N°5/CJA du Répertoire
N° 74-12 /CJA du Greffe
Arrêt du 19 mai 1978
AZON Séraphin
c/
AKLAMAVO Emmanuel
Vu la déclaration du 28 décembre 1973 au Greffe de la Cour d'Appel par laquelle AZON Séraphin a déclaré se pourvoir en cassation contre toutes les dispositions de l'arrêt n°64 rendu le 12 décembre 1972 par la Chambre de droit traditionnel de ladite Cour;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les mémoires ampliatif et en défense des 23 juillet 1975 et 18 janvier 1977 des Maîtres FELIHO et AMORIN, conseils des parties en cause;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu l'ordonnance n° 21/PR du 26 Avril 1966 portant organisation la Cour Suprême;
Oui à l'audience publique du Vendredi 19 mai 1978, le Conseiller Maurille CODJIA en son rapport;
Oui le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par acte enregistré en greffe de la Cour d'Appel , en date du 28 décembre 1973, AZON Séraphin a déclaré se pourvoir en cassation contre toutes les dispositions de l'arrêt n°64 rendu le 12 décembre 1972 par la Chambre de droit traditionnel de ladite Cour dans l'affaire l'opposant à AKLAMAVO Emmanuel ;
Attendu que suivant bordereau n° 1489 / PG du 25 avril 1974, le dossier de la procédure a été transmis au Procureur Général près la Cour Suprême et enregistré au greffe de ladite Cour le 2 mai 1974 s/ n° 298/ GCS ;
Attendu que une lettre de mise en demeure n°439/GCS datée du 17 mai 1974 invitait AZON Séraphin à se conformer aux prescriptions des articles 42 et 45 de l'ordonnance n°21/ PR du 26 avril 1966 et lui impartissait un délai de 2 mois pour produire ses moyens de cassation;
Que cette lettre lui fut notifiée le 6 juin 1974 par P. V. n°1118/ CIA du Commissaire de Police du 1er arrondissement de la ville de Cotonou et le juin 1974, il consignait au greffe de la Cour une somme de 5.000;
Attendu que convoqué à la Cour par suite de son silence , il a été entendu successivement les 14 novembre et 12 décembre 1974 au Greffe de la Cour et prié instamment de se soumettre aux prescriptions légales;
Attendu que après s'être constitué pour assurer la défense des intérêts de AZON et avoir demandé des prorogations de délai de deux mois , Me FELIHO adressé à la Cour son mémoire ampliatif enregistré s/n°465 /GCS;
Que ce mémoire a été communiqué à AKLAMAVO Emmanuel avec un délai de deux mois pour y répliquer suivant lettre n°707/GCS du 18 août 1975;
Attendu que convoqué par la voix de la Révolution (message n° 639/ GCS du 21 juin 1976 ) AKLAMAVO a été entendu par le Greffier en Chef d'abord le 18 juin 1976 et plus tard , par suite de son inaction le 20 novembre 1976;
Attendu Me AMORIN pour le compte d'AKLAMAVO , a fait parvenir à la Cour un mémoire en défense enregistré le 24 janvier 1977 s/n°019/ GCS;
Attendu qu'en la forme , le pourvoi est recevable , les exigences de la loi ayant été observées dans l'ensemble;
AU FOND
Les Faits
Attendu que par requête en date du 24 juin 1965 AKLAMAVO Emmanuel a saisi le Tribunal de Cotonou en exposant que AZON Séraphin lui conteste son droit de propriété sur une parcelle de terrain sise à Cotonou , au quartier Abidjancogji, qu'il a acquise auprès du nommé HEDOKINGBE Gangbadja;
Qu'il verser au dossier à l'appui de sa requête un acte de vente sous seing- privé daté du 1er janvier 1959;
Attendu que AZON Séraphin, pour sa part, soutient et fait défendre que cette même parcelle lui a été régulièrement cédée le 7 février 1959 par HEDOKINGBE Gangbadja ainsi que le prouve l'attestation de vente annexée au dossier;
Attendu que le Tribunal de 1ère Instance de Cotonou a rendu le 9 mars le jugement d'incompétence n°17 en application des dispositions du décret du 26 juillet 1932 modifié par la loi du 14 août 1965 au motif essentiel que le terrain litigieux fait l'objet du titre foncier n°438 du Cotonou;
Attendu que sur la Cour a , par arrêt n°29/68 du 22 mai 1968 , annulé le jugement entrepris et renvoyée les parties devant le Tribunal de 1ère Instance de Cotonou pour être statué au fond;
