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07/12/1961 | CJUE | N°10/61

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 7 décembre 1961., Commission de la Communauté économique européenne contre République italienne., 07/12/1961, 10/61


Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

7 décembre 1961

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Ce deuxième litige relatif à l'application du traité de Rome se déroule entre les mêmes parties et selon la même procédure que le premier, c'est-à-dire par application des articles 169 et 171 relatifs à la constatation par la Cour, sur requête de la Commission, d'un manquement d'un État membre à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité. Comme le précédent, il est relatif à l'application de la règle du «st

andstill», mais, cette fois, à l'égard d'un droit de douane et non d'une
restriction quantit...

Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

7 décembre 1961

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Ce deuxième litige relatif à l'application du traité de Rome se déroule entre les mêmes parties et selon la même procédure que le premier, c'est-à-dire par application des articles 169 et 171 relatifs à la constatation par la Cour, sur requête de la Commission, d'un manquement d'un État membre à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité. Comme le précédent, il est relatif à l'application de la règle du «standstill», mais, cette fois, à l'égard d'un droit de douane et non d'une
restriction quantitative (articles 12 et 14).

Article 12 :

«Les États membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent, et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mutuelles.»

Article 14, paragraphe 1 :

«Pour chaque produit, le droit de base sur lequel les réductions successives doivent être opérées est constitué par le droit appliqué au 1er janvier 1957.»

Le litige porte, vous le savez, sur le point de savoir quel était le «droit appliqué au 1er janvier 1957» pour les importations en Italie des tubes, valves et lampes radio-électriques pour récepteurs radiophoniques, faisant partie de la position 1204 d du tarif douanier italien.

Pour le gouvernement italien, il s'agit d'un droit de 30 % ad valorem, assorti d'un minimum spécifique de 150 lires par unité, compris dans le sixième protocole des concessions additionnelles du G.A.T.T. signé à Genève le 23 mai 1956 : cet accord n'a été ratifié qu'en vertu d'une loi du 2 janvier 1958 publiée le 17 février 1958, mais avait été mis provisoirement en vigueur par un décret du président de la République du 12 juillet 1956 publié le 14 juillet, donc antérieurement au 1er janvier 1957.
Une circulaire du 13 juillet 1956, il est vrai, avait précisé que l'ancien droit concernant cette position, qui était de 35 % sans minimum spécifique, continuerait d'être perçu lorsqu'il serait plus favorable à l'importateur, mais il ne saurait être tenu compte de cette circulaire, simple mesure de faveur, à l'encontre du seul tarif légal qui est le nouveau tarif. C'est donc à bon droit que ce tarif a été pris comme «droit de base» pour l'application des réductions successives prévues par le traité.

Pour la Commission, il y a lieu de considérer l'ensemble tarifaire résultant de l'application du plus avantageux des deux tarifs, conformément à la circulaire. C'est, en effet, cet ensemble qui constitue «le droit appliqué au 1er janvier 1957». Il en résulte que le droit de base choisi par le gouvernement italien est contraire au traité dans la mesure où il refuse de prendre en considération l'ancien droit de 35 % sans minimum spécifique lorsqu'il est plus avantageux, c'est-à-dire pratiquement pour
les tubes, valves, etc. ayant une valeur douanière inférieure ou égale à 428 lires par pièce.

A titre principal, la Commission soutient que le droit à prendre en considération est le droit effectivement appliqué au 1er janvier 1957 et non le droit légalement applicable. Subsidiairement, elle prétend démontrer qu'à la date considérée le système tarifaire résultant de l'application du plus avantageux des deux droits était seul conforme à la situation légale en Italie, situation que la circulaire avait donc correctement interprétée.

Le gouvernement italien est en désaccord sur les deux points. D'autre part, il invoque l'article 234, alinéa 1, du traité relatif au maintien des droits et obligations résultant des conventions antérieures conclues avec des États tiers, en l'espèce, les accords passés au sein du G.A.T.T. en 1956, et d'où découlerait le droit, et même l'obligation, pour l'Italie d'appliquer intégralement le nouveau droit assorti du minimum spécifique.

Reprenons successivement ces différentes questions.

I — Droit effectivement appliqué ou droit légalement applicable

L'article 12 du traité est ainsi conçu:

«Les États membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent, et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mutuelles.»

Et l'article 14 dispose:

«Pour chaque produit, le droit de base sur lequel les réductions successives doivent être opérées est constitué par le droit appliqué au 1er janvier 1957.»

