Divorce - Réclamation d'indemnités au titre de préjudice de l'obligation d'entretien des enfants incombant au père - Cassation.
La mère est fondée à réclamer des indemnités et non les arriérés de pensions alimentaires au titre de préjudice découlant de l'obligation d'entretien des enfants incombant au père.
N°2 du 19 Mars 1971
Dame ADECHOKAN Chérifatou née -Thérèse LALEYE AGBANTOU
C/
ADECHOKAN Saka Alao
Vu la déclaration en date du 6 décembre 1967 enregistrée au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle Me de LAVAISSIERE, Substituant Me Bartoli s'est pourvu en cassation au nom et pour le compte de la dame ADECHOKAN Chérifatou, née Thérèse LALEYE AGBANTOU, contre l'arrêt n°66 du 8 novembre 1967 rendu par la Cour d'Appel de Cotonou (Chambre de Droit Traditionnel);
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble le mémoire ampliatif en date du 18 octobre 1968 de Me Bartoli, Conseil de la dame ADECHOKAN;
Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966,organisant la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du vendredi dix neuf mars mil neuf cent soixante onze, Mr le Président MATHIEU en son rapport;
Mr le Procureur Général GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par acte enregistré le 6 décembre 1967 au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, Maître de LAVAISSIERE, substituant Maître Bartoli s'est pourvu en cassation au nom de sa cliente la dame ADECHOKA, contre l'arrêt n°66 rendu contrairement par la Chambre de droit traditionnel de la Cour d'Appel de Cotonou le 8 novembre 1967;
Que l'affaire a été transmise parmi d'autres au Procureur Général près la Cour Suprême par bordereau n°2459/PG du Procureur Général près la Cour d'Appel et enregistrée arrivée au Greffe le 13/7/1968;
Que par lettre n°1435/GCS du 8 octobre 1968 le Greffier en Chef près la Cour Suprême informait Maître Bartoli qu'un délai de deux mois lui était accordé pour produire ses moyens de cassation et lui rappelait qu'il devait déposer la consignation de 5.000 francs dans les quinze jours;
Que la notification était reçue le 9 octobre 1968 en l'étude et la consignation effectuée le 22 octobre;
Quant au mémoire ampliatif daté du 18 octobre 1968, qu'il était enregistré arrivée au Greffe le 21 octobre 1968;
Attendu que par lettre n°1658 du 4 novembre 1968, le Greffier en Chef communiquait au défendeur copie du mémoire ampliatif;
Que cette pièce était remise à l'intéressé le 8 novembre 1968 suivant procès-verbal du Commissariat de Police de Porto-novo;
Attendu que le défendeur n'ayant pas répondu, que le Greffier en Chef s'informa par lettre n°102 du 24 janvier auprès de l'étude d'ALMEIDA, aux fins de savoir si cette étude restait constituée en cassation;
Qu'effectivement par lettre du 25 mars 1969, Maître ANGELO substituant Maître d'ALMEIDA informait la Cour de sa récente constitution par ADECHOKAN et par lettre du même jour demandait copie d'une pièce du dossier;
Attendu que par lettre n°468 du 2 mai 1969 le Greffier en Chef informait Me ANGELO qu'un délai de deux mois lui était accordé pour répondre. Que cette note a été reçue le 5 mai en l'étude et qu'elle rendait sans objet une lettre du 2 mai reçu le 3 au Greffe par laquelle Maître ANGELO réclamait copie du mémoire ampliatif;
Attendu que par lettre du 29 juillet 1969, l'étude d'ALMEIDA sollicitait un délai supplémentaire d'un mois, qui lui était accordé, sans pour autant que le mémoire fut déposé et que par nouvelle lettre du 3 décembre un délai supplémentaire de quinze jours était encore sollicité, qui fut accordé de nouveau sans résultat pratique jusqu'à ce jour;
Attendu qu'il y a donc lieu de passer à l'examen de l'affaire. Qu'il n'y a aucune objection à la recevabilité en la forme, toutes les diligences ayant été effectuées par le Conseil de la requérante;
Sur les faits: Il s'agit d'un divorce prononcé à la suite d'un mariage selon la coutume Yoruba, l'épouse s'étant en outre au préalable convertie à la religion musulmane qui est celle du mari;
En première instance le divorce fut prononcé entre les parties, la garde des enfants confiée au père et ce dernier fut condamné à verser à l'épouse la somme de 700.325 pour préjudice moral et matériel que lui avait causé la répudiation;
En appel la Cour rejeta la demande en paiement de la dame LALEYE, de même qu'une réclamation du mari pour une dette commerciale;
Il faut souligner que la dame LALEYE obtint par un arrêt du 25 juin 1969 de la Cour d'Appel de Cotonou la réforme de la garde des enfants et que ceux-ci lui soient confiés avec une pension d'entretien de 15.000 francs par mois. Cet arrêt a fait lui-même l'objet d'un recours en cassation du sieur ADECHOKAN qui n'ayant pas respecté les dispositions des articles 42 et 51 se trouve forclos;
Au fond:
Premier moyen: violation des articles 34 et 45 de la loi du 9 décembre 1964, 10 et 12 du décret du 20 novembre 1932, 14 du décret du 29 juillet 1939, 6 et 85 du décret du 3 décembre 1931, insuffisance de motifs, fausse application de la coutume et manque de base légale -
