Vu la déclaration en date du 19 Septembre 1958, enregistrée au Greffe de la Chambre d'annulation de l'AOF (Dakar) Maître CRESPIN Avocat défenseur , agissant au nom et pour le compte des nommés DAH KPODE DENON et OKE Assogba a formé un pourvoi en annulation contre le jugement rendu le 22 mai 1958 par le Tribunal du deuxième degré de Porto-Novo dans le litige opposant les demandeurs au nommé Akadjame BANGBOTCHE;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême du Dahomey à Cotonou;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble le mémoire ampliatif en date du 2 décembre 1968, de Me AMORIN Avocat à la Cour , Conseil des demandeurs et le mémoire en défense en date du 15 février 1969 du défendeur;
Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966, organisant la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du vendredi six mars mil neuf cent soixante dix , Monsieur le Conseiller GBENOU en son rapport;
Monsieur le Procureur Général FOURN en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par acte reçu le 19 septembre 1958 au Greffe de la Chambre d'annulation de l'AOF Dakar , Me CRESPIN, Avocat défenseur à Dakar agissant au nom et pour le compte des nommés DAH KPODE DENON et OKE Assogba s'est pourvu en annulation contre le jugement rendu le 22 mai 1958 par le Tribunal du deuxième degré de Porto-Novo dans le litige opposant les demandeurs au nommé Akadjame BANGBOTCHE .
Attendu que par arrêt n°77 du 30 Juin 1960 la Chambre d'annulation de la Cour d'Appel de Dakar s'est déclarée incompétente en raison de l'accession du Dahomey à l'indépendance et a renvoyé la cause et les parties devant les juridictions de cet Etat;
Attendu qu'en vue d'une reprise de la procédure et conformément aux dispositions combinées de l'ordonnance n°21 /PR du 26 avril 1966 organisant la Cour Suprême et des textes régissant la matière de l'enregistrement , le Greffier en chef de la Cour Suprême rappelait aux requérants les stipulations des articles 42 et 45 de l'ordonnance sus- citée et transmettait au commandant de la Brigade de gendarmerie d'Adjohoun la lettre n°22 / GCS du 3 janvier 1968;
Que le 7 décembre 1968 ,enregistrée à l'arrivée sous n°1077 / GCS le mémoire ampliatif du Conseil des requérants parvenait à la Cour et était communiqué à titre de notification aux consorts Akadjame BANGBOTCHE le 17 décembre 1968.
Que ces derniers qui ne sont représentés par aucun conseil adressaient le 18 février 1969 à la Cour leur mémoire en défense;
Que le dit mémoire en défense était également communiqué le 10 mars 1969 à Me AMORIN mais qu'il n' y réplique pas;
Attendu que Akadjame BANGBOTCHE, chef du village Mitro saisissait le Tribunal coutumière d'Adjohon le 22 août 1957 d'un litige de terrain l'opposant à DAH KPODE DENON;
Que Akadjame tiendrait ce terrain de son aïeul HOUNSA Doumate et que son père et lui y auraient planté des arbres fruitiers tandisque DAH KPODE DENON leur voisin aurait planté sur sa parcelle limitrophe des caféiers;
Attendu que les 21 et 22 août 1957 DAH KPODE et ses hommes armés auraient détruit les arbres fruitiers AKADJAME;
Que DAH KPODE affirmerait alors être propriétaire du dit terrain q'il aurait d'ailleurs vendu au sieur ASSOGBA OKE;
Attendu que par jugement n°5 du 18 décembre 1957 le Tribunal coutumier d'Adjahon décidait que la limite de la concession de AKADJAME par rapport à la palmeraie de DAH KPODE sera définitivement la barrière détruite par ce dernier.
