Emprunt de terre - Décès emprunteur - Récupération Autorité de la chose jugée - Intangibilité.
L'autorité de la chose jugée invoquée par une partie empêche celle-ci de changer l'argumentation y relative.
N° 6 du 25 AVRIL 1974
LA FAMILLE AKPITY ET CONSORTS
C/
HOUNKANRIN ANTOINE
Vu la déclaration en date du 24 mai 1971 faite au greffe de la cour d'appel de Cotonou par laquelle Maître FELIHO, avocat, conseil de la famille AKPITY, s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n°34 du 5 mai 1971rendu par la chambre de droit local de la cour d'appel de Cotonou;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Vu le mémoire ampliatif du 8 décembre 1971 de Maître Pierre BARTOLI conseil du demandeur au pourvoi;
Vu toutes les autres pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance n°21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement de la Cour Suprême;
Ouï à l'audience, du vendredi vingt cinq avril mil neuf cent soixante quatorze, Monsieur le Président Edmond MATHIEU en son rapport;
Mr le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la Loi;
Attendu que par déclaration enregistrée le 24 mai 1971, au greffe de la cour d'appel de Cotonou, Maître FELIHO, avocat, conseil de la famille AKPITY a élevé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n°34-71 du 5 mai 1971 rendu par la chambre de droit local de la cour d'appel de Cotonou;
Attendu que par bordereau n°2206/PG du 14 juin 1971, le Procureur Général près la cour d'appel transmettait avec 3 autres le dossier au procureur général près la cour suprême et qu'il était enregistré arrivée au greffe le 16 juin;
Attendu que par lettre n°888/GCS du 25 juin 1971, reçue le 26 en l'étude, le greffier en chef près la cour suprême notifiait à Maître BARTOLI, de l'étude duquel émanait le pourvoi, d'avoir à déposer la caution de 5.000 francs dans le délai de quinze jours et à faire parvenir son mémoire ampliatif dans les deux mois;
Attendu que la caution fut déposée le 8 juillet 1971 et que par lettre du 24 août 1971 le conseil sollicitait un nouveau délai de deux mois pour déposer son mémoire;
Que par lettre n°1363/GCS du 6 décembre 1971, accord était donné à Maître BARTOLI, mais que dès le 9 décembre le mémoire était enregistré arrivée au greffe;
Attendu que par lettre n°472/GCS du 28 décembre1971 communication était donnée au défendeur de la copie du mémoire du requérant avec indication d'un délai de deux mois pour y répondre;
Attendu que par P.V. n°252/CCP/SU du 12 février 1972 remise était effectuée au sieur HOUNKANRIN Antoine et le P.V. était enregistré arrivée au greffe le 7 mars 1972;
Attendu que le 12 mai 1972 était enregistré arrivée au greffe une lettre de Maître ANGELO, avocat, informant la cour de sa constitution pour les défendeurs et sollicitant un délai de deux mois pour déposer un mémoire;
Qu'un accord était donné au pied de la requête et exprimé par lettre n°564/GCS du 5 juin 1972 du greffier en chef reçue le six juin en l'étude;
Attendu que sans suite malgré des rappels, par lettre n°590/GCS du 18 juin 1973 au commissaire central de Porto-Novo, le greffier en chef faisait convoquer le sieur HOUNKANRIN;
Attendu que ce dernier se présentant le 25 juin 1973 confirma avoir pris comme conseil Monsieur ANGELO, qu'il lui fut accordé un ultime mois pour sa réponse;
Attendu que sans nouvelles depuis, il y a lieu de passer à l'examen de l'affaire;
EN LA FORME: attendu que le pourvoi st recevable, que les délais ont été respectés tant pour le versement du cautionnement que pour le dépôt du mémoire ampliatif, que l'inertie du défendeur est sans influence sur la recevabilité;
AU FOND
LES FAITS: l'affaire apparemment complexe, apparaît en réalité très simple à la lecture attentive des pièces du dossier;