Attendu qu' après un nouvel examen , le Tribunal de Cotonou a par jugement n° 149 du 5 novembre 1969, confirmé le droit de propriété de AKLAMAVO Emmanuel sur le terrain contesté estimant que l'acte que l'acte de vente présenté par AKLAMAVO est antérieur à) celui de AZON;
Attendu qu'en cause d'appel , la Cour a rendu le 12 décembre 1973, l'arrêt n°64/73 confirmant ce jugement et fait défense à AZON de troubler désormais AKLAMAVO dans la jouissance de son bien;
Attendu qu'elle conclut elle- aussi à l'antériorité de l'acquisition de AKLAMAVO par rapport à celle de AZON et affirme sic«qu' à la date du 7 février 1959, Gangbadja n'était plus propriétaire de la parcelle qui était rentrée dans le patrimoine de AKLAMAVO par l'effet de l'acte du 1er janvier 1959»
Attendu que c'est contre les dispositions de cet arrêt que AZON a formé le présent pourvoi en articulant ses griefs dans deux moyens de cassation tirés de la violation des articles 1328 et 1599 du code civil , de l'insuffisance de motifs et de manque de base légale;
DISCUSSION DES MOYENS
1ER Moyen
Tiré de la violation de l'article 1328 du code civil , violation de la loi; insuffisance de motifs; manque de base légale;
En ce que la Cour d'Appel a déclaré que la preuve de la fausseté de la date de la convention de vente intervenue entre Kèdogingbé GANGBADJA et Emmanuel AKLAMAVO qui n'était pas rapportée;
A lors que cette preuve résulte des débats et spécialement des propres déclarations des témoins d'AKLAMAVO qui sont contraires aux énonciations de l'acte dont il excipe;
Attendu qu'il importe avant tout , en l'espèce , de s avoir si les actes présentés par les parties au procès peuvent être pris en considération, comme moyen de preuve , du fait du caractère coutumier du litige;
Attendu que d'une façon générale , les règles du droit moderne sont, aux termes du décret du 2 mai 1906, inapplicables aux litiges relevant du droit traditionnel;
Attendu cependant que du moment où , les parties introduisent elles - mêmes dans leurs relations contractuelles coutumières des moyens de preuve admis en droit moderne , on est bien obligé de faire appel aux règles du code civil pour en apprécier la force probante;
Attendu que le témoignage demeure , par prédilection, le moyen de preuve généralement accepté en coutume- Mais face à l'évolution actuelle , cette règle ne saurait avoir un caractère absolu;
Attendu que la Cour Suprême, conformément à une jurisprudence bien établie tend à encourager l'application de plus en plus généralisée des règles du droit moderne , toutes les fois que celles-ci s'avèrent nécessaires ou que les parties elles-mêmes les invoquent pour justifier leurs droits;
Attendu que cette conception s'impose d'autant plus aisément que la plupart des actes passés désormais par les juridictions le sont par écrit alors qu'un tel mode de preuve est inconnu en droit traditionnel;
Qu'il s'ensuit que ce premier moyen ne peut être rejeté , à priori, en ce que il invite la Cour à faire application du droit civil moderne à un litige relevant du droit coutumier;
Qu'on ne saurait écarter d'office les dispositions de l'article 1328 du code civil , s'agissant d'apprécier dans un domaine exclusivement coutumier , la valeur de la force probante d'actes sous seing privé dont excipient les parties au de leurs droits;
Attendu qu'en l'espèce AKLAMAVO et AZON ont présenté au Tribunal deux actes de vente rédigés à la main et signés respectivement par GANGBADJA ,leur vendeur commun et par leurs témoins;
Attendu que ces conventions qui aux termes de l'article 1328 du code civil n'ont pas été enregistrées , ni affirmées selon les dispositions du décret du 2 mai 1906 n'ont pu acquérir ni date certaine , ni la force probante reconnue aux actes sous - seing privé par l'article 1322 du code civil;
