Conclusions de l'avocat général
M. KARL ROEMER
9 novembre 1961
Traduit de l'allemand
SOMMAIRE
A — Les faits et les demandes
B — Appréciation juridique
I — Recevabilité des recours
II — Le fond
A — Les recours en carence et les recours en annulation
1. La péréquation des frais de transport selon le système de la péréquation de la ferraille
2. La longue pratique de l'Office commun
3. Les garanties de l'Office commun et les décomptes ultérieurs de ferraille
a) Les garanties de l'Office commun
aa) Preuve des garanties
bb) La légalité des garanties
b) Les différents chefs de demande
aa) Affaires 19-60 et 21-60
bb) Affaires 2-61 et 3-61
B — Les recours en dommages-intérêts
I — Faute de service
1. Le grief du manque d'information
2. Le grief du fonctionnement défectueux des organismes de Bruxelles
II — Preuve du dommage
C — Résumé et conclusion
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Les conclusions que voici concernent quatre affaires engagées par des entreprises sidérurgiques françaises contre la Haute Autorité. Elles portent sur le mécanisme de péréquation destiné à rendre moins chère la ferraille d'importation et la ferraille assimilée, question que la Cour connaît bien pour avoir déjà eu à juger un nombre important de procès en cette matière. Le principal problème qui se pose aujourd'hui est de savoir si ce mécanisme de péréquation permet aussi une péréquation individuelle
des frais de transport dans des cas particuliers, au profit des usines qui font venir de la ferraille navale à partir de lieux de démolition situés dans la Communauté, mais assez éloignés, alors qu'elles auraient eu la possibilité d'acheter de la ferraille d'importation avec un trajet plus court à partir de ports maritimes. Bien que les différents recours aient été introduits sous des formes différentes, recours en carence, recours en annulation, leur but unique, que nous venons d'indiquer, et
auquel s'ajoutent des demandes subsidiaires de dommages-intérêts, permet de les examiner ensemble.
A — Les faits et les demandes
Les recours ont leur origine dans des contrats de fourniture de ferrailles navales que l'O.C.C.F. a conclus au nom et pour le compte des entreprises requérantes désignées ultérieurement par le bureau régional français. Les contrats, avec leurs avenants et leurs additifs, et la désignation, faite en vertu de ces contrats, des usines destinataires par le bureau régional s'étalent sur une période comprise entre le 19 septembre 1958 et le 27 octobre 1958. Il y a eu un autre additif au contrat, d'une
importance mineure, au début de février 1959. Tous les contrats portaient la mention : «livraison: F.O.R. gare de chemin de fer la plus proche du chantier de départ». Selon leurs dires, les requérantes ont fait dépendre leur accord à leur désignation comme destinataires de la ferraille de l'assurance que la différence entre le prix du transport depuis la gare du lieu de démolition et le prix à partir de la gare du plus proche port d'importation leur serait compensée lors de la péréquation du prix de
la ferraille. Dans chacun des cas en cause, l'O.C.C.F. à Bruxelles aurait fait une telle déclaration par l'intermédiaire du bureau régional français à Paris. Toujours selon les requérantes, les livraisons de ferraille ont été effectuées d'octobre 1958 à février 1959.
Pour les décomptes de péréquation, il y a lieu de faire une distinction: dans les affaires 19 et 21-60 (Société Fives Lille Cail et Union sidérurgique du nord de la France), la Haute Autorité a communiqué le 15 mars 1960 des décomptes provisoires qui ne tiennent pas compte de la péréquation des frais de transport.
Dans les affaires 2 et 3-61 (Société des forges et ateliers du Creusot et Société Marrel Frères) par contre, la Haute Autorité a commencé par inclure dans les décomptes la différence des frais de transport au profit des requérantes. C'est ainsi que, dans les décomptes provisoires du 10 août 1959, modifiés le 10 décembre 1959, et dans ceux du 14 août 1959, modifiés le 10 décembre 1959, mention expresse est faite de «frais remboursables, parité Brest-Marseille». La péréquation des frais de transport
ne figure plus dans les décomptes du 14 mars 1960 qui annulent et remplacent les anciens décomptes.
La suite de la procédure se présente donc ainsi: les deux premières requérantes désignées ci-dessus se sont adressées à la Haute Autorité par lettres du 30 juillet 1960 et du 11 août 1960 en demandant le remboursement de la différence des frais de transport, soit 5.764,16 NF et 14.912,71 NF. Étant restées sans réponse, elles ont introduit le 26 octobre 1960 et le 5 novembre 1960 leurs recours en carence. La Haute Autorité a adressé le 9 juin 1960 aux deux autres entreprises des lettres leur
demandant le remboursement de la péréquation des frais de transport qui leur avait été accordée, soit 20.800 NF et 4.760 NF. La réponse négative des entreprises a été suivie le 14 décembre 1960 de décisions exécutoires au sens de l'article 92 du traité C.E.C.A. Elles font l'objet des recours en annulation du 16 janvier 1961.
Nous n'avons pas besoin de répéter ici les conclusions des recours. L'exposé du déroulement de la procédure auquel nous venons de procéder a indiqué quel était leur contenu. Nous pouvons de même nous dispenser d'exposer ici les moyens. Enfin, nous avons déjà fait remarquer que, dans les quatre cas, les requérantes ont présenté à titre subsidiaire des demandes de dommages-intérêts du montant ci-dessus, en se fondant sur le fait que la Haute Autorité aurait commis une faute de service.
B — Appréciation juridique
I — RECEVABILITÉ DES RECOURS
La Haute Autorité ne soulève d'exceptions de recevabilité qu'à l'égard des recours en carence 19-60 et 21-60.
1. Elle doute qu'en l'espèce les conditions de l'article 35 soient remplies. Notamment elle pose la question de savoir si les requérantes lui ont bien demandé expressément de prendre une décision et d'après quelles dispositions du traité C.E.C.A. elle serait obligée de la prendre.
En ce qui concerne la seconde partie de l'exception, elle semble porter sur le bien-fondé des recours et non sur leur recevabilité. Mais si la Haute Autorité entendait critiquer la manière de présenter les motifs en faisant cette remarque, nous devrions constater que la désignation d'un article déterminé du traité ne peut être exigée lors du dépôt d'un recours en carence.
Les objections de la Haute Autorité ne sont pas non plus valables pour le reste. Les lettres des requérantes font clairement apparaître qu'elles demandaient le versement de certaines sommes dans le cadre de la péréquation de la ferraille. Il est donc impossible de dire que leur demande manque de précision. Les requérantes ne se fondent pas non plus sur des conventions de droit privé, mais elles invoquent des droits qui prennent leur source dans une institution de droit public: pour leur donner
satisfaction, il est nécessaire de prendre des décisions de versement, donc des actes administratifs. Les conditions pour engager un recours en carence sont donc manifestement remplies.
2. La Haute Autorité fait en outre grief aux requérantes d'avoir formulé leur recours de façon si imprécise et si vague qu'il n'est pas possible d'y reconnaître des moyens à l'appui d'un grief de violation du traité.
