COUR DE JUSTICE
CHAMBRE JUDICIAIRE
ARRET N°001/CJ/CEMAC/CJ/10
Du 25/03/2010
COMMUNAUTE ECONOMIQUE ET MONETAIRE DE L'AFRIQUE CENTRALE
"AU NOM DE LA COMMUNAUTE"
La Cour (Chambre Judiciaire) de Justice de la Communauté Economique et Monétaire l'Afrique Centrale (CEMAC), siégeant en audience publique à Y
(République du Tchad) le vingt cinq mars deux mille dix et
composée de :
Affaire Ab AH
{Mes TWENGEMBO, MINKO MI NBONG et OBED NDEÏ DOUMAH)
M. Pierre KAMTOH, Président;
M. DADJO GONI, Juge Rapporteur; Mme Julienne ELENGA NGAPORO ;
C/
COSUMAF
{Cabinet JING & PARTNERS et
Aa A)
{Requête aux fins de sursis à exécution de la décision n°2009/03 du 22/07 /2009)
Assistée de Maître RAMADANE GOUNOUTCH, Greffier;
A RENDU LE PRESENT ARRET ENTRE
Monsieur Ab AH, Directeur Général de la
Bourse des Valeurs Mobilières de l'Afrique Centrale (BVMAC), assisté de Maîtres TWENGEMBO, MINKO Ml NBONG et OBED NDEÏ DOUMAH, Avocats respectivement aux Barreaux du Cameroun, du Gabon et du Tchad, tous domiciliés au Cabinet de Maître OBED NDEÏ DOUMAH, BP. 5225 N'Djaména,
Demandeur, d'une part ; Et
La Commission de Surveillance du Marché Financier (COSUMAF) de l'Afrique Centrale, représentée par le Cabinet JING & PARTNERS, Avocats au Barreau du Cameroun et le Cabinet Aa A, Avocat au Barreau du Tchad, BP. 1003 N'Djaména, auprès
duquel elle a élu domicile,
Défenderesse, d'autre part ;
I
1
Vu le Traité instituant la CEMAC et l'Additif audit Traité relatif au système institutionnel et juridique de la Communauté ;
Vu la Convention du 5 juillet 1996 régissant la Cour de Justice de la CEMAC,
Vu les Actes Additionnels n°10/06/CEMAC/CJ/CCE du 13/07/2006, n°11/06/CEMAC/CJ/CEE du 07/08/2006 et n°14/07 - CEMAC - 008 - CJ - CCE -
08 du 25/04/2007 portant nomination des membres de la Cour de Justice de la
CEMAC;
Vu l'Acte Additionnel n°006/CEMAC/041 - CCE - CJ - 02 du 14 décembre
2000 portant Statut de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC ;
Vu l'Acte Additionnel n°004/CEMAC/041 - CCE - CJ - 02 du 14 décembre
2000 portant Règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC;
Vu la requête aux fins de sursis à exécution de la décision n°2009/03 du
22/07/2009 introduite par les conseils du demandeur; Sur rapport du Juge DADJO GONI ;
Oui, les parties en leurs observations tant orales qu'écrites ; Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire ;
Faits et procédure
Attendu par requête du 23/09/2009, Monsieur Ab AH, Directeur Général de la Bourse des Valeurs Mobilières de l'Afrique Centrale (BVMAC) représenté par Maîtres TWENGEMBO, MINKO Ml NBONG et OBED NDEÏ DOUMAH, respectivement Avocats aux Barreaux du Cameroun, du Gabon, et du Tchad, a saisi la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC d'un recours en annulation de la décision n°2009/03 du 22/07/2009 portant interdiction définitive d'exercer en qualité de Directeur Général de la Bourse des Valeurs Mobilières de l'Afrique Centrale, et en indemnisation ;
que la décision entreprise lui a été notifiée par correspondance n°131.09/COSUMAF/23/07/09 du 23 juillet 2009 ;
/
que par une autre requête reçue au greffe le 24/09/2009, Maître TWENGEMBO a également saisi la Chambre d'une demande aux fins de sursis à exécution de la Décision entreprise ;
qu'au soutien de sa demande, le conseil du requérant invoque l'article 57 de l'Acte Additionnel n°4/00/CEMAC - 041 - CCE - CJ - 02 portant règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC qui autorise celle-ci à ordonner le sursis à exécution des actes contestés devant elle, d'une part, et l'article 62 du Règlement n°06/03 - CEMAC - UMAC du 11/11/2003 qui permet à la Chambre Judiciaire d'ordonner le sursis à exécution des décisions que prend la Commission de Surveillance du Marché Financier de l'Afrique Centrale dans les conditions de son règlement de procédure si ces décisions sont susceptibles d'entraîner des conséquences manifestement excessives, d'autre part,
que selon l'article 58 de l'Acte Additionnel n°4/00/CEMAC/ précité « la requête aux fins de sursis à exécution indique l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence et justifiant l'octroi de la mesure sollicitée »,
Attendu que, s'agissant de l'objet du litige, le requérant relève que la décision attaquée lui a interdit définitivement d'exercer la fonction de Directeur général de la BVMAC, a instruit son Conseil d'administration de procéder à son remplacement dans un bref délai et ordonné la publication de la décision ainsi prise,
