Arrêt no 124 du 11 Décembre 1987Source : SIJIP - Système d'informations juridiques, institutionnelles et politiques (A.I.F.)
Ministère Public c. DOMAYAKPOR Cyr AngeRELATION D'AFFAIRES SUIVIE - REMISE D'UNE SOMME IMPORTANTE AU PREVENU SANS REÇU- LIVRAISON NON EFFECTUEE - RECONNAISSANCE-ENGAGEMENT SIGNEE A LA POLICE LE JOUR DE L'ARRESTATION - MANOEUVRE FRAUDULEUSE (NON) - FAUSSE IDENTITE DU PREVENU (NON) - ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION (NON) - RELAXE (OUI) - ACTION DU PREVENU EN DOMMAGES-INTERETS POUR PREJUDICE MORAL ET FINANCIER (OUI) - CHAMBRE CORRECTIONNELLE DE LA COUR D'APPEL INCOMPETENTE POUR ALLOUER LES DOMMAGES-INTERETS - RENVOI A MIEUX SE POURVOIR - INFIRMATIONLORSQUE DEUX PERSONNES SONT EN RELATION D'AFFAIRES SUIVIE, ET QU'IL Y A RETARD POUR L'UNE DE FOURNIR DES LIVRAISONS, LA COUR D'APPEL NE SAURAIT PRENDRE EN COMPTE UNE RECONNAISSANCE- ENGAGEMENT ESTORQUÉE À LA POLICE LORS DE L'ARRESTATION DU PRÉVENU, COMME PIÈCE À CONVICTION D'UNE PRÉTENDUE REMISE DE FONDS, NI L'ÉVOCATION D'UNE FAUSSE IDENTITÉ DANS LA MESURE OÙ CELLE-CI N'A PAS ÉTÉ DÉTERMINANTE POUR LA REMISE PRÉTENDUE.
DOIT ÊTRE INFIRMÉ TANT SUR LE PLAN PÉNAL QUE CIVIL, LE JUGEMENT QUI, POUR RETENIR UN PRÉVENU DANS LES LIENS DE LA PRÉVENTION POUR LE DÉLIT D'ESCROQUERIE, ASSEOIT SA CONVICTION SUR DES BASES AUTRES QUE LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION, ET LE PRÉVENU AINSI CONDAMNÉ DOIT ÊTRE RENVOYÉ DES FINS DE LA POURSUITE, ET POUR LE PRÉJUDICE SUBI DU FAIT DE SA DÉTENTION, LA COUR SE DÉCLARE INCOMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE LA CAUSE ET LE RENVOIE À MIEUX SE POURVOIR, SA SAISINE AYANT ÉTÉ ÉPUISÉE DU FAIT DE LA RELAXE PRONONCÉE.
Président : Georges BADAGreffier : Af Ag ALLABIConseillers : ALKOIRET-TRAORE Ousmane ; ATIOUKPE AlexisAvocat Général : Jean-Baptiste MONSIAvocats : Ac X ; Ai Ah Y ; Paul AGBO
La Cour
Vu le jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou en date du 8 Mai 1987 déclarant Cyr Ad A, coupable, et le condamnant à trente six (36) mois de prison ferme et à payer à dame C Aj, la somme de 24.000.000 francs ;
Vu les appels respectifs de Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu et du Ministère Public, en date du 14 Mai 1987 contre ledit jugement ;
Ouï M. le Président en son rapport ;
Ouï Maître AGBO C. Paul, substituant Maître KOFFIGOH, Conseil du prévenu, en ses dires et observations ;
Ouï le Ministère Public en son requisitoire tendant à voir infirmer le jugement entrepris ;
Nul pour la partie civile et son Conseil Maître AGBANTOU qui, régulièrement avertis, se sont abstenus de comparaître ;
Vu les pièces du dossier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement en matière correctionnelle et en appel par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Attendu qu'en date du 14 Mai 1987, le prévenu A Cyr Ad, par l'organe de Maître AGBO C. Paul et le Ministère Public, ont relevé appel du jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou, rendu le 8 Mai 1987 ;
Que les appels sont intervenus dans les forme et délai de la loi ; Qu'il échet de les déclarer recevables ;
Les faits de l'espèce sont les suivants :
Le prévenu A Cyr Ad, Agent commercial de nationalité togolaise, de passage à Aa, fit la connaissance de dame C Aj, commerçante de son état, par l'intermédiaire du nommé B Ak, le 8 Octobre 1984 ; très vite, des relations d'affaires s'établissent entre eux ; ainsi, le prévenu A Cyr Ad a eu à livrer à crédit, diverses marchandises telles : du riz, du sucre, des cartons de cigarettes, etc... à dame Aj C qui, manifestement satisfaite de cette prestation, passa de plus en plus de commandes au prévenu qui les honorait jusqu'à la commande (1.000) mille cartons de cigarettes soit 970 cartons de "BENSON" et 150 cartons de "KING SIZE", le tout pour un montant global de 93.850.000 francs, mais dont la livraison accuse du retard de la part du prévenu A Cyr Ad ;