Les textes plaident donc en faveur de la thèse de la Commission. L'argument n'est cependant pas décisif par lui-même, car on pourrait soutenir que le texte a entendu se référer implicitement à un droit légalement appliqué. Faut-il alors rechercher dans chaque cas, et au besoin par référence à la loi et même à la Constitution, si le tarif réellement appliqué est bien conforme à la légalité interne? Faut-il, à l'inverse, se contenter de prendre en considération les taux effectivement perçus à la
frontière, serait-ce par négligence ou par erreur? Nous pensons que la vérité, comme il arrive souvent, stat in medio de même que la sagesse.

De quoi s'agit-il? Du «standstill» concernant les échanges entre les pays membres. Ce qui importe donc, c'est la situation douanière réelle qui gouverne ces échanges, pour chaque produit, à la date considérée. On ne peut évidemment faire état des erreurs ou même des tolérances plus ou moins arbitraires et variables qui peuvent se produire lors de la perception des droits. Mais nous pensons, en revanche, que ce serait aller trop loin que d'exiger ou de permettre dans chaque cas un contrôle de
légalité, voire de constitutionnalité, à l'égard du droit perçu. Ce qu'il convient de prendre en considération, à notre avis, c'est le tarif résultant des barèmes officiels, compte tenu des modifications et des interprétations portées à la connaissance du public et appliquées par l'administration ainsi que des suspensions ou dérogations, dont le tarif peut être l'objet: les perceptions qui en résultent sont, en effet, celles qui règlent les échanges. Sans doute, un assujetti est toujours en droit
d'élever une réclamation et d'exciper de l'illégalité ou de l'inconstitutionnalité du droit qui lui est réclamé, mais en attendant qu'une telle réclamation se produise, qu'il y soit donné satisfaction et que le tarif soit modifié en conséquence, les effets sur le commerce international sont bien ceux du tarif appliqué: or, c'est cela qui compte.

En somme, ce que nous vous proposons d'admettre, c'est une notion de régularité apparente : lorsqu'il existe une interprétation officielle de l'administration compétente et des instructions conformes à cette interprétation données aux agents d'exécution pour fixer les modalités de perception d'un droit, c'est là le «droit appliqué» au sens des articles 12 et 14 du traité.

Une telle interprétation nous paraît d'ailleurs commandée non seulement par l'objet des dispositions en cause, mais aussi par la nécessité, pour l'application de ces dispositions, d'une règle simple et en quelque sorte automatique, sans quoi on entrerait inévitablement dans d'inextricables complications.

Au surplus, cette interprétation paraît confirmée, ainsi que la Commission l'a fait observer, par les dispositions de l'article 19 du traité relatives à l'établissement du tarif douanier commun. Là encore, la règle est que l'on doit prendre en considération les «droits appliqués dans les quatre territoires douaniers que comprend la Communauté» (article 19, paragraphes 1 et 2, alinéa 1). Or, la preuve que le traité a entendu viser les droits effectivement appliqués se trouve au paragraphe 2, alinéa
3, de ce même article qui substitue expressément les droits énumérés à la liste A à ceux effectivement appliqués le 1er janvier 1957. Il s'agissait, en l'espèce, de droits du tarif douanier français qui, à la date du 1er janvier 1957, étaient l'objet d'une suspension temporaire devant prendre fin — et ayant effectivement pris fin — dans les six mois. Il a été décidé, dans ce cas particulier, de faire exception à la règle et de prendre en considération les droits compte non tenu de la suspension
encore en vigueur le 1er janvier 1957. C'est bien un cas où s'applique l'adage: l'exception confirme la règle, d'autant plus qu'il existait au 1er janvier 1957 un grand nombre de droits conventionnels suspendus en France et ailleurs et qui n'ont pas été l'objet des dérogations.

Le défendeur, il est vrai, invoque à son tour les dispositions du paragraphe 2, alinéa 2, de ce même article 19, dispositions visant spécialement le tarif italien et d'après lesquelles,

«sur les postes où ce tarif comporte un droit conventionnel, celui-ci est substitué au droit appliqué»,

d'où il suit qu'on ne peut concevoir une consolidation simultanée de deux droits de base: le droit de base ne peut être qu'un droit unique.

