt des chasseurs propriétaires de petites parcelles de se regrouper pour pouvoir disposer d'un territoire de chasse plus grand, il n'y a aucune raison objective et raisonnable d'y contraindre, par la voie de l'apport forcé, ceux qui ne le souhaitent pas, en se fondant uniquement sur le critère de la superficie des terrains, qui, comme l'a d'ailleurs admis le Gouvernement, procède d'une certaine approximation.
94.  Au surplus, dans les départements où l'institution d'ACCA est facultative, comme en Dordogne, où il n'existe que 53 ACCA sur les 555 communes que compte ce département, l'application de la loi Verdeille aboutit à des situations où certains petits propriétaires sont obligés de faire apport de leur terrain à une ACCA tandis que, dans une commune voisine présentant les mêmes caractéristiques quant à la topographie ou à la faune mais non affectée par la loi Verdeille, les propriétaires terriens, qu'ils soient grands ou petits, sont libres d'affecter leur fonds à l'usage qu'ils souhaitent.
95.  En conclusion, dans la mesure où la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d'affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, elle constitue une discrimination fondée sur la fortune foncière au sens de l'article 14 de la Convention. Il y a donc violation de l'article 1 du Protocole no 1, combiné avec l'article 14 de la Convention.
III. Sur la violation Alléguée de l'article 11 de la  Convention pris isolément
96.  Les requérants estiment avoir subi une atteinte à leur liberté d'association du fait qu'en vertu des dispositions pertinentes de la loi Verdeille, ils sont contre leur volonté membres de droit d'une Association communale de chasse agréée, association qu'en vertu de la loi ils n'ont pas la possibilité de quitter. Ils invoquent l'article 11 de la Convention qui dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. »
A. Sur l'applicabilité de l'article 11
97.  Pour les requérants, il ne fait aucun doute que les ACCA entrent dans le champ d'application de l'article 11. Selon eux, une association de chasse, fût-elle agréée, demeure un groupement de pur droit privé, la loi Verdeille elle-même visant expressément la loi du 1er juillet 1901 sur les associations. Les ACCA sont présidées par un chasseur, élu par les chasseurs. Elles ne sont dotées d'aucune prérogative de puissance publique exorbitante du droit commun, la technique de l'agrément ne suffisant pas à transformer une association de droit privé en établissement public administratif.
98.  Le Gouvernement, en revanche, estime que les ACCA sont des associations de droit public, investies par le législateur de prérogatives de puissance publique. Elles ne relèveraient donc pas du champ d'application de l'article 11. Ainsi, la création d'une ACCA est soumise à l'agrément du préfet et une telle association n'est libre ni de son statut ni de son règlement intérieur, dont l'essentiel est imposé par les articles R. 222-62 et suivants du code rural. En outre, le préfet possède un pouvoir de contrôle et de sanction de l'ACCA, auquel s'ajoutent un pouvoir d'approbation préalable de toutes modifications de textes ainsi qu'un pouvoir disciplinaire.
En conséquence, le Gouvernement estime que les ACCA, même si elles sont constituées conformément à la loi du 1er juillet 1901, sont des structures para-administratives de droit public, dont les organes de fonctionnement interne s'apparentent certes à la forme associative, mais que leur statut distingue nettement des associations ordinaires, puisqu'elles sont soumises à un régime juridique mixte associant des éléments de droit privé et de droit public. Le grief tiré de la violation de l'article 11 serait donc incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
99.  La Cour note que la question de la nature privée ou publique des ACCA est loin d'être tranchée en droit français : le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 novembre 1989 (paragraphe 32 ci-dessus) relève, par exemple, que « si, pour atteindre les objectifs fixés par la loi, les ACCA sont investies de prérogatives de puissance publique, elles n'en demeurent pas moins des organismes de droit privé » et que « les décisions qu'elles prennent (...) notamment en ce qui concerne la délivrance ou le retrait de la qualité de membre, sont des actes de droit privé qui ne relèvent pas de la juridiction administrative ».
Cette solution fut également retenue par les juridictions civiles saisies des cas de Mme Chassagnou et autres (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). En revanche, les requérants qui, comme MM. Dumont et autres ou Mme Montion, saisirent les juridictions administratives de recours dirigés contre les refus préfectoraux de prononcer le retrait de leurs fonds du périmètre de l'ACCA, se virent opposer les prérogatives de puissance publique qui auraient été conférées aux ACCA (paragraphes 27 et 32  ci-dessus).
100.  Toutefois, la question n'est pas tant de savoir si les ACCA sont, en droit français, des associations privées, des associations publiques ou  parapubliques ou des associations mixtes mais de déterminer s'il s'agit d'« associations » au sens de l'article 11 de la Convention.
Si les Etats contractants pouvaient à leur guise qualifier une association de « publique » ou de « para-administrative » pour la faire échapper au champ d'application de l'article 11, cela équivaudrait à leur accorder une latitude qui risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec le but et l'objet de la Convention, qui consiste à protéger des droits non pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33, et, plus récemment, arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, pp. 18-19, § 33).
La liberté de pensée et d'opinion ainsi que la liberté d'expression, respectivement garanties par les articles 9 et 10 de la Convention, seraient ainsi d'une portée bien limitée si elles ne s'accompagnaient pas de la garantie de pouvoir partager ses convictions ou ses idées collectivement, en particulier dans le cadre d'associations d'individus ayant les mêmes convictions, idées ou intérêts.
La notion d'« association » possède donc une portée autonome : la qualification en droit national n'a qu'une valeur relative et ne constitue qu'un simple point de départ.
101.  Il est vrai que les ACCA doivent leur existence à la volonté du législateur, mais la Cour relève qu'il n'en demeure pas moins que les ACCA sont des associations constituées conformément à la loi du 1er juillet 1901, composées de chasseurs ou de propriétaires ou détenteurs de droits de chasse, donc de particuliers, tous désireux, a priori, de regrouper leurs terrains pour la pratique de la chasse.
De même, la tutelle exercée par le préfet sur le fonctionnement de ces associations ne suffit pas pour affirmer qu'elles demeurent intégrées aux structures de l'Etat (mutatis mutandis, arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A no 43, pp. 26-27, § 64). De même, il ne saurait être soutenu que les ACCA jouissent en vertu de la loi Verdeille de prérogatives exorbitantes du droit commun, tant administratives que normatives ou disciplinaires, ou qu'elles utilisent des procédés de la puissance publique, à l'instar des ordres professionnels.
102.  La Cour estime donc, comme la Commission, que les ACCA sont bien des « associations » au sens de l'article 11.
B.  Sur l'observation de l'article 11
1.  Existence d'une ingérence
103.  Il n'est pas contesté par les comparants que l'obligation d'adhésion aux ACCA imposée aux requérants par la loi Verdeille est une ingérence dans la liberté d'association « négative ». La Cour partage cet avis et examinera donc le grief tiré de l'article 11 à la lumière de l'article 9 car la protection des opinions personnelles compte parmi les objectifs de la liberté d'association, qui sous-entend un droit d'association négatif (arrêt Sigurður A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993, série A no 264, p. 17, § 37).
2.   Justification de l'ingérence
104.  Pareille ingérence enfreint l'article 11, sauf si elle était « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.
a)  « Prévue par la loi »
105.  Les comparants s'accordent à considérer que l'ingérence était prévue par la loi, l'adhésion obligatoire des requérants aux ACCA de leur commune résultant de la loi Verdeille de 1964 et notamment des articles L. 222-9 et 222-19, alinéa 3, du code rural (paragraphes 45 et 51 ci-dessus).
b) But légitime
106.  Pour le Gouvernement, l'ingérence litigieuse visait le but légitime de la protection des droits et libertés d'autrui. Par le regroupement des parcelles de surface réduite et l'adhésion obligatoire des propriétaires concernés à une ACCA, la loi Verdeille vise en effet à assurer un exercice démocratique de la chasse pour offrir au plus grand nombre l'accès à un loisir qui ne pourrait autrement que demeurer réservé aux possesseurs d'un patrimoine foncier important.
