Propriété mobilière - Action en distraction d'objet saisi - Moyens - Renversement de la charge de preuve - Dénaturation des faits Rejet.
La présomption de bonne foi peut être combattue par la preuve contraire. Elle peut être fournie par tous moyens: écrit, témoignages ou présomptions.
Le demandeur en distraction d'objet saisi doit apporter de solides éléments de preuve pour emporter la conviction de son bon droit surtout que la demande de distraction d'objets saisis par le créancier dans un local construit par le débiteur se heurte à la présomption très forte de l'article 2279 en fait de meuble possession vaut titre dont le bénéfice passe du saisi au saisissant.
N°01 du 19 Mars 1971
Dame Yvette MIVEKANNIN née BEHANZIN
C/
Sté John WALKDEN et Cie
Vu la déclaration en date du 5 mai 1967, enregistrée au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle la dame Yvette MIVEKANNIN a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°32 rendu le 30 mars 1967 par la Cour d'Appel de Cotonou (Chambre civile);
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les mémoires en date des 8/4 et 12/5/70 de Maîtres HAAG et BARTOLI, Conseils des parties;
Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966, organisant la Cour Suprême;
Ouï à l'audience du vendredi dix neuf mars mil neuf cent soixante onze, Monsieur le Président Mathieu en son rapport;
Monsieur le Procureur Général GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par déclaration enregistrée le 5 mai 1967 au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou la dame Yvette MIVEKANNIN a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°32 rendu le 30 mars 1967 par la Chambre civile de la Cour d'Appel de Cotonou;
Attendu que par bordereau n°920/PG du 16 mars 1968, enregistré: arrivée au Greffe le 19 mars, le Procureur Général près la Cour d'Appel transmettait parmi d'autres le dossier de la procédure au procureur Général près la Cour Suprême;
Attendu que par lettre n°576 du 19 avril 1968 le Greffier en Chef près la Cour Suprême avisait la requérante qu'elle devait consigner et constituer Avocat;
Que cette pièce était transmise par voie administrative par soit transmit n°577/GCS au Commissaire central de Police de la ville de Cotonou; que ne figure pas au dossier le procès-verbal de remise, mais un acte du greffe de la Cour Suprême mentionnant la déclaration de la requérante qui constitue Maître Fortune le 29 mai 1968. Qu'à la même date est mentionné le dépôt de la caution;
Attendu qu'en date du 5 juillet la requérante adresse à la Cour une lettre, enregistrée arrivée le 13 juillet, sollicitant une prolongation de délai pour lui permettre de choisir un autre Conseil, le sien étant indispensable.
Que sans suite au 12 novembre 1968 le Greffier en Chef notifiant à Madame Yvette MIVEKANNIN qu'il lui était accordé un délai de 15 jours pour faire connaître le nom de son nouveau Conseil;
Que cette pièce fut remise à l'intéressée le 16 Novembre suivant P.V. n°2259/C5A du Commissariat du 5ème Arrondissement;
Que le 28 Novembre 1968 la requérante répondit au Greffier en Chef que son Avocat habituel était Maître Fortune;
Attendu que le 17 décembre par lettre n°1855, le Greffier en Chef demandait confirmation de sa constitution à Maître Fortune et le cas échéant lui laissait un délai de deux mois pour produire son mémoire;
Attendu que l'avis était reçu en l'étude, Maître Fortune absent, le 18.12.1968. Qu'au cours de l'année 1969 de nombreuses démarches verbales ou écrites ont été effectuées auprès de Maître Fortune à l'occasion de l'instruction de divers dossiers pour lesquels il était constitué, et que le rapporteur avait laissé plusieurs affaires en instance; que finalement le 26 novembre 1969 la dame MIVEKANNIN informait la Cour qu'elle avait constitué Maître HAAG et qu'elle sollicitait de nouveau délai un mois de délai pour lui permettre de déposer son mémoire;
Attendu que ces délais ne furent pas non plus respectés et que c'est le 9 avril 1970 que parvenait à la Cour le mémoire ampliatif de Maître HAAG;
Attendu qu'il fut communiqué le 23 avril 1970 à Me Bartoli conseil de la défenderesse qui fit parvenir à la Cour le 12 mai son mémoire en défense;
Faits: Le sieur Antoine MIVEKANNIN n'ayant pas réglé une dette de 318.940 francs à la Société John WALKDEN, celle-ci faisait pratiquer le 11 novembre 1963 une saisie sur les meubles trouvés à son domicile, le débiteur déclarait à cette occasion: «Les Etablissements Rabe et la BDD ont saisi les objets trouvés en ma possession et qui ne m'appartiennent pas; ces affaires sont pendantes devant le Tribunal».
