N° 9 /CJA du Répertoire
N° 75 / 3/ CJA du Greffe
Arrêt du 20 Octobre 1978
ADJIMON Houédokou
c/
DOSSOU Hounsou
DOSSOU Gohoungo
DOSSOU Lissanou
HOUNSOU Gbêtoho
Dame GBEVEGNON Scholastique Née d'Almeida
Vu la déclaration du 15 Mai 1974 au Greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, par laquelle ADJIMON Houédokou a élevé un pourvoi en cassation contre l'arrêt n° 41 rendu le 15 Mai 1974, par la Chambre de droit traditionnel de la Cour d'Appel de Cotonou ;
Vu la transmission du dossier à la Cour Suprême;
Vu l'arrêt attaqué;
Ensemble les membres ampliatif, en défense et en réplique des 14 Août 1975, 28 Septembre 1976 et 21 Mars 1977 des Maîtres AMORIN et FELIHO conseils des parties en cause;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu l'ordonnance n° 21/PR du 26 Avril 1966 portant organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprême;
Oui à l'audience publique du Vendredi vingt Octobre mil neuf cent soixante dix huit, le Conseiller CODJIA Maurille en son rapport;
Oui le Procureur Général Grégoire GBENOU en ses conclusions;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que par déclaration enregistrée le 15 Mai 1974 au greffe de la Cour d'Appel de Cotonou, AADJIMON Houédokou a élevé un pourvoi en cassation contre toutes les dispositions de l'arrêt n° 41 rendu le même jour par la Chambre de droit traditionnel de ladite Cour;
Attendu que par bordereau n° 194/PG le Procureur Général près la Cour d'Appel transmettait le dossier de la procédure au Procureur Général près la Cour Suprême et il était enregistré arrivée au greffe le 23 Janvier 1975;
Attendu que par transmission n° 115/GCS du 12 Février 1975 au Commandant de brigade Gendarmerie de Cotonou, le Greffier en Chef près la Cour Suprême notifiait par lettre n° 114/GCS du même jour au requérant ADJIMON Houédokou d'avoir à fournir la caution de 5 000 francs dans le délai de quinze jours et le mémoire ampliatif de ses moyens de cassation dans les deux mois de la notification par l'office d'un avocat;
Attendu que sans réponse le Greffier en Chef faisait convoquer le requérant au greffe par message porté n° 475 au Commissaire de Police de Cotonou;
Que cette convocation fut effectuée le 21 Mai 1975 et le récépissé fut enregistré arrivée au greffe le 23 Mai;
Attendu que s'étant présenté finalement le 9 Juin 1975 au Greffe il reçut notification de la lettre de mise en demeure n° 115/GCS;
Que le même jour il déposa la caution;
Attendu que le 9 Septembre 1975, Maître AMORIN a fait parvenir à la Cour son mémoire ampliatif portant le nom de Justin LOKONON en qualité de requérant que rectification fut demandée et effectuée par Me AMORIN (lettres n° 862/GCS du 12/11/1975 et réponse du 13 Novembre);
Attendu que copie de ce mémoire fut adressée aux défendeurs en l'étude de Maître FELIHO par lettre n° 1019/GCS du 4 Décembre 1975 reçue le 5 en l'étude;
Attendu que Maître FELIHO par lettre du 16 Février 1976 confirmait sa constitution et sollicitait un délai supplémentaire de deux mois pour le dépôt de son mémoire en défense;
Que accord lui fut notifié par lettre n° 221/GCS du 27 Février 1976 reçue le 1er Mars en l'étude;
Attendu que sans réponse à l'expiration de ce délai, le rapporteur fit convoquer la dame GBEVEGNON Scholastique par lettre n° 486/GCS du 17 Mai 1976 transmis par me n° 487/GCS du même jour au Commissariat de Police de la Sûreté Urbaine de Cotonou, et faisant l'objet du procès-verbal de remise n° 232/SUC du 16 Juin 1976 signé de l'intéressé et retourné au greffe le 1er Juillet 1976;
Attendu qu'après avoir sollicité et obtenu plusieurs prorogations de délai Maître FELIHO faisant parvenir à la Cour son mémoire en défense que fut enregistré arrivée le 1er Octobre 1976;
Par lettre 1003/GCS du 26 Novembre 1976 le Greffier en Chef adressa ce mémoire au conseil du requérant pour y répliquer dans un délai de deux mois et que cette lettre a été reçue en l'étude le 6 Décembre;