En fait, il est certain que les requérantes n'ont pas procédé à un exposé juridique détaillé dans leurs premiers mémoires, si on fait abstraction de leur description des faits. Elles se réfèrent à une prétendue pratique dans la péréquation de la ferraille qui existerait depuis de nombreuses années, pratique selon laquelle les frais de transport de la ferraille navale seraient toujours portés en compte au profit des entreprises destinataires plus éloignées des lieux de démolition que des ports
d'importation. Elles font valoir que la Haute Autorité ne pourrait revenir sur ces dispositions longtemps après le moment où l'O.C.C.F. aurait donné des assurances. Celles-ci sont imputables à la Haute Autorité puisque cette dernière a toujours exercé un contrôle sur l'O.C.C.F.
Quand bien même on admettrait que la pauvreté de cette argumentation n'exclut pas complètement certains doutes, il n'est cependant pas possible de constater un manque complet d'exposé des moyens. Les requérantes se réfèrent tacitement à des principes généraux de droit qui sont valables pour n'importe quelle administration, donc aussi pour la Haute Autorité. Les répliques confirment cette opinion et, en même temps, elles apportent d'autres explications. A cet égard également, la recevabilité des
recours ne pourrait donc être niée.
Comme aucun autre vice n'apparaît en matière de recevabilité, rien ne s'oppose à un examen au fond.
II — LE FOND
A. — Les recours en carence et les recours en annulation
Le point essentiel du procès porte sur la légalité de la péréquation des frais de transport que demandent les requérantes (on pourrait parler d'une péréquation spéciale des frais de transport).
1. La péréquation des frais de transport selon le système de la péréquation de la ferraille
Les décisions de base instituant et organisant le mécanisme financier de péréquation de la ferraille (22-54, 14-55, 2-57 et 16-58) ne contiennent aucune disposition explicite à ce sujet. Il nous faut donc examiner si leur sens et l'objectif qu'elles se proposent, vus à la lumière des objectifs du traité, justifient la péréquation spéciale des frais de transport.
Au cours du procès, il a été dit qu'en 1956, donc avant la réforme du mécanisme de péréquation, la Haute Autorité avait fixé elle-même le prix de péréquation dans une décision, pour quelques mois, faute d'unanimité des organismes de Bruxelles (décision 34-56, Journal officiel, 1956, p. 382). Voici ce qu'avait alors décidé la Haute Autorité :
Article 1 :
«Pour chacun des mois de juillet à octobre 1956 inclus, le prix de péréquation rendu sur wagon ou sur péniche, hors taxes,
— au port d'arrivée pour la ferraille importée de pays tiers par voie de mer,
— au point frontière sur la périphérie de la Communauté pour la ferraille importée de pays tiers par voie de terre,
— au chantier de récupération du vendeur en ce qui concerne la ferraille assimilée (ferraille navale et autres ferrailles onéreuses) récupérée dans le territoire de la Communauté,
est égal au prix moyen pondéré, ramené à la catégorie de base no 11, départ chantier de récupération du vendeur, sur wagon ou sur péniche, hors taxes, constaté dans la Communauté au cours de chacun des mois considérés pour la ferraille de récupération intérieure ne bénéficiant pas de la péréquation.»
Même si cette décision ne prononce pas expressément, comme dans la décision 18-60, une interdiction de la péréquation spéciale des frais de transport, elle constate cependant quels sont les éléments déterminants pour la fixation du prix de péréquation et, par conséquent, pour la bonification de péréquation. Manifestement elle est axée sur le chantier de récupération du vendeur aussi bien pour déterminer le prix intérieur moyen, donc le prix de péréquation, que pour appliquer ce prix aux acheteurs de
ferraille navale. Une appréciation juridique ne peut donc en déduire que la conclusion que la péréquation ne peut inclure d'autres éléments, et notamment les frais individuels de transport. C'est dans le même sens que la Haute Autorité a pris des décisions dans lesquelles, après les décisions de base 13-58 et 16-58, elle a fixé le prix de péréquation dans l'exercice de ses compétences régulières, par exemple la décision 19-58. Par rapport à la décision précédemment citée, il n'existe que cette
différence peu importante qu'ici le prix moyen intérieur est déterminé franco usines du destinataire sur la base du prix rendu, ce qui entraîne une réduction forfaitaire de 4,50 unités de compte U.E.P. Cette méthode de calcul a pour effet d'éliminer forfaitairement les frais de transport d'une part (2,50 unités de compte U.E.P.) et les frais de transbordement dans un port maritime d'autre part (2 unités de compte U.E.P.). Il n'y a donc pas, ici non plus, des éléments pour une péréquation plus large
des frais de transport et surtout pas de péréquation spéciale.
Cette organisation correspond entièrement au sens et à l'objectif du mécanisme de péréquation qui devrait empêcher que la pénurie de ferraille dans la Communauté entraîne soit une distorsion artificielle des conditions de production, parce que seule une partie des producteurs pourrait arriver à s'approvisionner en ferraille interne bon marché, soit un relèvement du prix de la ferraille dans la Communauté au niveau du marché mondial. L'objectif de la péréquation des prix consistait donc uniquement à
créer pour toutes les variétés de ferraille sur le marché commun des conditions de vente comparables, ce qui ne permettait de tenir compte que des frais de transport jusqu'à l'arrivée des ferrailles dans le marché commun et des frais de transbordement.
L'imputation partielle ou complète des frais individuels de transport aurait entraîné une modification substantielle du système de péréquation parce que cela aurait ainsi compensé les désavantages d'emplacement des usines destinataires tenant à l'éloignement des sources d'approvisionnement. Nous ne pouvons accepter cette allégation que la péréquation spéciale des frais de transport au profit des acheteurs de ferraille navale a été indispensable dans l'intérêt du mécanisme de péréquation, parce que,
dans le cas contraire, à la place de la ferraille navale, c'est de la ferraille d'importation d'un prix élevé qui aurait été achetée, ce qui aurait aggravé les charges du mécanisme de péréquation. La Caisse de Bruxelles et, ultérieurement, la Haute Autorité pouvaient déterminer la quantité de ferraille admise à la péréquation; elle avait ainsi un instrument de direction entre les mains. Notamment, pour maintenir aussi bas que possible les taxes de péréquation, elle pouvait accorder à la ferraille
navale un rang privilégié dans la péréquation. Elle était seulement tenue de veiller à ce que la distribution de la ferraille navale ne soit pas faite de façon discriminatoire. En conséquence, on ne peut admettre que l'écoulement complet de la ferraille navale n'ait été possible qu'à l'aide de la péréquation spéciale des frais de transport.
