COMMUNAUTE ECONOMIQUE ET
MONETAIRE DE L’AFRIQUE CENTRALE
‘" AU NOM DE LA COMMUNAUTE “
COUR DE JUSTICE La Cour (Chambre Judiciaire) de Justice de la
Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale CHAMBRE JUDICIAIRE
(CEMAC), siégeant en audience publique à N'Djaména
ARRÊT N°011/CJ/CEMAC/CI/07 (République du Tchad) le sept décembre deux mille sept et Du 07/12/2007 composée de :
Affaire : GUEREZEBANGA M. Antoine MARADAS, Président ;
Gabriel Gaétan M. Pierre KAMTOH, Juge Rapporteur,
(Me Philippe HOUSSINE) M. DADJO GONI, Juge,
M. Georges TATY, Juge,
c/ Mme ELENGA NGAPORO Julienne, Juge,
La BDEAC Assistée de Maître RAMADANE GOUNOUTCH, (Mes Emmanuel OKO et Greffier ;
ALLAISSEM K. DJAÏBE)
A RENDU L'ARRET SUIVANT
(Recours contre la résolution
n°299/CA/92/03) du 24 /06/07 ENTRE
du Conseil d'Administration de
Monsieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan, Cadre en la BDEAC)
service à la Banque de Développement des Etats de
l'Afrique Centrale (BDEAC), assisté de Maître Philippe
HOUSSINE, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 1744
N'Djaména, auprès duquel domicile est élu,
Demandeur, d’une part ;
Et
La Banque de Développement des Etats de l'Afrique
Centrale (BDEAC), ayant pour conseils Mes Emmanuel
OKO, Avocat au Barreau du Congo, et ALLAÏSSEM K.
DJAÏBE, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 1011
N’'Djaména, auprès duquel domicile est élu,
Défenderesse, d'autre part ;
LA COUR
Vu le Traité instituant la CEMAC et l’Additif audit Traité relatif au système
institutionnel et juridique de la Communauté,
Vu la Convention du 5 juillet 1996 régissant la Cour de Justice de la CEMAC,
vu les Actes Additionnels n°10/06/CEMAC/CJ/CCE du 13/07/2006,
n°11/06/CEMAC/CJ/CEE du 07/08/2006 et n°14/07 — CEMAC — 008 —- CJ - CCE —
08 du 25/04/2007 portant nomination des membres de la Cour de Justice de la
CEMAC,
Vu l’Acte Additionnel n°006/CEMAC/041 — CCE — CJ — 02 du 14 décembre
2000 portant Statut de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC,
Vu l’Acte Additionnel n°004/CEMAC/041 — CCE — CJ — 02 du 14 décembre
2000 portant Règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de
la CEMAC,
Vu la requête du sieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan introduite à la
Chambre Judiciaire le 18 mai 2007 contre la résolution n°299/CA/92/03 du 24 juin
2003 du Conseil d'Administration de la BDEAC,
Sur rapport du Juge Pierre KAMTOH,
Oui les parties en leurs observations tant écrites qu’orales,
Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire,
Attendu que par requête en date du 5 mai 2006, enregistrée au greffe le 18
mai 2006, Me Philippe HOUSSINE, Avocat au Barreau du Tchad, agissant pour le
compte de Monsieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan a saisi la Cour de Justice de
la CEMAC aux fins de voir :
déclarer illégale la résolution n°299/CA/92/03 du 24 juin 2003 prise par le
Conseil d’Administration de la BEAC ;
remettre la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la
résolution en enjoignant la BDEAC à se conformer à l'exécution de la
sentence du Comité supérieur d'arbitrage rendue le 11 février 2003,
Sur les faits et la procédure
Attendu que la Banque de Développement des Etats de l’Ad Aff
(X) a connu dès 1990 des difficultés financières liées à la morosité
économique ambiante et caractérisées par de nombreux impayés au titre de prêts et
des arriérés de versement des parts souscrites par les Etats,
que l'application des premières mesures d’austérité prescrivant la réduction
des charges sociales s'étant avérées inefficaces, la suspension de toutes les
opérations de financement et le gel des avancements et autres promotions furent
ordonnés, en même temps que l'audit général de la Banque qui aboutit en juillet
1996 à sa restructuration marquée par la suppression de poste de DGA, de
Directeurs et Sous Directeurs, et par la réduction drastique des effectifs du personnel
ramenés de 100 à 32 agents dont 11 cadres,
que c'est dans ce contexte de restructuration qu’a éclaté en juin 1997 la
première guerre de Brazzaville au cours de laquelle le siège de la Banque a été pillé