Attendu que par lettre du 2 janvier 1958 DAH KPODE DENON interjetait appel de cette déclaration et que par lettre du 19 février 1958 adressée au Président du Tribunal du deuxième degré de Porto-Novo, ASSOGBA OKE évaluait le terrain litigieux à 100.000 francs soulevait l'incompétence du tribunal coutumier d'Adjohoun et se portait plaignant;
Attendu que par jugement n°13 du 20 février 1958, le Tribunal du 2°degré d'Adjohoun statuant en premier ressort déclarait ASSOGBA OKE mal fondé en son action et l'en déboutait purement et simplement;
Que par un second jugement n°26 du 22 mai 1958 la même juridiction confirmait lejugement n° 5 du 18 décembre 1957 le Tribunal coutumier d'Adjahoun;
Que c'est ce jugement qui fait l'objet du pourvoi en annulation du 19 septembre 1959;
Attendu qu'il est à indiquer qu'au prononcé de la décision objet du présent pourvoi DAH KPODE DENON avait adressé au président du Tribunal du 2° degré de Porto-Novo le 4 juin 1958 une lettre dans laquelle il indiquait qu'il interjetait appel ,du jugement du 22 mai 1958;
Qu'il se ravisa ayant compris que le seul recours a sa porté n'était que le pourvoi en annulation, pour lequel Maître Crespin faisait sa déclaration le 19 septembre 1958 respectant ainsi le délai d'un an prescrit par l'article 68 du décret organique de 1931;
Attendu que la recevabilité de ce recours ne pose en conséquence aucun problème particulier en ce qui concerne DAH KPODE DENON;
Attendu quant à ASSOGBA OKE, il faut remplacer qu'il n'était pas en cause dans la procédure de première instance du Tribunal Coutumier d'Adjohoun, qu'il est intervenu un appel mais que par une décision séparée (jugement n° 13 du 20 février 1958) le Tribunal du 2°degré de Porto-Novo statuant en premier ressort a déclaré le sieur ASSOGBA OKE mal fondé en son action et l'on a débouté;
Attendu qu'il appartenait alors à l'intéressé d'interjeter appel de cette décision devant le Tribunal Supérieure de Droit Local et au besoin recourir au pourvoi en annulation contre la décision qu'aurait rendu en appel cette juridiction;
Que OKE ASSOGBA s'étant abstenu de suivre ces deux voies ( appel et annulation et n'ayant pas été partie au jugement du 22 mai 1958, ne peut être recevable à se pourvoi en annulation contre ce jugement;
Attendu que dans son mémoire ampliatif Me AMORIN demande l'annulation des jugements n° 13 et 14 du 20 février 1958 et n° 26 du 22 mai 1958 du Tribunal du 2nd de Porto- Novo;
Attendu que nous rejetterons sans les examiner les divers moyens soulevés à l'appui de l'annulation des deux jugements n° 13 et 14 du 20 février 1958 du Tribunal du 2 ° de Porto- Novo pour la simple raison que la déclaration de pourvoi faite le 19 septembre au Greffe de la Chambre d'annulation de l'AOF à Dakar par Me CRESPIN concernait exclusivement le jugement rendu le 22 mai 1958 par le Tribunal du 2nd degré de Porto- Novo;
Qu'en conséquence seul ce pourvoi attaquant ladite décision saisit valablement la Cour Suprême;
Sur le premier moyen: Pris de la violation de l'article 85 du 3 décembre 1931 et par voie de conséquence violation de l'article 6 du même décret.
En ce que la coutume du défendeur AKADJAME BANGBOTCHE n'est pas indiquée d'où impossibilité de contrôler l'application de la coutume , l'article 85 du décret d e1931 exige que les décisions des juridictions de droit local portent la mention de la coutume des parties;
Attendu que le jugement querellé n'a pas violé l'article 85 du décret organique puisse dans ses motifs , il nous indique bien la coutume du défendeur AKADJAME BANGBOTCHE car on peut y lire: « attendu que le Tribunal coutumier d'Adjohon a correctement appliqué la coutume Djêdjê qui est celle des deux parties , en ce qu'elle prévoit que les droits fonciers coutumiers sont susceptibles de se transmettre par héritage ( ce qui n'est pas le cas pour le simple usufruit;
Qu 'ainsi la coutume du défendeur AKADJAME ayant été indiqué et énoncé, il ne peut être retenu la violation de l'article 85 et conséquemment celle de l'article 6;
Sur le 2eme moyen: Violation des droits de la chose jugée Violation des droits de la défense contradictions de motifs;
En ce que le jugement n° 14 en date du 20 Février 1958 du 2 ° décret avait décidé que la cause serait jugée en audience foraine à Mitro estimant un transport sur les lieux indispensable à une saine appréciation de la cause;
Alors que la mesure jugée indispensable pour la manifestation de la vérité n' a pas été exécutée avant le jugement au fond;
Attendu que par un jugement avant dire du droit du 20 février 1958, le Tribunal du 2° degré de Porto- Novo avait décidé un transport sur les lieux;
Qu'en suite la composition de cette juridiction ayant varié par le remplacement du Président M. LIACRE par M. NAVETCH, les débats furent repris et le Tribunal statua sur fond le litige sans effectuer le transport sur les lieux précédemment décidé;
Attendu que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au décision judiciaires rendues en matière contentieuse sur les contestations débattues entre les parties;
Qu'ainsi le jugement préparatoire du 20 février n'a pas l'autorité de la chose jugée et en conséquence ne peut lier le juge .
