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08/11/1967 | CJUE | N°18-67

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 8 novembre 1967., Argia Cossutta, veuve Giuseppe Pagotto contre Office national des pensions pour ouvriers., 08/11/1967, 18-67


Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 8 novembre 1967 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Comme dans les affaires 11 et 12-67, dans la procédure de renvoi 18-67 dont la Cour a été saisie par le Conseil d'État belge, nous nous occuperons de nouveau des règlements du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner à plusieurs reprises. Les faits qui nous serviront de point de départ sont les suivants :

L'époux de la demanderesse dans le litige de

vant la juridiction nationale a travaillé en Italie, en Allemagne et en Belgique et, dans ...

Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,

présentées le 8 novembre 1967 ( 1 )

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Comme dans les affaires 11 et 12-67, dans la procédure de renvoi 18-67 dont la Cour a été saisie par le Conseil d'État belge, nous nous occuperons de nouveau des règlements du Conseil sur la sécurité sociale des travailleurs migrants que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner à plusieurs reprises. Les faits qui nous serviront de point de départ sont les suivants :

L'époux de la demanderesse dans le litige devant la juridiction nationale a travaillé en Italie, en Allemagne et en Belgique et, dans ces pays, il était affilié aux assurances sociales. Parmi ces différentes périodes d'emploi et d'assurance, il est clair que celles qui importent en premier lieu pour la procédure devant le Conseil d'État sont les périodes accomplies en Belgique durant les années 1927 et 1959 et durant un certain laps de temps compris entre le 1er janvier 1940 et le 31 décembre 1945,
ainsi que celles accomplies en Allemagne du 1er mars 1941 au 4 septembre 1944.

Après sa mort (le 17 juillet 1960), la demanderesse a introduit une demande de pension de survie en régime ouvrier, laquelle a été tout d'abord rejetée par une décision ministérielle, motif pris de ce que, de 1926 à 1960, son mari n'avait pas été salarié, en Belgique principalement, pour une durée d'au moins un an.

La Commission d'appel spéciale saisie de cette decision a porté une appréciation différente sur les faits: en effet, elle a admis que l'époux de la demanderesse avait eu une carrière de salarié en Belgique et en Allemagne, s'étendant au total sur huit années (96 mois). Elle a donc accordé une pension, mais, compte tenu de ce que la période d'assurance allemande de 42 mois coïncidait en partie avec la période d'assurance belge de 96 mois, elle a basé ses calculs sur une fraction de 54/96 et, de plus,
elle n'a octroyé (conformément à la législation belge) que la moitié de la pension annuelle ainsi obtenue, motif pris de ce que l'époux de la demanderesse n'avait pas été salarié pendant la moitié au moins de la période écoulée entre 1926 et son décès.

L'Office national des pensions pour ouvriers n'a pas voulu admettre cette décision. Il a saisi la Commission supérieure des pensions et obtenu que la part de la pension de survie incombant à la Belgique soit fixée sur la base de 2/34 d'une pension annuelle de 18450 FB. Elle a abouti à ce chiffre en suivant la méthode de calcul directe prévue à l'article 29, paragraphe 2, du règlement no 4 et cela, parce qu'elle a seulement pris en compte deux années d'assurance (1927 et 1959) accomplies en vertu de
la législation belge et non pas la période de 1940 à 1945. Le dénominateur de la fraction représente le nombre des années qui se sont écoulées depuis l'entrée en vigueur des premières dispositions relatives aux assurances sociales en Belgique et l'année du décès de l'époux de la demanderesse.

Finalement, celle-ci a demandé au Conseil d'État d'annuler cette décision, motif pris notamment de ce qu'il fallait partir du fait que les assurances sociales belges avaient admis les cotisations versées par son époux pour une période de 8 années et 7 mois et demi.

Étant donné les faits et les problèmes qui en découlent relativement à l'interprétation du droit communautaire, le 11 mai 1967 le Conseil d'État, vu le rapport présenté par l'auditeur M. Dumont, a décidé à son tour de suspendre la procédure, conformément à l'article 177 du traité C.E.E., et de déférer à la Cour la question suivante :

«En cas d'application du règlement no 3, le dénominateur qui sert au calcul des prorata doit-il être calculé suivant la même unité de temps par tous les pays où l'assuré a accompli des périodes d'assurance? Dans l'affirmative, quelle doit être cette unité?»

Au cours de la procédure, seule la Commission de la Communauté économique européenne a présenté des observations écrites et orales sur cette question. Étant donné notamment que le Conseil d'État lui-même s'est contenté de procéder par allusions pour exposer son point de vue juridique sur les faits exposés, nous devrons donc nous demander tout d'abord si l'interprétation proposée par la Commission semble soutenable.

