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Famille - Divorce prononcé au torts respectifs des conjoints - Garde des enfants - Intérêts des enfants.
La mère pour prétendre reprendre au père la garde de son enfant doit exposer au juge les faits précis, incontestables et pertinents desquels il doit résulter que l'assomption de la garde par le père compromettrait la santé ou l'éducation et par voie de conséquence l'avenir dudit enfant.
Yéwadan Togbé Riwanou C/ Dame Yéwadan Togbé née Delphine CHODATON
N°72-19/CJ-C 20/12/1974
La Cour,
Vu la déclaration en date du 4 août 1972 faite au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle Maître ASSOGBA Raoul avocat à la Cour, Conseil de Yéwadan Togbé Riwanou s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n°69 du 12 juillet 1972 rendu par la Cour d'Appel de Cotonou (Chambre de Droit Traditionnel)
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les mémoires ampliatif et en défense des 9 avril 1973 et 4 janvier 1974 des Maîtres ASSOGBA Raoul et AGBO Adrien, Conseils des parties en cause;
Vu toutes les autres pièces produites et jointes au dossier;
Vu l'ordonnance N°21/PR du 26 avril 1966 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;
Ouï à l'audience publique du vendredi vingt décembre mil neuf cent soixante quatorze; Monsieur le Président Edmond MATHIEU en son rapport;
Monsieur le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par déclaration enregistrée le 4 août 1972 au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, Maître ASSOGBA, avocat, conseil de Yéwadan Togbé Riwanou a élevé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n°69 du 12 juillet 1972 rendu par la Cour d'Appel de Cotonou en sa Chambre de Droit traditionnel.
Attendu que par bordereau n°2904/PG du 11 novembre 1972, le Procureur général près la Cour d'Appel transmettait au procureur Général près la Cour Suprême le dossier de la procédure qui était enregistré arrivée au greffe le 13 novembre.
Attendu que par lettre n°1206/GCS du 14 décembre 1972, reçue le 16 en l'étude, le Greffier en Chef près la Cour Suprême rappelait à Maître ASSOGBA, auteur du pourvoi les dispositions des articles 42 et 45 de l'Ordonnance 21/PR du 26-4-1966 et en conséquence lui notifiait d'avoir à déposer la caution de 5.000 francs dans les 15 jours et le mémoire ampliatif de ses moyens de cassation dans le délai de deux mois.
Attendu que par lettre du 26 décembre, reçue le 29 au greffe, il faisait parvenir le montant de la caution et que c'est le 10 avril 1973 qu'il déposait son mémoire en trois exemplaires, assorti des copies des décisions rendues en l'affaire.
Attendu que par lettre n°395/GCS du 25 avril 1973 transmise par le 396 du même jour au Commissaire Central de Police de Cotonou, le Greffier en Chef près la Cour Suprême faisait tenir à la défenderesse dame CHODATON, copie du mémoire ampliatif et lui accordait deux mois pour sa réponse.
Que notification était effectuée le 14 mai 1973 suivant procès verbal 072/C4A du Commissaire de Police du 4ème arrondissement, enregistré arrivée au greffe le 23 mai 1973.
Attendu que le 22 juin 1973 était enregistrée arrivée au greffe une lettre de constitution de Maître Michaël AGBO, qui demandait en même temps de renvoyer cette affaire après vacations.
Qu'un accord lui était donné au pied de la requête et confirmé par lettre n°629/GCS du 2 juillet, reçue le 6 à l'étude.
Que le 29 novembre parvenait au greffe une lettre datée du 28 par laquelle Maître AGBO déclarait se déconstituer.
Attendu qu'une convocation était adressée à la dame CHODATON par n°1238/GCS du 10 décembre 1973 au Commissaire Central de Police et qu'elle comparaissait effectivement le 28 décembre pour se voir accorder un ultime délai de un mois pour présenter ses moyens de défense.
Attendu que le 16 janvier était enregistré arrivée le mémoire en défense à en-tête et signature de Maître AGBO.
Attendu que l'affaire est donc en état d'être examinée.
En la forme: Attendu que la recevabilité ne pose pas problème. Que la caution a été versée dans le délai de la loi et que le mémoire ampliatif a été versé avec un peu de retard mais sans rappel de la part du rapporteur.
Au fond: Les faits.
Le requérant vient devant la Cour Suprême contre un arrêt d'interprétation.
Un jugement n°156 du 28 octobre 1970 du Tribunal de 1ère Instance de Cotonou statuant en matière de droit traditionnel avait prononcé le divorce entre les parties aux torts réciproques, confié au père la garde des trois aînés du ménage à la fin de l'année scolaire 1971 et à la même celle des deux derniers jusqu'au 1er septembre 1974.
Sur appel des deux parties la Cour, par arrêt n°69-71 du 30 juin 1971, rendu en Chambre de Droit Local, confirma le divorce aux torts réciproques et sur la garde s'exprima ainsi.
«Attendu qu'il est issu cinq enfants du mariage à savoir Raïmy 13 ans, Mariama 10 ans, Razzaki 8 ans, Soulé 6 ans et Sikiratou 4 ans.
Attendu que le juge doit être guidé sur la question de la garde par l'intérêt des enfants ...
Confie au père Yéwadan Togbé Riwanou, la garde des enfants Raïmy, Mariama et Razzaki;
Confie à la mère dame Delphine CHODATON la garde des enfants Soulé et Sikiratou jusqu'à leur majorité;
Condamne Yéwadan Togbé à payer mensuellement à la dame CHODATON Delphine à titre de pension alimentaire pour les enfants Soulé et Sikiratou la somme de 1.500 francs pour chacun desdits enfants.