La dame Aj C n'admettant pas ce retard, a commencé par harceler A Cyr Ad de toutes les façons possibles exigeant la livraison immédiate des (1.000) cartons de cigarettes commandés ou le remboursement d'une certaine somme d'argent dont le montant a varié de dix huit millions à, en définitive, 24.100.000 francs ; devant les dénégations et résistance de A Cyr Ad, ce dernier fut vidé de l'Hôtel "ETOILE ROUGE", appréhendé et conduit "manu militari" par dame C Aj, Maître AGBANTOU et leur groupe, au Commissariat de Cadjèhoun vers 22 heures ; là, le lendemain, on l'obligea à rédiger les deux "Reconnaissance et Engagement" datés du 20 Octobre 1984 ; la Police de Cadjèhoun établit contre A Cyr Ad, le procès-verbal n° ; 127/CC/DUC 6/SUC du 20 Octobre 1984 et le déféra au Parquet de Cotonou pour escroquerie ;
Le Tribunal Correctionnel de Cotonou saisi du dossier, déclara par le jugement n° ; 416/B du 8 Mai 1987 A Cyr Ad, convaincu d'escroquerie et le condamna à 36 mois de prison ferme et à payer à titre de dommages-intérêts à dame Aj C la somme de 24.100.000 Francs ;
C'est de cette décision qu'appels furent interjetés par Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu A Cyr Ad et par le Ministère Public, le 14 Mai 1987 ;
Sur le plan pénal
Attendu qu'au soutien de son appel, Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu A Cyr Ad souligne, qu'en la forme, le procès-verbal d'enquête policière n° ; 127/DUC 6/SUC du 20 Octobre 1984 sur lequel est fondé la poursuite du Parquet, encourt nullité pour arrestation du prévenu en dehors des heures légales (22 heures de nuit) et par des personnes n'ayant ni la compétence, ni surtout la qualité pour le faire (dame Aj, Maître AGBANTOU et leur monde) ;
Que sur le fond, depuis la Police jusque devant la Cour, le prévenu A Cyr Ad a toujours rejeté avoir pris une quelconque somme d'argent de dame Aj C, partie civile ; Qu'il a administré la preuve de la véracité de cette dénégation par l'audition du témoin B Ak cité par les accusateurs eux-mêmes comme l'intermédiaire pour la remise de la fameuse somme de 24.100.000 francs ; qu'au surplus, la simple lecture des deux (2) "Reconnaissance - Engagement" relève que, s'il y avait dans le cadre de la commande des 1.000 cartons de cigarettes dont le montant s'élève à 93.850.000 frcs, c'était à titre d'acompte ou avance et que cette remise n'aurait pu être opérée que volontairement par dame Aj C vu le climat de confiance qui régnait entre les deux ; Qu'il n'y a eu aucune manoeuvre frauduleuse du prévenu qui aurait déterminé cette sorte de remise de fonds, si ce n'est l'appât du gain de la part de dame C Aj dont la mauvaise foi s'avère évidente en la cause ;
Qu'en considération de tout ce qui précède, il sollicite qu'il plaise à la Cour, infirmer le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou en toutes ses dispositions, et évoquant, dire que le délit d'escroquerie mis à la charge de A Cyr Ad n'est pas constitué, faute d'élément intentionnel ; relaxer purement et simplement A Cyr Ad et lui allouer (10.000.000 de francs), toutes causes de préjudices confondues pour toutes les vexations subies du fait de la dame Aj C ;
