Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand,
présentées le 18 mai 1966
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
La société Acciaierie e Ferriere di Solbiate a été constituée en 1955 par M. Emilio Bertone, qui était à la tête de l'entreprise Metalsider, et par son fils Guido, qui avait une participation dans cette entreprise. Au moment de la constitution de la société, Metalsider pratiquait le commerce des produits métallurgiques et de la ferraille.
Solbiate affirme avoir commencé son activité sidérurgique en février 1957. C'est en tout cas au cours de cette année qu'elle souscrivit ses premières déclarations de ferraille; elle déclara un stock initial de 1.300 tonnes existant au 1er février 1957 et une consommation de 7.866 tonnes pour la période février 1957 - novembre 1958. Un décompte provisoire pour cette période la constitua d'abord créditrice de 4.090.686 lires, mais des opérations de contrôle révélèrent qu'elle avait exercé une activité
sidérurgique dès avant février 1957 et fixèrent sa consommation de ferraille à 2.434 tonnes pour la période juin 1956 - janvier 1957 et à 13.399 tonnes pour la période février 1957 - novembre 1958. Un nouveau décompte lui fut signifié, puis corrigé après enquête. En définitive, la Haute Autorité fixa à 1.475 et 9.102 tonnes respectivement la consommation des deux périodes. Le 19 mai 1965 furent prises deux décisions individuelles dont l'une fixait à 10.577 tonnes le tonnage global d'assiette et
l'autre enjoignait à la société de payer la somme de 5.882.957 lires.
Ce sont les deux décisions dont Solbiate sollicite l'annulation par un recours qui ne comporte plus que cette seule conclusion et ne se fonde plus que sur un seul moyen, à savoir la violation des articles 3, 4, 5, 6 de la décision 2-57. A l'origine, la société vous avait demandé en outre d'annuler en tant que de besoin les décisions générales 2-57 et 7-63, et de renvoyer l'affaire devant la Haute Autorité pour que celle-ci lui restitue les montants indûment perçus avec les intérêts correspondants et
lui alloue des dommages-intérêts. A l'appui de sa demande d'annulation, elle avait également posé la question du caractère définitif ou provisoire du décompte qui lui avait été notifié, et conclu que, si ce décompte était définitif, il serait irrégulier comme fondé sur une mesure générale provisoire, irrégularité qui lui paraissait constitutive de détournement de pouvoir.
Mais à la suite des fins de non recevoir opposées sur certains points par la Haute Autorité et des indications données par elle sur d'autres, la société requérante a limité sa critique aux deux décisions individuelles connexes du 19 mai 1965, en invoquant uniquement la violation de la décision 2-57.
Le litige est nettement circonscrit. La Haute Autorité a compté comme ferrailles d'achat les stocks originaires avec lesquels Solbiate a commencé son activité. La société a soutenu d'abord que le mécanisme de péréquation ne prend en considération que les transferts de propriété, contre un prix versé en argent, alors que restent en dehors les opérations qui, sans paiement, comportent seulement le transfert de la propriété entre deux sociétés ayant les mêmes associés. A plus forte raison en est-il
ainsi lorsqu'une nouvelle entreprise, constituée par le même noyau familial, succède à la société anciennement propriétaire qui disparaît. Plus précisément, d'après la requérante, les deux associés de Metalsider ont constitué en 1955 la société Solbiate et cessé leur activité de commerçant de ferraille pour commencer une activité sidérurgique. C'est le même «noyau familial» qui a utilisé au début les stocks dont il disposait auprès de Metalsider.
Passant ensuite sur un terrain plus juridique, la requérante prétend déduire des dispositions de l'article 4 du règlement 2-57 que le stock de ferraille disponible au début de la première période de décompte ne doit pas être pris en considération pour la contribution. Si les entreprises qui existaient déjà lors de l'entrée en vigueur de la péréquation n'étaient pas tenues de verser de contribution pour la consommation des ferrailles prélevées sur les stocks, il faut, sous peine de violer le principe
de non-discrimination, admettre également que les entreprises qui ont commencé leur activité après l'introduction du mécanisme n'ont pas non plus à payer la contribution pour les stocks dont elles disposaient au moment du premier enfournage.
