Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand,
présentées le 17 mai 1966
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
La décision préjudicielle que l'on vous demande dans la présente affaire ne vous conduira pas seulement à interpréter certaines dispositions du règlement no 3 du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants; elle vous obligera aussi, avant d'aborder les questions posées, à examiner si vous êtes valablement saisi au regard de l'article 177 du traité.
Rappelons brièvement les faits dans la mesure où leur connaissance est nécessaire pour comprendre le problème de droit.
Mme Vaassen, veuve d'un employé néerlandais des mines, est titulaire à ce titre d'une pension à la charge de la caisse de pension du Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf (B.F.M.). Ainsi qu'on vous l'a rappelé à la barre, cet organisme a été constitué en 1952 comme fondation de droit privé néerlandais par l'ensemble des organisations d'employeurs et de salariés dé la profession; son règlement est soumis à l'approbation du ministre dont relève l'industrie minière. En tant que pensionnée résidant aux
Pays-Bas, Mme Vaassen était inscrite à la caisse de maladie dépendant également du Beambtenfonds. Lorsqu'elle se retira en 1963 en Allemagne, elle demanda d'abord à être rayée des registres de la caisse de maladie; il lui fut répondu que cette radiation était automatique, seuls les pensionnés résidant aux Pays-Bas pouvant, en vertu de l'article 18 du règlement du B.F.M., bénéficier de l'affiliation. Puis elle se ravisa et demanda au contraire sa réinscription qui lui fut refusée sur la base de
l'article 18.
Mme Vaassen porta alors le litige devant le Scheidsgerecht (tribunal arbitral) auquel l'article 89 du même règlement attribue compétence pour connaître des recours formés contre les décisions de la direction du Beambtenfonds relatives aux droits des membres et anciens membres. Elle soutint qu'en vertu des règlements no 3 et 4 du Conseil elle conservait le droit aux prestations du type de celles servies par la caisse de maladie du B.F.M. Pour ce dernier au contraire, la caisse, ne constituant qu'une
assurance mutuelle fondée sur le droit privé, échappait de ce fait aux règlements invoqués qui ne s'appliqueraient qu'aux «législations» concernant un certain nombre d'assurances nommément désignées.
C'est pour trancher cette question que le Scheidsgerecht vous a adressé une demande d'interprétation. Il ne l'a pas fait sans s'être interrogé d'abord sur le droit ou l'obligation qu'il avait de vous saisir. S'il ne peut, dit-il, être considéré comme une juridiction «au sens de la loi néerlandaise», il ne faut nullement exclure, ajoute-t-il, qu'il doive être regardé comme une juridiction «au sens de l'article 177» du traité. Il est en effet, d'après l'article 89 du règlement du Beambtenfonds,
l'institution qui statue comme instance unique et en dernier ressort sur les litiges. C'est en tout cas à votre Cour qu'il appartient de dire s'il rentre ou non dans les prévisions de l'article 177.
Arrêtons-nous d'abord sur ce point qui est préalable à l'examen des questions qui vous sont posées. Vous ne pouvez en effet aborder celles-ci que si vous vous estimez valablement saisis. Vous ne pouvez statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation du traité ou des actes pris par les institutions de la Communauté que dans le cadre de l'article 177 et suivant les conditions qu'il prévoit. Enfin, si les termes de cet article peuvent, le cas échéant, nécessiter une interprétation, vous seuls pouvez
la donner.
L'article 177 est ainsi rédigé :
«Lorsqu'une telle question (d'interprétation) est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice.»
L'article 164 du traité vous charge d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité. L'article 177 vous en donne le moyen par la coopération directe qu'il institue avec les juridictions nationales qui ont, elles aussi, à appliquer le droit communautaire. Mais le mécanisme qu'il prévoit ne peut être mis en route que par elles, et non par les parties au litige principal, les États membres, les services de ceux-ci ou les institutions de la Communauté.
C'est donc pour vérifier votre propre compétence que vous devez vous assurer que le Scheidsgerecht est bien, au sens de l'article 177, une «juridiction d'un des États membres», ou une «juridiction nationale» habilitée à vous saisir. Dans le cadre exclusif de cet article, votre interprétation, ainsi que le relève le Scheidsgerecht lui-même, pourrait, dans certains cas, ne pas coïncider avec celle de la loi nationale, les deux domaines étant distincts. L'organisation juridictionnelle et administrative
des États membres, si elle relève dans l'ensemble de principes communs, a été influencée par des contingences historiques ou par des conceptions juridiques différentes. Aussi pourrait-il se faire que les nécessités de l'interprétation et de l'application uniformes du traité vous conduisent à reconnaître la qualité de «juridiction» au sens de l'article 177 à un organisme auquel la loi de son pays n'attribue pas expressément ce caractère.
