Droit de la famille - Mariage - incompatibilité d'humeur entre les époux - Divorce prononcé aux torts réciproques des époux - Garde définitive de l'enfant confié à la mère - Pourvoi du mari - Rejet.
Même si le coutumier du Dahomey prescrit que la garde des enfants doit être confié à la mère jusqu'à sept ans seulement, il paraît normal de prendre en considération, en ce qui concerne la garde, l'intérêt bien compris de l'enfant car les dispositions du coutumier datant d'une époque où l'enfant représentait un richesse qu'il ne fallait pas distraire du clan paternel.
N° 14/CJC du 29 juin 1973
AHO Justin Etienne
C/
Dame AHO Alimatou Née GATTA
Vu la déclaration en date du 14 juin 1971 faite au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle Maître COADOU LE BROZEC, Avocat agissant pour le compte de son client AHO Justin Etienne, s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n° 24/71 bis du 21 avril 1971 rendu par la chambre civile de la Cour d'Appel de Cotonou ;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'Arrêt attaqué;
Vu le mémoire ampliatif en date des 4 février 1972 de Maître COADOU LE BROZEC, conseil du requérant;
Vu le mémoire en défense du 28 mars de la dame GATTA Alimatou;
Vu toutes les pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n° 21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du vendredi vingt neuf juin mil neuf cent soixante treize, Monsieur le Président MATHIEU en son rapport;
Ouï le Procureur Général GBENOU en ses conclusionsse rapportant à justice ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par déclaration enregistrée le 14 juin 1971 au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, Maître COADOU LE BROZEC, Avocat, agissant au nom de son client AHO Justin Etienne, a élevé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n° 24/71 du 21 avril 1971 rendu par la Chambre civile de la Cour d'Appel de Cotonou, statuant en matière de droit local;
Attendu que par Bordereau n° 3344/PG du 09 septembre 1971, le Procureur Général près la Cour d'appel transmettait, parmi d'autres, le dossier de la procédure au Procureur Général près la Cour Suprême et qu'il était enregistré arrivée au Greffe le 14 septembre 1971 ;
Attendu que par lettre n° 1481/GCS du 29 décembre 1971, le Greffier en Chef près la Cour Suprême rappelait à Maître KEKE, de l'étude duquel provenait la déclaration de pourvoi, qu'il devait consigner la somme de cinq mille francs par le délai de quinze jours et faire parvenir son mémoire ampliatif dans les deux mois ;
Attendu que notification était faite en l'étude le 30 décembre; que la consignation était effectuée le 14 janvier 1972, donc dans les délais, et que le 28 février 1972 était enregistré arrivée au greffe le mémoire ampliatif;
Attendu que par lettre n° 239/GCS du 15 mars 1972 celui-ci était communiqué à la dame AHO défenderesse et qu'un délai de deux mois lui était imparti pour sa défense;
Attendu que cette pièce fit l'objet d'un procès-verbal de remise en date du 21 mars 1972 du commissaire de police du 2è arrondissement de la ville de Cotonou, et que la défenderesse fit parvenir le 28 mars son mémoire en défense rédigé par ses soins mais en un seul exemplaire, que convoquée au Greffe, par P. V. n° 86/CPA du 20 mai, elle se présenta le 23 mai, confirma être l'auteur du mémoire et promit de faire parvenir deux autres exemplaires, ce qu'elle fit le 27 mai;
Attendu que le dossier se trouve en état d'être examiné;
SUR LA RECEVABILITE EN LA FORME:
Attendu qu'elle ne pose pas de problème, les délais ayant été respectés;
AU FOND: LES FAITS.- Ils sont tels que la pratique des tribunaux nous montre trop souvent: un mariage régularisant une naissance, entre une jeune institutrice et un fonctionnaire ayant déjà plusieurs épouses. Une incompatibilité d'humeur, née d'une différence d'ethnies, d'une mutation mal acceptée, de la présence d'autres épouses analphabètes et de leurs enfants hostilés à la jeune intellectuelle, d'une trop grande négligence de ses devoirs par le mari, et peut-être d'un caractère trop libre et contestataire de l'épouse;
Ceci aboutit sans trop grand, dommages à un divorce prononcé aux torts réciproques par le Tribunal de Première Instance de Porto-Novo qui a laissé la garde de la fille commune à la mère jusqu'à l'âge de 7 ans et exigé du père, en plus des allocations, une modeste contributions de mille francs pour l'enfant
Mais le mari fort d'une condamnation de principe qu'il avait obtenue après le prononcé du divorce pour abandon de domicile conjugal, ayant précédé la demande (en fait l'épouse partie chez ses parents avec l'autorisation de son époux, n'était pas rentrée à la date indiquée, mais avait fait parvenir une requête en divorce) le mari donc fit plaider en appel que les torts devaient être imputés exclusivement à la femme;
Celle-ci bien que n'ayant pas fait appel demande la confirmation du divorce, mais la réformation des dispositions concernant la garde de l'enfant qu'elle réclama jusqu'à la majorité;
La Cour annula le premier jugement pour non indication de la coutume, évoqua, prononça le divorce aux torts réciproques et prenant en considération l'intérêt de l'enfant passa outre à la coutume et confia la garde de définitive à la mère, maintint la pension alimentaire;