107.  Pour les requérants au contraire, la chasse n'est qu'un loisir pour ceux qui la pratiquent. Si les requérants ne contestent pas aux chasseurs le droit d'aimer et de pratiquer la chasse, ils estiment que le législateur n'a pas à imposer à ceux qui y sont opposés d'adhérer à des associations de chasseurs, alors qu'ils en réprouvent viscéralement les objectifs et la politique.
108.  Pour la Commission, si la chasse est une activité ancienne pratiquée depuis des millénaires, il n'en demeure pas moins qu'avec le développement de l'agriculture, de l'urbanisation et l'évolution des modes de vie, elle ne vise aujourd'hui, pour l'essentiel, qu'à procurer plaisir et détente à ceux qui la pratiquent dans le respect des traditions. Toutefois, l'organisation et la réglementation d'une activité de loisir peuvent aussi relever d'une responsabilité de l'Etat, notamment au titre de son obligation de veiller, au nom de la collectivité, à la sécurité des biens et des personnes. La Cour estime, en conséquence, avec la Commission, que la législation incriminée poursuivait un but légitime, au sens du paragraphe 2 de l'article 11 de la Convention.
c) « Nécessaire dans une société démocratique »
109.  Les requérants considèrent qu'il n'est pas nécessaire, dans une société démocratique, d'obliger des individus opposés par choix de conscience à la pratique de la chasse comme loisir de devenir membres d'associations de chasseurs. L'affiliation obligatoire à une ACCA leur interdirait en outre de donner un sens effectif à leur adhésion aux associations de protection de la nature et d'opposition éthique à la chasse dont ils sont membres, puisqu'ils ne peuvent apporter leur fonds à ces associations pour y créer des réserves naturelles.
110.  Le Gouvernement estime que les ACCA étant des associations au sens de la loi de 1901, les principes du droit commun des associations leur sont applicables. Ainsi les associés peuvent librement décider de l'organisation et du fonctionnement de leur association et rien n'empêche les propriétaires non chasseurs, qui disposent comme tous les membres d'une voix lors des votes en assemblée générale, de participer concrètement à la vie de l'association. S'ils ne souhaitent pas le faire, l'obligation d'adhésion n'emporte pas de conséquences coercitives puisqu'aux termes de l'article L. 222-19 du code rural, les non-chasseurs sont certes membres de droit des ACCA mais ne sont tenus ni de verser une cotisation ni de participer le cas échéant au déficit de l'association.
A cet égard, la situation des non-chasseurs serait l'inverse de celle qui a donné lieu à la décision de la Cour dans l'affaire Sigurđur A. Sigurjónsson précitée car l'adhésion de droit à l'ACCA n'est que la conséquence de l'apport du terrain et non son préalable obligatoire, alors que l'adhésion à l'association dans l'affaire islandaise était la condition sine qua non pour pouvoir exercer une profession.
111.  Pour la Cour, la distinction que le Gouvernement voudrait introduire entre l'obligation d'apporter un terrain dont on est propriétaire et l'obligation d'adhérer contre son gré, en tant que personne physique, à une association, semble artificielle. Elle relève que le législateur français a choisi de prévoir l'apport forcé du droit de chasse sur des propriétés foncières par le biais d'une adhésion obligatoire à une association chargée de la gestion des propriétés ainsi mises en commun. C'est justement, au regard du droit à la liberté d'association reconnue à l'article 11 de la Convention, le recours à la technique juridique de l'association qui pose un problème en l'espèce, la question de l'apport forcé des terrains relevant du droit au respect des biens garanti à l'article 1 du Protocole no 1.
112.  La Cour rappelle que, pour évaluer la nécessité d'une mesure donnée, plusieurs principes doivent être observés. Le vocable « nécessaire » n'a pas la souplesse de termes tels qu'« utile » ou « opportun ». En outre, pluralisme, tolérance et esprit d'ouverture caractérisent une « société démocratique » : bien qu'il faille parfois subordonner les intérêts d'individus à ceux d'un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité mais commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d'une position dominante. Enfin, une restriction à un droit que consacre la Convention doit être proportionnée au but légitime poursuivi (arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981, série A no 44, p. 25, § 63).
113.  En l'espèce, le seul but invoqué par le Gouvernement pour justifier l'ingérence incriminée est celui de la « protection des droits et libertés d'autrui ». Si ces « droits et libertés » figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la Convention ou ses Protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les Etats à restreindre d'autres droits ou libertés également consacrés par la Convention : c'est précisément cette constante recherche d'un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement d'une « société démocratique ». La mise en balance des intérêts éventuellement contradictoires des uns et des autres est alors difficile à faire, et les Etats contractants doivent disposer à cet égard d'une marge d'appréciation importante, les autorités nationales étant   en principe mieux placées que le juge européen pour évaluer l'existence ou non d'un « besoin social impérieux » susceptible de justifier une ingérence dans l'un des droits garantis par la Convention.
Il en va différemment lorsque des restrictions sont apportées à un droit ou une liberté garantie par la Convention dans le but de protéger des « droits et libertés » qui ne figurent pas, en tant que tels, parmi ceux qu'elle consacre : dans une telle hypothèse, seuls des impératifs indiscutables sont susceptibles de justifier une ingérence dans la jouissance d'un droit garanti.
En l'occurrence, le Gouvernement fait état de la nécessité de protéger ou de favoriser un exercice démocratique de la chasse. A supposer même que le droit français consacre un « droit » ou une « liberté » de chasse, la Cour relève, avec le tribunal administratif de Bordeaux (paragraphe 32 ci-dessus), qu'un tel droit ou liberté ne fait pas partie de ceux reconnus par la Convention qui, en revanche, garantit expressément la liberté d'association.
114.  Pour l'examen de la question de savoir s'il peut se justifier d'obliger des propriétaires opposés à la chasse d'adhérer à une association de chasseurs, la Cour prend en compte les éléments suivants.
Les requérants sont des opposants éthiques à la pratique de la chasse et la Cour considère que leurs convictions à cet égard atteignent un certain degré de force, de cohérence et d'importance et méritent de ce fait respect dans une société démocratique (arrêt Campbell et Cosans c. Royaume-Uni du 25 février 1982, série A no 48, pp. 16-17, § 36). Partant, la Cour estime que l'obligation faite à des opposants à la chasse d'adhérer à une association de chasse peut à première vue sembler incompatible avec l'article 11.
En outre, un individu ne jouit pas de la liberté d'association si les possibilités de choix ou d'action qui lui restent se révèlent inexistantes ou réduites au point de n'offrir aucune utilité (arrêt Young, James et Webster précité, p. 23, § 56).
115.  Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, la Cour relève qu'en l'espèce les requérants n'ont raisonnablement pas la possibilité de se soustraire à cette affiliation : pourvu que leurs terrains soient situés sur le territoire d'une ACCA et qu'ils ne soient pas propriétaires de terrains d'une superficie leur permettant de faire opposition, leur affiliation est obligatoire.
Il a été soutenu, en outre, que les propriétaires opposés à la chasse ne sont pas obligés de participer activement à la vie associative des ACCA : ils en deviennent certes membres de droit mais ne sont pas tenus de verser une cotisation ni de participer à l'éventuelle couverture du déficit de l'association. Il manquerait donc le degré de contrainte nécessaire pour faire conclure à la violation de l'article 11.
La Cour estime que le fait que les requérants n'aient été admis dans les ACCA en quelque sorte que pour la forme, du seul fait de leur qualité de propriétaires, n'enlève rien au caractère contraignant de leur affiliation.