Au cas particulier, ainsi que le dit très bien la Commission, il s'agit de savoir si, au regard des principes généraux applicables dans les divers États membres en matière d'organisation juridictionnelle, le Scheidsgerecht présente les caractéristiques fondamentales des organismes chargés de trancher les litiges et plus particulièrement ceux qui naissent de l'application des régimes de sécurité sociale.
Disons tout de suite que, si la question nous paraît comporter une réponse affirmative, nous pensons avec le gouvernement néerlandais et la Commission qu'elle ne préjuge aucunement le point fort controversé en doctrine de savoir si l'arbitrage tombe d'une façon générale sous le coup de l'article 177. Car, en dépit de son appellation de tribunal arbitral, le Scheidsgerecht n'a que peu de rapports avec une institution de cet ordre.
Pour le caractériser, nous nous reporterons à son règlement et à celui du Beambtenfonds. Ce sont pour nous des données que nous n'avons ni à discuter, ni à interpréter; nous aurons simplement à en tirer les conséquences au regard de l'article 177. Le Scheidsgerecht n'est pas un groupe de personnes auxquelles des parties conviennent occasionnellement de remettre le soin de trancher le litige qui les oppose; c'est un organisme prévu à titre permanent par le règlement du B.F.M. Nous ne contesterons pas
que ce dernier puisse avoir le caractère d'une institution de droit privé, mais son règlement, dans sa forme originaire comme dans ses modifications, doit être approuvé par le ministre dont relève l'industrie minière. C'est ce même ministre qui arrête le règlement de procédure du Scheidsgerecht, nomme son président et ses membres, lesquels sont ainsi entièrement indépendants du Beambtenfonds comme de ses affiliés.
La procédure suivie, ainsi qu'il résulte des extraits du règlement reproduits dans le rapport d'audience, a un caractère juridictionnel: elle est contradictoire, comporte des audiences et, le cas échéant, l'audition de témoins et d'experts.
Si les points qui précèdent ne sont pas à eux seuls déterminants, il faut noter surtout que le Scheidsgerecht a pour rôle de statuer sur les décisions de la direction du B.F.M. relatives aux droits des membres et anciens membres ou de leurs survivants. Il est l'instance obligatoire pour tout le contentieux de l'assurance frais de maladie des employés des mines. Il tranche ainsi des litiges, et le fait selon des règles de droit. Si ce dernier point est contesté par le Beambtenfonds en tant qu'il
comporterait l'obligation pour le Scheidsgerecht d'appliquer éventuellement les règlements du Conseil, c'est ainsi en tout cas que l'organisme qui vous saisit comprend lui-même l'article 89 du règlement du B.F.M., qui lui interdirait simplement de statuer en équité. Mais cela, c'est l'interprétation d'une disposition du droit néerlandais qui échappe par conséquent à votre compétence. Tant que l'opinion sur ce point du Scheidsgerecht n'a pas été écartée par une autre instance nationale, vous ne
pouvez que la tenir pour acquise.
Certains points cependant apparaissent moins clairs. D'après l'article 89 du règlement auquel nous venons de nous référer, le Scheidsgerecht «statue en dernier ressort». Le Beambtenfonds, dans ses observations, objecte que les parties conservent toujours le droit de soumettre le litige au tribunal civil; la décision du Scheidsgerecht constituerait ainsi un «avis obligatoire» sur lequel le juge ordinaire exercerait un contrôle «de caractère marginal».
Sans nous hasarder dans cette discussion de droit interne, nous dirons simplement que l'existence d'un contrôle exercé par une juridiction n'exclut pas nécessairement que l'organisme soumis à ce contrôle soit lui-même une juridiction, mais simplement qu'il soit une juridiction de dernier ressort.
Que le Scheidsgerecht ne puisse être rangé dans la catégorie des juridictions traditionnelles, cela est évident, mais n'a rien qui doive étonner: le domaine de la sécurité sociale est dans tous les pays un de ceux où les juridictions spécialisées s'écartent le plus des modèles classiques sans qu'on puisse toutefois leur refuser le caractère de juridictions. Les éléments que nous avons relevés démontrent qu'il s'agit d'une instance émanant de la puissance publique et tranchant en droit les litiges
concernant l'application du régime d'assurances géré par le B.F.M. et que nous aurons à définir pour répondre aux questions posées. D'accord avec le gouvernement néerlandais comme avec la Commission, nous pensons que cela suffit pour faire considérer le Scheidsgerecht comme une «juridiction» au sens de l'article 177, qui peut de ce fait vous saisir d'une demande d'interprétation.
