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13/06/1967 | CJUE | N°6-67

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Gand présentées le 13 juin 1967., Teresa Guerra, veuve Pietro Pace contre Institut national d'assurance maladie-invalidité., 13/06/1967, 6-67


Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand,

présentées le 13 juin 1967

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

M. Pace, de nationalité italienne, a été employé dans les charbonnages belges de 1946 à 1953 et a regagné ensuite son pays d'origine où il a travaillé comme cultivateur. Après son décès survenu en 1965, la Commission de réclamation, puis la Commission d'appel en matière d'assurance sociale contre la maladie et l'invalidité ont refusé d'accorder une pension à sa veuve, Mme Guerra, faute de preuve que le décès de l'intéressÃ

© ait été dû à une maladie professionnelle contractée en Belgique.

Mme Guerra, qui rési...

Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand,

présentées le 13 juin 1967

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

M. Pace, de nationalité italienne, a été employé dans les charbonnages belges de 1946 à 1953 et a regagné ensuite son pays d'origine où il a travaillé comme cultivateur. Après son décès survenu en 1965, la Commission de réclamation, puis la Commission d'appel en matière d'assurance sociale contre la maladie et l'invalidité ont refusé d'accorder une pension à sa veuve, Mme Guerra, faute de preuve que le décès de l'intéressé ait été dû à une maladie professionnelle contractée en Belgique.

Mme Guerra, qui résidait à Brescia, s'est pourvue devant le Conseil d'État de Belgique par une requête rédigée en langue italienne. Du point de vue de la seule législation belge, a estimé la juridiction saisie, une telle requête était irrecevable, car la loi du 23 décembre 1946, modifiée par celle du 15 avril 1958, qui règle l'emploi des langues devant le Conseil d'État, ne laisse le choix aux particuliers qu'entre les trois langues usitées dans ce pays, le français, le néerlandais et l'allemand.

Mais le règlement no 3 du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants, obligatoire en Belgique en vertu des articles 189 et 191 du traité de Rome, comporte la disposition suivante en son article 45, 4 : «Les institutions et les autorités d'un État membre ne peuvent rejeter les requêtes ou autres documents qui leur sont adressés du fait qu'ils sont rédigés dans une langue officielle d'un autre État membre».

C'est de l'interprétation de ce texte que le Conseil d'État, faisant application de l'article 177, paragraphe 3, du traité de Rome, vous saisit par une ordonnance du 27 janvier 1967. Il vous demande de dire s'il doit être compris parmi «les institutions et les autorités» mentionnées à l'article 45 du règlement no 3. Puisque, comme il le relève lui-même, il statue en l'espèce comme juridiction, la question qui se pose est plus généralement de savoir si les juridictions des six États membres sont
couvertes par les termes employés à l'article 45. Mais, bien entendu, la réponse que vous donnerez ne vaudra que dans le cadre de ce règlement, sans qu'elle préjuge le sens qu'il y aurait lieu de donner à ces mêmes termes dans d'autres textes communautaires.

Le gouvernement belge, l'Institut national d'assurance maladie-invalidité qui était partie devant le Conseil d'État, et la Commission de la C.E.E., auxquels la décision vous saisissant a été notifiée, comme le prévoit l'article 20 du statut de la Cour, vous proposent tous trois dans les observations écrites qu'ils ont présentées de répondre par l'affirmative.

C'est dans l'exégèse du règlement que l'on doit d'abord rechercher la solution, mais il faut reconnaître qu'elle n'apporte d'élément déterminant dans aucun sens, et cela d'autant moins que les termes employés dans les quatre versions linguistiques — qui font également foi — ne sont pas toujours parfaitement concordants.

Si l'article 1 comporte bien diverses définitions des termes employés, elles ne sont guère utilisables. Ainsi, par exemple, «l'institution» est présentée à cet article comme désignant pour chaque État membre «l'organisme ou l'autorité chargée d'appliquer tout ou partie de la législation». Alors que l'article 45, en mentionnant distinctement les «institutions» et les «autorités», paraît impliquer que chacun de ces termes recouvre une notion distincte, «l'autorité» devient ici une forme
«d'institution». Quoi qu'il en soit, il résulte de l'ensemble des dispositions des règlements nos 3 et 4, comme des annexes jointes, que les institutions qui y sont visées sont les organismes non juridictionnels chargés d'assurer la liquidation et le service des prestations.

Par ailleurs, le règlement ne définit pas les «autorités» mais seulement les «autorités compétentes» qui, telles qu'elles sont énumérées à l'annexe I du règlement no 4, sont les ministres (de la prévoyance sociale en Belgique, du travail en France, le Bundesminister für Arbeit und Sozialordnung en République fédérale, etc.) qui exercent la tutelle sur la sécurité sociale. On pourrait, à première vue, être enclin à conclure en se fondant sur l'article premier que les «autorités» ne peuvent être
qu'administratives et non judiciaires.

Mais si l'on revient maintenant à l'article 45, 4, litigieux, il faut noter que le vocable «requêtes» dont il est dit qu'elles peuvent être rédigées dans la langue d'un autre État membre s'applique fort bien, mais non exclusivement, à des demandes présentées en justice.