En bref, dans un temps reculé, la date de 1688 a été avancée et non contestée, une première occupation des lieux litigieux sur lesquels sont élevées des constructions, a été réalisée soit par l'ancêtre du requérants, soit par ceux des deux parties, originaires d'une et l'autre des régions d'Allada et ayant suivi la migration de TE-AGBANLIN. Que la collectivité HOUNKANRIN s'y trouve par occupation originelle après défrichement, ou par donation de la part de l'ancêtre AKPITY peu importe en somme, puisque si les HOUNKANRIN ont plaidé la première situation, les AKPITY ont reconnu la seconde à une phase essentielle de la procédure, c'est-à-dire lors d'un jugement ayant acquis l'autorité de la chose jugée et datant du 20 octobre 1922. Il suffira en effet de scruter les termes des deux jugements des 29 septembre et 20 octobre 1922 du tribunal du 2è degré de Porto-Novo pour répondre à la plupart des critiques portées à l'arrêt incriminé du 5 mai 1971 de la cour d'appel. Actuellement en effet, ou plutôt depuis 1963, la collectivité AKPITY s'oppose à des travaux de réfection des cases de leurs adversaires, qui ont dû prendre l'initiative de se faire reconnaître propriétaires, et ont réussi tant devant le tribunal de première instance de Porto-Novo, que devant la cour d'appel;
Le requérant cependant a toujours brandi les jugement du 20 octobre 1922 pour affirmer que la propriété de la totalité de la concession occupée par les deux familles leur avait été alors reconnue et que cette décision ayant acquis l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel l'avait méconnue;
Les consorts AKPITY ne veulent pas avoir ce qui apparaît clairement:que ''dans le Tata commun'' (termes tirés de l'exposé des faits du jugement n°96 du 29 septembre 1922) une parcelle avait été prêtée à une femme d la famille AKPITY qui avait épousé un membre de la famille HOUNKANRIN et que le procès avait pour objet de récupérer cette parcelle après le décès de ses occupants;
Le transport effectué par le tribunal (exposé ses motifs du jugement n°112 du 20 octobre 1922) avait fait ressortir ''que la case occupée par la femme de ATOU fait bien partie du Tata d'AKPITY, que c'est le père de ce dernier qui l'avait prêté(e) il y a environ 50 ans au feu ATOU parent de sèdahidé HOUNKANRIN et consorts qui habitent le Tata et qui ne sont nullement inquiétés par AKPITY et consorts'';
Il est, on ne peut plus clair qu'il ne s'agit pas de contester aux HOUNKANRIN leur présence sur les lieux, mais de rentrer dans un fonds prêté en usufruit et faisant partie de l'ensemble;
Et ce pendant, le requérant n'en démord pas et base toute son argumentation sur le postulat de la portée générale du jugement de 1922;
Il développe à cet effet trois moyens.
1er MOYEN: violation des articles 6 et 85 du décret du 3 décembre 1931 et 3 de la loi du 9 décembre 1964, fausse application et défaut d'énoncé complet de la coutume, insuffisance de motifs;
En ce que l'arrêt entrepris déclare que l'existence d'une sépulture sur un fonds consolide irrévocablement le droit de propriété de celui qui l'y a installée d'où il a tiré une preuve du droit de propriété du défendeur; alors qu'il résultait d'une décision antérieure et des déclarations des parties devant le tribunal qui l'avait rendue: que l'inhumation du défunt avait été autorisée par les aïeux des demandeurs en raison des circonstances exceptionnelles et du fait que l'un d'eux autorisé le défunt à occuper une partie de leur immeuble d'où il s'en suit que la cour a fait une fausse application de la coutume et n'en a pas consigné dans sa décision l'énoncé complet;
Le requérant prend pour l'opinion du tribunal du 2è degré de Porto-Novo ce qui n'est que la version de l'appelant AKPITY qui d'ailleurs est rapportée en ''R..'';
Le tribunal a tout aussi bien enregistré la réponse de son adversaire qui a déclaré ''tout ce que dit AKPITY est faux'' et plus loin ''ce sont ces deux hommes qui ont débroussé le sol'';
C'est d'ailleurs pour en finir, le moment de relever la citation des dires d'AKPITY (page 2 verso); puisque ces sens sont avec nous depuis plus de cent ans il est entendu qu'ils peuvent continuer à y rester. Nous ne réclamons pas pour cela. Ce que nous réclamons, c'est une portion de notre part qui a été prêté à ATOU qui est de la famille AGOGNON;
Le premier moyen reposant sur une fausse ne peut donc être accueilli;
DEUXIEME MOYEN: violation des articles 83 du décret du 3 décembre 1931 et 3 de la loi du 9 décembre 1964, défaut de réponse aux conclusions des parties , dénaturation des termes du débat et des conclusions des parties et insuffisance de motifs;
En ce que l'arrêt critiqué déclare que le défendeur est propriétaire de l'immeuble en retenant qu'il invoque une possession s'étendant sur cinq générations et y possède une sépulture;
