Par requête en date du 8 juin 1965, Maître BARTOLI, Avocat-Défenseur à Cotonou a, au nom de son client YALOGBO Dessin, formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n° 28 du 22 juillet 1963 de la Cour d'Appel de Cotonou, (Chambre Civile),
Requête et expédition de l'arrêt attaqué ont été déposées de même que l'original de la signification le 15 juin 1965 au Greffe de la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les mémoires en défense et ampliatif déposés les 6 avril 1965 et 10 mai 1966 par Maître AMORIN et BARTOLI, conseil des parties en cause;
Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;
Vu la loi n° 61-42 du 18 octobre 1961;
Ouï à l'audience publique du jeudi 27 mars 1969, Monsieur le Conseiller GBENOU en son rapport;
Monsieur le procureur Général AÏNANDOU en ses conclusions se rapportant à justice;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par requête en date du 8 juin 1965, Me BARTOLI, Avocat régulièrement inscrit au barreau de Cotonou, a, au nom de son client YALOGBO Dessin, formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n° 28 du 22 juillet 1963 de la Cour d'Appel de Cotonou (Chambre Civile);
Que par exploit en date du 8 juin 1965 de Me SOSSOU Honoré, fonctionnaire-Huissier près la section de Tribunal d'Abomey, signification a été faite à AYATIN Hounkanlin Lodjo et copie à lui laissé de la requête aux fins de cassation formée par le requérant YALOGBO Dessin;
Que requête et expédition de l'arrêt attaqué ont été déposées, de même que l'original de la signification le 15 juin 1965 au Greffe de la Cour Suprême;
Attendu que Maître BARTOLI a également déposé un mémoire ampliatif le 10 mai 1966;
Attendu que le pourvoi formé sous l'empire de la loi n° 61-42 du 18 octobre 1961, sa recevabilité ne soulève aucun problème particulier.
Au FOND
Faits - Attendu que par assignation en date du 31 juillet 1962, YALOGBO Dessin faisait comparaître AYATIN Hounkanlin Lodjo devant la section de Tribunal d'Abomey "pour s'entendre condamner à déguerpir ensemble tous occupants de son chef, tous ses siens de toute l'étendue de la parcelle de terre sise à Bohicon - Kpètèmè appartenant au sieur YALOGBO Dessin. S'entendre condamner à payer la somme de quatre vingt dix neuf mille six cent francs (99 600 F) à titre de dommages-intérêts".
Attendu que les griefs du demandeur contre le défendeur sont les suivants:
AYATIN Hounkanlin Lodjo occuperait à titre de fermier moyennant une redevance annuelle payable en nature (trois estagnons d'huile de palme) une palmeraie appartenant à YALOGBO Dessin;
En exécution d'un jugement du Tribunal de 1er Degré de droit local d'Abomey en date du 21 août 1950, cette redevance aurait été régulièrement donnée par le défendeur au demandeur, ce qui marquerait les liens de droit existant entre les parties;
Par la suite AYATIN Hounkanlin Lodjo aurait complanté la palmeraie de plants de teck, ce qui aurait entraîné de vives protestations de YALOGBO Dessin et diverses plaintes par lui adressés aux autorités administrative et judiciaire.
Néanmoins le défendeur aurait continué de planter ses tecks, menaçant ainsi de changer la destination du terrain qu'il occuperait seulement à titre de fermier. Le demandeur devait alors réagir, réaction qui motiva la mainte de AYATIN Hounkanlin Lodjo pour abattage de 192 plans de tecks appartenant à autrui.
YALOGBO Dessin était alors condamné par le Tribunal correctionnel d'Abomey le 18 février 1960 à un an d'emprisonnement avec sursis et 3 000 F d'amende. La Cour d'Appel de Cotonou devait par arrêt n° 97 du 17 juin 1960 relaxer YALOGBO Dessin de fins de la poursuite sans peine ni dépens.
La section de Tribunal d'Abomey statuant en matière civile par jugement contradictoire du 11 octobre 1962, déboutait YALOGBO Dessin de toutes ses demandes, fins et conclusions et le condamnait en outre aux entiers dépens de l'instance.
La Cour d'Appel de Cotonou saisie de la même cause par YALOGBO Dessin devait par arrêt n° 28 du 22 juillet 1963, annuler le jugement du 11 octobre 1962, évoquant et statuant à nouveau, dire et jugea que YALOGBO Dessin n'est pas le propriétaire de la parcelle de terrain sis à Bohicon - Kpètèmè, tant en raison de l'absence de titre qu'en raison de l'application des coutumes "Fon" et en conséquence le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions et le condamner en tous les dépens de 1ère instance et d'Appel.