Au cours des audiences orales, il a été en outre remarqué à juste titre que, dans de nombreux articles, et surtout à l'article 2, le traité C.E.C.A. a rejeté avec une grande netteté la modification artificielle des conditions de production au nombre desquels figure l'emplacement. Dans les procès relatifs aux tarifs spéciaux de chemins de fer, la Cour a souligné avec vigueur cette idée fondamentale du traité. Mais même si, en dépit de cette constatation, on pouvait selon le traité estimer que la
péréquation spéciale des frais de transport est légale, il faudrait cependant exiger qu'elle fasse l'objet d'une réglementation propre et détaillée de la Haute Autorité. Celle-ci devrait notamment envisager tous les cas et ne devrait pas se limiter de façon discriminatoire à la péréquation des frais de transport de la ferraille navale au profit des destinataires dans certaines zones du marché. On pourrait en effet penser que les acheteurs de ferraille intérieure, non bénéficiaires de la péréquation,
ou de ferraille d'importation devaient, eux aussi, supporter dans toute une série de cas des désavantages de frais de transport que l'achat de ferraille d'autre provenance leur épargnerait. On ne peut pas admettre qu'une réglementation de la péréquation des frais de transport puisse être introduite tacitement par le canal d'une institution qui poursuit essentiellement d'autres objectifs et pour laquelle joue le principe de maintenir aussi bas que possible la charge imposée aux entreprises
participant à la péréquation. Enfin, il faut encore remarquer que l'inclusion des frais de transport dans la péréquation de la ferraille par voie d'interprétation extensive des pouvoirs de la Haute Autorité paraît aussi exclue du fait que, d'après l'article 53 du traité C.E.C.A., le Conseil de ministres doit donner son accord unanime à la création d'un mécanisme de péréquation. Si cet accord est donné pour la poursuite d'un objectif de politique économique bien déterminé, il ne va pas de soi qu'il
se réfère sans plus à des considérations semblables qui n'ont pas de rapports essentiels avec l'objectif autorisé.
Même si, au cours des débats, on a tenté de prouver que les frais supplémentaires, causés par la péréquation des frais de transport en litige ici, sont fort modestes, il faut cependant constater que ni les décisions générales sur la ferraille, ni même le système du traité ne laissent apparaître une justification de la péréquation spéciale des frais de transport.
2. La longue pratique de l'Office commun
Une seule raison nous amène à examiner cette question, c'est que, pour justifier leur thèse juridique, les requérantes ont attaché une importance particulière à la circonstance que les organismes de Bruxelles ont reconnu la péréquation spéciale des frais de transport au cours d'une longue pratique exercée depuis 1954 et en ont fait profiter les consommateurs de ferraille de la Communauté dans tous les cas semblables. La Haute Autorité conteste tout d'abord l'existence de cette pratique et, en outre,
elle prétend même ne jamais l'avoir connue. En ce qui concerne l'existence de cette pratique, elle a été manifestement suivie par l'Union des consommateurs de ferraille de France, l'organisme central d'achat et de répartition de la ferraille de l'industrie sidérurgique française (arrêté ministériel du 13 mars 1953, Journal officiel de la C.E.C.A. du 9 juin 1953, p. 140). Dans une mesure bien plus faible, des consommateurs de ferraille italiens et néerlandais ont bénéficié de tels avantages (de 1954
à 1958, pour la France $ 349.021,84; pendant une période non connue, pour les Pays-Bas $ 13.000 et pour l'Italie $ 160.000). Il faut considérer comme prouvé qu'à l'intérieur du mécanisme de péréquation l'Office commun de Bruxelles participait à cette procédure. D'un autre côté, on peut considérer comme un fait certain que les conseils d'administration de l'Office et de la Caisse, composés de représentants des consommateurs nationaux de ferraille, n'ont pas été saisis de cette question. Cette
conclusion résulte de façon impérieuse des extraits de procès-verbaux, présentés par les parties, des séances du collège des liquidateurs de la Caisse dont la composition est comparable à celle des conseils d'administration (procès-verbaux du 9 mars et du 10 octobre 1960). Au cours de ces délibérations, la question ici en cause a été traitée et la reconnaissance de la légalité des bonifications spéciales de frais de transport a été rejetée avec les voix des représentants hollandais et italien. Les
pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Haute Autorité consistaient dans le fait que son représentant prenait part aux réunions des conseils d'administration des organismes de Bruxelles et exerçait son influence sur leurs décisions. En conséquence, l'affirmation de la Haute Autorité, d'ailleurs non contestée par les requérantes, qu'elle n'avait jamais été saisie de cette question avant les délibérations de mars et d'octobre 1960 doit être considérée comme prouvée. En fait, la Haute Autorité
n'a pas pris de décision sur cette question avant les cas particuliers en litige dans les présentes affaires et avant les décisions générales 18-60 à 20-60.
En conséquence, il faut constater ceci: si l'on admet qu'il y a eu une pratique du bureau régional français et de l'Office de Bruxelles qui s'est poursuivie pendant de nombreuses années, et si l'on considère aussi que ces sociétés sont des organismes auxiliaires de la Haute Autorité, leur attitude ne peut cependant avoir entraîné la réglementation générale d'une question juridique à la solution de laquelle seule la Haute Autorité était appelée avec la collaboration du Conseil de ministres.
Ce raisonnement des requérantes ne peut donc pas constituer un argument pour justifier la péréquation des frais de transport en litige ici.
3. Les garanties de l'Office commun et les décomptes ultérieurs de ferraille
Après avoir précisé comment le caractère licite de la péréquation des frais de transport doit être apprécié en fonction du traité et des décisions générales sur la ferraille, il faut désormais examiner les différents actes pris à l'encontre des requérantes et qui ont donné lieu aux procès actuels.
a) Les garanties de l'Office commun
Dans tous les cas, avant d'accepter les contrats de vente, les requérantes auraient reçu de l'Office commun la garantie que les frais supplémentaires de transport leur seraient remboursés.
aa) Preuve des garanties
Au cours des débats oraux, la Haute Autorité a mis en doute l'existence de ces prétendues garanties (cf. mémoire en défense, pages 7 et 12). Les requérantes ont produit avec leurs recours des copies de lettres qui doivent apporter la preuve de leurs allégations. Il s'agit des lettres suivantes :
i) Affaire 19-60
— Lettre de l'«Union des consommateurs de ferraille de France» (c'est-à-dire du bureau régional français) à la requérante adressée le 9 octobre 1958 et qui lui demande de compléter le modèle de commande ainsi qu'il suit: ajouter : «le prix de 18.480 francs pourra être amené à fr. 19.950 F.O.R. parité ferroviaire Dunkerque. C'est ce dernier prix que nous vous demandons de nous facturer pour la péréquation et vous aurez à joindre à la facture un avoir de fr. 1.470 par tonne correspondant à la
différence entre ces deux prix».
ii) Affaire 21-60
— Lettre de l'«Union des consommateurs de ferraille de France» à l'O.C.C.F. du 24 octobre 1958 :
«… Nous vous prions donc de bien vouloir faire connaître au fournisseur qu'il aura à majorer ses factures de l'équivalent en monnaie de règlement de $ 3,50 par tonne et à créditer, par avoir séparé, l'usine destinataire du même montant …»
— Lettre de l'O.C.C.F. au bureau régional français du 27 octobre 1958 :
«… Nous prions le vendeur, auquel nous adressons copie de la présente, de bien vouloir majorer ses factures à l'usine destinataire de fr. 1.470 la tonne et d'en créditer, par avoir séparé, l'usine destinataire du même montant.»
iii) Affaire 2-61
— Lettre du bureau régional français à l'O.C.C.F. du 10 octobre 1958 :
«… Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous indiquer, comme vous l'avez déjà fait antérieurement pour des ferrailles du Havre, attribuées à une usine du Nord, la parité de transport par rapport à Marseille dont il y a lieu de tenir compte dans la commande au fournisseur.»
— Lettre de l'O.C.C.F. à un fournisseur de ferraille du 15 octobre 1958 :
«… En conséquence, nous désirons que le paragraphe “Prix” de ce contrat soit modifié comme suit : …
Au cas où l'U.C.F.F. demanderait l'expédition vers une usine de Centre-Sud, le prix à facturer serait de frf. 19.530,— la tonne métrique base catégorie II F.O.R., équivalent de la parité Marseille.»