Alors qu'il résultait des conclusions du défendeur qu'il reconnaissait que l'immeuble avait été la propriété de la famille des demandeurs, mais invoquant une donation faite par celle-ci à ses auteurs sans en apporter la preuve et que de son côté (sio) les demandeurs invoquaient comme preuve de leur droit, en vertu de toutes les coutumes, l'existence du temple dont la propriété leur était reconnue par l'autre partie sur le terrain litigieux d'où il s'en suit que la cour d'appel devait non seulement se prononcer sur l'existence de la donation alléguée, et contestée, mais encore indiquer les raisons pour lesquelles la règle coutumière invoquée par le demandeur ne pouvait être retenue, ce qu'elle n'a pas fait;
Le requérant a invoqué tout au long du procès le jugement de 1922 et se trouve mal venu d'en nier le contenu qui pour le moins convient de la donation en question par son ancêtre;
Il était utile pour la cour de suivre toutes les argumentations reposant sur des bases fausses et elle n'a violé aucun texte de loi, n'a pas dénaturé les termes du débat et a suffisamment motivé sa décision d'autant qu'elle a confirmé le jugement dont appel en adoptant ses motifs non contraires aux siens propres;
Le requérant ne peut pas à la fois invoquer la chose jugée et changer l'argumentation contenue dans cette chose;
TROISIEME MOYEN: violation des articles 3 et 36 de la loi précitée, 23 et 89 du décret précité, violation des règles de procédures, de celle de l'interprétation et de la chose jugée;
En ce que l'arrêt entrepris a rejeté l'exception de la chose jugée au motif que l'un des demandeurs avait déclaré que l'immeuble précédemment litigieux avait été vendu et que le jugement dont s'agit était imprécis;
Alors qu'il s'agissait dans le jugement du 20 octobre 1922 du terrain dans lequel avait été inhumé l'ancêtre du défendeur d'où il s'ensuivait que l'exception proposée était fondée;
Encore une fois le requérant part d'une base fausse: la portion en litige en 1922 n'était pas forcément celle d'où l'ancêtre avait été enterré: si nous reprenons l'exposé du demandeur nous lisons:
D: à AKPITY: pourquoi faites-vous appel?
R: je suis le propriétaire du terrain en litige au quartier Bagré.
Le grand père de HOUNKANRIN qui était de Davié ayant offensé sa famille fut expulsé de son village et fut reçu chez nous. Nous lui donnâmes une part du Tata, à sa mort nous ne le voulions pas dans une terre qui n'était pas la sienne; on envoya le corps à Davié qui le refuse, nous dûmes l'accepter et il est enterré ici. Tous ses descendants étaient là;
Mon frère avait prêté un emplacement au nommé Ayou, descendant de celui qui était mort. Atou était mort avant le règne de Toffa - sa femme resta dans la case. voulant disposer de cet emplacement pour avoir de l'argent. Nous avons donné à cette femme un autre endroit.'';
Il s'agit donc d'un tout autre endroit que de l'emplacement de la tombe;
D'ailleurs nous pouvons rappeler la déclaration du même AKPITY en réponse aux dénégations de HOUNKANRIN: ''puisque ces gens sont avec nous depuis plus de cent ans, il est entendu qu'ils peuvent continuer à y rester. Nous ne réclamons pas pour cela.''
Donc le requérant a tort de relier le premier jugement à la présence du tombeau et tout son raisonnement tombe de ce fait. Son moyen n'a donc pas à être examiné plus avant;
En conclusion, il y a lieu de recevoir le pourvoi en la forme;
De le rejeter au fond;
PAR CES MOTIFS
Reçoit le pourvoi en la forme;
Au fond le rejette;
Condamne le requérant aux dépens;
- Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
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- Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général de la Cour d'Appelde Cotonou ;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée deMessieurs :
Edmond MATHIEU, Président de la Chambre Judiciaire, PRESIDENT
Maurille CODJIA et Alexandre PARAISO, CONSEILLERS
Et prononcé à l'audience publique du vendredi vingt deux février mil neuf cent soixante quatorze, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de Monsieur:
Grégoire GBENOU, PROCUREUR GENERAL
Et de Maître Pierre V. AHEHEHINNOU, GREFFIER
Et ont signé:
Le Président Le Greffier
E. MATHIEU Pierre V. AHEHEHINNOU