Attendu que la chose ne saurait s'attacher à un jugement préparatoire;
Qu'il en résulte que le juge qui a rendu un jugement préparatoire peut le rétracter (Nouveau répertoire Dalloz 1 B - chose jugée n° 40);
Que le deuxième moyen doit égal en être écarté;
Sur le 3è moyen:Violation des articles 20 et 6 du décret du 3 décembre 1931- Violation des droits des règles de compétence.
En ce que le jugement déféré en appel au Tribunal du 2 ° degré avait été rendu par un Tribunal coutumier composé de son Président et de huit accesseurs représentant trois coutumes (Djêdjê- Nagot et Toffin ), que ce jugement était donc absolument nul que le Tribunal du 2 ° degré devait prononcer cette nullité et renvoyer la cause devant le Tribunal coutumier;
Qu'ainsi donc le Tribunal du 2°degré ne pouvait adopter les constatations et motifs du premier juge sans violer les règles de compétences et les droits de la défense , l'appelant étant ainsi privé d'un degré de juridiction;
Attendu que l'article 20 du décret organique précise que les Tribunaux du 1er degré sont composée d'un président et deux assesseurs;
Que le jugement n°5 du 18 décembre 1957 du Tribunal indigène coutumier d'Adjohon révèle que ladite juridiction était composée d'un président et de huit assesseurs;
Attendu que le nombre de deux assesseurs est obligatoire et ne saurait être dépassé à peine de nullité du jument (Chambre annulation AOF Arrêts n° 46 du 28 juin 1956 et15 du 31 janvier 1957);
Attendu que le Tribunal du 2° degré de Porto-Novo saisi de ce jugement du Tribunal d'Adjohon devait l'annuler;
Qu'il n'avait pas l'obligation de renvoyer la cause devant ladite juridiction comme le prétend le demandeur , car jouissant du droit d'évocation , il lui appartenait s'il en décidait ainsi de statuer au fond après avoir relevé la nullité;
Attendu qu'en se contentant simplement de confirmer le dispositif du jugement n° 5 du 18 décembre 1957 rendu par le Tribunal coutumier D'Adjohon , le Tribunal du 2° degré de Porto- Novo a violé l'article 20 du décret de 1931 et son jugement doit de ce chef être censuré;
Sur le 4 è moyen:Dénaturation des faits et documents de la cause - Violation des droits de la défense - Violation de l'article 85du décret du 3 décembre 1931 - Fausse application de l'article 17 du même décret;
En ce que le Tribunal du 2° degré a énoncé dans ses attendus des faits et des déclarations qui ne résultent nullement des débats qu'ainsi on recherche vainement dans les déclarations des parties et dans les documents de la cause toute mention concernant la date du décès du père du défendeur BANGBOTCHE; aucune des parties n'a indiqué cette date et aucun document du dossier ne l'a établit;
Attendu que le jugement attaqué affirme que le père d'AKADJAME BANGBOTCHE, feu BANGBOTCHE Tossounou est décédé le 2 janvier 1946 et que son décès n'a provoqué de la part de DAH KPODE aucune action en vue de récupérer le terrain litigieux;
Que partant d'une telle affirmation, il fait application de l'article 17 du décret du 1931 concluant que AKADJAME se trouvait en possession du terrain depuis le décès de son père survenu le 2 janvier 1946 ;
Attendu qu'en s'appuyant ainsi sur un fait non constaté par le Tribunal et non débattu à l'audience et s'en servant pour l'établissement de la prescription de l'action, le tribunal a violé l'article 85 et fait une fausse application de l'article 17 du décret organique;
Sur le 5 eme moyen:Contradiction de motifs
En ce que l'article 17 du décret de 1931 édicte une prescription .Alors que le jugement porté en appel devant Tribunal du 2eme degré avait accueilli l'action de BANGBOTCHE et statué au fond en se référant à la coutume;
Qu'ainsi en disposant qu'il confirmait le dispositif du jugement , le Tribunal du 2eme degré faisait nécessairement sien la disposition coutumière invoquée tout en invoquant la prescription;
Attendu que le Tribunal coutumier d'Adjohoun a motivé son jugement N° 5 du Décembre 1957 par la prescription de l'action en ces termes;
Attendu qu'il est établi par les débats que la famille BANGBOTCHE s'est installé sur le terrain en cause depuis plus de 50 ans environ.