116.  La Cour observe ensuite que la loi exclut expressément de son champ d'application, aux termes de l'article L. 222-10 du code rural, tous les terrains faisant partie du domaine public de l'Etat, des départements et des communes, des forêts domaniales ou des emprises des chemins de fer (paragraphe 46 ci-dessus). En d'autres termes, la nécessité de mettre en commun des terrains pour l'exercice de la chasse ne s'impose qu'à un nombre restreint de propriétaires privés et cela sans que leurs opinions ne soient prises en considération de quelque manière que ce soit. De plus, la création obligatoire d'ACCA n'est intervenue que dans 29 départements sur les 93 départements métropolitains où la loi s'applique, et, sur les 36 200 communes que compte la France, seules 851 d'entre elles ont choisi le régime des associations facultatives, comme en l'espèce les communes de Tourtoirac et de Chourgnac-d'Ans, en Dordogne, où des ACCA ont été créées en 1977. Enfin, la Cour relève que tout propriétaire possédant plus de 20 hectares (60 dans la Creuse) ou disposant d'une propriété totalement close peut s'opposer à l'adhésion à une ACCA.
117.  Au vu de ce qui précède, les motifs avancés par le Gouvernement ne suffisent pas à montrer qu'il était nécessaire d'astreindre les requérants à devenir membres des ACCA de leurs communes, en dépit de leurs convictions personnelles. Au regard de la nécessité de protéger les droits et libertés d'autrui pour l'exercice démocratique de la chasse, une obligation d'adhésion aux ACCA qui pèse uniquement sur les propriétaires dans une commune sur quatre en France ne peut passer pour proportionnée au but légitime poursuivi. La Cour n'aperçoit pas davantage pourquoi il serait nécessaire de ne mettre en commun que les petites propriétés tandis que les grandes, tant publiques que privées, seraient mises à l'abri d'un exercice démocratique de la chasse.
Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l'obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l'association en question réalise des objectifs qu'il désapprouve va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi.
Il y a donc violation de l'article 11.
IV. Sur la violation alléguée de l'article 11 de la convention combiné avec l'article 14
118.  Les requérants s'estiment victimes, pour les motifs déjà invoqués en relation avec la violation alléguée de l'article 1 du Protocole no 1   combiné avec l'article 14 de la Convention, d'une discrimination fondée, d'une part, sur la fortune, puisque les grands propriétaires peuvent échapper à toute restriction de leur droit à la liberté d'association, et, d'autre part, sur leur qualité de non-chasseur, l'atteinte à leur liberté d'association opérée par la loi Verdeille profitant exclusivement aux chasseurs.
119.  Le Gouvernement combat cette thèse tandis que la Commission y souscrit.
120.  La Cour estime que l'examen du grief tiré de l'article 11, lu en combinaison avec l'article 14, est en substance analogue à celui qui a été mené ci-dessus au regard de l'article 1 du Protocole no 1 et elle ne voit aucune raison de s'écarter de sa conclusion précédente. Elle se bornera à rappeler que l'article L. 222-13 du code rural institue bien une différence de traitement entre des personnes se trouvant dans une situation comparable, à savoir les propriétaires ou détenteurs de droits de chasse, puisque ceux qui possèdent 20 hectares ou plus d'un seul tenant peuvent faire opposition à l'inclusion de leur terrain dans le périmètre d'action de l'ACCA pour ainsi éviter leur affiliation obligatoire à celle-ci, tandis que ceux qui, comme les requérants, possèdent moins de 20 ou 60 hectares, n'ont pas cette possibilité.
121.  La Cour estime que le Gouvernement n'a avancé aucune justification objective et raisonnable de cette différence de traitement, qui oblige les petits propriétaires à être membres des ACCA et permet aux grands propriétaires d'échapper à cette affiliation obligatoire, qu'ils exercent leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci à l'instauration d'un refuge ou d'une réserve naturelle. D'une part, la Cour note que dans la première de ces hypothèses, il ne s'explique pas que les propriétés de plus de 20 hectares échappent à l'emprise des ACCA, si celles-ci ont pour but, comme l'allègue le Gouvernement, d'assurer un exercice démocratique de la chasse.
D'autre part, la Cour estime que, dans la seconde hypothèse, la distinction opérée entre petits et grands propriétaires quant à la liberté d'affecter leur fonds à un autre usage que la chasse est dépourvue de toute justification pertinente.
En conclusion, il y a violation de l'article 11 de la Convention combiné avec l'article 14.
V. Sur la violation alléguée de l'article 9 de la Convention
122.  Les requérants se plaignent de la violation de leur liberté de pensée et de conscience et invoquent l'article 9 de la Convention qui dispose :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
123.  Les requérants estiment que le droit garanti par l'article 9 ne saurait se réduire au droit de se clore au fond de sa maison ou de sa propriété sans pouvoir exprimer et matérialiser extérieurement ses options morales. Aussi, le fait d'être obligés de supporter que l'on chasse sur leurs terrains, alors qu'eux-mêmes sont des opposants à la chasse, constitue-t-il, selon eux, une violation de leur liberté de pensée.
124.  Le Gouvernement soutient, à titre principal, que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention parce que les convictions hostiles à la chasse et écologistes des requérants ne relèveraient pas du champ d'application de l'article 9. A titre subsidiaire, le Gouvernement plaide l'absence de violation.
125.  Avec la Commission, la Cour estime qu'au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue en ce qui concerne la violation de l'article 1 du Protocole no 1 et de l'article 11 de la Convention, tant pris isolément que combinés avec l'article 14 de la Convention, il ne s'impose pas de procéder à un examen séparé de l'affaire sous l'angle de l'article 9.
VI. Sur l'application de l'article 41 de la Convention
126.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
127.  Les requérants demandent pour chacun d'entre eux une indemnité de 100 000 francs français (FRF), tous chefs de préjudice confondus. Ils ne sollicitent pas le remboursement des frais et dépens, ayant été représentés gratuitement par M. Charollois pour les besoins de la procédure devant les organes de la Convention.
128.  A l'audience devant la Cour, le Gouvernement a indiqué qu'aucun justificatif du préjudice matériel prétendument subi n'ayant été fourni, toute prétention de ce chef ne pourrait qu'être rejetée. Quant au préjudice moral   allégué, les constats de violation constitueraient en eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante.
129.  Le délégué de la Commission n'a pas formulé d'observations à ce sujet.
130.  La Cour constate que les requérants n'ont fourni aucun élément susceptible d'étayer leurs demandes au titre du préjudice matériel, de sorte qu'il n'y a pas lieu de leur allouer une indemnité de ce chef. Pour ce qui est du préjudice moral, la Cour estime que chacun des requérants a indéniablement, du fait des violations constatées, subi un préjudice moral qu'elle évalue, en équité, à la somme de 30 000 FRF.
B.  Intérêts moratoires
131.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt était de 3,47 % l'an.
Par ces motifs, la COur
1. Dit, par douze voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1, pris isolément ;
2. Dit, par quatorze voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1, combiné avec l'article 14 de la Convention ;
3. Dit, par douze voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention, pris isolément ;
4. Dit, par seize voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention combiné avec l'article 14 ;
5. Dit, par seize voix contre une, qu'il ne s'impose pas d'examiner séparément le grief tiré de l'article 9 de la Convention ;
6. Dit, à l'unanimité, que l'Etat défendeur doit verser à chacun des neuf requérants, dans les trois mois, la somme de 30 000 (trente mille) francs français, pour dommage moral, montant à majorer d'un intérêt non capitalisable de 3,47 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;
7. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 29 avril 1999.
Luzius Wildhaber
Président
Maud de Boer-Buquicchio
Greffière adjointe
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion séparée de M. Fischbach sur l'article 9 ;
–  opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de M. Caflisch, à laquelle se rallie M. Panţîru ;
–  opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de M. Zupančič ;
–  opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de M. Traja ;
–  opinion dissidente de M. Costa.