et détruit partiellement compromettant ainsi sa situation déjà précaire et imposant de
nouvelles mesures exceptionnelles de sauvegarde, et notamment la fermeture dudit
siège et l'ouverture de deux permanences à Libreville et à Aa, la réduction des
salaires de 50% pendant six mois de chômage technique ainsi que la suspension
des indemnités de responsabilité,
qu’au terme de la restructuration, en mars 1999, les postes de Directeurs, de
Sous Directeurs et de Chefs de Division furent supprimés et remplacés par ceux de
Chef de Département confié à un ancien Sous Directeur, et de Chefs de Service
occupés par le requérant M.GUEREZEBANGA et son collègue EQUEBAT,
qu’estimant que cette mutation entraînait une réduction de ses indemnités et
d'autres avantages liés à sa fonction de Sous Directeur supprimée et participait
autant de sa rétrogradation que d’une modification substantielle de son contrat de
travail, M. GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan demanda et obtint de la Commission
Supérieure d’Arbitrage de la Banque la condamnation de cette dernière à lui payer
les sommes de 11.747.835 F constitutives de retenues sur salaires et de 6.686.969 F
d’indemnités de congé, assorties d’intérêts de droit à compter du 17 novembre 1998,
aux termes de la sentence n°002/BDEAC/CSA du 11 février 2003, notifiée aux
parties le 13 février 2003,
qu’invoquant « les circonstances exceptionnelles » engendrées par la guerre
et « les efforts entrepris pour assainir l'institution, rétablir sa crédibilité et améliorer
les conditions sociales de ses agents », le Conseil d'Administration de la BDEAC
s'oppose à l'exécution de cette sentence, depuis sa résolution n°299/CA/92/03 du 24 juin 2003 ;
Attendu que saisie de l'ordonnance n°421 du 18 août 2004 du Président du
Tribunal de Première Instance de Douala-Bonandjo, rétractant celle du 11 mars 2004
qui avait accordé l’'exequatur à la sentence arbitrale, la Cour d'Appel de Aa
rejeta la demande des défenses à exécution provisoire formulée contre ladite
ordonnance de rétractation et se déclara incompétente ratione materiae, au sens des
dispositions de l’article 32 de l'Acte Uniforme relatif au droit d’arbitrage OHADA,
que sans attendre ce verdict de la Cour, le requérant fit opérer dans cette
localité, le 16 juin 2004, une saisie - attribution des sommes détenues pour le compte
de la BDEAC tant à l'agence de la BEAC, à la Banque Crédit Lyonnais du Cameroun
(CLL) qu’à la Commercial Bank of Cameroun (CBC), pour paiement à son profit de la
somme de 57.848.305 francs CFA, en principal, intérêts et frais,
que sur recours de la BDEAC, le Président du Tribunal de Grande Instance de
Brazzaville, statuant le 9 septembre 2005 comme juge de référés et invoquant
l'immunité d'exécution dont bénéficie la Banque, ordonna mainlevée de la saisie -
attribution pratiquée,
que dans l'intervalle la Cour Suprême du Congo quant à elle se déclara
incompétente à connaître du pourvoi formé par la BDEAC contre la sentence
arbitrale du 11 février 2003, dans l'arrêt n°22/GCS — 2005 du 23 juin 2005, objet d’un
recours en rétractation encore pendant devant ladite Cour ;
Sur les moyens et arguments des parties
Attendu que le requérant soutient d’une part que régulièrement composée, la
Commission Supérieure d’Arbitrage de la BDEAC a instruit contradictoirement le
dossier et a rendu sa sentence qui, revêtue de l'autorité de la chose jugée et notifiée,
« s'impose définitivement aux parties qui ” doivent “ l’exécuter de bonne foi et dans
les délais ne devant lui causer aucun préjudice », que d’autre part, la résolution du
Conseil d'Administration du 24 juin 2003 dont il a été informé par ailleurs comme tout
agent de la Banque étant illégale la Banque doit être invitée à s'exécuter,
qu’il allègue, en effet, que contrairement aux prétentions de la BDEAC la Cour
a été valablement saisie dans les délai et forme prescrits par les articles 12 et 16 de
l’Acte Additionnel portant Règles de procédure de la Chambre Judiciaire, qu’il a reçu
le compte rendu de la session du Conseil d'Administration comme tout autre agent
de la Banque mais n’a jamais été notifié officiellement de la résolution dudit Conseil,