— Lettre du bureau régional français à l'O.C.C.F. du 20 octobre 1958 :
«… Nous avons pu en définitive obtenir l'accord des Forges du Creusot, d'une part, pour 1.000 t et des Éts Marrel, d'autre part, pour 500 t sur l'attribution de ce contrat. Nous vous prions donc de bien vouloir faire aviser la Société de démolitions navales et terrestres qu'elle aura à majorer le prix du contrat de l'équivalent de $ 2,50 par tonne et à créditer les usines attributaires du même montant à la tonne.»
— Lettre de l'O.C.C.F. à un fournisseur de ferraille du 21 octobre 1958 :
«… Nous vous prions de noter que vous devrez augmenter le montant de vos factures à ces dernières de frf. 1.050,— la tonne, en créditant aux usines dont question le même montant à la tonne …»
iv) Affaire 3-61
— Lettre du bureau régional français à l'O.C.C.F. du 20 octobre 1958 :
«… Nous avons pu en définitive obtenir l'accord des Forges du Creusot, d'une part, pour 1.000 t et des Éts Marrel, d'autre part, pour 500 t sur l'attribution de ce contrat. Nous vous prions donc de bien vouloir faire aviser la Société de démolitions navales et terrestres qu'elle aura à majorer le prix du contrat de l'équivalent de $ 2,50 par tonne et à créditer les usines attributaires du même montant à la tonne.»
— Lettre de l'O.C.C.F. à un fournisseur de ferraille du 21 octobre 1958 :
«… Nous vous prions de noter que vous devrez augmenter le montant de vos factures à ces dernières de frf. 1.050,— la tonne, en créditant aux usines dont question le même montant à la tonne …»
Ces lettres, dont certains expéditeurs n'ont pu être identifiés qu'au cours des débats oraux, ne sont pas de nature à apporter la preuve que l'Office commun avait donné aux requérantes les prétendues garanties avant que celles-ci aient accepté les contrats de vente. Il en résulte seulement que, dans les cas des recours 21-60, 2-61 et 3-61, sur l'initiative du bureau régional français, l'Office commun a fait inclure la péréquation des frais de transport dans la péréquation des prix.
Mais cette circonstance peut, pour le moment, être envisagée comme un indice en faveur de l'exactitude des thèses des requérantes. Pour procéder à l'examen juridique, nous pouvons donc supposer que l'Office commun a garanti aux requérantes que les frais de transport seraient pris en considération.
bb) La légalité des garanties
D'après les constatations précédentes sur le caractère irrégulier de la péréquation des frais de transport, ces garanties doivent être considérées comme contraires au traité.
Mais, pour porter une appréciation juridique, la régularité de sa forme présente aussi de l'importance. C'est ainsi que la Haute Autorité conteste expressément la légalité des garanties en se plaçant du point de vue de la compétence. Le contenu des lettres produites n'a pas fait l'objet d'une décision du conseil d'administration de l'Office commun et ne repose pas non plus sur une décision du conseil d'administration. Elles ont au contraire été rédigées et signées par la direction de la section
importation qui, nous dit la Haute Autorité, d'après les statuts de l'Office, n'a pas le pouvoir de prendre des décisions. Mais nous pouvons nous abstenir de rechercher comment se faisait le partage des compétences à l'intérieur de l'Office commun, car cette question se pose sous une forme beaucoup plus simple.
D'après les décisions générales de base sur la péréquation de la ferraille (22-54, 14-55 et 2-57), la Caisse est l'organe exécutif déterminant pour les décisions à prendre (fixation du taux des cotisations et des périodes de décompte, recouvrement des cotisations, fixation du montant à reverser aux entreprises pour les quantités de ferraille comprises dans la péréquation des prix). L'Office commun n'a qu'un droit de proposition dans certains cas, ainsi que le droit de mener des négociations pour
l'achat et de conclure lui-même des contrats d'achat. Aucun représentant de l'Office commun ne pouvait donc de son propre chef donner des garanties obligatoires relatives à la péréquation des prix.
Mais la circonstance suivante est encore plus importante: la conclusion des contrats de vente, de même que les prétendues garanties, n'est pas antérieure à septembre 1958, et cela d'après les propres indications des requérantes. Or, à cette époque, la Haute Autorité, après les arrêts 9-56 et 10-56 (Meroni contre Haute Autorité), a remanié l'organisation juridique de la péréquation de la ferraille et a annulé la délégation de pouvoir que l'arrêt a déclarée illégale. En vertu de la décision générale
13-58 du 24 juillet 1958 (Journal officiel du 30 juillet 1958, p. 269 et s.), «les compétences attribuées par les décisions à la Caisse de péréquation et à l'Office commun sont dévolues à la Haute Autorité qui pourra confier le travail d'exécution à la Caisse de péréquation ou tout organisme approprié». De même, la décision générale 16-58 du 24 juillet 1958 (Journal officiel, p. 275-58) dit à son article 1er :
«1. Il est institué un mécanisme financier permettant, d'une part, d'assurer la péréquation de ferraille importée des pays tiers et, d'autre part, de réaliser des économies de ferraille.
2. La gestion de ce mécanisme financier est assurée par la Haute Autorité, qui est habilitée à prendre les décisions nécessaires pour l'application de la présente décision et qui peut confier le travail d'exécution à un organisme approprié.
Article 11
La Haute Autorité détermine :
a) si et dans quelle mesure il y a lieu, en tenant compte de la situation du marché, de prendre en charge pour la péréquation des tonnages
— de ferraille importée des pays tiers,
— de ferraille assimilée au sens de l'article 10, c, ci-dessus.
b) dans le cas où elle le juge nécessaire, le prix maximum d'achat des tonnages, visés sous a ci-dessus,
c) le prix de péréquation, …
…
…
Sur tous ces points, l'Office commun des consommateurs de ferraille, institué par acte notarié du 24 avril 1953, ou tout autre organisme reconnu par la Haute Autorité, est habilité à faire des propositions à la Haute Autorité.
Article 12
1. Pour pouvoir bénéficier de la péréquation, les entreprises visées à l'article 2 ci-dessus doivent, préalablement à l'achat, avoir obtenu la prise en charge pour la péréquation des tonnages à acheter, suivant les modalités fixées par la Haute Autorité.
2. …»
Si nous comparons l'évolution du partage des responsabilités et des compétences juridiques dans le cadre du mécanisme de péréquation, telle qu'elle ressort des différentes décisions mentionnées, nous devons constater que les compétences de droit administratif de la Caisse ont été modifiées à plusieurs reprises et que la décision 13-58 les lui a retirées. En ce qui concerne le bureau, son activité n'est plus qu'auxiliaire et consultative, ce qui signifie la préparation des actes de commerce. Il est à
remarquer qu'à l'égard des décisions que la Haute Autorité s'est réservées, il ne peut plus faire que des propositions que la Haute Autorité reçoit aussi d'autres organisations, ce qui correspond à la réglementation de l'article 46 du traité C.E.C.A. L'Office commun n'a pas de pouvoirs de droit administratif, c'est-à-dire le pouvoir de prendre des décisions de droit public comme la Haute Autorité le fait, sur le plan général et dans les cas particuliers, en tant que directrice du mécanisme, depuis
le 24 juillet 1958, et notamment au stade de la liquidation du mécanisme (cf. les décisions 18 à 21-60). Or, par comparaison avec les décisions alors en vigueur, l'admission ou le rejet de la péréquation particulière des frais de transport doit être classé dans le domaine du pouvoir discrétionnaire en matière d'administration.