Dit que la dame CHODATON Delphine percevra les allocations familiales concernant les enfants Soulé et Sikiratou.
Met à la charge du père les frais médicaux et les dépenses scolaires de deux derniers enfants etc.
Le sieur Yéwadan Togbé Riwanou ne se pourvut pas contre cet arrêt, mais introduit une requête en interprétation qui ne figure pas aux pièces du dossier, mais est rapportée ainsi aux qualités de l'arrêt n°69-72 du 12 juillet 1972 incriminé:
«Attendu qu'il expose à l'appui de sa requête que ledit arrêt qui a confirmé le prononcé du divorce entre lui et son épouse née CHODATON Delphine, a confié à celle-ci la garde des enfants Soulé et Sikiratou alors âgés respectivement de 6 et 4ans jusqu'à leur majorité - que le mot majorité porté à confusion et crée des difficultés quant à l'exécution de la décision - qu'en effet on se demande s'il s'agit de la majorité civile qui est de 21 ans ou de l'âge de 7ans qui est considéré comme l'âge de raison et qui permet selon les coutumes des parties de transférer la garde des enfants à leur père - que de toute évidence, il ne peut s'agir dans l'esprit et l'expression de la décision déférée que l'âge de 7 ans.
La Cour dans un motif unique et très bref déclare:
«Attendu que l'âge de 7 ans considéré à juste titre par le requérant comme l'âge de raison ne saurait se confondre avec la majorité civile et que le mot majorité, terme employé par l'arrêt sus-indiqué s'entend de la majorité civile qui est de 21 ans.
Et le dispositif est sans nuances: dit que le mot majorité s'entend de l'âge de 21 ans.
Attendu que le moyen unique de cassation est formulé ainsi:
En décidant que le mot majorité s'entend de l'âge de 21 ans, la Cour d'Appel a violé la coutume Goun qui attribue en cas de divorce ou de séparation des parents, la garde des enfants au père.
Attendu qu'il apparaît d'emblée que le requérant pose un faux problème.
Attendu que la Cour d'appel en son arrêt d'interprétation avait à définir le sens d'un terme qui paraissait ambigu au sieur Yéwadan Togbé Riwanou: celui de majorité et pour lequel il entendait «âge de 7 ans prévu par les coutumes».
Attendu que la Cour a rétorqué que les deux notions ne sauraient se confondre, et c'est évident.
Attendu que la Cour aurait eu toute facilité pour démontrer que le sens de l'arrêt était clair, puisque en fait au moment où il était prononcé, 30 juin 1971, l'enfant Soulé avait 6 ans et l'enfant Sikiratou 4 ans, que le premier jugement avait stipulé la remise au père en 1974 soit au moment où le plus jeune aurait ses 7 ans; que l'arrêt n'aurait eu alors qu'à confirmer purement et simplement le 1er jugement et aurait ainsi approuvé ce qu'avait décidé le 1er juge.
Attendu en outre que l'arrêt a pris la peine de relever dans un motif que «le fait de renvoyer les enfants à leur mère prouve le peu d'intérêt de leur père à leur égard; qu'il y a lieu d'en tenir compte «Attendu que le fait de dire que l'âge de 7 ans serait celui auquel les deux enfants devaient retourner chez leur père, donc faisant retourner l'enfant Soulé plus tôt que ne l'avait prévu le 1er jugement qui n'avait pas porté d'appréciation péjorative sur le comportement du père, eut été incompatible avec le motif relevé qui justifiait une garde plus longue laissée à la mère.
Attendu donc que l'arrêt d'interprétation ne peut être critiqué, c'est bien l'âge de 21 ans qu'a voulu indiquer l'arrêt interprété;
Mais ne s'agit-il pas pour le requérant d'une manouvre de rattrapage de la décision du 30 juin 1971, qu'il n'a pas eu la précaution d'attaquer en temps utile?
Attendu en effet que les arguments qu'il présente auraient eu du poids à l'encontre de cette décision.
Car de toutes manières la fixation de la garde à la mère jusqu'à l'âge de 21 ans ne se justifie pas.
Attendu ou bien que l'on tient à la coutume et que quels que soient les torts et griefs on fixe le retour auprès du père à l'âge indiqué par cette coutume.
Ou bien que l'on s'en libère et qu'on tombe dans l'application de la jurisprudence française qui tient compte exclusivement de l'intérêt des enfants, mais alors qu'on doit se souvenir que les mesures de garde sont essentiellement conditionnées par cet intérêt et susceptibles à tout moment d'être modifiées, ce qui empêche de leur assigner une durée déterminée.
Mais attendu que ces considérations sont extraordinaire de la cause présentée devant la Cour Suprême et ne peuvent influer sur la nécessité qui apparaît de recevoir le pourvoi en la forme, de le rejeter au fond.
PAR CES MOTIFS;
Accueille le pourvoi en la forme;
Au fond le rejette;
Condamne le requérant aux dépens.
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou, ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général de la Cour d'Appel de Cotonou;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de Messieurs:
Edmond MATHIEU, Président de la Chambre Judiciaire: ... Président
Maurille CODJIA et Gérard AGBOTON ..........Conseillers
Et prononcé à l'audience publique du vendredi vingt décembre mil neuf cent soixante quatorze, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus, en présence de:
Monsieur Grégoire GBENOU.............Procureur Général
Et de Maître Pierre Victor AHEHEHINNOU...........Greffier
Et ont signé:
Le Président Le Greffier,
E. MATHIEU.- P. V. AHEHEHINNOU