Que c'est cet arrêt qui fait l'objet du présent pourvoi.
Attendu que quatre moyens de cassation sont soulevés:
A - PREMIER MOYEN:
Violation des articles 1350 et suivants du Code Civil, méconnaissance de l'autorité qui s'attache à la chose jugée - En ce que l'arrêt entrepris a déclaré que le jugement du 21 août 1950 n'avait pas consacré la qualité de propriétaire du demandeur d'une part, et que l'arrêt rendu par la Chambre Correctionnelle de la Cour le 17 juin 1960 entre les mêmes parties ne peut justifier le droit invoqué d'autre part.
1°) Sur la première branche
En ce que l'arrêt querellé aurait violé l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du 21 août 1950: l'arrêt entrepris ayant déclaré que le dispositif du jugement du 21 août 1950 ne contient aucune précision consacrant nettement le droit de propriété du demandeur.
Attendu que l'instance ayant abouti au jugement du 21 août 1950 avait pour objet une réclamation de redevance d'huile de palme; comme le fait apparaître l'exposé des faits: "par requête en date du 26 juin 1950 le nommé Dessin YALOGBO du village de Honmèho - canton d'Allabè, porte plante contre le nommé Logdjo AYATIN du même village. Le plaignant déclare que ce dernier qui avait l'habitude de lui fournir annuellement trois estagnons d'huile de palme ne l'a plus fait cette année. Non seulement il réclame trois estagnons d'huile de palme pour 'l'année 1950, mais encore il demande au Tribunal de porter pour l'avenir cette redevance de trois à six estagnons."Qu'en ce qui concerne l'objet du litige ayant conduit à l'arrêt du 22 juillet 1963, il s'agissait, par l'assignation du 31 juillet 1962 à la requête de YALOGBO Dessin de déguerpir ensemble tous occupants de son chef, tous ses biens de toute l'étendue de la parcelle de terre sise à Bohicon - Kpètème, appartenant au sieur YALOGBO Dessin. S'entendre condamner à payer à mon requérant la somme de quatre vingt dix neuf mille six cent francs (99 600 F) à titre de dommages-intérêts"
Attendu qu'un examen même superficiel de l'objet de chacune de ces deux instances fait apparaître clairement qu'elles n'avaient aucune identité d'objet. Attendu que le législateur a impérativement fixé par l'article 1351 du code civil les conditions d'exercice de l'autorité de la chose jugée et parmi ces conditions figure précisément l'identité d'objet.
Attendu que "pour que l'autorité de la chose jugée puisse être invoquée, il faut que la "chose demandée" soit la même dans les deux instances idem corpus. Si donc la "chose demandée" est différente, les parties ne peuvent plus se prévaloir de l'autorité du jugement précédemment rendu. L'exception de la chose jugée ne peut être accueillie lorsque l'objet réclamé n'est pas matériellement identique" J.CL. Civi Art. 1349 - 1353 fasc. B n° 163 - 165.
Qu'ainsi, l'objet du jugement du 21 août 1950 étant une réclamation de redevance d'huile de palme, c'est à son droit que l'arrêt attaqué a déclaré que son dispositif ne contenait aucune précision consacrant nettement le droit de propriété du demandeur. Qu'il ne pouvait en conséquence être invoquée l'exception de chose jugée relativement au jugement du 21 août 1950.
2°) Sur la deuxième branche
En ce que l'arrêt du 22 juillet 1963 a violé l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt correctionnel du 17 juin 1960:
Attendu que l'arrêt correctionnel du 17 juin 1960, se référant dans ses motifs au jugement du 21 août 1950 avait indiqué que l'abattage de 192 plants de teck mis à la charge de YALOGBO Dessin n'avait pas été effectué dans un esprit de méchanceté et le relaxait des fins de la poursuite.
Attendu qu'à aucun moment le juge pénal n'a eu à se prononcer sur la question de propriété qui échappait d'ailleurs à sa compétence, sa référence que par les motifs de son arrêt au jugement du 21 août 1950 qui n'a réglé qu'un litige de redevance d'huile, ne saurait prétendre avoir nécessairement et définitivement réglé la question de propriété pour laquelle il est incompétent. Attendu que "lorsque la question d'ordre civil dont la solution commande l'existence de l'infraction relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction. Le juge civil appelé à statuer ultérieurement sur la même question n'est pas lié par l'appréciation du juge répressif. L'existence d'une question préjudicielle pour laquelle la juridiction pénale était incompétente explique cette solution, le juge pénal n'a pu statuer sur la question civile que de manière implicite et incomplète."