Ainsi, toute compétence de l'Office commun pour faire des déclarations obligatoires sur les éléments déterminants de la péréquation des prix fait donc défaut. Il est généralement admis que les actes qui sont pris en violation manifeste des règles de compétence n'ont aucun caractère de légalité et qu'ils sont d'une nullité absolue, c'est-à-dire qu'ils doivent être qualifiés d'actes inexistants. Nous renvoyons :
— Pour le droit français à Waline, «Droit administratif», tome 7, p. 386 : «L'acte portant uniquement la signature d'une personne manifestement incompétente; acte signé d'un subalterne sans pouvoir de décision et non pourvu d'une délégation régulière».
— Pour le droit allemand à Forsthoff, «Lehrbuch des Verwaltungsrechts», tome 6, p. 201 et 207 : «Le caractère manifeste d'un vice de compétence autorise à refuser la protection accordée à la bonne foi. Il rend l'acte administratif nul. La nullité englobe ainsi tous les cas de violation grave de la compétence quant au fond et répond aussi à l'intérêt de l'État.»
— Pour le droit néerlandais à Stellinga, «Grondtrekken van het Nederlands Administratiefrecht», p. 205; van der Pot, «Nederlands Bestuursrecht», p. 206; Vegting, «Adimnistratiefrecht», p. 251 et 258; Kranenburg, Beel, Donner e.a.,«Nederlands Bestuursrecht 1953, I», p. 234; Prof. A. M. Donner, «Administratiefrechtelijke Nulliteiten» dans la revue «Bestuurswetenschappen», novembre 1946, p. 18.
Il nous semble que nous nous trouvons en présence de ce cas de nullité absolue d'un acte parce que l'Office commun n'a eu à aucun moment des pouvoirs administratifs dans le cadre de la péréquation. Ses garanties ne constituent donc pas un acte administratif mais uniquement des pratiques commerciales qui se sont donné l'apparence d'actes administratifs.
On ne peut retenir la thèse que les requérantes ont exposée lors des audiences et selon laquelle les tiers de bonne foi devraient être protégés dans leurs relations juridiques avec un représentant sans pouvoir de représentation, si bien qu'à leur égard le défaut de pouvoir de représentation n'aurait aucun effet. L'argumentation des requérantes se fonde uniquement sur le droit civil dont les règles ne sont applicables en droit public que sous réserves. Les demandes des requérantes dans cette
procédure d'annulation ne peuvent être appréciées qu'à l'aide du droit public de la Communauté. Ce dernier résulte du traité et des principes généraux de droit des ordres juridiques nationaux que la Cour élabore au rang de droit commun de la Communauté ( 1 )Mais comme on peut dire que le droit public national ne connaît pas la notion de procuration à apparence légale, conférée à un organe agissant hors de ses compétences, point n'est besoin d'examiner ici dans quelle mesure les requérantes et la
direction du bureau régional français devraient connaître ou respecter les importantes décisions d'organisation 13-58 et 16-58 ni à quel point la connaissance ou l'obligation de connaître excluent l'invocation de la bonne foi.
b) Les différents chefs de demande
Il faut examiner à la lumière de ces considérations les éléments décisifs dans les différentes procédures.
aa) Affaires 19-60 et 21-60
Dans les affaires 19-60 et 21-60, les prétendues garanties de l'Office commun pour la péréquation des frais de transport ont été suivies le 15 mars 1960 de l'envoi par la Haute Autorité des décomptes de ferraille qui ne prévoient pas le remboursement des frais de transport.
Comme, sur le plan du droit administratif, les garanties de l'Office commun doivent être considérées comme des actes inexistants, le problème, soulevé par les requérantes, du caractère licite de la révocation d'actes administratifs créateurs de droits ne se pose pas. Pour statuer sur les recours en carence, il est donc possible de ne pas s'arrêter à ces garanties.
Il n'est pas possible de reconnaître d'autres bases juridiques pour les demandes des requérantes. Notamment, il est apparu que les décomptes de ferraille de la Haute Autorité du 15 mars 1960 sont conformes aux décisions de base et au traité. En conséquence, les demandes des requérantes ne sont pas fondées, ce qui doit amener la Cour à rejeter les recours en carence.
bb) Affaires 2-61 et 3-61
La situation se présente ici sous un jour différent en ce sens que la Haute Autorité elle-même, à deux reprises, a tenu compte dans chacune des affaires de la péréquation des frais de transport dans ses décomptes provisoires (10 août 1959 et 10 décembre 1959, ainsi que 14 août 1959 et 10 décembre 1959) et que ce n'est que dans les derniers décomptes, en mars 1960, de même que dans les affaires 19 et 21-60, qu'elle a omis de compenser ces frais. Cette attitude amène les requérantes à parler d'une
confirmation par la Haute Autorité de la garantie donnée par l'Office commun et qui ne pourrait être révoquée après l'expiration d'un délai raisonnable.
L'application des principes sur la révocation des actes administratifs dépend en premier lieu du point de savoir si l'on considère les décomptes de ferraille de la Haute Autorité comme des actes administratifs créateurs de droits.
A cela s'opposent leur forme extérieure et aussi leur contenu. Il s'agit de communications sans forme, adressées au bureau régional français, pour modifier les comptes courants et qui, apparemment, sont envoyées aussi en même temps aux entreprises. Elles sont signées par un directeur de la Haute Autorité. Elles contiennent la remarque expresse qu'elles ne constituent qu'un décompte provisoire et leur contenu rappelle des décisions relatives à des comptes courants prises par des entreprises
commerciales.
Il nous semble tout à fait certain que la thèse d'une confirmation expresse par la Haute Autorité des garanties données par l'Office commun doit être exclue et cela surtout compte tenu des décisions de la Haute Autorité no 19-58 du 22 octobre 1958 (Journal officiel, p. 473) sur la fixation du prix de péréquation et no 15-59 du 18 février 1959 (Journal officiel, p. 209) qui ont été prises avant la «confirmation» et dans lesquelles, pour la ferraille assimilée, le centre de récupération a été
considéré comme lieu déterminant pour le calcul du prix. On ne peut présumer que la Haute Autorité ait voulu sciemment introduire dans les décomptes de ferraille ci-dessus mentionnés une réglementation discriminatoire au profit des requérantes.
La prise en compte des frais de transport dans la péréquation doit plutôt être attribuée à une erreur qui a son origine dans le grand nombre de décomptes auxquels la Haute Autorité a dû procéder elle-même à partir d'août 1958. Si les décomptes ne peuvent être qualifiés d'actes administratifs devant être assimilés à une décision de la Haute Autorité, ce qui nous paraît justifié, la nécessité d'une révocation liée à certaines conditions fait défaut pour eux. Si, par contre, on estime que les premiers
décomptes de ferraille constituent des actes administratifs de la Haute Autorité, créateurs de droits, il est évident que ces actes sont entachés de vices qui justifient en principe leur révocation. La jurisprudence de la Cour sur cette question est parfaitement claire, par exemple l'arrêt 7-56 (Algera et autres contre Assemblée commune de la C.E.C.A.) qui a déclaré légale la révocation pendant un délai raisonnable, ainsi que l'arrêt 15-60 ( 2 ), où il est dit :
«Le retrait pour motif d'illégalité, même s'il ne peut pas comporter, dans certains cas, en raison des droits acquis, un effet d'annulation ex tung, entraîne toujours cet effet ex nunc.»