L.W.    M. B.
Opinion SÉparÉe de M. Le juge fischbach  sur l'article 9
Je ne partage pas l'avis de la majorité comme quoi il ne s'impose pas de procéder à un examen séparé de l'affaire sous l'angle de l'article 9.
Selon moi, la question du respect de la liberté de pensée et de conscience touche au cœur même de cette affaire.
J'estime en effet que les convictions « environnementalistes » ou « écologiques » se rangent parmi celles qui entrent dans le champ d'application de l'article 9 dans la mesure où elles relèvent d'un véritable choix de société. Il s'agit en fait de convictions intimement liées à la personnalité de l'individu et qui déterminent les orientations qu'il donne à sa vie.
Par ailleurs, il est indéniable que la question de la préservation de notre environnement et en particulier des animaux sauvages, a désormais une place privilégiée dans les débats de nos sociétés.
Cela dit, je lis l'article 9 sous l'angle de deux normes parfaitement distinctes. La première, inscrite dans le premier membre de phrase du premier paragraphe, garantit de façon absolue la liberté de pensée, de conscience et de religion : toute ingérence d'un Etat contractant résulte en principe en une violation de la Convention. La seconde figure dans le deuxième membre de phrase du premier paragraphe : elle consacre la liberté de changer de religion ou de conviction et celle de manifester ses convictions ou sa religion ; seule la liberté de « manifester » est susceptible de faire l'objet des restrictions prévues au paragraphe 2.
Je suis d'avis que la présente affaire relève de la première de ces normes. La question qu'elle pose est en effet très essentiellement la suivante : dans quelle mesure est-il légitime au regard de l'article 9 de la Convention d'obliger des individus à concourir à une activité contraire à leurs convictions ?
J'estime qu'il faut distinguer deux situations. Si l'activité imposée est une activité qui relève sans ambiguïté de l'intérêt général, il peut être admis que, dans certaines circonstances, un Etat membre oblige les individus à y concourir nonobstant leurs convictions. Ainsi, par exemple, un individu ne pourrait valablement invoquer ses convictions antimilitaristes pour refuser de payer des impôts au motif qu'une part de ceux-ci est affectée au budget militaire.
Par contre, obliger un individu à concourir à une activité qui relève d'intérêts essentiellement privés est manifestement contraire à cette disposition ; or tel est bien le cas en l'espèce : les requérants sont tenus d'apporter leur concours à la pratique d'un « sport » – c'est précisément le terme retenu par la loi Verdeille – dont seulement une fraction de la population est adepte, et cela en totale contradiction avec leurs plus profondes convictions.
En conséquence, je conclus à une violation de l'article 9.
Opinion partiellement concordante et Partiellement dissidente de M. le juge CAFLISCH, à LAQUELLE SE RALLIE  M. LE JUGE PANŢîRU
Avec la majorité de la Cour, j'estime qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1, lu conjointement avec l'article 14 de la Convention, ainsi que de l'article 11 de celle-ci, également combiné avec l'article 14. J'éprouve en revanche des difficultés à conclure à une violation de l'article 1 du Protocole no 1 ou de l'article 11 de la Convention, considérés isolément.
Aux termes de l'article 1 du Protocole no 1, une ingérence dans l'usage des biens, en principe illicite, peut devenir licite lorsque la mesure adoptée s'avère « nécessaire pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ». Il doit également exister une proportionnalité raisonnable entre la mesure et l'objectif qu'elle poursuit.
En l'espèce, la législation incriminée vise trois objectifs : la réglementation d'une activité de loisir, dont l'exercice anarchique présenterait de réels dangers ; la démocratisation de la chasse ; et la mise sur pied d'un système permettant la gestion rationnelle et efficace du patrimoine cynégétique et, partant, la protection de l'environnement.
On se demandera dès lors si l'atteinte à la propriété résultant de la loi Verdeille est nécessaire pour réglementer la chasse conformément à l'intérêt général et si elle est raisonnablement proportionnelle aux objectifs qui viennent d'être énoncés. En étudiant ces questions, il ne s'agit pas forcément d'examiner si l'Etat défendeur aurait pu atteindre son but par d'autres mesures, par exemple au moyen d'un système exclusif d'octroi de permis par les autorités, car l'Etat dispose d'une certaine marge d'appréciation.
Dans l'affaire Mellacher et autres c. Autriche (arrêt du 19 décembre 1989, série A no 169, pp. 25-27, §§ 45-47), la Cour a affirmé que « le législateur doit jouir d'une grande latitude pour se prononcer tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public appelant une réglementation que sur le choix des modalités d'application de cette dernière ». Elle respecte donc le choix opéré par le législateur national, « sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable », c'est-à-dire en l'absence d'un « juste équilibre » entre l'intérêt général et la nécessité de préserver des droits individuels, soit à défaut de proportionnalité raisonnable entre l'objectif visé et les moyens utilisés (ibidem, p. 27, § 48). Il est vrai que l'arrêt Mellacher, consacré lui aussi à l'interprétation de l'article 1 du Protocole no 1, porte sur une matière passablement différente de celle examinée en la présente affaire : une réduction de loyers opérée, par l'effet de la loi, au préjudice des propriétaires. Toutefois, les principes  
énoncés dans cet arrêt sont formulés de façon très large et, partant, paraissent susceptibles d'application générale.
De toute évidence les éléments utilisés par la Cour pour décider si, dans un cas donné, un Etat a violé la liberté garantie à l'article 1 du Protocole no 1 – jugement « manifestement déraisonnable » du législateur, « juste équilibre », « proportionnalité raisonnable » – comportent un degré appréciable de subjectivité ; il ne saurait en être autrement. On peut ainsi estimer, contrairement à la majorité de la Cour, que l'article en question, pris isolément, n'a pas été violé en raison de l'importance de l'objectif poursuivi par la loi Verdeille, qui dépasse la simple réglementation d'un loisir et qui comporte des aspects économiques et écologiques, en raison de la marge de liberté dont jouissait le Gouvernement dans le choix des moyens pour réaliser cet objectif et compte tenu de l'absence de disproportion évidente entre l'objectif en cause et les moyens retenus pour l'atteindre.
Reste à savoir si l'article 1 a été violé lorsqu'il est considéré conjointement avec l'article 14 de la Convention, qui interdit la discrimination. La loi Verdeille fait en effet une distinction entre grands et petits propriétaires : les premiers sont soustraits à l'emprise des Associations communales de chasse agréées (ACCA) et habilités à régler individuellement la chasse sur leur propriété, alors que les seconds perdent leur droit exclusif de chasser sur leur propre terrain ; de même doivent-ils tolérer, pendant de longs mois, que d'autres membres de leur ACCA s'y adonnent à la chasse, ce qui réduit considérablement leur droit de propriété et crée un danger certain.
D'après la jurisprudence de la Cour (arrêt Darby c. Suède du 23 octobre 1990, série A no 187, p. 12, § 31, et jurisprudence citée ; voir également l'arrêt Van Raalte c. Pays-Bas du 21 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 186, § 39, et jurisprudence citée), un traitement n'est discriminatoire qu'en l'absence de « but légitime » et d'un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé », ce qui est le cas, en particulier, dans des situations où l'utilité même de la discrimination est douteuse. Ces éléments semblent faire défaut en l'espèce. Le Gouvernement n'a pas démontré que la discrimination opérée est même utile pour atteindre le but visé, bien au contraire. Le législateur français demande d'importants sacrifices aux petits propriétaires, qui ne peuvent que très difficilement s'y soustraire. Il abandonne en revanche aux grands propriétaires le soin de pourvoir eux-mêmes, sur leurs terres, à la préservation des ressources cynégétiques sans aucune entrave à leurs droits de propriété (article L. 222-14 du code rural), mais les devoirs qu'il leur   impose sont à la fois peu onéreux et vagues, ce qui, d'ailleurs, préjuge de l'efficacité de la loi dans son ensemble. Qui plus est, on ne voit pas en quoi et pourquoi un domaine supérieur à une superficie de 20 hectares pourrait être efficacement géré par son propriétaire, alors que le contraire serait vrai pour une surface inférieure. Il est donc difficile de prétendre qu'une proportionnalité raisonnable existe entre les sacrifices importants imposés aux uns mais non aux autres, surtout lorsque le système discriminatoire ainsi mis en place, en définitive, ne revêt pas l'efficacité voulue. Peut-être ce système fonctionnerait-il mieux s'il était applicable à tous, petits et grands, et si son champ d'application territoriale était plus étendu. En l'absence de proportionnalité raisonnable entre le but visé et le mécanisme discriminatoire instauré par la loi Verdeille, on doit conclure, avec la Cour, à la violation de l'article 1 du Protocole no 1, lu conjointement avec l'article 14 de la Convention.