Dans son mémoire en réplique (pages 3 et 4), la Commission nous paraît réfuter cet argument avec pertinence. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 19, paragraphe 2, ont pour objet de substituer, dans certains cas et sous certaines conditions, un droit conventionnel au droit appliqué; mais cela ne règle pas la question de savoir quel était, en l'espèce, des deux droits considérés, celui qui devait être pris en considération au 1er janvier 1957: tous deux étaient, en effet, des droits
conventionnels, celui de 35 %, sans minimum spécifique, ayant été consolidé dans le protocole d'Annecy de 1949, tandis que le second l'avait été dans le protocole de Genève de 1956. Mais lequel était applicable, ou l'étaient-ils tous deux concurremment? C'est une autre question, que ne résoud pas le texte invoqué. Quant à prétendre qu'en aucun cas un droit «appliqué» au sens du traité ne peut être constitué par la combinaison de deux droits différents, cela ne nous paraît pas exact. En effet, la
réglementation douanière connaît cette situation et prévoit généralement que lorsque plusieurs droits sont applicables on fait appel au droit le plus favorable à l'importateur. C'est le cas de la législation italienne, ainsi qu'il résulte des documents joints au dossier.

Une dernière objection pourrait être tirée de la manière dont ont été déterminés les droits en cause pour le calcul de la moyenne arithmétique servant de base à l'établissement du tarif extérieur commun. Ce point a fait l'objet d'une question posée à l'audience.

En effet, nous l'avons vu, l'article 19 prescrit de faire état, pour ce calcul, de la moyenne arithmétique des droits appliqués dans les quatre territoires douaniers de la Communauté. Or, de la réponse donnée, il semble résulter qu'il a été tenu compte en l'espèce, par les experts, des droits du second tarif, c'est-à-dire du droit de 30 % avec minimum spécifique de 150 lires par pièce, suivant les renseignements fournis par le gouvernement italien. C'est sur cette base que, pour tenir compte plus ou
moins forfaitairement de l'existence du minimum spécifique, le droit a été évalué à 33 % pour tout l'ensemble tarifaire. Le représentant de la Commission nous a dit qu'à son avis le résultat n'aurait pas été différent si l'on avait tenu compte de l'application simultanée des deux droits pour la partie de la position concernant les tubes, valves et lampes radio-électriques pour récepteurs radiophoniques, étant donnée sans doute l'amplitude des éléments sur lesquels portait le calcul.

Messieurs, quelque intérêt documentaire ou analogique que présente cette question, du fait que l'article 19, comme l'article 14, parle de droits appliqués, nous ne pensons pas qu'elle interfère sur la solution du présent litige. En effet, même si une erreur avait été commise dans l'élaboration du tarif extérieur commun, et même si, contrairement à la thèse de la Commission, cette erreur n'était pas couverte du fait que ce tarif extérieur a été approuvé par le Conseil à l'unanimité sur le fondement
de l'article 28, en tout cas, l'erreur qui se serait ainsi produite laisserait intacte la question de l'application du désarmement douanier entre les États membres selon l'article 14, seule question que vous avez à juger.

En définitive, nous retenons de cet. article 19 l'argument tiré de l'analogie du texte avec l'article 14: dans les deux cas, on doit (ou on aurait dû) faire état des droits effectivement appliqués au 1er janvier 1957 en conformité des instructions officielles des autorités qualifiées, en l'espèce conformément à la circulaire du 13 juillet 1956.

II — Le droit appliqué l'était-il légalement ?

Ce n'est donc qu'à titre tout à fait subsidiaire et très succinctement que nous examinerons cette question, sur laquelle d'amples explications vous ont été fournies tant dans la procédure écrite qu'au cours de la procédure orale.

Les points suivants paraissent acquis :

1o Le Parlement est seul compétent en Italie pour légiférer en matière douanière;

2o Toutefois, des délégations de pouvoirs ont été consenties à plusieurs reprises au pouvoir exécutif lui permettant notamment d'édicter des mesures temporaires de suspension ou de réduction ;

3o En revanche, elles ne l'autorisent pas à majorer les tarifs légaux ;

4o L'accord de Genève de 1956 ne pouvait devenir applicable qu'après ratification par le Parlement, ce qui n'eut lieu qu'après le 1er janvier 1957;

5o Désireux néanmoins de le faire entrer en application le plus tôt possible, le gouvernement usa de la délégation de pouvoirs dont il disposait pour insérer les nouveaux droits dans la nomenclature douanière sans attendre la ratification: c'est l'objet du décret présidentiel du 12 juillet 1956, dont l'annexe A mentionne le droit de 30 % avec minimum de 150 lires par unité pour toute la position 1204 d.

La controverse est alors la suivante: pouvait-il le faire légalement, même dans la mesure où le nouveau droit se révélait moins favorable à l'importateur que l'ancien?

Oui, dit le gouvernement italien, puisque le nouveau droit restait dans tous les cas inférieur au tarif légal (40 % avec minimum spécifique de 200 lires par unité).

Non, dit la Commission, puisque le droit de 35 % sans minimum spécifique avait été consolidé dans une convention (accords d'Annecy) ratifiée par le Parlement.