Attendu que le Ministère Public de son côté, déplore la décision du premier Juge s'agissant de relations d'affaires entre le prévenu et la partie civile, C Aj, que tous les commerçants ayant traité avec le prévenu, ne l'ont connu que sous l'identité A Cyr Ad comme l'attestent les pièces officielles de l'intéressés ; Que dès lors, la prévention d'escroquerie tenant à l'usage, même s'il était prouvé, n'a nullement déterminé la remise des prétendus Vingt Quatre millions cent mille (24.100.000) francs par dame Aj C ;
Qu'en conséquence, il requiert l'infirmation du jugement entrepris, la relaxe de A Cyr Ad et l'allocation de dommages-intérêts de 10.000.000 (Dix millions de francs) pour tous les préjudices subis, du fait de l'arrestation, les tracasseries diverses subies, la prison de 34 mois purgés pour rien, comme réclamés ;
Attendu que dame C Aj, bien que non appelante, a été régulièrement convoquée tant par le truchement de la police que de son propre Avocat, Maître AGBANTOU présent ; mais s'est abstenue, comme son Conseil, de comparaître devant la Cour, le 16 Octobre 1987 retenu d'accord parties en vue de s'expliquer sur l'accusation qu'elle formule contre le prévenu A Cyr Ad ;
Qu'une telle attitude vis-à-vis de la Cour, s'assimile à tout le moins, à un désintéressement de sa cause, attitude dont la juridiction se doit de tirer toutes les conséquences ;
Attendu que l'examen des pièces du dossier et l'étude du témoignage fondamental du sieur Ak B révèle que la somme de 24.100.000 francs figuré aux deux "Engagement - Reconnaissance" du 20 Octobre 1984 déposés au dossier, n'a jamais été versée dans les mains du prévenu ; Que les engagement - reconnaisance lui ont été imposés à dessein alors qu'il était déjà entre les mains de la Police ;
Attendu que lesdits "Engagement - Reconnaissance" pour être crédibles, auraient dû être normalement délivrés à la date même où l'argent a été supposé remis au prévenu A Cyr Ad par dame C Aj et non au commissariat de Police, le 20 Octobre 1984 ;
Attendu que le versement de la somme de Vingt quatre millions cent mille (24.100.000) francs est d'ailleurs nié énergiquement par le prévenu, confirmé en cela par le sieur B Ak indiqué comme témoin par Aj C, elle-même ;
Que les "Engagement - Reconnaissance" sont du 20 Octobre 1984, date même du procès-verbal du Commissariat de Police de Cadjèhoun où le prévenu A Cyr Ad était detenu ; Que cette constatation matérielle atteste la violence morale ou extorsion alléguée par A Cyr Ad et oblige la Cour à les écarter des débats ;
Mais attendu que même si l'on maintenait ces documents aux débats, leur lecture attentive démontre à l'évidence qu'il s'agissait d'une relation commerciale entre la partie civile, dame Aj C et le prévenu A Cyr Ad puisque la somme de 24.100.000 francs dont le versement se trouve contesté, y est dénommée "Une avance" pour la commande... ;
Attendu de plus que desdits documents, il ressort nettement que, si remise des 24.100.000 frcs. Il y avait eu, celle-ci n'a nullement été le résultat de l'emploi d'une quelconque manoeuvre frauduleuse consistant en la prise d'un faux nom par le prévenu, ce dernier s'étant toujours présenté à la dame Aj C sous l'identité A Cyr Ad, identité enregistrée par la Police et confirmée devant le Tribunal Correctionnel de Aa dont la décision est ici déférée ; Que vainement il est évoqué un patronyme HOUEDO par le premier Juge pour en tirer l'élément de culpabilité du prévenu ;
Attendu qu'au surplus, il est de jurisprudence constante que même la prise d'un faux nom - si elle se trouve avérée, ce qui est loin d'être le cas en l'espèce - ne constitue l'escroquerie que si elle a été la cause déterminante de la remise des fonds (Crim. 22 Novembre 1917 Bull Crim n° ; 242) ;