Le 13 décembre 1963 la dame Yvette MIVEKANNIN, épouse du saisi, assignait la Société John WALKDEN en revendication d'objets saisis et en paiement de 15.000 francs de dommages intérêts, produisant quatre factures et une attestation de son mari datées de 1960 et établissement selon elle sa propriété sur les meubles saisis;
Sur l'instance pendante dont avait parlé le saisi il résulta que le Tribunal ordonnait la distraction des meubles revendiqués par la dame MIVEKANNIN sur les même justifications que celles opposées à la WALKDEN; d'ailleurs le Tribunal, logique avec lui-même, prenait la même décision dans la nouvelle instance, le 14 décembre 1966;
Or la Cour d'Appel saisie seulement de la dernière affaire n'a pas suivi le Tribunal et a au contraire condamné la dame MIVEKANNIN à 30.000 francs de dommages-intérêts pour citation abusive;
C'est l'arrêt attaqué;
Premier moyen: Violation de l'article 2268 du Code civil -
En ce que l'arrêt attaqué a présumé de la mauvaise foi de la dame Yvette MIVEKANNIN du simple fait que le mari a fait l'objet des poursuites de divers créanciers et que les époux habitaient ensemble, alors qu'aux termes de l'article 2268 « la bonne foi est toujours présumée et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver»;
Qu'en l'espèce, la Société John WALKDEN n'a nullement démontré la mauvaise foi de la dame Yvette MIVEKANNIN et l'arrêt attaqué ne contient aucun motif tendant à démontrer l'existence de cette mauvaise foi;
Attendu que dans l'exposé des faits de la cause qui précède le déroulement du moyen, la requérante se garde de faire de l'attestation de possession que lui avait délivrée son mari en date du 21 décembre 1960 et que la Cour déclare «suspecte compte tenu des difficultés financières qu'il rencontrait dès cette époque et de nombreuses dettes qu'il avait contractées sur la place. Que loin de vouloir préserver les biens personnels de son épouse en cas de décès, il apparaît qu'il cherchait seulement à faire échapper ses biens propres aux poursuites de ses créanciers»;
Attendu que plus loin l'arrêt estime que l'action en distraction procède d'une collusion certaine dans le but de frustrer le créancier;
Attendu que s'il est donc exact de relever que la bonne foi doit être présumée (encore que l'article 2268 soit placé au chapitre relatif à la prescription acquisitive) il ne l'est plus d'affirmer que l'arrêt a présumé de la mauvaise foi et qu'il ne contient aucun motif tendant à démontrer l'existence de cette mauvaise foi;
Attendu que l'arrêt est parfaitement motivé compte tenu du principe que la présomption de bonne foi peut être combattue par la preuve contraire. Qu'elle peut être fournie par tous moyens: écrit, témoignages ou présomptions (Cass. Civil 15 f. 1927. Gazette Palais 1927 - 1750 - Cassation requête, 17-12-1934 S 1935 - 1-24);
Qu'elle peut résulter des mentions mêmes du titre sur le vu duquel le possesseur avait acquis (Cass. Req. 30 juin 1845 - D. 45 1 - 338).
Attendu que le moyen est à rejeter;
Deuxième moyen: Violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 dénaturation des faits et manque de base légale;
En ce que l'arrêt querellé affirme «qu'il n'est pas établi d'ailleurs que la dame MIVEKANNIN avait une activité personnelle susceptible de lui apporter les ressources nécessaires à ses achats» alors que la défenderesse savait parfaitement que la demanderesse avait une activité commerciale bien définie et n'a pas tenté de le nier;
Qu'au surplus, les pièces de la procédure, notamment l'assignation du 13 décembre 1963 de Maître SANT'ANNA indiquent que la demanderesse est commerçante de son état et (que) le jugement n°263 du 14 décembre 1966 mentionne bien que la dame MIVEKANNIN exerce la profession, on conçoit aisément qu'elle puisse avoir des revenus lui permettant de s'acheter des meubles meublants;
Attendu qu'il peut être objecté tout d'abord que la qualité de commerçant ne résulte pas de la propre déclaration qu'en fait l'intéressé;
Que revendiquant l'achat personnel de mobiliers devant servir au ménage, il eut été plus probant devant la Cour qu'elle fournit un aperçu de ses ressources propres, soit par la production de sa déclaration fiscale, ou de son imposition sur le chiffre d'affaire ou d'un relevé bancaire etc...;
Attendu qu'il ne faut pas oublier que la demande de distraction d'objets saisis par le créancier dans un local construit par le débiteur se heurte à la présomption très forte de l'article 2279 - en fait de meubles possession vaut titre - dont le bénéfice passe du saisi au saisissant;
Qu'il faut donc que le demandeur en distraction apporte de solides éléments de preuve pour emporter la conviction de son bon droit;
Attendu dans que la présente espèce le simple énoncé d'une qualité de commerçant sans autres précisions justifiait la Cour de dire qu'il n'était pas établi que la dame MIVEKANNIN avait une activité personnelle susceptible de lui apporter les ressources nécessaires à ses achats.