que cette décision reproche à Ab AH un comportement de défiance manifesté à maintes reprises à l'égard de la COSUMAF, et "traduisant un refus manifeste de se soumettre à l'autorité de cet organe de régulation de marché, "
qu'au cours de la mission d'inspection entamée le 6 juillet 2009 en effet, Monsieur Ab AH a agressé Ad AI, un des inspecteurs commis, en lui assénant un coup de poing à l'œil gauche, ayant entraîné des blessures et une I.T.T de 8 jours, et entravé la mission commencée la veille,
que la COSUMAF estime que ce comportement de Ab AH rend d'autant plus impossible leur collaboration, qu'invité à s'expliquer devant le collège de la COSUMAF le 22 juillet 2009, Ab AH a reconnu les faits, allégué la provocation de la victime et sans exprimer aucun regret,
que c'est bien tardivement, le 28/09/2009, qu'il a adressé une lettre d'excuse à
la COSUMAF,
(
Attendu que le requérant fait valoir ensuite que la décision entreprise viole les dispositions tant du Règlement n°06/03 - CEMAC - UMAC du 11 novembre 2003 portant organisation, fonctionnement et surveillance du Marché Financier de l'Afrique Centrale que du Règlement Général de la COSUMAF dont l'article 416 dispose que « les délibérations (de la COSUMAF) font l'objet d'un procès verbal signé de son Président et du Rapporteur ... »,
qu'en outre il y a violation des droits de la défense en ce que certaines
dispositions des articles 408, 409, 411, 412 et 415 du Règlement Général de la COSUMAF n'ont pas été respectées, s'agissant notamment de l'abstention de la COSUMAF de notifier au requérant les griefs retenus à son encontre (copie du rapport du rapporteur, pièces du dossier), de l'inviter à produire ses observations écrites dans le délai d'un mois, et de l'informer de la possibilité de se faire assister d'un conseil,
que de plus et au sens des articles 62 du Règlement n°06/03 du 11 novembre
2003 précité et 404 du Règlement B, toute personne qui par son comportement ou ses agissements fait obstacle au bon déroulement d'une enquête de la COSUMAF ou se rend coupable d'obstruction au bon déroulement d'une inspection n'est passible que d'une peine d'amende, que selon le conseil du requérant la sanction d'interdiction définitive d'exercer retenue par la COSUMAF manque de base légale, car prévue par l'article 239 du Règlement Général elle ne peut être prononcée en application de l'article 236 dudit Règlement qu'en cas de manquement aux obligations professionnelles et déontologiques,
qu'enfin la BVMAC est une société gestionnaire de marché dont le fonctionnement obéit aux dispositions de l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique ainsi que de ses statuts,
que la COSUMAF n'en assure que la tutelle et ne la gère pas,
que la décision entreprise équivaut à une révocation du Directeur Général Ab AH, ignore les règles de base de fonctionnement des sociétés commerciales et constitue un excès de pouvoir de la part de la COSUMAF,
qu'il y a urgence à surseoir à l'exécution de cette décision, que non seulement le requérant jouit encore de la confiance de son Conseil d'administration qui a déjà saisi la Cour d'un recours contre une autre décision COSUMAF ayant rejeté sa demande de suspension de la décision d'interdiction d'exercer, mais encore que rendue le même jour de la cotation en bourse, cette décision cause dans le
(
marché boursier en phase de décollage un trouble auquel il faudrait mettre fin de toute urgence, pour éviter des conséquences manifestement excessives quant au bon déroulement de cotation dont il s'agit,
que sa large diffusion suivie des commentaires déteint la crédibilité du
requérant, de la BVMAC et de tout marché financier,
qu'enfin la décision objet de la demande du sursis à exécution n'intéresse ni la sécurité, ni la tranquillité publique,
Attendu que dans leurs mémoires en défense enregistrés au greffe les 05 et
07/01/2010, Mes Aa A et JING AG C ont relaté brièvement les faits en précisant, d'une part que créée par Acte Additionnel n°11/00/CEMAC - CCE - 02 du 14 décembre 2000, la Bourse des Valeurs Mobilières de l'Afrique Centrale (BVMAC) est placée sous le contrôle de la COSUMAF instituée par Acte Additionnel n°03/01/CEMAC - CE - 03 du 08 décembre 2001 et organisée par le Règlement n°06/03/CEMAC/UMAC du 22 novembre 2003,