Attendu que par lettre 1006/GCS du 3 Décembre 1976 reçue le 6 au Parquet le Greffier en Chef demandait au Procureur Général près la Cour d'Appel de lui faire communiquer les notes d'audience de l'arrêt attaqué;
Attendu que le conseil n'a pas répliqué et que les notes d'audience sont parvenues au Greffe le 22 Février 1977;
Attendu qu'en la forme le recours est recevable: la caution ayant été versée dès mise en demeure et le mémoire ampliatif, déposé avec beaucoup de retard mais avant clôture du dossier;
AU FOND:
Attendu qu'il s'agi( de la vent des droits coutumiers sur une parcelle suburbaine à deux personnes différentes, par des vendeurs différents et non apparentés;
Que la question d'antériorité relative des ventes n'a pas d'intérêt;
Attendu que par la régularité des actes n'a pas été déterminante;
Attendu que la question posée à la Cour est celle du propriétaire réel des droits coutumiers;
Attendu que le requérant se prétend véritable propriétaire dont l'auteur avait mis la parcelle en gage auprès de l'auteur des défendeurs et soutient avoir dégagé le bien en versant, outre le montant de la somme prêtée (2 400 Francs) des sommes beaucoup plus importantes de l'ordre de 30 000 en plus des victuailles;
Attendu que les défendeurs nient cette mise en gage et expliquent qu'ils ont eu la parcelle en partage héréditaire à l'occasion duquel des cérémonies ont été effectuées avec distribution de nourriture aux témoins;
Attendu que la confusion des dires et des témoignages est encore accrue par l'animosité relevée par la Cour au niveau de la chefferie de ce village et qui est devenue notoriété publique;
Attendu que c'est donc avec une certaine réserve qu'il y a lieu de retenir les témoignages, d'autant que des contradictions formelles sont relevées au plumitif;
Attendu qu'il est vraisemblable que des témoins ont confondu de bonne foi les cérémonies ayant accompagné le partage indiqué par DOSSOU GOHONGO et celles qui auraient été consécutives au remboursement du gage;
Attendu que la Cour d'Appel estime que les requérants n'ont pas apporté la preuve selon la coutume de la mise en gage et du remboursement de ce gage et ajoute que la longue possession du terrain par feu DOSSOU AGOUVO auteur des défendeurs achève de confirmer le droit de propriété de celui-ci sur ledit terrain;
Attendu que le requérant présente quatre moyens de cassation:
PREMIER MOYEN: Violation des articles 6,11,74 et 85 du décret du 2 décembre 1931, violation des règles de preuve, défaut insuffisance de motifs - Manque de base légale - violation des droits de la défense;
L'arrêt n'indique pas l'identité complète et la coutume des parties et des témoins;
Attendu qu'il a déjà été spécifié que les textes du décret organique du 3 décembre 1931 conçus pour des juridictions de magistrats non professionnels ne sont plus adaptés aux usages de la Cour d'Appel qu'il lui suffit désormais d'indiquer la ou les coutumes des parties et de rapporter la substance des témoignages reçus par elle dans le style qui lui est propre;
Attendu que le requérant critique l'arrêt pour n'avoir accordé aucun crédit aux témoignages des chefs du village et particulièrement pour les avoir disqualifiés;
Attendu que le témoignage est le mode de preuve usuel admis en matière coutumière et que eu égard à son importance capitale dans les relations tant personnelles que contractuelles il se caractérise essentiellement par le serment;
Or attendu que dans le domaine traditionnel, le serment apparaît toujours comme une déclaration rituelle qui confère à tout acte une valeur quasi sacramentelle assurant ainsi sa crédibilité;
Attendu qu'il en résulte que pour disqualifier un témoignage, le juge doit nécessairement se référer à la règle coutumière qui l'y autorise;
Mais attendu que la plupart de nos coutumes ignorent totalement la notion de disqualification; elles adoptent ou rejettent simplement un acte tel qu'il se présente;