Réponse à la question posée

Il résulte des termes de la question ainsi que du rapport Dumont qui nous a été communiqué que, contrairement à la Commission supérieure, le Conseil d'État semble disposé à prendre en compte les périodes d'emploi et d'assurance accomplies non seulement selon la législation belge, mais encore selon la législation d'un pays étranger, plus exactement l'Allemagne. Il semble toutefois difficile de répondre à la question posée, en particulier parce que l'exposé des faits ne nous permet pas de savoir
exactement quelles sont les périodes d'emploi accomplies en Belgique et en Allemagne qui doivent servir de point de départ, ni quelle est l'importance pour le cas d'espèce de la présomption de la loi belge (voir arrêté royal du 17 juin 1955) selon laquelle les années 1940 à 1945 valent comme périodes d'assurance assimilées s'il est prouvé qu'une certaine période d'emploi a été accomplie entre le 1er janvier 1938 et le 10 mai 1940. Or, si nous essayons de nous former dès maintenant une opinion, sans
adresser au Conseil d'État une demande de plus ample informé, cette opinions — nous insisterons tout de suite là-dessus — peut très bien s'exprimer dans les termes que la Commission a proposés au cours de la procédure orale. Sans doute cela implique-t-il le risque de donner une réponse incomplète et qui ne tienne pas exactement compte des faits; on peut toutefois estimer que ce risque est préférable au retard dans la procédure qu'entraînerait une demande de plus ample informé, d'autant plus que le
Conseil d'État est libre de nous adresser une nouvelle question.

Tout d'abord, le Conseil d'État nous demande de nous prononcer sur le dénominateur de la fraction qui doit servir de base à l'institution d'assurances belge pour calculer le prorata de la pension et sur l'unité de temps à laquelle il faut avoir recours en l'occurrence.

La réponse ne semble pas susciter de difficultés à première vue. Comme le souligne la Commission, pour appliquer de façon judicieuse et exacte le règlement no 3, il convient d'utiliser en principe pour ce dénominateur la même unité de temps que pour le calcul de la pension pour ordre, c'est-à-dire la prestation à laquelle aurait droit l'assuré s'il avait accompli en Belgique toutes les périodes d'assurance et les périodes assimilées totalisées en vertu de l'article 27 du règlement no 3. Or, étant
donné qu'en Belgique on calcule les pensions d'après le nombre des années civiles (loi du 21 mai 1955), sans compter les années pour lesquelles il est prouvé que la période d'emploi a été inférieure à 185 jours, alors qu'une période d'emploi de 185 jours ou plus suffit pour admettre l'existence d'une année civile complète, conformément à l'arrêté royal du 17 juin 1955, le dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata en Belgique doit en conséquence être exprimé en années civiles. Cela
veut dire qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une éventuelle période d'assurance effective en vertu de la législation belge de 8 années et 7 mois et demi, comme le demande la demanderesse.

Or, nous ne pouvons guère nous satisfaire de cette réponse, parce que le problème véritable qui découle de l'exposé des faits concerne manifestement le numérateur de la fraction servant au calcul du prorata ainsi que l'unité de temps qui doit être utilisée en l'occurence, et que la solution de ce problème peut affecter le dénominateur.

Au cours de la procédure écrite, la Commission nous a proposé toute une série d'hypothèses, étant donné que l'exposé des faits laissait certaines questions sans réponse (années civiles impliquant un emploi exercé exclusivement en Belgique pour des périodes inférieures et supérieures à 185 jours; années civiles impliquant un emploi exercé dans différents Etats membres, pour lesquelles il est nécessaire de totaliser les différentes périodes d'assurance afin d'obtenir une période d'emploi de 185 jours,
et d'autres années civiles pour lesquelles cette nécessité disparaît mais qui comportent des périodes d'assurance effectivement accomplies à l'étranger). En conséquence, la Commission a élaboré une théorie détaillée sur la façon dont il faut prendre en compte les périodes d'assurance accomplies en vertu de la législation belge pour fixer la fraction destinée au calcul du prorata, sur la nécessité de déduire les périodes d'assurance effectivement accomplies à l'étranger durant une année civile des
périodes d'assurance assimilées en vertu de la législation belge, et sur l'unité de temps qui doit être utilisée. S'il est vrai que ces théories semblent quelque peu complexes, comme l'a fait remarquer l'Office national des pensions pour ouvriers dans une lettre adressée à la Cour le 13 octobre 1967, elles semblent toutefois tenir compte dans l'ensemble des principes énoncées par le règlement no 3 et constituer des solutions adéquates pour les hypothèses envisagées.