Nous en venons ainsi à la première question qui vous est posée dans les termes suivants :
«La réglementation qui figure au chapitre II du règlement du Beambtenfonds voor het Mijnbedrijf doit-elle être considérée comme une législation, telle qu'elle est précisée à l'article 1, lettre b, du règlement no 3 et visée à l'article 4 de ce règlement, et la réglementation des frais de maladie peut-elle être classée dans l'annexe B (dont il est question à l'article 3 de ce règlement) qui prévoit : “l'assurance-maladie des travailleurs des mines (prestations en espèces et en nature en cas de
maladie et de maternité)”, de sorte que le règlement no 3 (ainsi que le règlement no 4) s'appliquent aux employés des mines néerlandaises auxquels s'applique la réglementation des frais de maladie visée ci-dessus?»
Il s'agit donc d'abord de voir si le terme «législation» couvre des réglementations de la nature de celle qui a fait l'objet du litige pendant devant le Scheidsgerecht.
D'après son texte même, l'article 1, lettre b, désigne ainsi «les lois, les règlements et les dispositions statutaires, existants et futurs, de chaque État membre, qui concernent les régimes et branches de la sécurité sociale visés aux paragraphes 1 et 2 de l'article 2» du règlement, ce qui couvre les régimes généraux et spéciaux.
Ce qui importe ici — et ce que le Beambtenfonds ne paraît pas voir — c'est le terme de «dispositions statutaires». Introduit au cours de l'élaboration de la Convention européenne concernant la sécurité sociale, il a manifestement pour objet de tenir compte du fait que, dans tous les États membres, et à des degrés divers, l'administration de la sécurité sociale connaît une certaine décentralisation. Loi et règlement n'épuisent pas la «législation» au sens large; les institutions gestionnaires y ont
aussi leur part en adaptant, ou en complétant le cadre tracé par l'État. La Commission a fourni sur ce point de nombreux exemples dans ses observations.
Ces institutions gestionnaires peuvent d'ailleurs être des organismes de droit privé comme le B.F.M. On sait en effet que, soit pour des raisons historiques, soit pour des raisons doctrinales, ce sont souvent des organismes de cette nature qui gèrent certaines branches de la législation de sécurité sociale; ici encore figurent au dossier des exemples empruntés à plusieurs États membres. L'article 1, e, du règlement no 3 désigne par le terme «institution» dans chaque État «l'organisme ou l'autorité
chargé d'appliquer tout ou partie de la législation», mais il n'exige pas que cet organisme ait un caractère public.
En revanche — la Commission a raison de le souligner — l'énumération «loi, règlement, dispositions statutaires» suggère une hiérarchie et un rapport entre les unes et les autres. Ne seraient ainsi visées que les dispositions statutaires qui, en conformité de la loi ou du règlement, complètent ceux-ci ou s'y substituent. Tel est certainement le cas d'une assurance-maladie instituée par le règlement d'un organisme même privé mais contrôlée par l'État; elle constitue un des «régimes spéciaux» auxquels
s'applique le règlement no 3, si, en vertu de la législation nationale, elle soustrait ceux qui en bénéficient à l'obligation d'affiliation au régime général.
On objecte, il est vrai, que, lorsque le régime général ne rend l'affiliation obligatoire que jusqu'à un certain plafond de revenus, le règlement de cet organisme ne pourrait se substituer à lui que dans la mesure où le travailleur intéressé serait obligatoirement soumis au régime général s'il n'était pas affilié au régime spécial, et que toute substitution serait au contraire exclue au cas où il ne serait que facultativement affilié à ce régime général. Mais cette objection méconnaît que l'on ne
peut exclure une législation du champ d'application du règlement no 3 parce qu'elle prévoit que l'affiliation à un régime peut n'être que facultative: c'est ce qui résulte notamment de votre arrêt 75-63, Unger, du 19 mars 1964 (Recueil, X, p. 366). Lorsqu'une assurance volontaire fait ainsi partie d'un régime qui est dans son ensemble soumis à l'approbation ministérielle, c'est l'ensemble du régime qui doit être considéré comme se substituant à la réglementation générale, et comme ayant de ce fait
le caractère de «disposition statutaire» au sens du règlement no 3.