En ce que l'arrêt entrepris prononce le divorce aux tors réciproques des époux au motif que la demanderesse n'a pas fait d'efforts suffisants pour payer ce qu'elle devait à son mari sans indiquer si ce fait constituait une cause de divorce en matière coutumière et sans énoncer la coutume;
Alors que la Cour devant appliquer exclusivement la coutume des parties devait préciser et énoncer la règle en vertu de laquelle les griefs retenus contre la demanderesse constituaient une cause de divorce;
Attendu que ce moyen apparaît inefficace, qu'en effet ce n'est pas le seul motif tiré du nom remboursement de la dette commerciale qui est retenu par la Cour, mais un ensemble d'attitudes qui ont rendu le lien conjugal intolérable: en particulier le refus de rejoindre son mari après la tentative de conciliation, le refus de rendre les enfants à son mari et d'autre part enfin la mauvaise volonté à restituer les sommes dues;
Deuxième moyen: Violation des articles 3 de la loi du 9 décembre 1964, 6 du décret du 3 décembre 1931, 10 et 12 de celui du 20 novembre 1932, 203 et 212 Code civil; insuffisance de motifs, non application de la coutume, dénaturation des termes du débats et fausse application de la loi prise comme raison écrite;
En ce que, d'une part, l'arrêt entrepris déclare que la demande en paiement représente des arriérés de pension pour les enfants depuis le 31 janvier 1965; d'autre part, que la coutume Yoruba étant muette sur cette question il convient d'appliquer le droit commun comme raison écrite et, enfin, rejette la demande au motif qu'il n'est pas prouvé que la demanderesse était dans l'impossibilité d'actionner à temps et qu'elle n'apporte pas la preuve qu'elle s'est endettée pour entretenir ses enfants, conditions fixées selon l'arrêt, pour le paiement des arrérages de cette alimentation;
Alors que, d'une part, la demande en paiement n'était pas fondée sur une pension mais sur l'obligation d'aliments et de secours du défendeur et les conséquences de l'abandon de la demanderesse et de ses enfants, d'autre part, que les juridictions traditionnelles appliquant exclusivement la coutume des parties ne peuvent faire référence au droit moderne même comme raison écrite et qu'enfin la règle traditionnelle «aliments ne s'arréragent pas» ne s'applique qu'à la créance personnelle du crédit rentier et non à la créance d'un époux sur l'autre pour l'entretien des enfants;
Attendu que sur la première branche du moyen, qu'il est certain qu'il ne s'agit pas de pension alimentaire, mais de l'obligation d'entretien des enfants qui incombe au père et qu'il doit àla mère si elle en a assumé seule la charge. Qu'il est constant que le père s'est déchargé sur la mère de cette obligation du jour de l'expulsion des enfants de son domicile jusqu'à une date qui peut être déterminée par celle où il a repris la charge de ses enfants, ou même celle où il a proposé d'assumer cette charge (conciliation devant les notables) et où la mère a refusé l'accord;
Attendu que ce point de fait reste à déterminer par la juridiction de jugement - de même que le calcul de la masse représentée par cette obligation, le tout sur les conclusions des parties;
Attendu qu'il est à remarquer que la Cour a renvoyé dos à dos les deux parties, l'une réclamant à titre indemnitaire et non à titre d'arriéré de pension, une certaine somme, l'autre réclamant à sa femme une dette commerciale;
Attendu que s'il est exact que la dette commerciale n'a rien à voir aux présents débats, il n'en demeure pas moins qu'il reste loisible à ADECHOKAN d'en poursuivre le remboursement devant d'autres juridictions, tandis que la dame LALEYE se trouve forclose du fait que la Cour a définitivement rejeté sa demande en dénaturant le caractère juridique;
Qu'il en résulte donc, sous une apparence de jugement en équité une iniquité réelle et qu'il convient de laisser aux deux parties la possibilité de négocier une transaction qui éviterait le retour devant les juges civils et commerciaux et aboutirait à la conciliation recherchée tant par les notables que par les juges;
Attendu que le second moyen doit donc être accueilli en sa première branche, les deux autres étant de ce fait superflues et l'affaire renvoyée devant la Cour d'Appel Chambre de droit local autrement composée qui devra s'en tenir à l'avis de la Cour sur la nature de la somme réclamée par la requérante;
PAR CES MOTIFS;
En la forme: Accueille le pourvoi;
Au fond: Casse et renvoie sur le 2ème moyen;
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de Messieurs:
Edmond MATHIEU, Président de la Chambre Judiciaire:Président
Gaston FOURN et Frédéric HOUNDETON: Conseillers
En prononcé à l'audience publique du vendredi dix neuf mars mil neuf cent soixante onze, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus, en présence de:
Monsieur Grégoire GBENOU: ........: Procureur Général
et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA, Greffier en Chef: Greffier
Et ont signé:
Le Président-Rapporteur, Le Greffier,
E. MATHIEU H. GERO AMOUSSOUGA