Il s'agit donc d'apprécier la limite d'une délégation de pouvoirs consentie au pouvoir exécutif: dans quelles conditions un tel pouvoir pouvait-il être utilisé pour mettre en vigueur par anticipation un accord douanier régulièrement signé, mais non encore ratifié, substituant un tarif conventionnel à un autre tarif conventionnel, alors que le nouveau tarif, tout en étant partiellement supérieur à l'ancien, restait néanmoins inférieur au tarif légal? C'est là un problème de légalité interne,
peut-être même constitutionnel.

Messieurs, nous nous refusons quant à nous à prendre parti dans une telle controverse et nous doutons même que la Cour soit compétente à cet égard.

Nous en retiendrons seulement que la circulaire du 13 juillet 1956 a sans doute été sage en décidant, par interprétation du décret présidentiel de la veille, que le nouveau droit ne serait appliqué que dans la mesure où il serait plus favorable que l'ancien. C'est ce régime qui constituait le «droit appliqué» au 1er janvier 1957.

III — L'article 234

Rappelons d'abord les termes des deux premiers alinéas de cet article :

«Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du présent traité, entre un ou plusieurs États membres d'une part, et un ou plusieurs États tiers d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec le présent traité, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d'arriver à cette fin, et adoptent le cas échéant une attitude commune.»

Messieurs, nous ne reviendrons pas sur la longue discussion à laquelle a donné lieu l'interprétation de ces dispositions. Nous pensons que le sens en est fort clair.

Il s'agit de la question classique du respect par les parties contractantes à un traité des engagements antérieurs qui lient déjà telle ou telle de ces parties à des États non contractants, à des «États tiers». Le principe est que chaque État partie à un traité reste tenu des obligations antérieurement assumées par lui à l'égard des États tiers, ces obligations seraient-elles en contradiction avec celles qui résultent du nouveau traité. Le problème est alors de résoudre cette contradiction, le seul
moyen étant d'user de tous les droits dont l'État dispose pour se dégager régulièrement des obligations incompatibles avec les engagements nouvellement contractés: dénonciation de l'accord dans les formes et délais prévus par cet accord lui-même, négociations engagées pour obtenir une modification de l'accord, etc. Les États parties au nouveau traité peuvent prendre entre eux l'engagement formel de recourir à tous les moyens à leur disposition pour arriver à ce résultat, au besoin en se prêtant une
assistance mutuelle. Mais il est évident que, dans la mesure où les obligations résultant pour un État d'un traité sont seulement incompatibles avec l'exercice de certains droits que cet État tenait de conventions antérieures, il n'existe aucune difficulté: ledit État est simplement tenu, en vertu de ses nouvelles obligations, de ne plus user des droits en question dans la mesure de l'incompatibilité.

C'est de cette manière qu'ont été résolus des problèmes analogues dans le cadre de la C.E.C.A. C'est ainsi, pour prendre un exemple très voisin du cas actuel, puisqu'il concerne la déconsolidation de droits de douane, que le paragraphe 16 de la convention sur les dispositions transitoires fait une distinction entre les droits non encore consolidés au moment de l'entrée en vigueur du traité et ceux qui l'étaient déjà. Pour les premiers, le paragraphe 16 se borne à interdire toute consolidation
ultérieure, sauf accord de la Haute Autorité; pour les seconds, il est prévu que la Haute Autorité

«pourra, le cas échéant, intervenir auprès des États membres par les recommandations appropriées en vue de mettre fin à ces consolidations suivant la procédure prévue par les accords dont elles résultent».

Donc, lorsque l'article 234 dispose, dans son premier alinéa, que les

«droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du présent traité, entre un ou plusieurs États membres d'une part, et un ou plusieurs États tiers d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité»,

il se borne à rappeler un principe de droit international certain, ce qui n'était peut-être pas inutile néanmoins d'un point de vue psychologique. Mais le seul problème juridique qui se pose est celui qui est visé au deuxième alinéa, c'est-à-dire le cas où les droits ou obligations ne sont pas compatibles avec le présent traité :

«dans la mesure (de cette incompatibilité)», dit le texte, «le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées».

Si l'incompatibilité concerne un droit qu'un État membre tenait d'une convention antérieure, le «moyen approprié» est tout simplement que l'État en cause renonce à l'exercice de ce droit. Si elle concerne un droit d'un État tiers ou une obligation d'un État membre à l'égard d'un État tiers, il faudra alors recourir aux procédures nécessaires pour mettre fin régulièrement à l'incompatibilité.