J. CL. Civ: art 1349-1353 fasc. C. n° 32.
Attendu en conséquence, que l'arrêt correctionnel du 17 juin 1960 n'a réglé aucune question de propriété, question préalable de nature civile pour laquelle la chambre des appels correctionnels était incompétente et ne pouvait alors acquérir l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil.
Qu'ainsi le 1er moyen doit être écarté en ses deux branches.
B - DEUXIEME MOYEN:
Violation des articles 7 de la loi du 20 avril 1810 et 2 du décret du 20 juillet 1939, contradiction et obscurité des motifs.
En ce que d'une part, l'arrêt entrepris déclare que la qualité de propriété du demandeur n'a pas été nettement déterminée par le Tribunal d'Abomey puisque le concluant n'a pas fait exécuter sa décision.
Et que d'autre part, il affirme que le jugement du 21 août 1950 ne s'applique pas au terrain litigieux.
1°) Sur la première branche: En ce que l'arrêt attaquée présente des motifs contradictoires. Les motifs ainsi incriminés étant:
"Attendu que pour prouver ses droits YALOGBO Dessin s'appuie sur le jugement du 21 août 1950 rendu par le Tribunal du premier degré d'Abomey qui a reconnu nettement l'existence de ces droits . Lorsqu'il a condamné AYATIN Hounkanlin Lodjo à lui verser une redevance annuelle de trois estagnons d'huile de palme: cette décision étant devenue définitive à l'autorité de la chose jugée et les faits qu'elle a sanctionnés ne sauraient plus être remis en discussion.
Attendu que YALOGBO Dessin, demandeur à l'instance par l'assignation du 31 juillet 1962 soulève pourtant l'autorité d'une décision définitive qu'il eût dû faire exécuter sur son adversaire, si véritablement sa qualité de propriétaire avait été nettement déterminée".
Attendu qu'il n'apparaît nullement une contradiction dans ces motifs. Qu'en effet le premier motif. Qu'en effet le premier motif souligne que le jugement du 21 août 1950 a nettement tranché l'objet du litige à savoir la redevance annuelle de trois estagnons d'huile de palme et non la question de propriété et en déduit tout naturellement que AYATIN Hounkanlin Lodjo ne pourrait plus saisir les autorités judiciaires de cette question définitivement tranchée.
Quant au second, il souligne l'inopportunité de l'un des griefs soulevés par l'assignation du 31 juillet 1962 de YALOGBO Dessin. Attendu que ce motif n'interprète que le premier et ne le contredit pas. Qu'en effet, TALOGBO Dessin ayant obtenu à son profit une décision définitive d'octroi de trois estagnons d'huile de palme, il lui appartenait de faire exécuter sur son adversaire ladite décision t non remettre en cause cette décision par une nouvelle instance.
2°) Sur la deuxième branche: En ce que l'arrêt querellé présente une obscurité de motifs qui équivaut à l'absence de motifs.
Attendu que la question que s'est posée la Cour est de savoir si le jugement du 21 août 1950 n'a pas identifié l'immeuble litigieux pour lequel il a imposé à AYATIN le versement d'une redevance de trois estagnons d'huile de palme. Que les précisions sur l'identité des plaideurs indiquent seulement qu'ils demeurent tous ces deux à Houmèho (Canton d'Allabè). Que seule l'attestation du chef de canton Camille BEHANZIN devait permettre de situer le fond litigieux objet du jugement du 21 août 1950 reconnaissant: "avoir tranché le litige du terrain sis à Houmèho (Bohicon) au lieu dit DAADANOU, sur lequel se trouve érigé le fétiche DAA et où la famille AYATIN possède des maison d'habitation et des tombeaux". Que l'assignation de YALOGBO Dessin du 31 juillet 1962 situe la parcelle litigieuse à Bohicon-Kpètèmè.
Attendu que c'est bien cette différence du fonds litigieux des deux instances (celle de 1950 se rapportant au terrain de Bohicon Homèho et celle objet de l'arrêt du 22 juillet 1963 se rapportant au terrain de Bohicon-Kpètème) que l'arrêt querellé a voulu faire apparaître.