que la Cour est compétente pour connaître de la résolution entreprise, la BDEAC
étant une institution de la CEMAC, conformément aux articles 2, 4, 14, 20 et 21 de la
Convention régissant la Cour de Justice, et à l’article 1° de l’Additif au Traité institutif
de la Communauté,
qu’il relève enfin que le bien fondé de la sentence arbitrale ne constitue plus
qu’une ‘“’problématique vidée et épuisée,” et invite la Cour à recentrer les débats sur
la légalité de la résolution contestée, le pouvoir du Conseil d’Administration de la
BDEAC de s’ériger en second degré de juridiction pour connaître de la sentence
arbitrale rendue, et sur le bénéfice par la Banque de l'immunité de juridiction
alléguée ; qu’il conclut en conséquence :
- au rejet des prétentions, fins de non recevoir, exceptions et moyens développés
par la BDEAC,
à la compétence de la Chambre Judiciaire, à la recevabilité de son recours et à
son bien fondé ;
Attendu que par l’organe de ses conseils Maîtres Emmanuel OKO et
ALLAÏSSEM K. DJAÏBE, Avocats aux Barreaux de Brazzaville et du Tchad, la
BDEAC qui a sollicité et obtenu un transport judiciaire à son siège de Brazzaville
oppose à la demande du sieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan des exceptions
d’incompétence et d’irrecevabilité, et conclut subsidiairement au rejet de la requête
comme mal fondée,
qu’invoquant les dispositions combinées des articles 3 et 4 du Traité, 1°" de
son Additif, 74 de la Convention régissant ’UMAC et 2 et 4 de la Convention
régissant la Cour de Justice, la Banque défenderesse prétend que les seuls litiges
susceptibles d'être déférés devant la Cour sont soit ceux relatifs aux activités
matérielles des Institutions et Organes de la CEMAC agissant pour la réalisation des
objectifs communautaires, soit ceux nés de l'application ou de la violation des traités
et conventions subséquentes, soit enfin des « litiges relevant des actes juridiques
prévus par les articles 20 et suivants de l’Additif au Traité de la CEMAC »,
qu’elle estime que la sentence arbitrale du 11 février 2003 et la résolution du
24 juin 2003 ont‘été prises non pas dans le cadre des missions assignées à la
BDEAC par le législateur communautaire, mais plutôt dans le cadre de ses rapports
professionnels avec ses agents, que l’application de ces décisions échappe donc à
la compétence de la Chambre Judiciaire qui, en tout état de cause, n’est pas juge de
l’'exequatur d’une sentence arbitrale intervenue entre un organe de la CEMAC et son
agent,
que s’agissant de l'irrecevabilité de la requête, la BDEAC estime d’une part
qu’elle est mal dirigée car adressée en exemplaire unique au Président de la
Chambre Judiciaire de la Cour et non à la Cour elle-même comme le suggererait
l’article 14 alinéa 2 de l’Acte Additionnel portant Règles de procédure, et que d'autre
part le requérant est forclos pour avoir introduit sa demande le 18 mai 2006 c'est-à-
dire plus de deux mois suivant l'intervention de la résolution du 24 juin 2003
contestée, alors que cette décision de son Conseil d’Administration était diffusée et
portée à la connaissance de tous les cadres de la Banque lors de la réunion du 17
juillet 2003,
que le compte rendu de la session du Conseil d'Administration valant notification
en ce qui concerne le requérant, le délai de recours contre la Résolution litigieuse
commençait à courir nécessairement dès le lendemain de la tenue de la réunion du
17 juillet 2003 sus évoquée, et s’expirait le 27 septembre 2003 par application de la
théorie de la connaissance acquise,
qu’enfin loin d'être sommaire, la requête rédigée sur trois pages est
irrecevable conformément à l’article 16 du Règlement de procédure précité portant
Règles de procédure,
que sur le fond, la BDEAC rappelle que les décisions prescrivant la mise au
chômage technique et la réduction de salaire indiciaire participent toutes des actes
de gestion de portée générale autant que des mesures de sauvetage nécessaires à
la sécurité des emplois et aux intérêts de la Banque, que ces mesures ont été du
reste approuvées par son Conseil d’Administration, qu’elle redoute fort des .