L'argumentation de la société s'articule ainsi autour de trois idées qui n'appellent pas de longs développements.
1. L'entreprise individuelle Metalsider et la S. A. Solbiate seraient en fait une seule et même entreprise, si bien que les 1.300 tonnes litigieuses provenant de la première appartiendraient également à la seconde et échapperaient ainsi au champ d'application des dispositions sur la péréquation.
Mais, comme vous l'avez dit, «la notion d'entreprise au sens du traité s'identifie au concept de personne physique ou morale» (affaire 42 et 49-59 - S.N.U.P.A.T. - Recueil, VII, p. 99). Une firme individuelle et une société par actions, ayant chacune la personnalité, ne peuvent constituer une entreprise unique au sens du traité. Et il en est de même du «noyau familial» dont parle la société, qui peut être une réalité sociologique mais non une entité juridique.
Etant donné l'autonomie des deux entreprises, la ferraille que possédait Solbiate au début de son activité doit être considérée comme de la ferraille «d'achat», même si elle n'a pas été payée en argent. La notion d'achat a en effet simplement pour objet de distinguer la ferraille provenant de sources extérieures de celle constituée par les ressources propres.
2. Le second point de l'argumentation est qu'il s'agirait de stocks non imposables.
Toute ferraille d'achat, c'est-à-dire provenant du marché, est soumise dans sa totalité, dès qu'elle est reçue par l'acquéreur, aux charges de la péréquation, à l'exception de celle qui est vendue ou cédée à des tiers; c'est ce que prévoient les articles 3 de la décision 22-54, 2 et 3 de la décision 14-55. Puisqu'une partie de ces achats n'est pas utilisée au jour le jour mais est versée aux stocks, il faut éviter qu'elle soit imposée une seconde fois lorsqu'elle est enfournée. Telle est la
raison pour laquelle l'article 4 de la décision 2-57 prévoit que, pour l'imposition de la charge de péréquation, la consommation des ferrailles achetées doit être calculée, pour chaque période de décompte, en déduisant de la consommation globale la diminution des stocks.
En l'espèce, les ferrailles litigieuses ont été «consommées» et avaient été «achetées» au sens des décisions sur la péréquation. Elles avaient été inscrites plus tard, à l'occasion de la première déclaration, sous la rubrique «stocks au premier jour du mois», mais il n'appartenait pas à la requérante de leur donner cette appellation au lieu de celle de «réceptions de ferraille d'achat» soumise par conséquent à la contribution. C'est enfin de façon tout à fait gratuite que la société laisse
entendre dans la réplique que ces ferrailles se trouvaient déjà chez Metalsider lors de l'entrée en vigueur du mécanisme de péréquation. Cette thèse n'est étayée d'aucun élément de preuve; elle est d'ailleurs sans portée, puisque Metalsider et Solbiate constituent deux entreprises différentes.
3. Reste enfin la discrimination dont seraient victimes les entreprises ayant commencé leur activité après l'entrée en vigueur du mécanisme de péréquation par rapport aux entreprises plus anciennes. Les stocks détenus par les premières ont été imposés lors de leur réception; les entreprises anciennes ont bénéficié d'un autre régime.
Cette différence de traitement s'explique aisément. Les entreprises antérieures au mécanisme ont payé un prix de marché sur lequel la péréquation n'avait exercé aucune influence; les autres ont bénéficié des effets de la péréquation au moment de leurs achats de ferraille. Les situations de fait n'étant pas analogues, il n'y a pas discrimination.
Contrairement a ce que soutient la société Solbiate, la Haute Autorité n'a donc commis aucune erreur, ni violé la décision 2-57 en imposant comme ferrailles d'achat les stocks avec lesquels cette société a commencé son activité.
Nous concluons:
— au rejet du recours,
— et à ce que les dépens soient supportés par la société requérante.