Attendu qu'il s'ensuit qu'en disqualifiant lesdits témoignages, la Cour d'Appel a sans aucun doute extrapolé et dénaturé le seul mode de preuve dont dispose le droit coutumier;
Qu'en effet une simple déclaration ne peut avoir valeur de preuve et partant servir de fondement à une décision;
Attendu que de plus il n'est pas superflu de rappeler que la notion de "simple renseignement" est-elle aussi inconnue de nos coutumes;
Attendu qu'il est constant que le juge peut apprécier souverainement la valeur d'un témoignage, mais il ne peut disqualifier discrétionnairement un témoignage sans violer les règles coutumières en matière de preuve;
Attendu qu'en faisant état de rivalités et d'hostilité entre ces trois témoins; la Cour aurait dû fonder sa décision de disqualification sur des éléments résultant des débats et largement discutés par les parties;
Qu'en effet la rivalité de ces chefs de village n'a été dénoncée en réalité que par Scholastique GBEVEGNON dans sa lettre du 21 Février 1971;
Attendu qu'ainsi, le juge ne peut valablement former son intime conviction sur la foi d'écrits émanant seulement de l'une des parties;
Que de ce fait l'arrêt insuffisamment motivé en court la cassation.
DEUXIEME MOYEN: Violation des articles 6, 11, 24 et 85 du décret du 3/12/1931 - Violation des règles de preuve - Dénaturation des faits et déclarations - Non énonciation, fausse application de la coutume - Défaut, insuffisance, contradiction de motifs - Manque de base légale - Violation des droits de la défense;
Attendu que ce moyen constitue pour partie une redite du premier moyen en ce qui concerne la violation des articles 6, 11, 24 et 85 du décret du 3 décembre 1931 et il est superflu d'y revenir;
Attendu que l'arrêt rejette en bloc tous les témoignages comme n'émanant pas de témoins neutres;
Mais attendu que l'objectivité d'un témoignage ne s'apprécie valablement que dans les rapports du témoin avec l'une des parties;
Attendu que c'est à tort que la Cour s'était basée exclusivement sur la rivalité existant personnellement entre chefs de village pour rejeter à priori leurs témoignages;
Que l'arrêt attaqué aurait davantage été pris en considération si la Cour s'était attachée à relever plutôt le caractère partisan de leurs dépositions;
Attendu qu'il est de notoriété publique qu'en milieu traditionnel le crédit accordé à un témoignage est souvent fonction de l'âge du témoin ou de l'autorité dont il est investi;
Attendu cependant que compte tenu de l'évolution sociale actuelle on ne peut plus admettre de tel critères pour privilégier un témoignage par rapport à un autre;
Mais attendu qu'en l'espèce la Cour n'a pas suffisamment motivé sa décision sur ce point;
D'où il suit que l'arrêt doit être cassé;
Attendu que la Cour d'Appel reproche également à ADJIMON HOUEDOKOUN de n'avoir pas rapporté la preuve du gage sur le bien contesté essentiellement pour défaut de publicité caractérisé par l'absence de témoins lors de la mise en page et de son remboursement;
Attendu qu'il est indéniable que ses adversaires n'ont pas davantage justifié leur droit de propriété;
Que les deux parties se sont simplement bornés à soutenir chacune de son côté qu'elles avaient recueilli l'immeuble dans la succession de leur auteur sans étayer leurs déclarations d'éléments déterminants et convaincants;
Attendu que pour rejeter l'idée de gage, la Cour d'Appel a estimé que la mise en gage aurait dû être entourée d'un certain formalisme;
Attendu cependant que l'article 311 du coutumier du Dahomey n'exige aucune publicité ni pour la mise en gage, ni pour son remboursement;
Qu'ainsi les formalités dont se prévaut la Cour ne peuvent pas être considérées comme substantielles et indispensables à la validité du gage qui existe indépendamment de toute publicité l'accord de volonté des deux parties suffit amplement;
Attendu que ces formalités si elles existent constituent néanmoins de mesures de précaution personnelle dont les parties peuvent s'entourer pour porter éventuellement le gage à la connaissance des tiers;