revendications en cascades” des autres agents de la Banque restés très attentifs au
sort qui sera réservé à la sentence arbitrale,
qu’elle estime que l’illégalité de la résolution de son Conseil d'Administration
n’est nullement établie au regard de l’article 15 de la Convention régissant la Cour de
Justice de la CEMAC, et que n’étant pas saisie d’un recours préjudiciel en appréciation de la Résolution contestée, la Cour ne saurait valablement inviter la
BDEAC à exécuter la sentence ;
Attendu qu'au cours du transport judiciaire, MM. Ag A et Ae
Z AH représentant la BDEAC ont insisté tant sur la gravité des
crises subies par la Banque dès l’an 1990, que sur le caractère général et
exceptionnel des mesures de sauvegarde prises, ainsi que sur les mesures sociales
destinées à motiver le personnel, d’une part ; qu'ils ont souligné, d'autre part, que M.
NGUEREZEBANGA Gabriel Gaétan avait eu connaissance du contenu de la
résolution au cours de la réunion du 17 juillet 2003 convoquée expressément pour
informer tout le personnel des résultats de la session du Conseil d'Administration, sur
qu’entendus à leur tour, MM. TCHATCHOUANG Salomon, Ac Y et
B C, respectivement Conseiller du Président, Directeur du
Département des Ressources Humaines et de l'Administration générale et Directeur
de l’Administration Financière, en service à la BDEAC à l’époque des faits, se sont
appesantis sur les difficultés qu’avait connues la Banque, la pertinence des mesures
de sauvegarde imposées par la conjonction des crises économiques et des guerres
civiles du Congo ;
Sur la compétence
Attendu qu'aux termes de l'article 11 in fine de [a Convention régissant la Cour
de Justice, la Chambre Judiciaire est chargée du contrôle juridictionnel des activités
des institutions et organes de la Communauté autres que le Parlement et la Cour de
Justice, qu’en outre l’article 14 suivant précise que la Chambre Judiciaire connaît
des recours en appréciation de légalité à la demande de toute personne physique ou
morale, ouvert contre tout acte d'un organe de la Communauté lui faisant grief, qu'en
l'espèce, la résolution du Conseil d'administration de la BDEAC constitue bien un
acte d’un organe de la Communauté dont les mesures comportent de manière non
équivoque des effets juridiques affectant les intérêts de GUEREZEBANGA Gabriel
Gaétan,
qu’au regard de ces observations, c'est en vain que la BDEAC tente de faire
plaider que la résolution n’est pas susceptible de recours en annulation,
qu’en définitive la Chambre Judiciaire est compétente pour en connaître ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que :
la résolution attaquée datant du 24 juin 2003 a été portée à la
connaissance des cadres de la BDEAC le 17 juillet 2003 lors d’une réunion
de compte — rendu des travaux de la session du Conseil d'Administration,
ce qui avait pour effet de commencer à faire courir les délais de recours
contentieux,
que le recours a été enregistré au greffe de la Chambre le 18 mai 2006,
qu’au regard de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d’examiner les autres
branches de ce moyen, le recours de Monsieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan
doit être déclaré irrecevable pour avoir été introduit largement après l’expiration du
délai de recours contentieux de 2 mois fixé à l'article 12 du Règlement de procédure,
PAR CES MOTIFS
communautaire, en premier et dernier ressort,
se déclare compétente pour connaître de la résolution n°299/CA/92/03 du
Conseil d'Administration de la BDEAC en date du 24 juin 2003,
déclare le recours de Monsieur GUEREZEBANGA Gabriel Gaétan
irrecevable,
condamne le requérant aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique à N’Ab, le sept décembre deux mille sept.
Et ont signé le Président, les Juges et le Greffier.
DADJO GONI
GEORGES TATY °° ELENGA NGAPORO Julienne