Le problème de la violation de l'article 11 de la Convention se présente de façon assez semblable. Des entorses à cette disposition, qui protège aussi le droit d'association négatif (arrêt Sigurđur A. Sigurjónsson c. Islande du 30 juin 1993, série A no 264, pp. 15-17, §§ 35-37), sont autorisées par le paragraphe 2 de celle-ci. Le Gouvernement prétend que l'inclusion forcée de certains propriétaires dans les ACCA s'analyse certes en une ingérence de l'Etat dans la liberté d'association, mais que cette ingérence vise « la protection des droits et libertés d'autrui » (article 11 § 2 de la Convention) et, de ce fait, constitue une restriction légitime.
Le système mis en place par la loi Verdeille, avec l'obligation qu'il impose aux petits propriétaires terriens d'adhérer à des ACCA, vise à démocratiser la chasse, à réglementer celle-ci et, également, à assurer une meilleure protection du patrimoine cynégétique, objectifs que l'on peut faire rentrer dans la rubrique « protection des droits et libertés d'autrui » figurant à l'article 11 § 2. Il semble possible, ici encore, de qualifier de raisonnablement proportionnelle l'ingérence étatique face à l'objectif visé, ce qui aboutit à conclure à l'absence d'une violation de l'article 11 pris isolément.
Cette constatation étant faite, il faut toutefois rappeler le caractère discriminatoire de la loi Verdeille, d'abord du fait qu'elle n'est pas appliquée partout à tous les domaines qui se prêtent à la chasse, ensuite et surtout parce qu'elle ne vaut pas pour tous puisque les grands propriétaires y demeurent soustraits. Les mesures mises en place par cette loi pourraient se justifier, même sous l'angle de l'exigence de non-discrimination, si la loi Verdeille était raisonnablement proportionnée à l'effet qu'elle produit. Mais, comme on a tenté de le démontrer à propos de l'article 1 du Protocole no 1, cet effet est des plus incertains, précisément en raison du caractère discriminatoire des mesures prévues.
Je parviens ainsi à la conclusion que l'article 1 du Protocole no 1 et l'article 11 de la Convention n'ont été violés que lorsqu'ils sont considérés conjointement avec l'article 14 de la Convention.
Opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de M. le juge Zupančič
(Traduction)
I.
A mon sens, l'affaire a été mal délimitée au départ et la question déterminante qui aurait dû être au centre de l'enquête a de ce fait été réduite en plusieurs éléments distincts. Si, en l'espèce, le litige avait été traité sous l'angle de la discrimination lato sensu, le problème se serait posé en ces termes : « La loi Verdeille a-t-elle créé une discrimination à l'égard des propriétaires opposés à la pratique de la chasse, en accordant des droits prétendument excessifs aux chasseurs ? »
Pour examiner la question dans une juste perspective, il y a lieu de comprendre, cela va de soi, que la quasi-totalité des normes juridiques –ordre, interdiction ou autorisation – établit une distinction entre différentes catégories (classes) de sujets de droit. Même les lois pénales instaurent une « discrimination » en ce sens entre ceux qui continuent d'être présumés innocents et ceux qui ont été reconnus coupables. Tout système juridique fonctionne selon des distinctions conceptuelles entraînant des conséquences juridiques (droit constitutionnel, civil, pénal, administratif, international, etc.). En latin, le verbe « discriminare » signifie tout simplement « établir une distinction », « percevoir des différences pertinentes », etc.
Et pourtant, même dans le langage courant, le terme « discrimination » a une connotation péjorative, sauf lorsque la différence de traitement d'une personne (ou de toute une catégorie de personnes) a une justification raisonnable1. Lorsqu'une telle distinction, découlant d'un préjugé ou d'un simple manque d'approche rationnelle, est associée à l'usage du pouvoir, on parle d'arbitraire, de caprice, d'inconstance, d'irrégularité, d'imprévisibilité... Intuitivement, nous saisissons que ces attributs sont absolument incompatibles avec l'idéal de l'état de droit, Rechtsstaat, etc.
L'idéal de l'état de droit présuppose par ailleurs la généralité des lois, c'est-à-dire leur égale applicabilité, sans équivoque (in abstracto) et leur application uniforme (in concreto). C'est la raison pour laquelle les lois doivent être promulguées à l'avance et être abstraites, par opposition aux leges in privos datae, par exemple.
Un degré élevé de différenciation conceptuelle, autrement dit la création constante de nouvelles distinctions normatives, est ce qui caractérise un  
système juridique élaboré par rapport à un système primitif. Les systèmes juridiques élaborés sont donc placés devant un dilemme fondamental : « Comment maintenir l'égalité des citoyens devant la loi, l'égalité de la protection conférée par les lois tout en instituant toujours de nouvelles distinctions juridiques (« discriminations »), de nouvelles catégories juridiques, de nouvelles classes de sujets de droit bénéficiant d'un traitement différent... ? » La contradiction propre au droit est donc le balancement permanent entre les impératifs d'égalité, d'une part, et le besoin constant de créer une nouvelle discrimination, d'autre part.
Cette dialectique étant à la base de tout ce qui est droit – création de nouvelles lois, uniformité de la jurisprudence, principe stare decisis, usage non arbitraire du pouvoir exécutif – le répertoire rigide de notions juridiques ne peut plus, en dernière analyse, nous fournir des critères de jugement précis et fiables. Les systèmes juridiques et leurs différents modes d'interprétation des normes juridiques fournissent des critères ad hoc pour trancher conformément à la loi. Mais lorsque se pose, par exemple devant une Cour constitutionnelle, la question de savoir si une loi donnée risque ou non en soi d'être discriminatoire, ces critères ne sont guère utiles.
Les Cours constitutionnelles et les Cours suprêmes d'aujourd'hui, dotées d'un pouvoir de contrôle juridictionnel et sans cesse amenées à se prononcer sur des questions de discrimination, doivent recourir au critère métajuridique du caractère raisonnable lorsqu'elles déterminent si une loi, une décision judiciaire ou administrative donnée est entachée d'arbitraire, de caprice, de discrimination sans fondement, etc.
Il va sans dire que ce critère de « caractère raisonnable » risque de dégénérer en une réflexion étrangère au droit. Un examen trop minutieux de la validité des intentions du législateur incitera le juge à transgresser les limites de la retenue judiciaire. Et pourtant ce n'est pas de retenue judiciaire qu'il s'agit. Ce qui importe, c'est de préserver l'autonomie du raisonnement juridique.
A l'autre extrémité, on trouve une régression timorée et défensive vers des formules juridiques d'un formalisme positiviste propre aux nouvelles Cours constitutionnelles qui n'ont pas encore pris position par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif. Mais comme nous l'avons signalé plus haut, les simples préceptes n'ont pas lieu d'exister devant les juridictions de dernière instance ; lesquelles doivent aller au-delà de la simple interprétation des lois relevant des tribunaux de droit commun.