Qu'en est-il en l'espèce? Tout d'abord, la convention de Genève, en tant qu'elle substitue le nouveau droit de 30 % avec minimum spécifique au droit de 35 % sans minimum spécifique pour les valves, etc. destinées aux appareils radiorécepteurs, est-elle incompatible avec le traité?

Si vous adoptez notre manière de voir (c'est-à-dire la thèse de la Commission) sur le premier point, il en résulte qu'il est contraire aux articles 12 et 14 d'avoir appliqué après l'entrée en vigueur du traité, et d'avoir pris pour base des réductions successives, le nouveau droit, dans la mesure où il se révèle plus élevé que l'ancien, c'est-à-dire pour les pièces à usage de récepteurs radiophoniques dont la valeur est égale ou inférieure à 428 lires. Mais l'obligation, résultant du traité, de
n'appliquer que partiellement le nouveau droit consolidé équivaut simplement à une renonciation de l'État italien à l'exercice d'un droit qu'il possédait du fait de ce tarif; cette renonciation ne concerne d'ailleurs pas les États tiers, à l'égard desquels le nouveau tarif continue d'être appliqué depuis qu'il est entré régulièrement en vigueur et continuera de l'être jusqu'à ce que le tarif extérieur commun ait été établi. La renonciation n'est pas autre chose que l'application par le gouvernement
italien à l'égard des autres États membres de certaines dispositions du traité, à savoir les dispositions concernant le désarmement douanier.

On pourrait, il est vrai, se demander si une telle solution n'est pas discriminatoire vis-à-vis des pays tiers qui, parties au même accord (celui du G.A.T.T.), se voient néanmoins appliquer uniquement le nouveau tarif, et non pas le plus avantageux des deux, alors que leurs partenaires membres de la C.E.E. non seulement bénéficient de réductions tarifaires (ce qu'il faut bien admettre), mais de réductions tarifaires calculées sur un droit de base plus avantageux. Il y aurait ainsi une distorsion de
concurrence, par exemple entre les États-Unis et l'Allemagne, sur le marché italien.

Mais nous ne pensons pas que cette objection soit fondée. En effet, il s'agit là des effets de l'application du traité. Les États tiers en cause ont bénéficié, eux aussi, des avantages de l'application simultanée des deux droits en exécution de la circulaire du 13 juillet 1956, mais depuis la mise en application du nouveau tarif à la suite de la ratification de l'accord de Genève, ils sont soumis exclusivement à ce tarif. La manière dont les États membres procèdent entre eux au désarmement douanier
ne peut être critiquée par les États tiers, dès lors qu'il s'accomplit conformément aux dispositions du traité et ne porte pas atteinte aux droits que ces États tiennent des conventions en vigueur. Telles sont les raisons pour lesquelles nous estimons que l'argumentation tirée de l'article 234 ne peut être retenue.

Nous pensons donc, en définitive, que, dans toute cette controverse juridique, c'est la thèse de la Commission qui est conforme au traité.

Nous voudrions cependant, avant de conclure, insister sur le fait qu'il s'agit, en effet, de considérations exclusivement juridiques, dont la principale est la nécessité de se tenir à une règle simple et quasi-automatique, mais qu'il est permis de regretter, dans l'espèce, tant pour des raisons logiques qu'économiques, que le tarif résultant des accords de Genève, qui est le plus récent, qui est entré en application peu de temps après la date fatidique du 1er janvier 1957 et qui règle les échanges
entre tous lès pays membres du G.A.T.T., ne puisse pas être pris pour base des réductions tarifaires entre les États membres. Nous comprenons fort bien, en tout cas, que, dans cette affaire, le gouvernement italien ne se soit pas incliné spontanément devant la thèse de la Commission et ait tenu à ce que la question fût soumise à la Cour.

C'est sous le bénéfice de ces observations que nous concluons :

— à ce que la Cour reconnaisse qu'en appliquant, après l'entrée en vigueur du traité, le droit minimum spécifique de 150 lires, et en prenant ce droit comme droit de base pour le calcul des réductions successives des droits de douane vis-à-vis des autres États membres, en ce qui concerne les tubes, valves et lampes radio-électriques pour récepteurs radiophoniques importés en provenance des autres États membres et ayant une valeur douanière inférieure ou égale à 428 lires par pièce,

la République italienne a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité;

— et à ce que les dépens soient supportés par le gouvernement de la République italienne.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 10/61
Date de la décision : 07/12/1961
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

General Agreement on Tariffs and Trade (GATT)

Relations extérieures

Politique commerciale

Tarif douanier commun

Libre circulation des marchandises

Union douanière


Parties
Demandeurs : Commission de la Communauté économique européenne
Défendeurs : République italienne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lagrange
Rapporteur ?: Delvaux

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1961:26

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