Cette dernière remarque fait apparaître qu'une révocation rétroactive est exclue dans certains cas, mais pas toujours. Ainsi l'arrêt S.N.U.P.A.T. contre Haute Autorité (affaires 42-59 et 49-59) est en ce sens. Il s'agissait dans cette affaire de savoir si des exemptions de péréquation de la ferraille qui avaient été accordées à certaines entreprises en décembre 1957 et qui étaient apparues illégales pouvaient être révoquées. La Cour a décidé à ce sujet que la balance entre les intérêts publics et
les intérêts privés en jeu était décisive. Lorsque la Cour a déclaré : «d'ailleurs, selon le droit de tous les États membres, le retrait rétroactif est généralement admis dans les cas où l'acte administratif en cause a été adopté sur la base d'indications fausses ou incomplètes fournies par les intéressés», cela signifie à notre avis que la révocation rétroactive ne doit pas être limitée aux cas de l'espèce mentionnée, mais que, au contraire, la solution de cette question doit elle aussi être
trouvée dans le cadre d'une appréciation des intérêts.
En l'espèce, il faudrait tenir compte des circonstances suivantes :
— entre les premiers décomptes de ferraille, qui tiennent compte de la péréquation des frais de transport, et les décomptes de ferraille du 15 mars 1960, il s'est écoulé environ 8 mois;
— les décomptes erronés de ferraille, à la différence des garanties de l'Office commun, n'ont pas donné lieu à des opérations commerciales des requérantes;
— tous les décomptes de ferraille n'ont eu jusqu'à présent qu'un caractère provisoire;
— les modifications ultérieures dans les décomptes de ferraille portent sur des sommes qui n'ont qu'une importance très minime pour les entreprises requérantes;
— lorsque la Haute Autorité a repris entre ses mains le mécanisme de péréquation, elle a eu à examiner une quantité de décisions et de réglementations et la comptabilité des organismes de Bruxelles, ce qui a demandé beaucoup de temps;
— la Haute Autorité n'agit pas dans son propre intérêt fiscal, mais dans l'intérêt général de l'ensemble des consommateurs de ferraille.
Si l'on apprécie ces points de vue tous ensemble, on ne peut nier le caractère licite de la révocation des premiers décomptes de ferraille, en supposant sa nécessité, même au bout de 8 mois.
La Haute Autorité était donc, en tous cas, en droit de corriger ses anciennes erreurs et d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre de la péréquation des frais de transport.
Comme il n'est pas possible de trouver d'autres vices affectant les décisions de remboursement, les recours en annulation introduits contre ces dernières doivent être rejetés comme non fondés.
B — Les recours en dommages-intérêts
Pour le cas où leurs demandes principales seraient rejetées, les requérantes ont présenté des recours en dommages-intérêts. Elles les motivent dans leurs requêtes en alléguant que si la modification de la politique de la Haute Autorité en matière de péréquation des frais de transport leur avait été communiquée en temps voulu, elles n'auraient plus acheté de la ferraille navale mais de la ferraille importée à livrer dans le plus proche port maritime, ce qui leur aurait ainsi économisé des frais de
transport.
Dans la réplique, bien que sous forme d'une simple allusion, apparaît cet argument supplémentaire que la Haute Autorité serait responsable du mauvais fonctionnement de ses organismes auxiliaires, lesquels ont donné des garanties aux requérantes et cela, soit ipso jure, soit pour insuffisance de contrôle. Au cours des audiences orales, c'est surtout cet argument qui a été développé.
Il nous faudra donc examiner si ces allégations remplissent les conditions nécessaires d'après l'article 40 du traité pour qu'un droit à dommages-intérêts soit reconnu.
I — Faute de service
Avant de procéder à l'examen juridique, il faut remarquer que seule l'attitude de la Haute Autorité antérieurement à la conclusion des contrats de vente entre en ligne de compte pour fonder les droits à dommages-intérêts. Tous les éléments qui se rapportent à la période écoulée jusqu'à la révocation des prétendues garanties par la Haute Autorité peuvent être laissés de côté parce qu'ils sont sans importance pour la création du dommage.
En outre, il convient de remarquer qu'il ne faut apprécier ici que la cause du dommage résultant de la conclusion des contrats de vente à partir de septembre 1958. Les livraisons de ferraille faites avant cette date et leur décompte n'ont aucune place dans notre examen.
Après cette précision, examinons d'abord s'il y a une faute de service de la Haute Autorité.
1. Le grief du manque d'information
Ce grief doit être considéré en liaison avec l'affirmation des requérantes que les organismes de Bruxelles, dans leur longue pratique, ont toujours admis une péréquation des frais de transport. Pour l'examen juridique, il peut se formuler ainsi: la pratique des organismes auxiliaires a créé une réglementation, peut-être fausse, à l'existence de laquelle les requérantes ont pu se fier dans leurs opérations commerciales jusqu'à ce que la Haute Autorité ait constaté de façon très claire, par la
décision 18-60, l'irrégularité de cette pratique et par là ait mis fin à l'erreur des requérantes.
Il s'agira donc de savoir si la Haute Autorité, avant cette date, n'a rien fait ou n'a pas agi suffisamment pour ébranler ou ruiner la confiance des requérantes dans la légalité de cette pratique.
Nous avons vu que, pour la première fois dans la décision 34-56, le point de vue de la Haute Autorité sur les éléments déterminants de la péréquation des prix avait été énoncé. Il est apparu qu'une interprétation raisonnable de cette décision ne pouvait laisser de doute sur ceux des frais de transport et autres frais accessoires qui pouvaient seuls être inclus dans la péréquation des prix. Déjà cette décision, qui a été publiée au Journal officiel et dont les requérantes pouvaient ainsi avoir
connaissance, était de nature à ébranler sérieusement leur confiance dans le caractère régulier de la péréquation spéciale des frais de transport et à l'écarter comme base de leurs opérations commerciales. Mais plus importante encore est l'évolution juridique ultérieure introduite par les arrêts Meroni (9-56 et 10-56). Ils contiennent cette constatation :
«Plusieurs des propositions, qu'aux termes de l'article 5 sus-énoncé l'Office compétent doit présenter à la Caisse, et notamment la fixation du “prix maximum d'achat à l'importation” du “prix de péréquation”, des “critères pour le calcul des économies de ferraille” et du “montant de la prime allouée en fonction de ces économies” ne peuvent être le produit d'opérations purement comptables fondées sur des critères objectifs définis par la Haute Autorité; ils comportent une large marge d'appréciation
et ressortissent comme tels à l'usage d'un pouvoir discrétionnaire tendant à concilier les multiples exigences d'une politique économique complexe et nuancée.»