Pour répondre au début de la question qui vous était posée, il était déjà difficile de définir ce qu'il faut entendre par législation sans en même temps se livrer plus ou moins à une interprétation du règlement du B.F.M. ou de la législation néerlandaise, qui n'est pas de votre compétence. De même, comment conserver à votre réponse le degré d'abstraction qu'appelle la procédure de l'article 177, lorsque le Scheidsgerecht vous demande si la réglementation des frais de maladie figurant au chapitre II
du règlement du Beambtenfonds peut être classée dans l'annexe B visée à l'article 3 du règlement no 3.
Aux termes de cet article, on le sait, l'annexe B précise, en ce qui concerne chaque État membre, les législations de sécurité sociale auxquelles s'applique le règlement du Conseil et qui sont en vigueur sur son territoire à la date de l'adoption du texte communautaire.
S'agissant des Pays-Bas, l'annexe B mentionne à la lettre i«l'assurance-maladie des travailleurs des mines (prestations en espèces et en nature en cas de maladie et de maternité)», et, au cours de la procédure devant le Scheidsgerecht, le ministre néerlandais des affaires sociales a émis l'avis que cette formule «couvrait» la réglementation spéciale de l'assurance-maladie des employés des mines.
On peut, avec la Commission, estimer qu'une fois définis le sens et la portée du terme «législation», la question du classement à l'annexe B devient subsidiaire, puisque ce classement n'a qu'une valeur déclarative; il prouve simplement l'intention d'appliquer le règlement no 3 à une législation telle que celle qui a fait l'objet du litige devant le Scheidsgerecht.
Sans doute — et le Beambtenfonds insiste là-dessus dans ses observations — le texte néerlandais de l'annexe ne vise pas les «werknemers» (travailleurs), mais les «mijnwerkers» (mineurs), expression qui, dans le droit de ce pays, exclut souvent les employés. S'il en était ainsi en l'espèce, ces employés rentreraient dans la rubrique a visant en général l'assurance-maladie, et dans le champ d'application du règlement no 3.
Quoiqu'il en soit de ce point, l'annexe fait partie intégrante du règlement; cela implique l'intention des auteurs de celui-ci de l'appliquer à un type de réglementation au moins analogue puisque le règlement sur l'assurance-maladie des ouvriers mineurs, établi par l'Algemeen Mijnwerkersfonds, est de même nature que celui établi par le Beambtenfonds pour les employés.
Enfin — et sur ce point nous ne nous attarderons pas — il convient de signaler que, parmi les dispositions de conventions de sécurité sociale restant applicables nonobstant le règlement no 3, figurent les articles 8 et 9 de l'accord complémentaire no 2 du 29 mars 1951 entre la république fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas concernant l'assurance des travailleurs des mines et assimilés. Même si ces dispositions visent exclusivement l'assurance-pension qui constitue un régime spécial au
même titre que l'assurance-maladie, l'exclusion de ce régime spécial par voie d'accord bilatéral n'a de sens que si les auteurs du règlement no 3 regardaient les termes «dispositions statutaires» de l'article 1, b, comme couvrant ce régime spécial. C'est une dernière indication qui doit conduire à répondre affirmativement à la première question.
Quant à la deuxième question qui suppose qu'une réponse affirmative ait été donnée à la première, elle est ainsi rédigée :
«Peut-on alors admettre que, dans cette affaire, la requérante a droit aux prestations visées à l'article 22 du règlement no 3 et désignées à la fin de l'article 22, paragraphe 2, alors qu'en vertu de l'article 18, 6, paragraphe 1, du règlement du Beambtenfonds, tel qu'il était libellé précédemment, seul existe le droit d'être admis à l'assurance du droit aux indemnités pour traitements médicaux, fourniture de médicaments et soins par la caisse de maladie?»
Cette rédaction est évidemment maladroite. D'abord, parce qu'il ne vous appartient pas de vous prononcer sur le droit de la dame Vaassen à des prestations de sécurité sociale, mais seulement sur l'interprétation du règlement du Conseil. Ensuite, parce qu'en se référant à la condition de résidence figurant dans le texte du règlement du B.F.M., le Scheidsgerecht montre qu'il désire en réalité savoir si l'article 22 du règlement no 3, qui donne le bénéfice des prestations en nature de
l'assurance-maladie aux pensionnés résidant hors du territoire du pays débiteur de la pension, est applicable nonobstant la disposition restrictive que nous avons rappelée. C'est sur ce terrain qu'il faut donc se placer pour répondre à la question posée.