Toutefois, en examinant pour la première fois les observations écrites de la Commission, nous avons déjà eu le sentiment que les faits qui nous étaient exposés par le Conseil d'État ne permettaient guère d'adopter les théories générales de la Commission dans la décision préjudicielle à rendre, décision dont le but ne peut certes pas être d'exposer de vastes théories, mais seulement de donner une interprétation pour un cas concret. Nous avons été confirmé dans ce sentiment lorsque nous avons constaté
que le représentant de la Commission avait considérablement simplifié son point de vue lors de la procédure orale. En effet, en dépit de leur manque de clarté, les faits qui nous sont exposés montrent avec suffisamment de précision que seul un extrait de la vaste théorie développée tout d'abord par la Commission est susceptible d'intéresser le Conseil d'État.

Au fond, il est clair que, dans la mesure où le droit communautaire est concerné, il s'agit uniquement des problèmes suivants.

Le Conseil d'État est confronté avec le droit à pension de la veuve d'un travailleur qui, vraisemblablement (d'après le rapport Dumont qui invoque la jurisprudence belge récente), bénéficiera de la présomption légale de l'arrêté royal du 17 juin 1955, selon laquelle on admet l'existence d'une période d'assurance pour les années 1940 à 1945, si la preuve est faite qu'une certaine période d'emploi a été accomplie avant le 10 mai 1940. Cette période d'assurance représente, en partie tout au moins (dans
la mesure où aucun emploi n'a été exercé), une période assimilée au sens de l'article 1, r, du règlement no 3. D'autre part, il est bien établi que, pendant la même période, l'époux de la demanderesse a accompli une période d'assurance effective de 42 mois en Allemagne, pour laquelle une pension peut sans doute être réclamée en Allemagne, et ce du 1er mars 1941 au 4 septembre 1944.

Pour éviter maintenant un cumul des prestations d'assurance pour une seul et même période, ce que notre jurisprudence considère comme incompatible avec les principes du règlement no 3, la seule possibilité est de déduire la période d'assurance effectivement accomplie en Allemagne de la période d'assurance assimilée en vertu de la législation belge et de prendre seulement en compte le restant de la période assimilée (avec éventuellement les périodes d'assurance effectivement accomplies en vertu de la
législation belge) pour le calcul de la part de la pension incombant à la Belgique. Il est clair qu'en adoptant une telle méthode de calcul, il faut tenir compte de ce que le mois est l'unité de temps utilisée en Allemagne pour calculer les périodes d'assurance, ce qui oblige à convertir également en mois, suivant ce que prévoit l'article 13 du règlement no 4, la période d'assurance globale (de huit années probablement) tout d'abord calculée selon la réglementation belge en années civiles. Enfin,
étant donné qu'après la déduction nécessaire des périodes d'assurance effectivement accomplies à l'étranger, il reste encore — sauf erreur de notre part — un certain nombre de mois appartenant à la période d'assurance belge, qui ne peuvent être convertis en années civiles, le dénominateur de la fraction servant au calcul de la part de la pension incombant à la Belgique doit également être exprimé en mois, pour des raisons purement arithmétiques. En fait, on aboutit ainsi, à condition que les
chiffres cités correspondent aux faits, à une fraction de 54/96 pour le calcul du prorata, chiffre sur lequel s'est déjà basée la Commission d'appel spéciale dans sa décision de pension.

Dans l'ensemble, la réponse à donner à la question posée semblerait donc devoir être la suivante :

1o Lorsqu'il s'agit d'appliquer le règlement no 3, le dénominateur de la fraction qui sert au calcul du prorata doit être calculé, comme le montant pour ordre, dans l'unité de temps prévu par les dispositions de l'État membre en vertu desquelles sont prises en compte les périodes d'assurance.

2o Le numérateur de cette fraction doit, lui aussi, être calculé dans cette unité de temps pour les périodes durant lesquelles le travailleur a été exclusivement assujetti à la législation de cet État membre.

3o Lorsque des périodes d'assurance assimilées en vertu de la législation de cet État membre coïncident avec des périodes d'assurance effectives en vertu d'une législation étrangère, on déduit ces dernières. Dans ce cas, conformément à l'article 13, paragraphe 4, du règlement no 4, il y a lieu d'opérer une conversion dans l'unité de temps la plus petite commune aux États membres intéressés, et cela tant pour le numérateur que pour le dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18-67
Date de la décision : 08/11/1967
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Argia Cossutta, veuve Giuseppe Pagotto
Défendeurs : Office national des pensions pour ouvriers.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Trabucchi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1967:37

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