Attendu qu'en conséquence la Cour d'Appel ne peut être autorisé à subordonner la réalisation de ce gage à une publicité quelconque;
Que ce faisant, sa décision manque de base légale sur ce point et doit être annulée;
TROISIEME MOYEN: Violation des article 6 et 85 du décret du 3 Décembre 1931 - Violation de l'article 320 du coutumier du Dahomey - Violation, Fausse application de la coutume - Violation des règles de preuve - Dénaturation des déclarations - Défaut insuffisance de motifs - Manque de base légale;
En ce que la Cour invoque la prescription acquisitive inconnue des coutumes;
Il s'ensuit, la prescription étant écartée, que l'arrêt où le mot de prescription ne figure pas n'est pas motivé et manque de base légale;
Attendu que le requérant sollicite le texte de l'arrêt où le mot de prescription ne figure pas;
Attendu que la Cour en constatant la longue possession des défendeurs au pourvoi s'est confortée dans son opinion qu'il n'y avait pas eu mise en gage car les propriétaires n'auraient pas attendu aussi longtemps pour effectuer une reprise en contre partie d'une somme peu importante;
Attendu que la Cour d'Appel n'ignore pas les dispositions de l'article 320 du coutumier il paraît évident que la prescription invoquée par les parties est bien celle qui se trouve stipulée dans l'article 17 du décret du 3 décembre 1931;
Attendu que le requérant fait un procès d'intention à la Cour d'Appel sans l'étayer de bases sérieuses;
D'où le moyen est mauvais;
QUATRIEME MOYEN: Violation des articles 6, 24 et 85 du décret du 3 décembre 1931 - Violation des règles de procédure - Défaut contradiction de motif - Violation des droits de la défense;
En ce que la Cour a le 8 Mai (et non le 8 Avril comme le requérant l'écrit par erreur) ordonné la réouverture des débats et procédé à une nouvelle audition de DOSSA Mathieu, hors l'assistance des conseils des parties, et sans que les conseils aient été invités à présenter leurs observations avant la remise en délibéré de l'affaire ou que les parties aient été invitées à donner leur accord sur la reprise des débats hors la présence de leurs conseils;
Attendu que ni la lecture de l'arrêt, ni celle des notes d'audience ne permettent de confirmer que les débats aient été réouverts, hors la présence des conseils;
Que rien non plus au plumitif et dans les notes en cours de délibéré versées au dossier ne permet également de relever une protestation quelconque des parties ou des conseils;
Attendu qu'il est de jurisprudence suivie à la Cour Suprême que toute irrégularité de procédure doit avoir été soulevé devant la juridiction dont la décision est attaquée pour être retenue par la Cour Suprême, car la recherche du bien fondé du moyen l'amènerait à des investigations de fait qui ne sont pas de sa compétence;
Attendu que le moyen, mélangé de fait et de droit est irrecevable;
PAR CES MOTIFS:
La Cour après avoir délibéré conformément à la loi;
- accueille le pourvoi en la forme;
- le rejette au fond en ses moyens 3 et 4;
- casse et annule cependant l'arrêt sur ses 2 premiers moyens;
- renvoie la cause et les
parties devant la Cour d'Appel autrement composée;
- met les dépens à la charge du Trésor public;
Ordonne la notification du présent arrêt au Procureur Général près la Cour d'Appel de Cotonou ainsi qu'aux parties;
Ordonne la transmission en retour du dossier au Parquet Général près la Cour d'Appel;
Ainsi fait et délibéré par la Cour Suprême (Chambre Judiciaire) composée de:*
Cyprien AÏNANDOU, Président de la Cour Suprême;
PRESIDENT
Maurille CODJIA et Michel DASSI;
CONSEILLERS
Et prononcé à l'audience publique du Vendredi vingt Octobre mil neuf cent soixante dix huit, la Chambre étant composée comme il est dit ci-dessus en présence de:
Grégoire GBENOU;
PROCUREUR GENERAL
Et de Maître Germain MIASSI
GREFFIER EN CHEF
Et on signé:
Le Président Le Rapporteur Le Greffier en Chef
C. AÏNADOU M. CODJIA G. MIASSI