N° 8 / CJA du Répertoire
N° 73-6/ CJA du Greffe
Arrêt du 21 Juillet 1978
ZANNOU Nathaniel
c/
Consorts KINDE
GODONOU Danase
Vu la déclaration en date du 20 Octobre 1972 au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou par laquelle ZANNOU Nathaniel a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n° 82 rendu le 7 Septembre 1972 par la Chambre de Droit traditionnel de la Cour d'Appel;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les mémoires ampliatif et en défense des 15 Avril 1976 et 15 Avril 1977 des Maîtres ASSOGBA et DOSSOU conseils des parties en cause;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu l'ordonnance n° 21 / PR du 26 Avril 1966 portant organisation, de la Cour Suprême;
Oui à l'audience publique du Vendredi vingt et un Juillet mil neuf cent soixante dix huit, le conseiller CODJIA Maurille en son rapport;
Oui le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par acte enregistré au Greffe de la Cour d'Appel en date du 20 Octobre 1972, ZANNOU Nathaniel cultivateur à Yagbé-Dandji Cotonou, a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n° 82 rendu le 7 Septembre 1972 par la Chambre de droit traditionnel de la Cour d'Appel dans l'affaire:
ZANNOU et consorts
c/KINDE et consorts.
Attendu que le dossier de la procédure, transmis par bordereau n° 2508/PG du 26 Novembre 1973, au Procureur Général près la Cour Suprême, a été enregistré au greffe de ladite Cour le 16 Novembre 1973 s/n° 796/GCS;
Attendu que par lettre n° 1242 / GCS du 11 Décembre 1973, le Greffier en Chef invitait ZANNOU à se conformer aux prescriptions des articles 42 et 45 de l'ordonnance n° 21 / PR et lui accordait un délai de 2 mois pour produire ses moyens de cassation;
Attendu que cette lettre a été remise le 28 Janvier 1974 à ZANNOU suivant PV n° 11/C4A du même jour par le Commissaire de Police du 4ème arrondissement de la ville de Cotonou;
Attendu que convoqué par lettre n° 1151/GCS du 20 Novembre 1974 ZANNOU Nathaniel a été entendu sur PV le 21 Avril 1975 avec mise en garde d'avoir à déposer son mémoire ampliatif par le canal d'un avocat au plus tard dans le délai de 1 mois;
Attendu que suite à sa lettre de constitution Maître Désiré Raoul ASSOGBA, Conseil de ZANNOU dans les intérêts de ce dernier et consécutivement à plusieurs lettres de prorogation de délai datée du 16 Mai a enfin fait parvenir à la Cour, en triple exemplaire, son mémoire ampliatif enregistré à la Cour le 27 Avril 1976 s/N° 233/GCS et dont communication à KINDE Alfred et consorts par lettre n° 454/GCS du 6 Mai 1976 et à Cotonou Damase par lettre 456/GCS du même jour;
Attendu qu'invité par lettre n° 937/GCS du 17 Novembre 1976; le Greffier en Chef a procédé à l'audition de KINDE Marc sur PV le 25 Novembre 1976;
Attendu que par lettre du 24 Novembre 1976 enregistrée à la Cour le 25 Novembre, Maître DOSSOU informait la Cour de sa constitution dans les intérêts de GODONOU Damase;
Qu'après plusieurs lettres de rappel, Maître DOSSOU adressait à la Cour son mémoire en défense enregistré au greffe le 15 Avril 1977 s/n° 138/GCS;
Attendu qu'en la forme le pourvoi est parfaitement recevable, la consignation ayant été versée et les prescriptions légales respectées;
AU FOND
LES FAITS:
Attendu que par requête non datée GODONOU Damase a introduit, courant 1976, une instance en contestation de droit de propriété sur un terrain sis à Yagbé contre les consorts ZANNOU;
Attendu qu'il est constant que GODONOU Damase a acquis, tout au moins, son droit d'usage de la collectivité KINDE - Attendu qu'il importe de déterminer si cette acquisition est ou non "a domino";
Attendu que la collectivité ZANNOU conteste en effet à la collectivité KINDE son droit de propriété sur la parcelle cédée à GODONOU;
Attendu que le tribunal de Cotonou a, par jugement n° 116 du 13 Novembre 1968, reconnu le droit d'usage de GODONOU Damase sur le terrain litigieux;
Attendu que sur appel interjeté par les consorts ZANNOU, la Cour d'Appel a par arrêt n° 82/72 du 7 Novembre 1972, confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Que c'est contre cet arrêt que ZANNOU Nathaniel a élevé le présent pourvoi en articulant ses griefs dans plusieurs moyens de cassation.
DISCUSSION DES MOYENS
PREMIER MOYEN pris en ses différentes branches tirées de la dénaturation des termes du débat - contradiction et insuffisance de motifs - violation de la loi - manque de base légale.
Attendu que conformément à une jurisprudence établie, confirmée par une doctrine constante les juges disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier souverainement le crédit qu'ils peuvent accorder aux dispositions des témoins.