Cette constatation a entraîné l'annulation de l'organisation alors en vigueur pour la péréquation de la ferraille. La conséquence en a été que la Haute Autorité a pris les décisions générales 13-58 et 16-58 dont l'effet a été une réforme profonde du mécanisme de péréquation de la ferraille, créant ainsi la coupure la plus importante dans le système de péréquation depuis la décision 22-54. D'un trait de plume, les organismes de Bruxelles ont été dépouillés de toute leur compétence en matière de
péréquation; la Haute Autorité s'est réservé uniquement le droit de leur confier ultérieurement une simple activité d'exécution. Ces décisions ont été, elles aussi, publiées au Journal officiel, tout comme les arrêts Meroni. Les milieux intéressés étaient donc bien au courant des circonstances de la modification de l'organisation de la péréquation de la ferraille, étant donné que ce sont précisément les arrêts Meroni qui ont attiré l'attention générale sur ce point.
A partir de ce moment, personne ne pouvait penser que la péréquation continuerait comme par le passé. Si les pratiques des organismes de Bruxelles pouvaient permettre aux intéressés de tirer des conclusions sur la façon dont ces organismes se comporteraient dans un cas déterminé, depuis juillet 1958 elles ne pouvaient plus avoir de signification pour la question de savoir comment la Haute Autorité organiserait la péréquation.
Il en résulte ceci: la modification de base du système de péréquation en 1958 était, en tant que telle, de nature à priver de base tous les principes d'expérience découlant de la pratique suivie jusque-là en matière de péréquation. La question de savoir si la Haute Autorité était obligée de prendre aussitôt des décisions détaillées sur toutes les questions particulières, et notamment sur le problème de la péréquation des frais de transport, pour empêcher les consommateurs de ferraille de gérer leurs
affaires commerciales sur la base de l'ancienne réglementation, ne se pose donc pas. Elle devrait en outre être tranchée par la négative, parce que la quantité de travail résultant du retrait des pouvoirs de décision rendait impossible une réglementation rapide des diverses questions. En conséquence, on peut constater que le fait par la Haute Autorité d'avoir omis d'avertir les requérantes avant la conclusion de leurs contrats de vente ne fonde pas un grief de faute de service.
2. Le grief du fonctionnement défectueux des organismes de Bruxelles
Ce grief vise le fait qu'en septembre 1958 l'Office commun a donné à tort des garanties et non pas l'ancienne pratique illégale des organismes de Bruxelles car celle-ci, comme nous l'avons montré, n'entre plus en ligne de compte comme cause de préjudice après l'adoption des décisions 13-58 et 16-58.
Si nous avons supposé pour les recours en annulation et en carence que les garanties ont bien été données en fait, il nous semble indispensable, pour examiner la faute de service, si la Cour ne peut pas rendre son arrêt pour d'autres motifs, de constater en détail si les garanties avaient bien été données aux requérantes avant la conclusion des contrats de vente et dans une forme déterminée. L'appréciation de la question de faute, tout comme celle de causalité, pourrait en dépendre.
Au cours des débats oraux, et pour appuyer leur grief, les requérantes se sont référées en premier lieu à l'affaire 23-59 (FERAM contre Haute Autorité) dans laquelle la Haute Autorité a déclaré «qu'elle ne contestait pas qu'elle était responsable des fautes de service des organismes de Bruxelles», ainsi qu'à l'arrêt dans les affaires 14-60 et 16-60 (Meroni et autres contre Haute Autorité) dans lequel la Cour a déclaré que
«… il convient cependant d'examiner si ces erreurs étaient susceptibles d'être évitées par une bonne administration, car elles pourraient révéler l'existence d'une faute de service de la Haute Autorité ou, ce qui reviendrait au même, des organismes de Bruxelles.»
Il est compréhensible que les explications juridiques de la Haute Autorité, données dans le premier de ces procès, ne lient pas la Cour dans sa jurisprudence. Mais en ce qui concerne l'arrêt 14-60, nous doutons sérieusement que la remarque incidente de la Cour, qui n'a pas été décisive pour la solution donnée au procès, puisse fonder une jurisprudence obligatoire dans une question juridique de grande importance. Tout au moins peut-on dire que l'opinion de la Cour va très loin lorsqu'elle assimile la
faute des agents de la Haute Autorité à celle dès organismes auxiliaires, bien qu'en général ces derniers ne soient soumis à l'influence de la Haute Autorité que dans une moindre mesure. Cette assimilation recèle le danger que la Haute Autorité, dans l'exercice de sa surveillance, du contrôle et de la révision, soit contrainte d'engager des dépenses de personnel et d'administration élevées, ou que, renonçant à avoir recours à des organisations ou à des établissements capables, elle se voit amenée à
assumer des tâches qui, par leur nature, pourraient être réglées comme des attributions déléguées en dehors de son administration. Dans les deux cas, cela contreviendrait au principe de l'article 5 («… et n'exerce une action directe sur la production et sur le marché que lorsque les circonstances l'exigent; …Les institutions de la Communauté exercent ces activités avec un appareil administratif réduit, en coopération étroite avec les intéressés») et de l'article 57 («…la Haute Autorité recourt de
préférence aux modes d'action indirects qui sont à sa disposition»). Les possibilités d'une administration rationnelle, efficace et meilleur marché seraient restreintes et les répercussions sur la marche naturelle de l'économie seraient renforcées.
Quelle que soit l'attitude qu'on observe au sujet de cette opinion, elle ne peut être décisive en l'espèce.
Les garanties qui ont entraîné la conclusion des contrats de vente négociés par l'Office commun auraient été données en septembre 1958. L'examen des principales décisions a montré qu'à cette époque l'Office commun ne participait plus du tout aux tâches assumées par la péréquation de la ferraille. Ni la Caisse (organisme doté autrefois de pouvoirs administratifs), ni l'Office n'ont conservé quelque compétence que ce soit en matière de péréquation de la ferraille. Ce n'est que dans la décision 29-58
du 19 novembre 1958 (Journal officiel, p. 519) que certaines activités d'exécution subordonnées ont été confiées à la Caisse en matière de liquidation de la péréquation de la ferraille, pour la période antérieure à sa réorganisation. L'Office commun n'est mentionné dans la décision 16-58 que comme une organisation qui est susceptible de soumettre des propositions à la Haute Autorité et donc d'agir comme toute entreprise, parce que ces actes ne sont pas obligatoires. De même, les statuts de l'Office
commun en vigueur à l'époque en cause et qui avaient été adoptés avec la participation de toutes les requérantes sont très clairs à cet égard ( 3 ). Ainsi, l'assemblée générale du 31 juillet 1958 a refusé de modifier l'article 3, no 4, des statuts par l'adoption de la phrase suivante :
«De remplir les missions qui lui seront assignées par les décisions de la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, dans le domaine de l'approvisionnement en ferraille».
L'assemblée générale du 28 août 1958 a décidé de donner à l'article 3 des statuts le texte suivant, sans modification de fond :
«La Société a pour objet :
1o D'étudier toutes les questions intéressant le marché de la ferraille à l'intérieur et à l'extérieur de la Communauté;
2o De centraliser la documentation relative aux besoins des consommateurs de ferraille, aux ressources en provenance de la Communauté et aux possibilités d'importations en provenance de pays tiers;
3o D'établir sur les données ainsi recueillies le bilan des besoins et des ressources en provenance de la Communauté et de déterminer les tonnages à importer des pays tiers et les achats de ferrailles assimilées;
4o Dans le cadre des décisions éventuelles prises par la Haute Autorité dans le domaine de la ferraille, de remplir les missions qu'elle accepte et de faire toutes propositions à la Haute Autorité;
5o De négocier les achats pour le compte commun, la passation et la réalisation des contrats correspondants devant être assurées par les consommateurs intéressés;
6o De conclure, en cas de nécessité, des contrats directs d'achat pour le compte de consommateurs à désigner ultérieurement;
7o D'exercer, en outre, toutes autres activités correspondant aux buts ci-dessus indiqués et conformes aux dispositions du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier;
8o De représenter auprès de la Haute Autorité les intérêts des consommateurs de ferraille et de lui soumettre toutes suggestions utiles;
9o De procéder à toutes opérations financières, mobilières et immobilières nécessaires à la réalisation de son objet.»