Il faut tout de suite préciser que, contrairement à la thèse du Beambtenfonds, les prestations en nature visées à l'article 22 comprennent également les prestations de soins médicaux accordées sous forme de remboursement de frais. Bien que l'expression n'ait pas été définie par le règlement, les pays (Belgique et France) qui pratiquent ce système n'ont jamais mis en doute que l'article 22 s'appliquait à ce mode de prise en charge des frais médicaux.
Cela étant, il est certain qu'une condition de résidence pour l'affiliation à une caisse d'assurance-maladie ne peut jamais être imposée aux travailleurs actifs puisque, d'après l'article 12 du règlement no 3, ils sont soumis à la législation de l'État membre sur le territoire duquel ils travaillent, «même s'ils résident sur le territoire d'un autre État membre». La solution est la même, en vertu des dispositions combinées des articles 12, 10 et 22, lorsque le pensionné est assuré automatiquement
contre la maladie. Elle n'est pas évidente au contraire lorsque l'assurance-maladie ne découle pas nécessairement de l'assurance-pension. En effet, l'article 12 ne concerne que les travailleurs actifs et l'article 22 ne vise in terminis que le droit aux prestations du pensionné bénéficiaire de l'assurance-maladie et non le droit à l'affiliation à une caisse d'assurance-maladie.
Mais, pour interpréter l'article 22, il faut le replacer dans le cadre général du règlement no 3. Sans doute n'est-il pas suffisant de noter que cet article, qui fait partie du chapitre relatif à l'assurance «maladie, maternité» a pour objet d'adapter ce régime à la situation des titulaires de pensions ou de rentes. On ne peut en déduire qu'il convient d'étendre à ceux-ci la solution prévue à l'article 17 pour les travailleurs actifs.
Plus généralement, on peut soutenir que l'article 4 (dispositions générales), en disposant que le règlement était applicable «aux travailleurs salariés ou assimilés — qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs des États membres —», a entendu assimiler le pensionné au travailleur actif, et cela d'autant plus que les droits du pensionné sont la suite de son affiliation à la législation de sécurité sociale pendant sa vie active.
Un argument nous paraît surtout déterminant; lorsque les auteurs du règlement no 3 ont entendu supprimer le droit aux prestations en cas de transfert de la résidence à l'étranger, ils l'ont dit expressément, comme en témoigne l'article 10, paragraphe 2. On peut donc interpréter l'absence de mention expresse à l'article 22 d'une quelconque exception pour l'affiliation à l'assurance-maladie comme interdisant aux réglementations nationales d'imposer une condition de résidence aux personnes soumises au
règlement no 3.
Aussi la deuxième question posée nous paraît pouvoir comporter une réponse affirmative. On relèvera toutefois que l'on aboutit en l'espèce à appliquer le règlement no 3 sur les travailleurs migrants à la veuve d'un travailleur, qui n'a jamais travaillé elle-même, et qui, après avoir obtenu une pension de veuve, transfère sa résidence dans un autre État membre pour d'autres motifs que d'y prendre un emploi salarié. Le Beambtenfonds s'est demandé si une telle solution était raisonnable. On peut lui
répondre que, d'après l'article 4, les dispositions du règlement sont applicables aux survivants des travailleurs salariés ou assimilés. Cette conception très extensive a pour objet de supprimer tout ce qui, même éventuellement, pourrait restreindre la libre circulation des travailleurs; il ne paraît pas à craindre, contrairement à ce que semble croire le Beambtenfonds, que l'avantage résultant de prestations médicales plus larges puisse à lui seul conduire le survivant d'un travailleur à changer de
résidence.
En définitive, nous concluons à ce qu'il soit répondu au Scheidsgerecht :
— sur la première question: que doit être considérée comme une «législation», au sens du règlement no 3, toute réglementation fixant les conditions d'un régime spécial de sécurité sociale, même institué et géré par un organisme de droit privé sous le contrôle de la puissance publique, dès lors que ce régime se substitue dans les conditions fixées par la loi nationale pour ceux qui y sont affiliés, soit obligatoirement, soit facultativement, au régime social général correspondant;
— sur la deuxième question: que l'article 22 du règlement no 3 ne permet en aucun cas de subordonner le droit au versement des prestations en nature de l'assurance-maladie à une condition quelconque de résidence.
Nous concluons enfin à ce qu'il soit statué par le Scheidsgerecht sur les dépens de la présente instance.