Qu'aucune obscurité de motifs ne se dégage de cette analyse qui tend à prouver encore une fois que le jugement de 1950 ne pouvait avoir autorité de chose jugée, les fonds litigieux ayant été différemment identifiés.
Attendu que l'obscurité de motifs équivaut à l'absence de motifs lorsqu'elle est telle qu'elle ne permet pas de comprendre la relation existant entre ces qui est décidé et les considérations paraissant servir de base à la décision". (C. Proc. Civ. Art. 141-142 fas. III page 23 n° 213)
Attendu que tel n'est pas le cas des présents motifs qui eux, permettent bien de comprendre le fondement de la décision prise par la Cour d'Appel. Que ce deuxième moyen doit également être écarté en ses deux branches.
C - TROISIEME MOYEN: Violation des articles 1347 C. Civ., 283 et 1284 C. Proc. Civ.; fausse application des règles de la preuve; en ce que l'arrêt entrepris a admis comme preuve une présomption coutumière tiré d'un certificat délivré au défendeur par le chef de canton dont la décision avait été confirmée par le tribunal du premier degré d'Abomey.
Attendu qu'aux débats devant la Cour d'Appel, AYATIN a produit une attestation du chef de canton d'Allabè, Camille BEHANZIN par laquelle ce dernier révélait les raisons de la décision prise contre AYATIN en 1946 à propos de la redevance d'huile de palme, décision que le jugement du 21 août 1950 du Tribunal du 1er degré d'Abomey avait confirmée.
Attendu qu'il ne s'agissait pas d'un commencement de preuve par écrit tel que le définit l'article 1347 du code civil, n'émanent pas de YALOGBO Dessin, qu'il ne s'agissait pas non plus d'un certificat de coutume, la Cour s'étant fait assister d'un assesseur coutumier.
Attendu qu'il s'agissait tout simplement d'un document permettant à la Cour d'Appel d'apprécier les fondements d'une décision antérieure prise par une autorité coutumière. Que d'ailleurs "ces précisions" avaient été communiquées au demandeur et comme le précise la Cour: "n'ont reçu aucun démenti de a part de YALOGBO Dessin et ses explications orales comme sa note en délibéré du 8 juillet 1963 n'y font aucune allusion".
Attendu qu'il s'agit là d'un moyen mélangé de fait et de droit que la Cour Suprême ne peut connaître.
Attendu que "par application
du principe suivant lequel la Cour de Cassation ne peut connaître du fait, celle-ci décide que si le moyen n'est pas purement juridique, s'il est mélangé de fait et de droit, ce moyen n'est pas recevable.
Que le moyen mélangé de fait et de droit est un moyen de droit qui serait recevable en cassation soit comme ayant été soumis au juge de fait, soit parce que la règle invoquée est d'ordre public mais qui repose sur des faits non invoqués devant le juge ou qui n'ont pu être connus de lui parce que non révélés par la procédure. De tels moyens sont toujours irrecevables.
J. Cl. C. Proc. Civ. App. Art. 474 à 516 Fasc ; E2 page 8 n° 94 et 95. Que ce moyen ne saurait en conséquence être accueilli.
D - QUATRIEME MOYEN: Violation de l'article 141 du Code de procédure civile et 7 de la loi du 20 avril 1810, dénaturation des termes du débat; en ce que la Cour a déclaré que le chef de canton était intervenu en qualité de délégué de la dynastie dans le différend survenu entre les parties litige antes pour ordonner au demandeur de recevoir les redevances dues par AYATIN au profit des héritiers de la dame KPOTCHITO, et que n'avait pas été démenti par lui.
Attendu que ce quatrième moyen a le même fondement que le 3è. Il s'agit du même moyen mélangé d fait et de droit. Donc également irrecevable par la Cour.
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME; Reçoit le pourvoi de YALOGBO Dessin;
AU FOND: Le rejette
Condamne le demandeur aux dépens.
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou et aux parties en cause;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général de la Cour d'Appel.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) en son audience publique du jeudi vingt sept mars cent soixante neuf;
Où étaient présents MM:
Edmond MATHIEU, Président de Chambre PRESIDENT
Grégoire GBENOU et Corneille T. BOUSSARI CONSEILLERS
Cyprien AÏNANDOU PROCUREUR GENERAL
ET Honoré Géro AMOUSSOUGA LE GREFFIER
Et ont signé:
LE PRESIDENT LE CONSEILLER-RAPPORTEUR LE GREFFIER
E. MATHIEU G. GBENOU H. Géro AMOUSSOUGA