En outre, il a été décidé de ne pas accepter la modification proposée de l'article 11 :
«Première proposition de rédaction :
Un délégué de la Haute Autorité pourra, sur la demande soit de la Haute Autorité, soit du conseil de l'Office commun des consommateurs de ferraille, assister à toutes séances du conseil où il apparaîtrait souhaitable de procéder à des échanges de vues.
Deuxième proposition de rédaction :
Sur invitation du président, un observateur de la Haute Autorité pourra assister à titre consultatif aux réunions du conseil.»
mais, au contraire, de supprimer cet article 11.
Si donc l'Office commun, en septembre 1958, n'exerçait aucune fonction déterminante dans l'administration de la péréquation de la ferraille, il ne pouvait non plus être considéré comme un organisme auxiliaire de la Haute Autorité dans l'exercice de ses fonctions. Le fait de s'être arrogé des pouvoirs administratifs en donnant des garanties pour la péréquation des frais de transport qui, d'après les décisions 13-58 et 16-58, devait être manifeste en tant que tel, ne constitue donc pas une faute de
service dont la Haute Autorité est responsable. Nous pouvons nous dispenser d'examiner si ces actes engendrent une obligation de réparation de l'Office commun, en tant que coopérative de droit privé, dotée d'une personnalité juridique propre.
3. Sous aucun aspect nous ne pouvons donc constater qu'il existe une faute de service de la Haute Autorité dans ces procès.
Si la Cour de justice n'entend pas suivre cette conception, elle serait cependant forcée de considérer s'il y a une faute partagée des requérantes qui, après la publication des nouvelles décisions en matière d'organisation, ont cru, pour leur commerce, que la Haute Autorité prendrait ses principales décisions discrétionnaires de la même façon que les organismes de Bruxelles. Si, en connaissance ou en méconnaissance fautive de la situation juridique, elles partaient de cette idée qu'aucune
modification n'interviendrait dans les détails d'exécution de la péréquation de la ferraille, elles doivent supporter elles-mêmes les conséquences de cette attitude, au moins en partie.
II — Preuve du dommage
Pour être complet (les explications données sur la question de la faute de service font qu'il n'y a aucune nécessité juridique à cela), disons encore quelques mots sur la preuve du dommage. La question décisive est la suivante: Les requérantes auraient-elles eu la possibilité d'importer de la ferraille à des conditions plus favorables et d'économiser ainsi des frais de transport, liés à l'achat de ferraille navale, et auraient-elles renoncé en tout cas à l'achat de ferraille navale en cas de refus
de péréquation des frais de transport?
En ce qui concerne la seconde partie de cette question, il nous semble qu'il est impossible actuellement de donner une réponse nette, parce qu'il est certain que le choix de la ferraille à importer ne dépendait pas seulement du prix franco usine, mais aussi d'autres circonstances (qualité, anciennes relations d'affaires, octroi de devises, etc.).
En outre, pour prouver un dommage, les requérantes ont fait état de statistiques annuelles sur les importations de ferraille, les besoins de ferraille et le stockage et en ont tiré la conclusion qu'à tout moment elles pouvaient avoir recours à la ferraille d'importation. De son côté, la Haute Autorité a souligné qu'il n'aurait pas été possible de procéder à des importations illimitées des États-Unis, sans risquer de provoquer des restrictions d'exportation. Même en admettant que les chiffres cités
par les requérantes fondent une certaine présomption d'exactitude de leurs allégations en matière de préjudice, une preuve sûre n'a cependant pas encore été apportée. Il faut en effet non seulement prouver avec une certaine vraisemblance que la situation générale du marché de la ferraille aurait rendu possibles des importations, mais aussi que les disponibilités de l'achat en commun auraient précisément permis aux requérantes d'acheter de la ferraille importée par des ports bien situés du point de
vue fret. D'un point de vue juridique, il faut tenir compte du fait qu'il n'était pas possible d'inclure dans la péréquation n'importe quelle quantité de ferraille d'importation. D'après les décisions déterminantes en matière de ferraille, la Caisse (ultérieurement la Haute Autorité) détermine les quantités de ferraille importées de pays tiers ou de ferraille assimilée pour lesquelles une péréquation des prix peut être accordée et les conditions auxquelles l'octroi de la péréquation du prix est lié
(priorités d'utilisation dans certaines zones de la Communauté).
On sait que, lors de l'achat en commun par les organismes de Bruxelles, une préférence de fait et de droit a été donnée à la ferraille navale dans l'intérêt des entreprises de démolition de la Communauté et aussi pour des motifs tenant à la qualité. Les requérantes ne mettent pas en doute le caractère licite de cette politique. Pour juger leur demande, il faudrait donc aussi apporter la preuve que, pour des motifs juridiques (p. ex. en ce qui concerne l'interdiction de la discrimination), l'achat de
ferraille d'importation meilleur marché aurait dû en toutes circonstances leur être facilité.
D'après les exposés peu étoffés des requérantes, et faute d'offres de preuves appropriées, nous ne voyons pas que cette preuve ait pu être faite à tous égards.
III. — Si nous résumons nos considérations sur les recours pour faute de service, il faut dire assurément que l'attitude de l'Office commun n'est pas exempte d'éléments qui peuvent laisser penser à l'existence d'une faute. Mais la mise en balance de toutes les circonstances ne permet cependant pas de parler d'une faute de service de la Haute Autorité, obligeant celle-ci à réparer le préjudice prétendument subi. Si la Cour devait suivre un autre point de vue sur cette question, il serait, à notre
avis, indispensable de procéder à une instruction pour trancher définitivement les recours pour faute de service, pour clarifier la question des liens de causalité et pour déterminer l'étendue du dommage.
C — Résumé et conclusion
Nous proposons à la Cour de ne pas suivre nos considérations subsidiaires, de rejeter comme non fondés les recours 19-60 et 21-60 ainsi que les recours 2-61 et 3-61 dans toutes leurs conclusions et de condamner les requérantes aux dépens.
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( 1 ) Arrêt 1-55, tome II, édition française, p. 28;
Arrêt 7-56, tome III, édition française, p. 115-123;
Arrêt 8-57, tome IV, édition française, p. 247 ;
Arrêt 32 et 33-58, tome V, édition française, p. 299;
Arrêt 42 et 49-59, tome VII, édition française, p. 160;
Arrêt 6-60, tome VI, édition française, p. 1149.
( 2 ) Recueil, tome VII, p. 242.
( 3 ) Annexe au Moniteur belge du 24 août 1958, p. 2309 et s.
Annexe an Moniteur belge du 18 septembre 1958, p. 2937 et s.