Il nous faut, semble-t-il, ménager un « juste équilibre » entre ces deux extrêmes, lorsque nous interprétons la Convention et les dispositions de son article 14.
II.
Il est toutefois heureusement beaucoup plus facile de dire ce qui n'est pas raisonnable que ce qui est raisonnable. L'affaire dont nous sommes saisis, si elle était définie en termes de discrimination, poserait l'unique problème de la justification de la différence de traitement entre propriétaires opposants à la chasse et chasseurs. L'affaire a été assez politisée par les requérants eux-mêmes pour que cette question de principe soit au centre de la controverse. Les propriétaires opposés à la chasse allèguent en fait que le lobby des chasseurs en France est un groupe d'intérêt privilégié sur le plan politique. Les requérants soutiennent en outre, de manière presque idéologique, qu'en principe, ils réprouvent viscéralement autant le fait de tuer des animaux que celui d'être, eux, membres de droit d'une Association communale de chasse agréée (ACCA).
Ce qui obscurcit quelque peu cette question évidente est le fait que les propriétaires en cause fondent leur position (legitimatio activa) sur leur droit patrimonial, c'est-à-dire sur le fait qu'ils sont propriétaires de la terre sur laquelle se pratique la chasse. Imaginez, toutefois, que sans posséder aucune terre, ils soient opposés au principe de tuer du gibier, par exemple parce qu'ils défendent les droits des animaux. Ils soutiendraient que la loi qui autorise la chasse en soi, du fait qu'elle a un fondement suspect, crée à leur encontre une discrimination ; ils devraient arguer que cette loi confère aux chasseurs le droit de tuer des animaux, alors que le législateur méconnaît abusivement leur opposition de principe à cette « pratique barbare ».
Pour replacer ces propos dans le contexte, il faudrait dire que le législateur a créé ici la classe très fermée des « chasseurs » jouissant de privilèges prétendument déraisonnables. Au nom de ces privilèges déraisonnables accordés aux chasseurs, les opposants à la chasse allégueraient être désavantagés, autrement dit victimes d'une discrimination. De plus, ils soutiendraient que les privilèges des chasseurs n'ont pas de fondement rationnel, la pratique de la chasse ne servant aucun objectif social identifiable mais constituant une survivance anachronique de prérogatives aristocratiques, une quête du plaisir, etc. Ils plaideraient que l'octroi du droit de chasse – indépendamment du lien de propriété – est arbitraire puisque dépourvu d'une quelconque justification raisonnable.
Dans la présente affaire, il faut admettre, a fortiori, que les privilèges juridiques accordés sans fondement rationnel sont des ingérences nuisibles et arbitraires (les immissiones du droit romain) pour ceux que la loi oblige à tolérer leur exercice légal sur leur propre terre. Dire que les intéressés ont la possibilité d'échapper à cette situation en clôturant leurs 20 hectares de propriété ajoute, semble-t-il, l'insulte au préjudice. Il est donc clair que la question examinée est bien celle de la discrimination per se.
III.
Néanmoins, il ne m'apparaît pas clairement que la chasse en soi ne poursuive aucun but identifiable, social ou autre. S'il en était ainsi, sa pratique serait catégoriquement interdite dans certains pays. Or je ne connais pas de tels pays. Je pourrais convenir, arguendo, que la catégorie d'opposants à la chasse peut se considérer victime d'une discrimination, surtout si elle estime que la chasse est une pratique abominable impliquant que l'on tue des animaux innocents.
Mais il est manifeste aussi que cette affaire revient à examiner l'aspect raisonnable ou non de la chasse en tant que pratique sociale. Puisqu'il ressort également qu'il est impossible de dire, sauf dans une perspective purement idéologique, que la chasse est déraisonnable, la Cour se trouve dès lors dans la position de devoir mettre en balance, d'une part, le caractère raisonnable de la chasse et, d'autre part, les « immissiones » (ingérences) que doivent souffrir sur leur terre les opposants à la chasse. Sous l'angle de l'égalité de protection, il s'agit de savoir si la discrimination alléguée est liée rationnellement à un intérêt législatif légitime.
A cet égard, il faut convenir que la loi Verdeille est maladroite : en effet, on pourrait dire, du moins pour certains de ses aspects, qu'elle n'a pas de lien rationnel avec l'intérêt social légitime. Elle présente néanmoins des aspects positifs, comme M. le juge Costa l'a expliqué avec conviction dans son opinion dissidente. Il y a lieu de garder à l'esprit que la plupart des problèmes découlent de ce que la loi Verdeille recherche un compromis équitable entre le droit de chasse et les droits des propriétaires privés. Si les deux aspects étaient distincts, comme c'est le cas dans de nombreux pays où les propriétaires ne sont pas membres de droit d'une organisation de chasse et n'ont ni le droit ni la possibilité d'exclure autrui de la chasse sur leur terre, les solutions assez maladroites que propose la loi Verdeille ne seraient même pas nécessaires. Il est donc quelque peu inopportun de pénaliser le législateur français d'avoir tenté de trouver un juste équilibre entre les droits des chasseurs et ceux des propriétaires fonciers – ce qui l'a exposé au reproche de créer une discrimination. C'est aussi la raison pour laquelle je ne saurais admettre l'argument selon lequel la loi Verdeille ne satisfait pas au critère de lien rationnel.
Il faudrait toutefois aussi comprendre que la discrimination fondée sur le critère de faible lien rationnel s'applique à des questions sociales et économiques – la chasse par rapport à la protection de l'environnement, par exemple. Si une telle classification fondée sur la race, l'aliénation ou l'origine nationale était suspecte, etc., un examen minutieux s'imposerait : la Convention serait réputée violée, sauf à prouver l'existence d'un intérêt impératif de l'Etat pour le service duquel la loi en question aurait été taillée. Si le sexe ou l'illégitimité, etc., était en jeu, il faudrait procéder à un contrôle des plus stricts, et la loi serait contraire aux dispositions de la Convention, à moins d'établir quant au fond le lien avec un intérêt d'Etat suffisamment important.
Il existe, certes, des cas où l'égalité de protection s'applique spécifiquement aux litiges constitutionnels portés devant les Cours constitutionnelles, mais la seule différence pertinente est que nous statuons in concreto et inter partes, l'impact abstrait erga omnes de notre décision étant implicite lorsque nous nous prononçons sur une requête individuelle. Sur le fond, le problème de la discrimination reste le même.
A part cela, j'admets à l'instar de la majorité que le privilège intentionnel que constitue l'appartenance de droit à une ACCA risque pour certains propriétaires d'être un privilegium odiosum, c'est-à-dire une violation de leur liberté d'association – pour des raisons purement subjectives, morales, voire idéologiques.
opinion partiellement concordantE et partiellement dissidente de M. le juge Traja
(Traduction)
Je suis d'accord avec M. le juge Costa, pour les raisons qu'il indique dans son opinion, sur l'absence de violation de l'article 1 du Protocole no 1, pris séparément ou combiné avec l'article 14 de la Convention, mais je souscris également à l'avis de M. le juge Caflisch, dans la mesure où il constate une violation de l'article 11 de la Convention combiné avec l'article 14.
opinion dissidente de M. le juge costa
1. La majorité de la Cour a retenu la violation de plusieurs articles de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1. Je n'ai pu la suivre sur aucun de ces points.
2. Au-delà de la situation individuelle des requérants, qu'il faut bien entendu examiner in concreto, se pose le problème plus général de la compatibilité de la législation française en matière de chasse, et en particulier de la loi du 10 juillet 1964, dite loi « Verdeille », avec la Convention et ses Protocoles. Nul ne conteste, en effet, que les décisions administratives et judiciaires qui ont été opposées aux requérants ont fait une application correcte de cette loi.