Qu'il en résulte que l'appréciation des juges du fond, sur la valeur même des témoignages, échappe au contrôle de la Cour Suprême qui peut contraindre en effet, les juridictions à s'expliquer sur les raisons déterminant leur conviction en faveur d'un témoignage par rapport à un autre.
Qu'il est en effet admis en jurisprudence que les témoignages se pèsent et ne se comptent pas.
Attendu qu'en l'espèce, si d'une façon générale, les témoignages recueillis paraissent aussi confus et contradictoires les uns que les autres, il n'en demeure pas moins que pour préciser les droits respectifs de chaque litigant la Cour d'Appel s'était référée plus particulièrement aux déclarations de FATCHE et de CHAGANON Ahounou voisins limitrophes Nord et Sud du terrain litigieux.
Attendu qu'il ressort de l'ensemble du dossier et surtout de leurs témoignages qu'un conflit avait opposé les consorts KINDE et ZANNOU et qu'un conseil de village présidé, par les chefs de village et des notables avait eu à intervenir pour préciser les droits de chacun.
Attendu que l'arrêt s'est suffisamment expliqué sur les éléments qui ont permis à la Cour d'Appel de faire droit aux prétentions des KINDE, en confirmant le droit d'usage de GODONOU Damase sur le terrain contesté.
Attendu que le problème posé en réalité dans cette affaire est celui de la délimitation, tel qu'il apparaît dans plusieurs témoignages parfaitement crédibles et dignes de foi.
Qu'en effet, contrairement aux allégations des demandeurs, il y avait eu effectivement partage fixant les limites de certaines terres et l'arrêt n'a jamais écarté la conciliation intervenue en 1938 entre eux et les consorts KINDE. Attendu que la Cour a plutôt estimé qu'elle pouvait servir de point de départ à la prescription de l'article 17 du décret organique de 1931 dans le conflit opposant les litigants.
Attendu que les délibérations du conseil de village doivent faire autorité en tant qu'elles émanent de personnalités coutumières dont les droits respectifs de chacun d'eux. D'où il suit que le moyen soulevé doit être écarté et l'arrêt attaqué cassé lui aussi pour défaut de base légale.
2ème MOYEN tiré de la violation de la loi et de l'article 17 du décret du 3 Décembre 1931, en ce que la prescription n'est pas opposable d'office par le juge; elle doit être invoquée par le plaideur qui en a intérêt.
Attendu que le décret du 3 Décembre 1961 précise que le moyen tiré de la prescription de l'article 17 est considéré comme étant d'ordre public en droit local.
Attendu que cette interprétation jurisprudentiel le signifie que le moyen tiré de cette prescription ne peut être soulevé d'office et à tous les stades de l'instance que pour les parties exclusivement.
Attendu que la prescription édictée par l'article 17 est une institution particulière, ignorée de nos coutumes et imitée de la prescription extinctive du droit civil français et qu'il convient pour en apprécier la portée, de se référer aux dispositions de l'article 2223 du code civil comme raison écrite.
Attendu qu'aux termes de cet article il est fait interdiction d'une façon générale et absolue, aux juges de suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.
Que c'est donc à tort qu'en l'espèce la Cour d'Appel a évoqué d'autorité cette prescription sans demande préalable.
Attendu que ce faisant, elle a statué ultra petita et sa décision, encourt la cassation.
Attendu que de plus la prescription de l'article 17 est inapplicable au cas d'espèce du fait qu'elle ne peut servir de fondement à la prescription acquisitive.
Attendu que la Cour d'Appel soutient en effet que les KINDE bénéficient, tout au moins, de 28 années de possession continue dont la conciliation de 1938 constitue le point de départ.
Attendu que la prescription de l'article 17 étant, avant tout, une défense à l'action, elle ne peut être assimilée à la prescription acquisitive.
Attendu que pour prétendre au bénéfice de la prescription acquisitive la possession acquise par suite de l'inaction du revendiquant doit remplir les conditions coutumières d'une possession utile.
Attendu qu'en effet les 28 années de possession ininterrompue, issue de la conciliation de 1938 et dont se prévalent les KINDE à l'appui de leurs prétentions ne peuvent déterminer ipso facto, à leur profit le droit de propriété tant qu'ils n'auront pas rapporté la preuve d'une possession utile selon la coutume.
Qu'il y a lieu de casser de nouveau l'arrêt incriminé.
PAR CES MOTIFS
La Cour après avoir délibéré conformément à la loi:
accueille le pourvoi en la forme;
casse et annule l'arrêt attaqué pour manque de base légale;
renvoie la cause et les parties devant la Cour autrement composée;
prononce la restitution de l'amende consignée;
met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de:
Cyprien AÏNANDOU, Président de la Cour Suprême PRESIDENT
Maurille CODJIA et François GRIMAUD CONSEILLERS
Et prononcé à l'audience publique du Vendredi vingt et un Juillet mil neuf cent soixante dix huit, la Chambre étant composé comme il est dit ci-dessus en présence de:
Grégoire GBENOU PROCUREUR GENERAL
Et de Germain MIASSI GREFFIER EN CHEF
Et ont signé:
Le Président Le Rapporteur Le Greffier en Chef
C. AÏNANDOU M. CODJIA G. MIASSI