Il faut d'ailleurs rapprocher cet article d'une autre disposition qui figure à l'article 47 et qui est la suivante : «les demandes, déclarations et recours qui auraient dû être présentés dans un délai déterminé auprès d'une autorité, d'une institution ou d'un autre organisme d'un État membre, sont recevables s'ils sont présentés dans le même délai auprès d'une autorité, d'une institution ou d'un autre organisme correspondant d'un autre État membre»; le règlement prévoit les conditions dans
lesquelles s'effectue la transmission d'un État à l'autre. Il ne paraît pas contesté que cette disposition vaut aussi bien pour les recours juridictionnels que pour les recours administratifs; elle a pour effet d'élargir les conditions de recevabilité et d'écarter certaines forclusions, mais elle ne trouve sa pleine efficacité que si ces recours ne doivent pas nécessairement être rédigés dans la langue de l'État qui en est le destinataire final, car, en fait, ils seront rédigés le plus souvent dans
la langue du pays auprès duquel ils ont été déposés. Sans doute, les termes employés à l'article 45 sont-ils différents de ceux de l'article 47, puisque ce dernier mentionne en outre les «organismes», mais ce qui nous paraît surtout devoir être retenu est qu'il ne serait pas satisfaisant de donner au premier de ces articles un champ d'application moins étendu qu'au second.

La discussion de vocabulaire à laquelle nous venons de nous livrer a le double inconvénient d'être fastidieuse et de n'apporter aucune solution qui s'impose véritablement. Il en serait de même si l'on prétendait établir le sens exact des expressions litigieuses, non pas dans le règlement lui-même, mais dans la terminologie juridique des États membres; nous nous dispenserons donc de nous livrer à cette recherche.

Nous pensons avec le gouvernement belge et la Commission qu'une autre considération peut conduire à donner une réponse affirmative à la question posée, c'est qu'avant l'entrée en vigueur du règlement no 3 la clause sur l'emploi des langues était une clause de style dans les conventions bilatérales de sécurité sociale. Pour prendre un exemple, elle figurait dans la convention du 30 avril 1948 entre la Belgique et l'Italie dans les termes suivants : «Les communications adressées pour l'application de
la présente convention par les bénéficiaires de cette convention aux organismes, autorités et juridictions de l'un des pays contractants compétents en matière de sécurité sociale seront rédigées dans l'une des langues officielles de l'un ou de l'autre pays». La même clause est reprise dans dix autres conventions bilatérales entre les Etats membres avec parfois des nuances de rédaction qui n'en modifient pas la portée, car elle englobe toujours les rapports des assurés sociaux avec les juridictions.

On sait qu'en vertu de son article 5, a, le règlement no 3 s'est substitué aux conventions antérieures, à l'exception de celles que les États membres ont entendu maintenir en vigueur en les inscrivant à l'annexe D. Il est de fait qu'aucun d'entre eux n'a usé de cette faculté en ce qui concerne la disposition que nous avons citée. Mais un silence aussi général peut difficilement être interprété comme signifiant de leur part l'intention de priver les travailleurs migrants d'une facilité qui leur était
reconnue antérieurement par les conventions bilatérales; il est plus raisonnable de croire qu'ils ont estimé qu'en dépit de la différence de rédaction les juridictions se trouvaient implicitement couvertes par les termes de l'article 45, 4, comme elles l'étaient explicitement par les conventions antérieures.

A cette thèse, qui s'appuie sur l'intention présumée des États membres, on peut objecter qu'il s'agit d'interpréter, non une convention multilatérale, mais un acte communautaire émanant du Conseil. Nous rappellerons que le Conseil n'a fait que reprendre à son compte une convention déjà signée par les États membres à laquelle il a donné «l'estampille» communautaire, et que les. États conservent la faculté d'en modifier dans une certaine mesure la portée en maintenant en vigueur certaines clauses
d'accords antérieurs.

C'est en définitive la ratio legis de l'article 51 du traité comme du règlement no 3 pris pour son application qui nous conduit à donner à la question posée une réponse affirmative. Traité et règlement doivent, dans le doute, être interprétés en ce sens qu'ils tendent à éviter que la situation juridique des travailleurs migrants ne soit défavorisée. Or, à défaut d'une manifestation expresse en ce sens, qui ne se trouve pas dans le texte, on ne peut présumer que le règlement ait entendu retirer à
ceux auxquels il s'applique une faculté que les États membres leur accordaient dans les conventions bilatérales, et dont bénéficient à l'heure actuelle les travailleurs de certains États tiers occupés sur le territoire de la Communauté en vertu de conventions passées entre ces États tiers et les États membres.

Nous concluons :

— à ce qu'il soit répondu que les dispositions prévues à l'article 45, 4, du règlement no 3 sont applicables aux juridictions,

— et à ce qu'il soit statué sur les dépens exposés devant vous par le Conseil d'État de Belgique.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6-67
Date de la décision : 13/06/1967
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Teresa Guerra, veuve Pietro Pace
Défendeurs : Institut national d'assurance maladie-invalidité.

Composition du Tribunal
Avocat général : Gand
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1967:15

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