Que le Tribunal du 2eme degré de Porto-Novo s'est également appuyé sur la même prescription de l'action par les indications suivantes:
«Attendu que le père d'AKADJAME BANGBOTCHE feu BANGBOTCHE Tossounou est décédé le 2 janvier 1946; que son décès n'a provoqué de la part de Dah KPODE aucune action en vue de récupérer le terrain en litige;
Attendu que l'article 17 du décret du 3 décembre 1931 porte qu'en matière civile et commerciale, l'action se prescrit par trente ans lorsqu'elle est basée sur un acte authentique, par dix ans dans les autres cas et qu'il y a lieu d'en faire application au présent litige, AKADJAME se trouvant en possession du terrain depuis le décès de son père survenu le 2 janvier 1946;
Attendu qu'il n'apparaît aucune contradiction de motifs du jugement querellé qui fonde sa décision sur la prescription de l'action comme d'ailleurs la juridiction du 1er degré;
Que ce moyen doit être rejeté;
Sur le 6eme moyen:Violation des règles de compétence - Violation des droits de la défense.
En ce qu'une juridiction est juge de sa propre compétence et celle-ci en matière de justice de droit coutumier doit être appréciée compte tenu des éléments résultants de chaque cause;
Alors que le jugement entrepris s'est référé à la valeur retenue par le jugement N° 13 du 20 février 1958 dans la cause entre OKE ASSOGBA et AKADJAME BANGBOTCHE, ce jugement rendu seulement en premier ressort pouvait être modifié par un jugement ultérieur le délai du pourvoi n'étant pas encore expiré;
Attendu que le Tribunal du 2 eme degré de Porto-Novo n'était pas saisi d'une question de compétence , néanmoins comme en tant que Juge d'Appel elle devait vérifier sa compétence au point de vue du taux du ressort;
Qu'elle n'a d'ailleurs pas failli à cette exigence légale;
Attendu qu'au cours des débats ayant conduit au jugement n°13 du 20 février 1958, la
même juridiction se référant aux déclarations de DAH KPODE DENON avait estimé la valeur du terrain litigieux à vingt cinq mille francs;
Que c'est sur cette estimation non contesté que s'annule le jugement querellé;
Attendu que sans être tenu de s'expliquer sur la compétence lorsqu'elle n'est pas contestée , le juge doit au moins relever dans ses motifs les faits qui la justifient à peine de voir sa décision cassée pour défaut de motifs (Jurisclasseurs C. Proc .Civ. art 474 à 516 fascicule F3 page 6)
Attendu quele demandeur pour le cas qui nous est soumis n'invoque pas un défaut de motifs, mais la violation des règles de compétence;
Que ce moyen ne peut être accueilli puisse que la juridiction d'appel a bien relevé dans ses motifs les faits qui justifient sa compétence;
Que ce moyen ne peut en conséquence être favorablement accueilli;
Sur le 7 eme moyen: Il est indiqué en mémoire ampliatif;
(Il est repris ici le quatrième moyen visé contre le jugement n°14 du 20 février 1958)
Attendu qu'en ce qui concerne cette décision qui n'étais pas soumise à l'examen de notre Cour, deux moyens de cassation seulement étaient produites;
Attendu que ce 7è moyen étant inexistant , il ne peut être prononcé à son examen;
PAR CES MOTIFS
Déclare le pourvoi recevable;
Casse sur les 3è et 4 è moyens et renvoie devant la Cour d'Appel de Cotonou;
Ordonne la restitution de l'amende consignée par le demandeur au pourvoi;
Met les frais à la charge du trésor;
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties en cause.
Ordonne la transmission en retour du dossier au parquet Général de la Cour d'Appel. Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême ( Chambre Administrative) en son audience publique du vendredi six mars mil neuf cent soixante dix, où étaient présents Messieurs:
Edmond MATHIEU- Président de la Chambre Judiciaire Président
Grégoire GBENOU ET Corneille T. BOUSSARI Conseillers
Gaston FOURN, Procureur Général Ad'hoc
Et Honoré GERO AMOUSSOUGA, Greffier
Et ont signé:
Le Président Le Conseiller Rapporteur, Le Greffier
E.MATHIEU G. GBENOU H. GERO AMOUSSOUGA