Qu'elles sont , de ce fait inopposables aux litigants du fait que chacun d'eux apparaît comme un tiers par rapport à la convention intervenue entre leur vendeur commun et l'autre;
Attendu qu'il s'ensuit donc que ni AKLAMAVO ni AZON ne peut se prévaloir de la date de leur convention respective pour justifier l'antériorité de l'acquisition de l'un par rapport à celle de l'autre;
Attendu qu'en conséquence , la Cour d'Appel en fondant exclusivement sa décision sur les dates de deux conventions a sans aucun doute, donné une fausse base à son arrêt qui encourt, de ce chef, la cassation;
Qu'il s'agit en effet d'actes sous seing privé n' ayant pas date certaine pour valoir comme moyens de preuve;
Attendu que la Cour aurait dû recourir à la preuve testimoniale pour justifier l'antériorité de l'acquisition de l'une des parties par rapport à celle de l'autre;
Attendu que malgré le caractère assez contradictoire , confus et partisan des déclarations des témoins, il importe de rechercher dans le dossier et les débats , des témoignages suffisamment précis pour faire la preuve de cette antériorité;
Que les dépositions des témoins Alex DESIRE et ADOMOU Benoît sont assez symptomatiques pour administrer cette preuve , bien qu'il s'agisse de fait dont l'appréciation relève de la seule compétence des juges du fond;
D'où il suit que l'arrêt doit être cassé , le moyen soulevé étant fondé en ce qu'il soutient que la preuve de l'antériorité de l'un par rapport à l'autre doit être recherchée ailleurs que dans les actes eux-mêmes;
2è Moyen
pris de la violation de l'article 1599 du code civil -insuffisance de motif - manque de base légale;
En ce que la Cour d'Appel a déclaré qu'il était établi que le 7 février 1959, Hedokingbe GANGBADJA n'était plus propriétaire de la parcelle litigieuse qui était rentrée dans le patrimoine de AKLAMAVO Emmanuel par l'effet de l'acte du 1er janvier 1959;
Alors que , ainsi qu'il a été démonté , l'acte produit par AKLAMAVO porte une date manifestement fausse et en tout cas que cette date n'était pas certaine et ne saurait dès lors être opposée au concluant;
Attendu que le principe de l'inopposabilité de ces actes était acquis il est utile de continuer à épiloguer sur ce second moyen dont les griefs ont déjà été discutés;
Attendu que toutes autres considérations paraissent superfétatoires parce que relevant du domaine des faits dont la Cour Suprême ne peut connaître;
Attendu que AZON soutient que la Cour d'Appel n' a pas répondu aux moyens invoquée relativement à l'antériorité de son acte par rapport à celui d'AKLAMAVO
Attendu qu'il est constant que toute juridiction a l'obligation de répondre aux moyens de défense , faute de quoi sa décision encourt l'annulation;
Attendu en l'espèce , que les moyens soulevés expressément par le demandeur ont été examinés;
Qu'en effet pour la Cour d'Appel , la preuve de la fausseté de la date de la convention de vente intervenue entre GANGBADJA et AKLAMAVO n'est pas rapportée;
Mais attendu qu'il importe peu que cette preuve puisse être rapportée si la convention elle-même n'est pas prise en considération;
Attendu qu'il résulte de toutes ces considérations que l'arrêt doit être cassé;
PAR CES MOTIFS
La Cour après avoir délibéré conformément à la loi;
- reçoit le pouvoir en la forme;
- casse et annule l'arrêtau fond pour manque de base légale;
- renvoie la cause et les parties devant la Cour autrement composée;
- ordonne la restitution de l'amende consignée;
- met les dépens à la charge du Trésor Public;
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de:
Cyprien AINANDOU, Président de la Cour Suprême;
PRESIDENT;
Maurille CODJIA et François GRIMAUD;
CONSEILLERS;
Et prononcé à l'audience publique du Vendredi dix neuf mai mil neuf cent soixante dix huit, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de:
Grégoire GBENOU; PROCUREUR GENERAL
Et de Germain MIASSI; GREFFIER EN CHEF
Et ont signé:
Le Président Le Rapporteur Le Greffier en Chef
C. AINANDOU M. CODJIA G. MIASSI