Attendu qu'en l'espèce, les parties entretenaient des relations d'affaire suivies ;
Attendu que de tout ce qui précède, il appert que le prévenu A Cyr Ad n'a nullement commis l'escroquerie à lui reprochée ;
Qu'en conséquence, il échet d'infirmer tant sur le plan pénal que civil, le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou querellé et évoquant, de relaxer le prévenu A Cyr Ad pour délit non constitué, de mettre les frais à la charge du Trésor Public ;
Sur le plan civil
Attendu que Maître AGBO C. Paul, pour le compte de A Cyr Ad, sollicite l'allocation de 10.000.000 de francs toutes causes de préjudices confondues pour les tracasseries policières et autres et pour les 34 mois de prison sur 36 purgés par son client ;
Attendu que le Ministère Public déclare s'en rapporter pour la fixation du quantum ;
Attendu que tout fait quelconque de l'homme qui crée un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à réparer ; (article 1382 du Code Civil) ;
Attendu que c'est bien sur l'action volontaire de dame Aj C que le prévenu A Cyr Ad a été détenu à la Police puis déféré, jugé et emprisonné pour plus de trente quatre (34) mois pour escroquerie ;
Attendu que la prévention d'escroquerie mise à la charge de A Cyr Ad a été déclaré non constituée par la Cour de céans ; Que c'est donc à bon droit que le prévenu A Cyr Ad, relaxé pour délit non constitué, par la voix de son Conseil Maître AGBO C. Paul demande réparation des dommages à lui réellement causés suite à son arrestation et à sa condamnation à 36 mois de prison ferme ;
Attendu que si cette constitution de partie civile est régulière en la forme, la Cour de céans ayant relaxé le prévenu pour délit pénal non constitué, a épuisé sa compétence et doit se déclarer incompétente à se prononcer sur les dommages-intérêts réclamés, et renvoyer le prévenu, relaxé et ses Conseils à mieux se pourvoir ;
Par ces motifs :
Et ceux non contraires du premier Juge que la Cour adopte après en avoir délibéré conformément à la loi
Par Arrêt public, contradictoire en appel correctionnel et en dernier ressort
En la Forme :
Reçoit les appels respectifs de Maître AGBO C. Paul pour le compte du prévenu A Cyr Ad et du Ministère public en date du 14 Mai 1987, contre le jugement correctionnel n° ; 416/B du Tribunal de Cotonou, en date du 8 Mai 1987, comme valides pour être intervenue dans les forme et délai de la loi
Au Fond :
Sur le plan pénal
La Cour infirme le jugement correctionnel n° ; 416/B du 8 Mai 1987 du Tribunal de Cotonou attaqué en ce qu'il a déclaré "HOUEDO Cyr Ad Ab dit A Ae" coupable du délit d'escroquerie mis à sa charge par le Ministère Public ; l'a retenu dans les liens de la prévention ; aux frais de Justice et fixé la contrainte par corps à 30 jours
Evoquant et Statuant
La Cour constate que les deux "Reconnaissance et Engagement" versés au dossier et attribué au prévenu A Cyr Ad, lui ont été effectivement extorqués à la Police et les écarte des débats
Sur le fonds même du dossier, dit le délit d'escroquerie reproché au prévenu nullement constitué, s'agissant en réalité de relations commerciales entre la dame Aj C et Cyr Ad A
Relaxe en conséquence ce dernier des fins de la poursuite pour escroquerie, met les frais à la charge du Trésor Public.
Sur le plan civil
Reçoit l'action en dédommagement du sieur A Cyr Ad, mais se déclare incompétente pour en connaître, et renvoie A Cyr Ad et ses Conseils à mieux se pourvoir
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Chambre Correctionnelle de la Cour d'Appel de Cotonou.