Attendu qu'on remarquera que la Cour prend à bon droit le contre-pied du Tribunal qui avait déclaré «que la preuve n'est pas rapportée du défaut d'activité commerciale ou artisanale de la dame MIVEKANNIN et pas d'avantage celle que ses ressources ne lui permettaient pas d'acheter ces meubles»;
Attendu que la position de force du saisissant justifiait la Cour de renverser le fardeau de la preuve;
Attendu que le moyen est inopérant;
Troisième moyen: Fausse interprétation de l'article 1328 du Code civil en ce que l'arrêt attaqué a exigé que les factures produites par la dame MIVEKANNIN et versées aux débats aient date certaine alors qu'aux termes d'une jurisprudence constante «lorsque les époux ont un domicile commun, il appartient à la femme revendiquante de justifier de son droit de propriété par des documents probants, tels qu'inventaire, compte courant, factures desquels peut résulter la preuve qu'elle a acquis de ses deniers les meubles saisis. (Paris 16 mars 1938 D.H. 1938 362 Gaz. Palais 1938 - 836). L'exigence de la date certaine est donc arbitraire;
Attendu qu'il semble qu'il y ait erreur dans l'énoncé du moyen qui affirme: «l'arrêt attaqué a exigé que les factures produites par la dame MIVEKANNIN et versées aux débats aient date certaine»;
Attendu qu'on lit dans l'arrêt: «que les factures produites datées de 1960, paraissaient concerner les meubles saisis, sans qu'il puisse cependant y avoir certitude à cet égard, ni que ces factures ne soient de pure complaisance.»;
Qu'on lit plus loin «que le fait que cette attestation ait été visée par le Secrétaire Général de la Mairie de Cotonou le 8 juin 1961 ne peut suffire à lui donner date certaine, qu'il n'y a là qu'une simple légalisation de signature ne rentrant pas dans les cas limitativement énoncés par l'article 1328 du Code Civil. Que certes, si au Dahomey, la formalité de l'enregistrement n'est pas obligatoire pour tous les actes, seul l'accomplissement de cette formalité aurait pu dans le cas qui nous occupe conférer date certaine à l'attestation produite et la rendre opposable aux tiers»;
Attendu que ce n'est donc pas au sujet des factures des artisans que la Cour énonce la nécessité de la date certaine, mais relativement à l'attestation délivrée par le mari;
Qu'en ce qui concerne les factures la Cour estime que bien que paraissant concerner les meubles saisis, il ne peut y avoir de certitude à ce sujet, ni qu'elles ne soient de pure complaisance;
Attendu que la discussion engagée par la requérante est donc vaine, que d'ailleurs la Cour s'est appuyée sur d'autre motifs pour rejeter ces factures;
Attendu que le troisième moyen non plus ne peut être accueilli;
Par ces motifs
En la forme: Accueille le pourvoi;
Au fond: le rejette;
Condamne la requérante aux dépens;
Ordonne le notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel;
Ainsi fait et délibéré la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composé de Messieurs:
Edmond MATHIEU, Président de la Chambre Judiciaire: Président
Gaston FOURN et Frédéric HOUDETON: ........Conseillers
Et prononcé à l'audience publique du vendredi dix neuf mars mil neuf cent soixante onze, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus, en présence de:
Monsieur Grégoire GBENOU.......Procureur Général
Et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA, Greffier en Chef........ ......... .... ...... ... Greffier
Et ont signé:
Le Président Rapporteur, Le Greffier,
E. MATHIEU.- H. GERO AMOUSSOUGA