que dans l'exercice de ses prérogatives, d'autre part, le collège de la COSUMAF a donné mandat à son président de réaliser une mission d'inspection auprès de la BVMAC,
qu'au cours de cette mission d'inspection entamée la veille, et réagissant aux propos jugés irrespectueux de M. Ad AI, chef de ladite mission, Ab AH lui a asséné un coup de poing à l'œil gauche, qui a mis le verre de ses lunettes en morceaux, l'a blessé et a entrainé une incapacité temporaire de travail de
8 jours, que la victime n'a eu la vie sauve que grâce à l'énergique intervention de la secrétaire de M. Ab AH et des deux autres membres de la mission,
que compte tenu de la gravité des faits et de la poursuite nécessaire de la mission dans un climat de sérénité et de confiance, le collège de la COSUMAF a convoqué d'urgence une réunion de crise conformément à l'article 11 de son Règlement Général, pour statuer sur l'incident,
qu'au cours de cette rencontre du 22/07/2009 Ab AH a "fait front" aux membres du collège, assumant ses actes sans aucun regret, en précisant qu'il a réagi aux propos irrespectueux de la victime qui se plaignait de les avoir fait attendre longtemps,
que c'est deux mois plus tard, le 28 septembre 2009, qu'il a présenté des
excuses à la COSUMAF en se reconnaissant fautif,
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'--··--
• X Sur les moyens de défense
Attendu que les conseils de la défenderesse soutiennent :
Sur l'irrecevabilité de la requête,
que la requête est irrecevable pour défaut de recours gracieux préalable prescrit à l'article 14 du Règlement général de la COSUMAF devant l'auteur de l'acte contesté,
qu'ils évoquent à cet égard la jurisprudence de la Cour (arrêts
n°01/CJ/CEMAC/CJ/06 du 20/06/06, affaire MOKAMANEDE contre l'E.I.E.D. et n°009/CJ/CEMAC/CJ07 du 14/07/07, affaire Madame Ac Ae Z contre l'E.I.E.D.) et rappellent que le recours gracieux ou hiérarchique est un préalable sans lequel aucune saisine n'est valable, selon un principe général de droit administratif consacré,
qu'il y a lieu de relever que Monsieur Ab AH n'a pas exercé un
recours gracieux préalable contre la décision n°2009/03 du 22/07/09 comme le prévoit le Règlement général COSUMAF,
que si la BVMAC a saisi la COSUMAF d'un recours en suspension de la
décision entreprise le 29/09/2009, ce recours est intervenu tardivement et postérieurement à la saisine de la Cour le 24/09/2009 par le requérant,
que la COSUMAF n'a donné suite au recours de la BVMAC que le 28/10/2009 par décision n°2009 - 40 ;
Sur le mal fondé de la requête de sursis à exécution,
qu'au sens des articles 65 in fine du Règlement n°06/03 - CEMAC du
12/11 /2003, 15 alinéa 1 du Règlement Général de la COSUMAF, et 58 de l'Acte Additionnel n°04/00/CEMAC - 041 - CCE - CJ - 02 du 14/12/2000, le sursis à exécution n'est accordé que si la décision entreprise est « susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives », que les circonstances établissant
l'urgence et justifiant l'octroi de la mesure sollicitée doivent être bien spécifiées et que la décision attaquée doit revêtir un caractère irréparable,
que le requérant n'a ni justifié l'existence d'un préjudice personnel certain et
irréparable, ni apporté de précision sur les faits justifiant l'octroi du sursis à exécution,
qu'à contrario l'exécution de ladite décision requiert l'urgence, car le maintien
de Monsieur Ab Af AH à son poste de Directeur Général rend impossible la poursuite de la mission d'inspection interrompue depuis le 07/07/2009, compromet gravement l'autorité et l'action de la COSUMAF sur le marché financier régional, et paralyse les actions disciplinaires du Régulateur, garant du bon fonctionnement du Marché Régional,
que la publication de ladite décision n'a nullement affecté le lancement de la
cotation comme l'allègue la demanderesse,
Sur la violation de l'article 416 du Règlement Général de la
COSUMAF,
que les articles 408 à 419 du Règlement Général de la COSUMAF concernent la procédure disciplinaire classique qui prescrit l'établissement d'un rapport d'inspection ou d'enquête, la désignation d'un rapporteur en cas de découverte des infractions boursières ou connexes,