AHO perdit tout en voulant trop gagner;
Attendu qu'il présente trois moyens de cassation;
1er MOYEN .- Violation de l'article 6 du décret organique prescrivant la coutume applicable;
Les parties étant de coutume différente (fon et dendi) l'arrêt incriminé ne précise pas la coutume applicable au divorce et à la garde des enfants;
Attendu qu'il est surprenant que le requérant invoque ce moyen qui a d'autant moins échappé à la Cour qu'elle a annulé le premier jugement ( sans grande justification, d'ailleurs les coutumes étant évoquées à plusieurs reprises dans celui-ci) pour défaut d'indication et d'énoncé de la coutume des parties;
Attendu qu'il est facile de lire dans l'arrêt «Attendu que selon les coutumes fon et dendi, applicables dans le cas d'espèce comme étant celles des parties» que suit une réfutation du bien fondé de ces coutumes face aux exigences de la vie moderne;
Attendu que le premier moyen est donc irrecevable;
2ème MOYEN.- Violation de la coutume;
En ce que l'arrêt confie la garde de l'enfant à la mère jusqu'à sa majorité;
Alors que le coutumier du Dahomey prescrit que la garde des enfants doit être confiée à la mère jusqu'à sept ans seulement;
Attendu que le coutumier du Dahomey consacre un seul article (ART. 156) à cette question qui traite en outre du remboursement de la dot. Qu'il est évident que ces pratiques ne correspondent plus à l'état actuel des mours surtout s'agissant de deux conjoints instruits et vivant de façon moderne ;
Attendu que la Cour d'appel a estimé qu'elle était fondée à passer outre à ces dispositions datant d'une époque où l'enfant représentait une richesse qu'il ne fallait pas distraire du clan paternel, ceci pour le maintien d'une équilibre traditionnel dans la conservation du patrimoine collectif familial et où la considération des raisons qui avaient pu motiver la dissolution des ménages n'entrait pas en ligne de compte;
Considérant que sans en venir à la jurisprudence prônée ailleurs et selon laquelle dès l'âge de 14 ans, l'enfant pourrait choisir lequel des deux conjoints divorcés il préfère suivre, il paraît normal de prendre en considération, en ce qui concerne la garde, l'intérêt bien compris de l'enfant, et que l'état du présent dossier nous indique très nettement de quel côté il penche. Que c'est ce que la Cour d'appel a fait et qu'elle a justifié sa décision par des considérations de fait qui échappent à l'examen de la Cour Suprême;
Considérant que sur le principe de se délier d'une coutume dépassée, la Cour Suprême se doit d'approuver la juridiction inférieure;
Attendu que le second moyen doit être rejeté;
3ème MOYEN .- Violation des articles 24, 45, 83 et 85 du décret du 3 décembre 1931 et 3 de la loi du 9 décembre 1964, violation des règles de preuve, insuffisance et contradiction de motifs;
1ère Branche: l'arrêt déduit que la preuve des sévices résulte de l'état d'ébriété quasi habituel du mari;
Celui-qui invoque un fait doit en rapporter la preuve. Attendu que s'il s'agit de la preuve de l'état d'ébriété, la Cour la tire du paragraphe précédent celui qui est incriminé en ce qui concerne le grief relatif à l'ivrognerie que lui reproche sa femme, l'appelant ne nie pas le fait puisqu'il a bien dit devant la Cour qu'en tant qu'homme politique, il reçoit beaucoup de visites et qu'à ces occasions, il est obligé d'offrir à boire, «Attendu que la Cour sait évidemment ce que parler veut dire»;
Attendu qu'il ne faut pas négliger non plus le fait que l'arrêt note dans ses qualités que la Cour statue au vu des pièces de la procédure et du premier jugement, où la preuve des sévices est tirée d'un témoignage entendu à la barre;
2ème branche: après avoir établi que les revenus du mari sont inférieurs à ceux de la femme, l'arrêt indique que le concluant doit mener un train de vie princier sans préciser en quoi consiste ce train de vie princier;
D'où l'insuffisance de motifs;
Considérant que l'arrêt statue en matière de droit traditionnel, qu'il est rendu par des Dahoméens et pour des Dahoméens; qu'il est des notions qui coulent de source telles celle indiquée ci-dessus et que personne ne songera, en parlant de train de vie princier, à celui de la Cour d'Angleterre, mais par contre que chacun se représente exactement la somme des obligations et charges découlant de l'appartenance à l'une des familles dont le nom suffit à faire distinguer l'origine ;
Considérant que le moyen n'est pas fondé;
Attendu qu'il y a lieu à la recevabilité du pourvoi en la forme;
A son rejet au fond;
PAR CES MOTIFS
Reçoit le pourvoien la forme ;
Au fond le rejette;
Condamne le requérant aux dépens.
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier à la Cour d'appel de Cotonou;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de Messieurs:
MATHIEU Edmond, Président de la Chambre Judiciaire, PRESIDENT;
Corneille T. BOUSSARI et Maurille CODJIA, CONSEILLERS;
Et prononcé à l'audience publique du vendredi vingt neuf juin mil neuf cent soixante treize, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de Monsieur:
Grégoire GBENOU, PROCUREUR GENERAL;
Et de Maître Honoré GERO AMOUSSOUGA, GREFFIER EN CHEF,
Et ont signé
Le Président, Le Greffier en Chef,
E. MATHIEU.- H. GERO AMOUSSOUGA