3. Il faut rappeler avant tout que celle-ci, appliquée depuis quelque trente-cinq ans, a eu pour objet et a pour effet de réglementer la chasse en France, tout spécialement dans le Sud de la France où, du fait du morcellement de la propriété rurale et de la très grande liberté de chasser, la chasse (dite « banale ») était devenue quasi anarchique ; cela avait des conséquences fâcheuses sur le gibier, sur les cultures, et finalement sur tout l'écosystème. Loin de viser les seuls intérêts égoïstes des chasseurs, la loi Verdeille poursuit un véritable objectif d'intérêt général : il s'agit de pallier le morcellement foncier, et aussi d'éviter le braconnage, tout en favorisant la destruction des nuisibles et en permettant la constitution de réserves de chasse.
4. L'axe principal de cette recherche de l'intérêt général passe par la constitution d'Associations communales de chasse agréées (les « ACCA ») ; celles-ci doivent être créées dans certains départements, et peuvent l'être dans d'autres. Les départements où l'institution des ACCA est obligatoire sont ceux où le préfet le propose, mais il lui faut l'avis conforme du conseil général, formé de représentants du peuple élus au suffrage universel direct ; dans les départements où la création des ACCA est facultative, elles ne peuvent être constituées que dans les communes où une majorité qualifiée de propriétaires (représentant une majorité qualifiée de la surface du territoire communal) sont d'accord. Ce double souci de démocratie, au niveau départemental et communal, ne saurait, à mon sens, être reproché au législateur, de sorte que le fait que seulement un petit tiers des communes françaises compte des ACCA ne signifie nullement que la loi n'exprimerait pas l'intérêt général. Faut-il d'ailleurs souligner que le territoire cynégétique ne se confond pas, tant s'en faut, avec le territoire national pris dans son ensemble ? Dans un pays industriel et post-industriel, les communes sur le territoire desquelles la chasse est envisageable, ou a un sens, sont loin de représenter la totalité des villes et même des villages.
5. Par ailleurs, ces ACCA, et c'est en réalité le cœur du problème, ont pour objet principal de gérer des territoires de chasse suffisamment grands, constitués par le regroupement (aux seules fins cynégétiques, bien sûr) des terres des propriétaires de la commune.
6. S'il faut insister sur l'intérêt public que revêt l'organisation de la chasse, c'est à la fois parce qu'il semble avoir été quelque peu sous-estimé en l'espèce, et parce que la jurisprudence de la Cour y attache légitimement une grande importance, notamment pour l'application des articles invoqués par les requérants. En fait, les deux problèmes majeurs posés par cette affaire étaient l'atteinte au droit de propriété et la méconnaissance du droit d'association négatif, toutes deux au regard de cet intérêt général d'une politique cynégétique.
7. S'agissant du droit de propriété, la Cour, suivant en cela la lettre et l'esprit de l'article 1 du Protocole no 1, et notamment de son paragraphe 2, a toujours admis que les Etats avaient le droit « de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ».
A mon avis, c'est exactement ce qu'a fait la France. Certes, la loi Verdeille implique que les propriétaires regroupés dans les ACCA, même non chasseurs, même opposés à la chasse, consentent, bon gré, mal gré, que les chasseurs viennent exercer leur activité sur leurs terres, non pas, encore une fois, pour se livrer simplement à un sport, mais pour participer d'une véritable mission d'intérêt général (même si le comportement individuel de certains chasseurs peut malheureusement le faire oublier).
8. Certes, la Cour exige de façon constante que les atteintes au libre usage des biens soient raisonnablement proportionnées, qu'il existe un équilibre raisonnable entre intérêt général et droits fondamentaux.
9. Précisément, cet équilibre ne me semble nullement rompu ici. Des trois attributs du droit de propriété, seul l'« usus » est atteint ; l'« abusus » ne l'est pas, et le « fructus » – qui ne concerne sans doute pas les requérants, viscéralement hostiles à toute chasse – ne l'est pas non plus : la loi indemnise les propriétaires de la perte de recettes provenant de la perte de revenus antérieurs à la constitution des ACCA. Même les atteintes à l'« usus » ne sont ni générales ni absolues : elles sont limitées aux périodes annuelles d'ouverture de la chasse (encore les chasseurs, amateurs, ne peuvent-ils guère chasser tous les jours) ; elles sont interdites dans les espaces éloignés de moins de 150 mètres d'une habitation (ce qui représente une superficie de 7 hectares, à comparer, on le verra, à un seuil de 20 hectares normalement). D'autres possibilités sont ouvertes aux adversaires de la chasse pour « protéger » leurs terres (les entourer d'une clôture continue et constante, faire opposition si leur superficie est supérieure au seuil, empêcher par une action collective démocratique qu'il y ait une majorité au conseil général ou une majorité qualifiée dans la commune favorable aux ACCA...). J'admets volontiers que ces possibilités sont souvent plus formelles que réelles, par exemple parce qu'une clôture coûte cher ; mais les passer sous silence serait excessif. Elles reflètent en tout cas un souci indéniable du législateur.
10. S'il faut faire la balance entre l'intérêt général et ces atteintes limitées à l'usage des biens, je ne vois pas que le second plateau soit plus lourd que le premier, sauf à céder à la tentation d'une sacralisation du droit de propriété. Mais une telle sacralisation ne me paraît pas souhaitable. Il ne faudrait pas rendre impossible toute politique de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire, des travaux publics, du remembrement,... On peut être tout à fait favorable à la liberté et à la prééminence du droit – comme les auteurs de la Convention – sans pour autant faire de la liberté individuelle un absolu ou exclure de la prééminence du droit l'intérêt général – ce que les auteurs de la Convention n'ont manifestement pas entendu faire. En matière de chasse, où la marge d'appréciation de chaque Etat devrait être importante, et où de nombreux Etats européens ont des législations qui limitent le droit de propriété individuelle pour pouvoir mener une politique cynégétique, il me semble que l'arrêt de la Cour va dans un sens très individualiste, qui rendra ce type de politiques très difficile à conduire. J'ai en tout cas une grande difficulté à voir en l'espèce une violation de l'article 1 du Protocole no 1.
11. Le deuxième problème touche à la liberté d'association, et plus encore à ce qu'on appelle le droit négatif d'association. A la différence de la Déclaration universelle (article 20), la Convention européenne des Droits de l'Homme n'affirme pas explicitement la règle suivant laquelle nul ne peut être forcé à s'associer mais, fort légitimement, la Cour l'a dégagée de façon prétorienne, non sans nuances cependant (arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981, série A no 44).
12. Cependant, si l'on admet que l'article 1 du Protocole no 1 n'a pas été violé par l'application aux requérants de la loi Verdeille, il n'y a guère de difficultés à admettre aussi la non-violation de l'article 11 de la Convention.
13. Certes, les personnes dans la situation des requérants se trouvent de plano membres d'associations dont elles désapprouvent par principe la finalité et même l'existence. Mais ces associations sont d'un type très particulier, ce qui relativise beaucoup l'importance de la question.
14. En premier lieu, ces associations, qualifiées comme telles par le législateur, et soumises par lui à la loi du 1er juillet 1901, ressemblent beaucoup à des personnes morales de droit public. Leur objet est fixé par la loi Verdeille. Elles font l'objet d'un agrément administratif. Il ne peut y en avoir qu'une seule par commune. Elles ne peuvent pas se constituer librement. Leurs statuts comportent des clauses obligatoires. Elles sont   tenues de constituer des réserves de chasse, d'une superficie minimale fixée par la loi. Le préfet assure leur tutelle et a le pouvoir d'approuver leurs statuts et leur règlement intérieur, ainsi que le règlement de chasse. Il peut aussi dissoudre leur conseil d'administration et le remplacer par un comité de gestion nommé... Bref, au regard de la Convention, la Cour aurait pu considérer qu'il s'agit, non d'associations au sens de l'article 11, mais d'institutions de droit public poursuivant un but d'intérêt général, nonobstant leur qualification en droit interne, ce qui eût entraîné l'inapplicabilité de cet article. Et il y a des précédents en ce sens ; mais peu importe, tant la matière est en quelque sorte subjective. Aussi bien la majorité (non sans de bons arguments) a-t-elle fait prévaloir la qualification que le législateur a donnée aux ACCA, et a-t-elle donc admis que l'article 11 leur était applicable.