qu'en cas de crise, lorsqu'un "motif sérieux " requiert une action immédiate et énergique de la part de la COSUMAF, il suffit, au sens de l'article 11 du Règlement Général de la COSUMAF, que les personnes mises en cause soient invitées à s'expliquer par tout moyen, avant le prononcé de la décision,
que les articles 12 à 17 du Règlement Général de la COSUMAF régissent d'autres aspects de procédure disciplinaire différents de ceux des articles 408 à 419, et qu'il n'y a dans ce cas ni rapport d'enquête ou d'inspection, ni un délai de réponse aux griefs, ni d'invitation à prendre connaissance de quelque pièce du dossier que ce soit ni exhortation à constituer conseil, ni même désignation de rapporteur et donc ni signature de rapporteur ;
Sur la fin de non recevoir,
que le requérant qui n'avait pas soulevé in limine litis devant le collège de la COSUMAF l'inobservation des dispositions des articles 408, paragraphes 2 et 3, 409 paragraphes 1 et 3, 411, 412 et 413 relatifs au respect des droits de la défense est mal venu à invoquer leur violation devant la Cour,
qu'il n'a élevé aucune forme de contestation sur la procédure disciplinaire
menée devant la collège précité, se contentant de revendiquer ses actes et d'alléguer la provocation de la victime,
qu'il se trouve aujourd'hui déchu du droit d'invoquer la prétendue violation,
Sur le défaut de base légale,
que la décision entreprise a fait une juste application des articles 236 et 239 du Règlement Général de la COSUMAF qui prévoient l'interdiction temporaire ou définitive de tout ou partie de l'activité pour manquements aux obligations professionnelles et déontologiques,que les agissements du requérant qui a porté atteinte à l'intégrité physique du chef de mission d'inspection ne constituent pas une simple entrave au déroulement de la mission des inspecteurs mais plutôt un manquement aux obligations professionnelles et déontologiques,
que de plus, ce comportement indigne du Directeur Général du seul Marché financier régional révèle de sa part un déficit de sens de l'honneur,
Sur l'excès de pouvoir,
que la théorie de l'autonomie de gestion des sociétés commerciales ne signifie pas absence de régulation dans certains secteurs d'activités, dans l'intérêt général,
que la BVMAC n'est pas le fruit d'une seule initiative des actionnaires privés mais l'émanation des pouvoirs publics communautaires au sens du Règlement n°06/03/CEMAC/UMAC,
que l'injonction faite à la BVMAC n'est donc pas une immixtion dans la gestion de cette société mais seulement une invitation adressée au Conseil d'administration
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à tirer les conséquences de la décision attaquée, encore que cette mesure allait de soi,
Sur les aspects pédagogiques,
qu'ils s'interrogent sur la trop grande mansuétude de la BVMAC qui a laissé en poste le requérant dont le comportement déteint l'image du marché financier de la sous région et relèvent que sous d'autres cieux, les hommes démissionnent de leurs fonctions dès qu'ils font l'objet de suspicion d'actes répréhensibles moins graves que ceux reprochés à Monsieur Ab AH par souci de l'image de l'organe qu'ils dirigent;
qu'ils concluent à l'irrecevabilité de la demande de sursis à exécution et
surabondamment au mal fondé de cette demande et à la condamnation de la requérante aux dépens.
Sur l'appréciation de la Cour
Attendu que la requête aux fins de sursis à exécution de la décision n°2009/03 du 22 juillet 2009 dont la Chambre Judiciaire est saisie en principal a été introduite dans les forme et délai de la loi, qu'il échet de la déclarer recevable,
Attendu que ni les écritures produites au dossier de la procédure, ni les débats contradictoires à l'audience n'ont pu établir l'urgence qui justifierait le sursis à l'exécution de la décision entreprise, que la requête est donc mal fondée et qu'il convient de la rejeter et de réserver les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des parties, et en dernier ressort,
(
déclare la requête aux fins de sursis à exécution de la décision n°2009/03 du 22/07/2009 recevable mais mal fondée,
la rejette,
réserve les dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique à N'Djamena, le vingt cinq mars deux mille dix.
Ont signé le Président, les Juges et le Greffier.
LE GREF IER
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