15. Mais alors, et en second lieu, les personnes telles que les requérants, si elles peuvent se trouver membres des ACCA sans l'avoir voulu, y disposent de droits, et notamment d'influence sur leurs décisions, sans être soumises en contrepartie aux obligations normales en pareil cas : membres de droit, ces personnes n'ont pas de cotisations à payer et ne sont pas tenues à la couverture du déficit éventuel de l'association. Si on veut bien reconnaître que la liberté d'association – même négative – peut, en vertu de l'article 11 § 2, faire l'objet de restrictions, notamment pour protéger les droits et libertés d'autrui, l'atteinte portée, de par la loi Verdeille, au droit négatif d'association des propriétaires non chasseurs ou hostiles à la chasse peut être regardée comme non disproportionnée, surtout compte tenu de la marge d'appréciation qui doit être laissée aux Etats.
16. En réalité et en troisième lieu, la véritable ingérence qu'opère la loi Verdeille dans des droits et libertés garantis par la Convention touche le droit de propriété. L'association n'est qu'un support juridique, somme toute secondaire, à l'apport de parcelles aux territoires de chasse communaux ou intercommunaux. Ce qui peut gêner les requérants, ce n'est pas d'être membres d'ACCA ; c'est de voir sur leurs terres des chasseurs et leurs chiens. La Cour a d'ailleurs eu raison d'examiner d'abord l'article 1 du Protocole no 1. Ayant considéré que l'article 1 du Protocole n'a pas été méconnu, je ne peux pour ma part reconnaître une violation de l'article 11 de la Convention.
17. Toutefois, même si les droits garantis par l'article 11 de la Convention et par l'article 1 du Protocole no 1, pris isolément, ne sont pas méconnus, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'ils ne le soient pas, combinés avec l'article 14. Autrement dit il peut se poser un troisième problème, touchant à la discrimination. Certains juges ont été d'ailleurs plus sensibles à cet aspect des choses (voir notamment l'opinion partiellement concordante et partiellement dissidente du M. le juge Caflisch).
18. Je ne partage pas non plus cette conviction. S'agissant du droit de propriété, la question est celle de savoir si la distinction entre petites propriétés (normalement moins de 20 hectares, dans certains départements moins de 40 ou de 60) et grandes propriétés est raisonnablement justifiée. Or je crois qu'elle l'est. Le législateur n'a aucunement eu l'intention de pénaliser les « petits » et de privilégier les « gros », ce qui du reste eût été électoralement peu payant (alors que la loi a traversé jusqu'ici neuf législatures !). Son souci a été d'obliger – dans l'intérêt général – à constituer des territoires cynégétiques suffisamment grands du point de vue de l'efficacité (le gibier se moque bien des limites de parcelles). Il fallait donc un seuil raisonnable. Comme tout seuil, il comporte une part d'arbitraire ; mais ce qui compte, c'est que la distinction entre ceux obligés de laisser leurs terres « ouvertes » (sauf à les clôturer) et ceux pouvant en refuser l'accès soit licite au regard de la Convention. Pour cela, il faut qu'elle ne soit pas fondée, par exemple, sur la fortune (article 14) : mais tel n'est pas le cas, ni selon l'intention des auteurs de la loi, ni dans les faits, puisque la surface minimale est totalement indépendante de la valeur des terrains (voir par exemple l'arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, série A no 98). Il faut aussi un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (arrêt Darby c. Suède du 23 octobre 1990, série A no 187). Or le moyen (le seuil) est proportionné au but légitime poursuivi, comme le montre l'exemple de nombreux Etats européens où ce seuil existe, dans la même intention. Quant à la discrimination qui résulterait de ce que, d'une commune à l'autre, selon qu'il y a une ACCA ou non, les petits propriétaires seraient traités différemment, elle tient à la nature d'une loi qui, dans un souci démocratique, a voulu, non imposer d'en haut, mais organiser à partir du bas. Cette précaution, très légitime dans un domaine comme celui de la chasse, dont la présente affaire illustre le caractère affectif, voire passionnel, ne saurait sans paradoxe se retourner contre ceux qui en ont usé.
19. Ayant dit cela, on peut être très bref pour le droit d'association. L'appartenance aux ACCA me semblant une question seconde par rapport à celle de l'usage des biens, j'aurais encore plus de mal à discerner une violation des articles 14 et 11 combinés que de l'article 1 du Protocole no 1, combiné avec l'article 14.
20. Finalement, je me bornerai à constater que l'arrêt de la Cour devrait obliger le Gouvernement et le Parlement à remettre sur le métier l'ouvrage tissé en 1964. Après tout, c'est peut-être une bonne chose tant, dans une telle matière, les lois sont tributaires des mœurs : or il est évident que les mœurs ont changé, que les équilibres sociaux – par exemple entre écologistes et chasseurs – ne sont plus en 1999 ce qu'ils étaient il y a trente-cinq ans. Mais on peut s'interroger sur ce que la future législation devra   prévoir pour se conformer aux exigences de la Cour. Pour paraphraser l'arrêt Mellacher et autres c. Autriche du 19 décembre 1989 (série A no 169, notamment les paragraphes 45 et 48 aux pages 25 et 26), qui est un arrêt de Cour plénière, il faudra que le législateur, dans la manière dont il concevra les impératifs de l'intérêt général, fonde son jugement sur une base raisonnable, et qu'il emploie des moyens raisonnablement proportionnés aux buts visés. Ce ne sera pas facile, mais c'est sûrement possible...
Notes du greffe
1-2.  Entré en vigueur le 1er novembre 1998.
3.  Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, qui a amendé cette disposition, la Cour fonctionne de manière permanente.
4.  Note du greffe : le règlement A s’est appliqué à toutes les affaires déférées à la Cour avant le 1er octobre 1994 (entrée en vigueur du Protocole n° 9) puis, entre cette date et le 31 octobre 1998, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole.
5.  Note du greffe : pour des raisons d’ordre pratique, il n’y figurera que dans l’édition imprimée (le recueil officiel contenant un choix d’arrêts et de décisions de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
1.  Cette différence de traitement peut, bien entendu, être soit discriminatoire (stricto sensu) soit préférentielle. Dans ce dernier cas, on parle de privilèges. Pourtant, les privilèges accordés à une catégorie de sujets de droit vont souvent (et toujours lorsqu’un gain d’un côté entraîne forcément une perte égale de l’autre) à l’encontre des intérêts d’une catégorie. Ce qui est privilège pour l’un peut occasionner une perte à l’autre ou lui nuire.
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE 
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE –
OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE ET PARTIELLEMENT DISSIDENTE
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE 
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE –
OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE ET PARTIELLEMENT DISSIDENTE
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE – OPINION DISSIDENTE 
DE M. LE JUGE COSTA
ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 25088/94;28331/95;28443/95
Date de la décision : 29/04/1999
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-1 ; Violation de l'art. 14+P1-1 ; Violation de l'art. 11 ; Violation de l'art. 14+11 ; Non-lieu à examiner l'art. 9 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 11) LIBERTE DE REUNION ET D'ASSOCIATION, (Art. 11-2) INGERENCE, (Art. 11-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 11-2) PROTECTION DES DROITS ET LIBERTES D'AUTRUI, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) JUSTIFICATION OBJECTIVE ET RAISONNABLE, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (P1-1-1) INGERENCE, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) INTERET GENERAL, (P1-1-2) REGLEMENTER L'USAGE DES BIENS, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : CHASSAGNOU ET AUTRES
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1999-04-29;25088.94 ?

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